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Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "

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par Kouessi Jacques Richard CODJO
Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004
  

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b- La torture de la scène narrative.

La torture de la scène narrative est un procédé très récurrent chez Ken Bugul. Elle est présente tout au long des deux ouvrages que nous étudions ici. Dans La folie et la mort, elle se caractérise d'abord par les informations qui sont diffusées à la radio. Ces informations apparaissent toujours comme un cheveu sur la soupe. Elles surgissent de nulle part et n'ont généralement aucun rapport avec la trame du récit. Et la façon dont les interventions de la radio sont présentées ne varie pas dans le récit. Outre la première intervention où la radio s'est mise en marche elle-même : « Et la radio se mit en marche »105(*), toutes les autres fois, la radio est introduite par la même formule : « La radio était en marche »106(*) ou « La radio était toujours en marche »107(*). Ces formules sous-entendent que la radio est en marche en permanence et qu'on ne l'entend que lorsque le récit s'interrompt. On a l'impression que les informations de la radio se prolongeant pendant toute la durée du récit, lorsque celui-ci s'interrompt pour laisser place à celle-là, les informations qui en sortent ne peuvent qu'être en déphasage avec la réalité du récit. Cette interruption du cours du récit par les séquences de la radio constitue une torture de la scène narrative.

De plus, dans le même roman, le narrateur évoque des histoires qu'il évite de raconter alors que ces histoires ne sont contées nulle part ailleurs dans le roman. C'est ainsi qu'en parlant d'un pagne qui a appartenu à sa mère et avant elle à sa grand-mère, Mom Dioum parle d'une fille de l'université dont elle n'avait pas parlé auparavant et dont elle ne parlera pas non plus dans la suite de l'histoire : 

« Jusqu'à ce qu'un jour une nommée Fatou Diarra passe par-là...

Elle ne lui pardonnera jamais.

Enfin, c'est une autre histoire »108(*).

On n'en saura pas plus sur cette fameuse Fatou. Ces incursions d'histoires étrangères au récit entraînent la torture de la scène narrative qui se manifeste également dans le même ouvrage par le monologue intérieur des personnages. C'est le cas par exemple de Mom Dioum qui, sous les coups de boutoir de la Tatoueuse s'égare dans ses pensées :

« Qui était à sa recherche ?

Qui lui avait dit qu'elle était recherchée ?

Un communiqué était passé à la radio et parlait d'une femme sans cicatrice, de teint noir, qui avait commis un crime sur la personne d'un albinos, un albinos proche des membres de la présidence de la république. (...)

L'homme du bateau.

Quel homme ?

De quel bateau ? »109(*).

Ces réflexions sont d'autant plus génératrices de malaise que les réalités auxquelles elles renvoient ne ressemblent encore à rien dans l'esprit du lecteur qui attendra la page 208 pour comprendre ce qui a été évoqué là et faire réellement connaissance avec ces personnages.

Dans De l'autre côté du regard, la torture de la scène narrative est moins exubérante. Elle pourrait se réduire au refrain : « Ayo néné,... » qui parsème le récit et dont l'importance est souvent difficilement repérable en rapport avec la trame du récit. Mais en revanche, ce qui est une figure de style peut engendrer le malaise lorsqu'il est utilisé à outrance dans un récit. C'est le cas de l'anaphore qui est présente dans tout le texte :

- d'abord de manière assez courte à la page 93 :  

« De cette période mon frère avait hérité une fragilité métaphysique.

De cette période mon frère avait hérité l'humilité et la simplicité.

De cette période mon frère avait hérité une faiblesse existentielle »110(*).

- ensuite, de manière très longue de la page 279 à la page 280, pour créer un effet de prose cadencée :

« De plus en plus de gens ne croyaient plus en Dieu.

De plus en plus de gens ne priaient plus.

De plus en plus de gens ne sortaient pas l'aumône des pauvres.

De plus en plus de gens ne jeûnaient plus.

De plus en plus de gens croyaient en un autre dieu.

De plus en plus de gens croyaient mal en Dieu.

De plus en plus de gens préféraient que Dieu n'Existât pas.

De plus en plus de gens doutaient de Dieu.

De plus en plus de gens voulaient croire en Dieu.

De plus en plus de gens ne voulaient pas croire en Dieu.

De plus en plus de gens avaient honte de croire en Dieu.

De plus en plus de gens voulaient être Dieu.

De plus en plus de gens voulaient être Son Fils.

De plus en plus de gens disaient que Dieu leur Avait Parlé.

De plus en plus de gens pensaient que Dieu leur Allait leur faire signe.

De plus en plus de gens voulaient utiliser Dieu à d'autres fins.

De plus en plus de gens créaient de nouvelles voies vers Dieu, disent-ils.

De plus en plus de gens étaient victimes de troubles d'amour.

De plus en plus de gens préféraient les sectes, l'apocalypse et autres.

De plus en plus de gens préféraient les nouveaux prophètes.

De plus en plus de gens s'en fichaient complètement »111(*).

L'autre aspect qui génère le malaise dans la forme des textes est la technique de l'enchâssement, de la mise en abyme et de l'amplification.

* 105 La folie et la mort, p.11

* 106 Idem, p.52

* 107 Idem, p.38

* 108 Idem, p.30

* 109 Idem, p.32

* 110 De l'autre côté du regard, p.93

* 111 Idem, pp.279-280

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