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Le malaise dans l'oeuvre de Ken Bugul: cas de "la folie et la mort " et "de l'autre côté du regard "

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par Kouessi Jacques Richard CODJO
Université d'Abomey- Calavi Bénin - Maà®trise ès- lettres modernes 2004
  

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3- L'émiettement du récit par la multiplicité des lieux et des personnages.

L'une des conséquences remarquables de l'enchevêtrement des histoires racontées dans La folie et la mort et De l'autre côté du regard est l'émiettement du récit par la multiplicité des lieux et des personnages.

a- La multiplicité des lieux.

Dans La folie et la mort, même si les lieux ne sont pas toujours nommés, on remarque qu'ils changent au gré des histoires. Le narrateur évite de nommer les principaux lieux où se déroulent les actions, c'est-à-dire, le territoire dirigé par le Timonier. C'est ainsi que l'histoire commence dans un « pays sans nom, sans identité, enfin un pays fantôme, absurde, ridicule et maudit... »120(*). Cette phrase liminaire montre le cadre imprécis et indéterminé dans lequel l'action va se dérouler. Quelques pages plus loin, on trouve Mom Dioum et Fatou Ngouye dans « un village du Diéri »121(*). C'est de ce village sans nom que Mom Dioum se rend dans un autre village sans nom où se trouve la célèbre Tatoueuse : 

« Aux heures fraîches qui annonçaient l'aube, elle aperçut les premières toitures des cases d'un village qui dessinaient des formes sombres dans la pénombre »122(*).

Voilà la seule indication que nous avons sur le village de la Tatoueuse. Fatou Ngouye et Yoro vont, quant à eux, quitter le petit village du Diéri pour se rendre à la « ville »123(*). Si Yoro a disparu de la ville, Fatou Ngouye va y rester jusqu'à l'holocauste dont elle sera la victime. Mais elle ne reste pas à un seul endroit. Un peu comme pour montrer qu'elle appartient désormais à cette ville, elle va constamment changer de lieu de résidence. Elle quitte le poste de police pour une maison spéciale dans laquelle elle perd sa virginité. Elle est transportée à l'hôpital où elle séjourne ; le temps de mieux se porter, elle est récupérée par des religieuses qui, au lieu de la garder dans leur centre d'accueil, préfèrent la confier à un prêtre, en un autre endroit de la ville. Le prêtre à son tour, après avoir abusé d'elle, va la laisser dans un autre endroit de la ville, sous la garde d'une vielle propriétaire. C'est de là qu'elle ira se faire brûler au coeur du marché de la ville. Au total, Fatou Ngouye aura parcouru sept endroits différents de la ville sur lesquels nous n'avons aucune indication, sinon celles qui montrent qu'ils sont simplement différents les uns des autres.

Lorsque, après cela on retrouve Mom Dioum, elle s'enfuit de chez la Tatoueuse. Après une longue course, elle s'évanouit. A son réveil, elle est soignée par un être d'une forme humaine masculine, mais on ne sait où : 

« Là où ils habitaient, il n'y avait pas âme qui vive. Quand Mom Dioum lui avait demandé s'il y avait des voisins aux alentours, il lui avait répondu qu'il n'y en avait pas. Il avait préféré habiter un peu en dehors d'un village qui se trouvait à quelques lieues de là »124(*).

Elle va s'enfuir de cet endroit pour un village inconnu dans lequel un cheval blanc la dépose. C'est de ce village qu'elle sera conduite à l'hôpital psychiatrique de la capitale qui se trouve dans les environs de la cité universitaire. Dans l'un de ses rêves, elle transporte le lecteur dans un autre endroit où Yaw « se promenait dans les collines de son merveilleux village, en pays Vassari ». Le corps de Yoro est retrouvé sur la plage à « Popo »125(*). C'est pratiquement le seul endroit qui aura été clairement défini dans le récit, sur la multitude d'endroits que nous avons essayé de repérer, outre l'Atlantie qui est un territoire étranger.

Dans De l'autre côté du regard, les lieux où se déroulent les actions sont aussi pléthoriques, mais contrairement à ce qu'on remarque dans La folie et la mort, les endroits sont nommés ici. Le roman s'ouvre sur Marie qui reçoit une lettre de son frère Bacar Ndaw. Avant de l'ouvrir, elle se rappelle comment elle et son frère jouaient dans leur maison paternelle à Hodar. Et puisqu'elle en profite pour faire sa biographie, on sait que Bacar Ndaw est allé faire des études supérieures en France où il fut victime d'un accident. Il revient au pays et commence par travailler comme professeur de lycée à Sîndoni dont il épouse l'une des filles. Le narrateur évoque ensuite une toux qu'elle a eue et que l'un des voisins de sa mère, Alpha Sow, l'a aidée à guérir. Alpha Sow « vivait avec sa petite famille non loin de chez nous, à Nguininguini »126(*). Cela implique que Marie et sa mère ont également vécu dans cette ville. Mais ce que le narrateur ne dit pas, c'est où se trouve Marie lorsqu'elle reçoit la lettre de son frère. Il est simplement dit : « Quand la nouvelle de la mort de Samanar m'était parvenue, je me trouvais très loin. Très loin de ceux qui étaient les miens ou ceux qui devaient être les miens »127(*). On n'en saura pas plus. Bacar en revanche fait entre-temps un séjour à Xaalax dont il gardera des séquelles. Un autre frère de Marie, Moundaye, vit à Niali où il a épousé une belle fille de Sîndoni. Un autre village a donné son nom à un des frères de Marie : Ndiaré : « Ndiaré était un village situé non loin de Sîndoni. Ndiaré n'était pas loin de Wakhé, de Rao et de M'Pal »128(*). C'est ce frère, Maguèye Ndiaré qui ira à l'école militaire régionale coloniale de Ouagadougou en Haute Volta. Dans une fugue, il traverse Bobo Dioulasso pour se rendre en Codiware. Là, il parcourt plusieurs villes :

« - Et ce fut de là qu'ils avaient pris un autre train pour la Codiware.

- Ils avaient atteint Ouangolo-Nougou, ensuite Ferkesse-Dougou, Ta-Firé, Ka-Tiola.

- Quand le train était arrivé à Boua-Kê, ils étaient descendus.

- Deux jours plus tard leur ami (Maguèye Ndiare) avait quitté Boua-Kê à nouveau en train.

- Il s'était rendu à Dimbo-Koro, plus au sud.

- Peut-être voulait-il se rendre à Abi-Djan ?

- Ce ne fut que quelques années plus tard qu'il était revenu à Boua-Kê »129(*).

Lorsqu'on retrouve Marie dans le récit, elle est à Marrakech au Maroc où elle rencontre le père de son unique fille. Mais avant l'accouchement de sa fille, elle a fait une grande randonnée à travers toute l'Afrique :

« J'avais beaucoup voyagé avec cette grossesse.

De sa conception à Porto-Novo, à sa naissance à Brazzaville.

Nous avons vécu en Angleterre où je me gavais de glaces alors qu'il faisait si froid.

Au Zimbabwe où je mangeais de la viande grillée tous les soirs.

Au Kenya où j'ingurgitais des litres et des litres de jus de fruit de la passion.

Au Congo où je mangeais des quantités de safou au four et du poisson du fleuve.

J'avais vécu toute la grossesse dans des hôtels »130(*).

Tous ces lieux évoqués ou ayant servi de cadres à des actions dans les deux ouvrages sont presque déroutants. Le lecteur vient parfois à s'y perdre pour leur pléthore ou parce qu'ils lui sont étrangers. Mais en plus des lieux, c'est le grand nombre des personnages qui accentue le malaise qui se dégage des deux récits.

* 120 La folie et la mort, p.11

* 121 Idem, p.15

* 122 Idem, p.30

* 123 Idem, p.49

* 124 Idem, p.121

* 125 Idem, p.235

* 126 De l'autre côté du regard, p.33

* 127 Idem, p.53

* 128 Idem, p.143

* 129 Idem, p.215

* 130 Idem, p.226

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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe