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Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

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par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

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La concubine : pécheresse à divers degrés.

Jean Benedicti fait plusieurs fois référence au péché de la concubine dans son ouvrage. Le concubinage est quasiment exclusivement abordé dans la relation d'une femme avec un clerc tandis que nous savons qu'il en existe de multiples formes au XVI e. La concubine pèche à divers degrés car, outre la fornication voire l'adultère que comprend son acte, elle commet aussi l'inceste. En effet, « [c]elle qui a affaire auec celuy qui est prestre ou religieux, commet inceste & sacrilege »497. La concubine est « sacrilege : car elle a affaire auec vne personne consacree à Dieu. Quant au prestre ou religieux, il peche bien mortellement, mais il n'est pas sacrilege de son costé ; n'aya[n]t affaire sinon à vne femme laye »498. Le concubinage des prêtres est en passe de disparaître lorsque Benedicti rédige La somme des pechez, et le remede d'icevx. Néanmoins, ses remarques virulentes à l'égard des religieux qui le pratiquent montrent que la chasteté absolue n'est pas encore acquise en cette fin de XVIe siècle. Jean-Louis Flandrin précise que les femmes qui sont les plus susceptibles de devenir les concubines d'un clerc sont les servantes et les veuves499.

La lutte pour la chasteté du clergé est un combat qui a commencé dès le IVe siècle quand le concile d'Elvire (306) impose le célibat aux clercs dans les ordres sacrés. Adhémar Esmein explique que, pendant que le droit canonique se fixait, « l'idée [...] se fit jour que le concubinat, impliquant chez les concubins une volonté suivie de se placer

497Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.134. 498Ibid., p.140.

499Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.272.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

en dehors du mariage, était plus délictueux que la simple fornication, fait transitoire et isolé. Ainsi, ce fut longtemps une question de savoir si un clerc devait être déposé ou privé de son bénéfice à raison d'une "simplex fornicatio", alors que cela ne faisait aucun doute lorsqu'il vivait publiquement en état de concubinage »500. La réforme grégorienne (XIe siècle) demande aux clercs d'être irréprochables aux yeux de la société ce qui entraîne une condamnation violente du concubinage : les fidèles ne sont pas tenus d'assister à la messe d'un prêtre concubinaire et sa complice doit être réduite en servage par les seigneurs. Puis, au XIIe siècle, les clercs des ordres majeurs qui ont une épouse ou une concubine sont privés des offices et des bénéfices ecclésiastiques tandis que le IIe concile de Latran (1139) fait du sacrement d'ordre un empêchement dirimant au mariage501. Jusqu'au XVe siècle, le concubinage des clercs est tacitement admis. Il fait même débat au sein de l'Église : certains, voyant l'éradication du concubinage impossible, pensent qu'il faudrait plutôt autoriser le mariage des clercs. Un flou juridique et théologique existe donc sur ce point. C'est au XVIe siècle que va s'opérer le changement décisif en la matière. Les querelles entre théologiens catholiques et théologiens protestants mènent à une redéfinition plus nette des droits et devoirs des prêtres ainsi que des conditions du mariage, ce que nous avons déjà abordé antérieurement. Les protestants ne voient aucune interdiction biblique au mariage des prêtres, qu'ils réintroduisent donc légitimement. Dans leur désir de se différencier des protestants, les Pères de l'Église vont exiger avec force lors du Concile de Trente que les clercs catholiques observent la chasteté. Si le concordat de Bologne de 1516 avait menacé les clercs concubinaires de la privation totale ou partielle de leur bénéfice502, les décrets du concile de Trente proposent des mesures échelonnées. Pierre-Toussaint Durand de Maillane décrit les décisions prises lors de la XXVe session du concile sur la manière de procéder contre les clercs concubinaires : « après une première monition503, ils sont seulement privés de la troisième partie des fruits [de leurs bénéfices] ; après la seconde, ils perdent la totalité des fruits et sont suspendus de toutes fonctions ; après la troisième, ils sont privés de tous leurs bénéfices et offices ecclésiastiques, et déclarés incapables d'en posséder aucun ; en cas de rechute, ils encourent l'excommunication »504.

500Adhémar ESMEIN, Le mariage en droit canonique, 2e édition, mise à jour par R. GENESTAL et J. DAUVILLIER, tome II, Paris, Libraire du recueil Sirey, 1929, p. 137.

501Amandine DUVILLET, « Du péché à l'ordre civil, les unions hors mariage au regard du droit (XVIe-XXe siècle) », thèse sous la direction de Françoise FORTUNET, professeur à l'Université de Bourgogne, soutenue en 2011 [disponible en ligne sur < http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/69/70/10/PDF/these_A_DUVILLET_Amandine_2011.pdf] (consulté le 24 février 2013). 502Le bénéfice est la partie du bien de l'Église qui est affectée à un clerc en récompense du service et du ministère qu'il remplit au sein de l'Église.

503Une monition est un avertissement de type disciplinaire.

504Pierre-Toussaint DURAND DE MAILLANE, Dictionnaire de droit canonique et de pratique bénéficiale, 2e édition, tome I, Lyon, Duplain, 1770, p. 645, cité dans Amandine DUVILLET, op. cit. [note n°501].

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C'est ce que rappelle Benedicti lorsqu'il interpelle ainsi ses coreligionnaires : « Notez cecy Euesques & Curez, & vous autres qui habitez auec vos concubines, au grand scandale du populat. Quittez vostre peché, ou quittez vostre benefice, si vous ne voulez estre de la confrairie des ames damnees & perdues, desquels sont tapissees les rues d'enfer »505. La notion de « scandale » détermine de plus à l'époque par quel tribunal vont être jugés les clercs qui se rendent coupables de concubinage. En effet, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), tout ce qui est considéré comme un crime grave, c'est-à-dire pour lequel il y a un scandale public, est jugé par les tribunaux séculiers, royaux et non par les officialités c'est-à-dire les tribunaux diocésains aux mains d'ecclésiastiques. Les deux justices en cours dans le royaume de France sont souvent en conflit autour de ce qu'elles pensent être de leur ressort propre. Ainsi, le concile de Trente veut faire juger les cas de concubinage d'ecclésiastiques par l'évêque506 tandis que la justice séculière pense qu'il lui appartient de punir ces comportements qui troublent l'ordre public.

Daniel Jousse précise que le concile de Trente « ajoute, qu'à l'égard des Ecclésiastiques qui n'ont ni bénéfices, ni pensions, s'ils perséverent dans leur crime, & qu'ils refusent d'obéir aux monitions qui leur sont faites, ils seront punis par la prison, ou par la suspense, ou déclarés incapables de posséder à l'avenir aucuns bénéfices, suivant les Canons de l'Eglise »507. Benedicti n'est pas aussi précis à propos de la peine infligée à ces pécheurs. Il explique le principe des trois avertissements suivis de l'excommunication en cas de non réforme de la conduite du clerc mais indique ensuite que « s'ils perseuerent l'espace d'vn an sans se soucier des censures ils doiue[n]t estre seuerement punis par les superieurs selon la qualité du faict »508. Il confirme que le système de monitions s'applique à la fois pour les prêtres concubinaires et pour les femmes qui vivent avec eux. Après ces trois avertissements, ces dernières « outre les autres peines canoniques doiuent estre chassees hors des villes & Eueschez, leurs bie[n]s estans appliquez aux hospitaux »509. Cela est en accord avec les canons du concile de Trente. Les autres peines canoniques comportent notamment l'impossibilité de recevoir l'absolution de leurs péchés « si elle ne laissent leurs concubinaires »510. Si ses biens semblent pouvoir être confisqués et redistribués aux hôpitaux, la concubine doit aussi

505Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.692.

506Daniel JOUSSE, Traité de la justice criminelle de France, tome III, Paris, Debure Père, 1771, p.292 [disponible en ligne sur

< http://books.google.fr/books?

id=gAZDAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false] (consulté le 24

février 2013).

507Ibid., p.292.

508Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.140.

509Ibid., p.140.

510Ibid., p.140.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

restitution pour les biens qu'elle aurait pu acquérir par ce moyen. En effet, les gens d'Église n'ont aucun bien propre selon Benedicti car ce qu'ils n'utilisent pas pour subvenir à leurs propres besoins doit être donné aux pauvres511. Selon Jousse, la femme condamnée peut être enfermée en plus d'avoir interdiction de fréquenter le clerc avec qui elle péchait512. Deux mentions de Benedicti montrent pour quelle raison l'enfermement ou l'exil hors de la ville était parfois nécessaire. Il prend en exemple la « concubine qui ne se veut retirer & quitter son paillard »513 et un peu plus loin « les prestres & gens d'Eglise qui retiennent femmes suspectes & concubines en leurs maisons ou dehors, & principalement ceux qui les appellent apres qu'ils ont esté contraincts de les chasser »514. Cela peut mener à penser que les mesures visant à enrayer la fréquentation de concubins étaient peu suivies. Dans ce cas où l'entêtement d'une des deux parties, ou des deux, est visible, la femme qui se livre au concubinage risque, tout comme le clerc, l'excommunication.

Deux mentions seulement font l'état d'un concubinage entre laïcs dans La somme des pechez, et le remede d'icevx. La première se trouve au chapitre concernant le sixième commandement et dit : « L'homme & la femme concubinaires pechent mortellement, & s'ils ne promettent de s'amender & de se separer l'vn de l'autre, ils ne doiuent estre absous »515. La deuxième, plus étrange, est un exemple démontrant comment un chrétien peut tomber dans l'irrégularité : « Celuy qui feroit monter vne concubine en haut par vne fenestre pour abuser d'elle, si elle vient en tombant à se tuer, ou rompre quelque membre, il est irregulier, pour autant qu'il vaque à vne chose illicite : car celuy qui vaque à vne chose illicite dont la mort de quelqu'vn s'en ensuit, ou ruptures de membres, il est homicide, & par consequent irregulier »516. Benedicti fait ici référence à des modèles de concubinage qu'il n'explicite pas. Or, Jean-Louis Flandrin montre qu'il existe encore au XVIe siècle de nombreuses formes de concubinage. Il explique que les jeunes gens vivent parfois en cohabitation afin de tester « leur goût l'un pour l'autre »517 avant de se fiancer. De même, il existe en Corse et au Pays basque des concubinages avant d'officialiser l'union par un mariage. Le célèbre adage « Boire, manger, coucher ensemble, c'est mariage, ce me semble » paraît légaliser les unions libres. Néanmoins, ce dernier est complété par l'expression « mais il faut que l'Église y passe » qui modifie

511Ibid., p.216.

512Daniel JOUSSE, op. cit. [note n°506], p.293.

513Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.601.

514Ibid., p.609.

515Ibid., p.115.

516Ibid., p.613.

517Jean-Louis FLANDRIN, Les amours paysannes..., op. cit. [note n°275], p.243.

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profondément le sens premier du proverbe. Maurice Dumas précise que la « pression exercée par les autorités ecclésiastiques a fait pratiquement disparaître le concubinage au XVIIe siècle »518. La dénonciation virulente des couples concubinaires en chaire par les prédicateurs et les prêtres est peut-être la cause pour laquelle ces derniers sont si peu mentionnés dans l'ouvrage de Benedicti.

Le confesseur Benedicti trouve dans son manuel destiné à d'autres confesseurs entre autres un moyen propre à leur rappeler leurs obligations en tant que clercs. En réexpliquant les peines lourdes auxquelles les concubins s'exposent, il souhaite les dissuader de persévérer dans le péché.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille