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Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

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par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

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LA FEMME ET L'ENFANT.

Saint Paul affirme que la femme « sera sauvée en devenant mère »566 malgré la faute commise par Ève. Il semble que la maternité soit le seul moyen qui permette à la femme de réparer, ou du moins de ne pas aggraver, la faute de la première mère de l'humanité. La femme entretient un rapport très étroit avec l'enfant qu'elle met au monde, qu'elle nourrit dans la majorité des cas, et qu'elle doit éduquer dans ses premières années. Benedicti accorde une place à la figure de la mère dans son discours. Il dévoile quelles sont les difficultés de la grossesse et les comportements déviants à proscrire selon lui. Le confesseur insiste aussi sur l'attitude à avoir lors de l'allaitement de son enfant et il présente ses inquiétudes face à la pratique de la mise en nourrice des

563Ibid., p.461.

564Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Luc, 2, 37.

565Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.98. 566Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], ITm 2, 15.

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nourrissons. Enfin, les devoirs de la mère éducatrice sont soulignés. En effet, c'est à elle qu'est de plus en plus confié le soin d'éduquer chrétiennement ses enfants et les théologiens catholiques du XVIe siècle sont conscients des enjeux de cette mission.

Porter un enfant et le mettre au monde.

La femme qui veut porter un enfant dans de bonnes conditions doit tout d'abord respecter les interdits prescrits pour les rapports sexuels. Ces derniers déterminent non seulement la fertilité mais aussi la bonne issue de la grossesse. Durant cette dernière, certaines règles doivent être suivies, que rappelle Jean Benedicti. Des modèles bibliques sont présentés aux futures mères afin de les sensibiliser à leurs responsabilités. L'accouchement et le baptême de l'enfant sont plus longuement détaillés du fait des problèmes que peuvent rencontrer les mères à ce moment. La mortalité des femmes en couches et celle des bébés est très importante. Le confesseur connaît les nombreuses superstitions qui ont cours dans ces moments et ressent le besoin de délimiter strictement les pratiques acceptables aux yeux de l'Église de celles du peuple. Enfin, la question des pratiques anticonceptionnelles est abordée d'une manière virulente par le franciscain.

Les critères d'optimisation des rapports sexuels, développés auparavant, sont : une position facilitant la procréation, un moment propice, c'est-à-dire hors des temps d'interdits imposés par l'Église, et un lieu qui n'entraîne pas le scandale des autres croyants. En dehors de ces critères, les rapports sont considérés comme « impudiques »567 et la punition divine pour ce péché est tout d'abord la stérilité de la femme, empêchant la lignée de se poursuivre. La stérilité était considérée comme « un bouleversement de l'ordre naturel des choses, peut-être dû à un péché ou à l'impossibilité de remplir son devoir sexuel, bouleversement qui risquait de se répercuter négativement sur toute la communauté »568, précise Léa Wynne Smith. En effet, l'enfant a un rôle important dans la société du XVIe siècle. Il apporte une aide précieuse aux classes populaires par sa force de travail et représente un héritier potentiel et la continuité de la lignée dans les classes sociales plus aisées. Lui seul peut soutenir ses parents dans leur vieillesse et prier pour leur âme après leur trépas. Léa Wynne Smith souligne enfin que « dans l'univers essentiellement agricole de la France du début de l'époque moderne, un

567Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.151.

568WYNNE SMITH, Lisa, « La raillerie des femmes ? Les femmes, la stérilité et la société en France à l'époque moderne », dans Femmes en fleurs, femmes en corps : sang, santé, sexualités, du Moyen Âge aux Lumières, Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), Saint-Étienne, Publications de l'Université de Saint-Étienne, 2010 (coll. L'école du genre), p.206.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

lien étroit était établi entre la fertilité d'un couple, la santé du bétail et l'abondance des moissons, et un couple stérile pouvait être porteur de malchance »569. Jacques Gélis met aussi l'accent sur la correspondance effectuée à l'époque entre la Terre et la femme. La « Terre-Mère », la Terre « nourricière » « conserve et transforme, ébauche et parfait ; son ventre plantureux s'acharne à assurer la permanence du cycle vital »570. Une femme stérile pourrait entraîner une stérilité des sols et toute la communauté villageoise se soude pour la pousser à entreprendre les démarches qui devaient lui permettre de remédier à cette situation. Benedicti n'aborde pas la question des rites de fertilité car l'Église du XVIe siècle cherche avant tout à les voir disparaître : on tait leur existence afin de ne pas donner des idées à des personnes trop crédules. Néanmoins, nous savons que des « méthodes plus ou moins magiques consistaient, entre autres, à rendre visite à une femme qui venait d'enfanter ou à porter ses vêtements, à toucher des animaux ou des plantes fertiles, à frotter ou à toucher des pierres dressées, à porter des amulettes ou à recourir à des sortilèges »571. Benedicti pense que l'oraison offerte à Dieu peut fléchir sa position. En effet, dans la Bible, ce n'est pas la femme, ni l'homme, qui est responsable de la stérilité. Elle est une décision divine. Aussi, c'est à Dieu et non à quelque superstition qu'il faudrait se fier pour obtenir un enfant. Anne, stérile depuis de longues années, tombe enceinte de Samuel, un prophète biblique, après une longue oraison mentale offerte à Dieu572. Benedicti rappelle cette histoire573 et, par là, peut vouloir conseiller aux femmes de l'époque de se tourner vers Dieu dans l'épreuve de la stérilité.

Lorsque la grossesse est avérée, la future mère doit à tout prix protéger le fruit qu'elle porte. De nombreux conseils lui sont prodigués à la fois par la communauté des femmes qui l'entoure et par des manuels spécialisés. Benedicti les reprend en partie dans son ouvrage. Il rappelle ainsi que certains mouvements sont à proscrire afin d'éviter la perte de l'enfant. Pèche donc « celle qui s'expose au manifeste peril d'auorter, encor qu'elle ne le face pour mauuaise intention, comme en sautant, dansant, ballant574, portant de gros & pesant fardeaux, se lassant par trop, courant indiscrettement par les ruës »575. Ainsi, la femme enceinte semble avoir une place à part dans la société. Il ne faut pas qu'elle « se blesse », c'est-à-dire qu'elle perde son enfant, et pour cela, on lui évite les lourdes charges. Dans la réalité, peu de femmes du peuple peuvent se ménager durant

569Ibid., p.206.

570GELIS, Jacques, L'arbre et le fruit : la naissance dans l'Occident moderne XVIe-XIXe siècle, Paris, Fayard, 1984, p.21.

571Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), op.cit. [note n°568], p.213.

572Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], I Samuel, 1.

573Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.87.

574Le terme « baller » signifie « piétiner, danser, sauter, s'agiter ».

575Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.

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leur grossesse et, malgré des conseils tels que « ne pas se coiffer soi-même, ne pas hausser trop les bras »576, nombreuses sont celles qui continuent leur activité jusqu'au moment critique de l'accouchement. Benedicti leur accorde certains privilèges tel celui de ne pas jeûner. Il admet en effet que « les femmes enceintes so[n]t excusees, ensemble les nourrices, ausquelles il conuient manger pour deux personnes, sçauoir est, pour elles & pour leurs enfans : mesmes elles pourroie[n]t bien offenser en voula[n]t s'opiniastrer à ieusner, sinon qu'elles fussent si robustes, qu'vne seule refectio[n] leur suffist à elles & à leurs nourrissons »577.

Le régime proposé aux femmes qui le peuvent est celui de la « médiocrité » c'est-à-dire de la modération en toute chose. Benedicti propose ainsi de « prude[m]ment gouuerner les femmes enceintes, & ne leur permettre de vaquer par trop à leur plaisir, ne les affliger aussi toute l'a[n]nee qu'elles portent leur fruit au ve[n]tre, afin qu'elles viue[n]t en tranquillité & repos »578. Il faut donc que la femme enceinte dorme bien, demeure dans des endroits tempérés, évite les odeurs fortes ou les « spectacles effrayants ou seulement insolites qui risqueraient de provoquer la naissance d'un monstre »579. Les bruits trop forts sont à proscrire car ils peuvent provoquer l'avortement. « Une frayeur, une colère, une contrariété peuvent avoir le même résultat. La femme enceinte a le devoir, pour son enfant, de dompter et de modérer ses passions. Son entourage ne doit pas lui faire peur, ni lui annoncer subitement des nouvelles qui puissent l'attrister ou la tourmenter »580 analyse Catherine Fouquet. La femme enceinte doit enfin manger modérément mais suivre ses « envies » « sous peine de voir le corps de l'enfant marqué de ces envies rentrées, taches de vin ou de fruit par exemple »581. Les relations sexuelles sont elles strictement interdites durant la grossesse. Le « peril de suffoquer le fruit ia co[n]ceu »582 est trop important selon Benedicti pour que les mariés se permettent de vaquer « à l'oeuure de mariage ». Plus le moment de l'accouchement approche, plus le péché est grand et les risques pour l'enfant importants d'après le franciscain qui prend en exemple la continence dont sont supposés faire preuve les éléphants et les cerfs « auec la femelle ta[n]dis qu'elle est pleine »583.

576KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Éditions Montalba,

1980, p.47.

577Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.201.

578Ibid., p.153.

579François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.

580KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.47.

581François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.

582Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.153.

583Ibid., p.153.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Si la femme enceinte peut paraître en état de grâce aux yeux de la société de l'époque, Benedicti rappelle néanmoins que sa nature funeste la poursuit. En effet, la mère marque son enfant de la macule du péché originel. Benedicti insiste sur le fait que « nous co[n]tractons au ventre de nos meres » ce « peché de nature »584 dont seule la Vierge Marie a été exemptée585. Il combat en un autre endroit de son ouvrage la croyance calviniste selon laquelle les enfants sont justifiés, c'est-à-dire qu'ils retrouvent leur innocence originelle, au ventre même de leur mère. Seul le baptême peut permettre aux enfants catholiques de retrouver cette innocence selon Benedicti qui appuie sur le fait que « les vns & les autres sortent du ve[n]tre de leurs meres tachez de peché originel, & tous enfans d'ire & de perditio[n] »586. Benedicti se désole lui-même d'être un « pauure enfant d'Eue »587 et remercie la Vierge Marie de l'avoir aidé « depuis que le ventre maternel [l]'a ietté sur la terre »588. Son discours oppose l'image d'une Vierge bienveillante, au ventre protecteur qui accueille le sauveur de l'humanité, à la simple femme dont le ventre fourbe expulse un enfant déjà marqué du péché. Benedicti oppose sans cesse Ève pécheresse à Marie, sainte femme. Deux modèles de maternité sont proposés aux femmes enceintes. Marie est constamment louée, elle qui dit : « Voicy la seruante de Dieu, me soit fait, o sainct Gabriel, selon vostre parole »589. Au contraire, Ève, « la pauure mesquine », qui croit être enceinte du fils de Dieu promis à Adam, est tournée en dérision : « Ah pauure Eue, tu estois bien trompee, pensant estre celle qui porteroit le Sauuer [sic], ceste prerogatiue estoit bien reseruee à une plus digne que toy »590. Benedicti l'accuse même, ayant mis au monde Caïn, d'avoir « plustost enfanté vn petit Antechrist, que non pas le fils de Dieu »591. En effet, le fils aîné d'Adam et Ève tue Abel, son petit frère, et devient par là le tout premier meurtrier de l'humanité. La période de la grossesse a donc un double visage : la femme assure une descendance et est louée pour cela ; néanmoins, elle porte le poids de la malédiction originelle et croiser une femme enceinte semble même inquiéter les plus superstitieux592.

Au chapitre concernant la fréquence de la confession, Benedicti indique que peuvent se confesser hors de la période de Pâques ceux qui sont « au peril de leur vie.

584Ibid., p.14.

585Jean BENEDICTI, La Somme des pechez, et le remede d'icevx..., op.cit. [note n°170], « Epistre dedicatoire ». Nous signalons

que le confesseur franciscain fait ici un dogme d'une croyance qui ne sera officiellement reconnue par l'Église qu'en 1854

(dogme de l'Immaculée Conception).

586Ibid., p.388.

587Ibid., « Epistre dedicatoire ».

588Ibid., « Epistre dedicatoire ».

589Ibid., « Epistre dedicatoire ».

590Ibid., « Epistre dedicatoire ».

591Ibid., « Epistre dedicatoire ».

592Ibid., p.39.

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De là vie[n]t que les femmes enceintes & prestres [sic] d'accoucher, & principalement les ieunes, qui n'ont encores porté enfant, se doiuent confesser & en bon estat »593. Benedicti semble donc connaître les difficultés, voire les dangers, de l'accouchement au XVIe siècle et il demande aux femmes près de leur terme de prendre leurs précautions afin qu'elles ne meurent pas sans s'être confessées. Un proverbe gascon de l'époque disait « Femme grosse a un pied dans la fosse »594. Tous les historiens soulignent la difficulté qu'il y a à évaluer précisément les taux de mortalité en couches, tant pour les mères que pour les enfants. François Lebrun estime que la mortalité maternelle « transparaît dans la surmortalité féminine entre 25 et 40 ans, alors que la surmortalité masculine est la règle, hier comme aujourd'hui dans toutes les autres tranches d'âge »595. Les risques sont importants et, comme il est courant dans ce cas, les superstitions sont nombreuses entourant la délivrance de la femme. Benedicti cite l'utilisation de la pierre d'aigle portée par les femmes « pour se rendre plus larges [...] en leur enfantement »596. Significativement, cette pratique n'est pas décriée. Benedicti évoque aussi la croyance en une action maléfique de sorciers. Ainsi le sorcier Cyprien aurait lié « les femmes enceintes telleme[n]t, qu'elles ne pouuoie[n]t enfanter »597. Si le confesseur franciscain n'évoque que la pierre d'aigle, bien d'autres remèdes étaient utilisés afin de faciliter la venue au monde de l'enfant. Les nombreuses femmes présentes lors de l'accouchement entourent la parturiente et peuvent « lui mettre sur le ventre le bonnet de son mari ou, aux pieds, ses chaussures, lui entourer la cuisse droite d'une peau de vipère ou lui faire boire des tisanes à base de sauge, de fenouil ou d'eau-de-vie, voire d'eau de tête-de-cerf ou de morceau de peau de loup »598. Les pratiques les plus communes seraient le « port d'une ceinture bénie par la Vierge ou de sainte Marguerite, ou [un] pèlerinage, fait soi-même ou par personne interposée, aux sanctuaires spécialisés qui existent dans toutes les provinces et sont dédiés à Notre-Dame-de-Délivrance, de Bon-Secours ou des Sept-Douleurs ou à sainte Marguerite »599. Les sages-femmes sont incriminées lors des accouchements qui se finissent mal et Benedicti conseille de se méfier d'elles600. François Lebrun rappelle qu'elles ne peuvent théoriquement « exercer que si elles ont subi deux examens, l'un devant le curé de la paroisse, l'autre devant un chirurgien ». Néanmoins, seul le premier est observé et les connaissances des sages-femmes ne sont

593Ibid., p.219.

594François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111.

595Ibid., p.117.

596Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.560.

597Ibid., p.46.

598François LEBRUN, Marc VENARD, Jean QUENIART, Histoire de l'enseignement et de l'éducation, tome II : De Gutenberg

aux Lumières (1480-1789), Paris, Perrin, 2003 (coll. Tempus), p.45.

599François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.111-112.

600 Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170],p.46.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

pas contrôlées. Jacques Gélis souligne donc que l'« empirisme était la règle, avec tout ce que cela impliquait de spontanéité heureuse et de conduite aberrante. Une présentation vicieuse, un bassin trop étroit, conséquence du rachitisme de la petite enfance, et tout basculait. L'accoucheuse perdait son assurance. Marquée par la souffrance, la femme s'épuisait au fil des heures et les compagnes qui l'assistaient se laissaient gagner par le doute »601. La mortalité néonatale, c'est-à-dire survenue au cours du premier mois de l'enfant, serait comprise entre 10 et 20% du total des naissances602.

Les fréquentes difficultés lors de l'accouchement imposaient au moins un savoir aux sages-femmes : « les sages femmes qui ne sçauent pas la forme de baptiser »603 étaient en état de péché mortel. C'est cette compétence, et leur moralité, qui étaient vérifiées par les curés de l'époque. Il fallait en effet éviter à tout prix que l'enfant meure sans baptême. Les conséquences dans ce cas étaient lourdes pour lui. Jacques Gélis explique que « le nouveau-né qui mourait avant qu'on ait pu lui conférer le sacrement du baptême était doublement pénalisé. Son âme était vouée à des souffrances éternelles, puisqu'elle était privée de la vision de Dieu : c'était la peine du dam. Quant à son corps, il ne pouvait rejoindre la communauté des morts ; il n'avait pas sa place en terre consacrée, auprès des ancêtres »604. L'enfant mort dans ces conditions erre dans les Limbes, espace proche de l'Enfer. Il n'a pas pu en effet être lavé du péché originel par le sacrement du baptême. C'est pour cette raison qu'il est impropre à entrer au Paradis et à contempler Dieu. Benedicti précise qu'on « ne permet qu'on enterre les enfans decedez sans le Baptesme en terre saincte »605. Cette règle était très durement ressentie par les parents de l'époque. Jean Benedicti développe les raisons pour lesquelles les enfants ne devaient pas être enterrés en terre sainte en introduisant ainsi son discours : « ie vien satisfaire à la demande d'aucuns Catholiques : lesquels conduits d'vne cruelle misericorde trouuent estrange que l'enfant d'vn bon pere & d'vne bonne mere qui meurt sans baptesme soit priué du ciel »606. Il semble donc que les parents et leur entourage aient exprimé un sentiment d'injustice face à ce drame. Le développement des sanctuaires à répit607 peut être interprété comme la réponse des parents, pères et mères, à l'angoisse suscitée par la mort de leur enfant. Les enfants morts-nés étaient en effet emmenés par une femme proche des parents, ou payée par eux, dans ces sanctuaires où,

601Jacques GELIS, Les enfants des Limbes : mort-nés et parents dans l'Europe chrétienne, Paris, Louis Audibert, 2006, p.18-19.

602François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.118.

603Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.392.

604Jacques GELIS, Les enfants des Limbes..., op. cit. [note n°601], p.26.

605Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.

606Ibid., p.388.

607Ces sanctuaires sont souvent des églises, parfois des lieux consacrés où des miracles auraient déjà eu lieu. Les enfants sont

déposés de préférence sur l'autel des églises, qui sont censés contenir les restes de saints personnages, au pied d'une statue ou

devant une image sainte.

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au prix de ferventes prières, l'animation du corps de l'enfant pendant un court instant permettait d'en déduire son retour à la vie et de lui faire bénéficier du sacrement du baptême. L'Église cherche à réguler cette pratique mais Benedicti souligne que « la foy du pere & de la mere, & les prieres, oraisons, jeusnes, aumosnes, voyage & autres deuotions »608 peuvent aider leur enfant à recevoir le baptême dans l'au-delà, grâce à la miséricorde divine.

Afin d'éviter des pratiques superstitieuses qui menaient à l'exposition du corps d'un enfant mort dans un sanctuaire pendant plusieurs jours, les clercs acceptaient que les femmes baptisent les enfants qu'elles pensaient être en danger de mort. L'ondoiement est le nom de ce baptême fait par la sage-femme au moment de l'accouchement. François Lebrun explique qu'il « doit être fait en présence de deux témoins qui attesteront devant le curé que les formes prescrites ont été respectées. Le rite est, d'ailleurs, volontairement réduit au minimum, puisqu'il est seulement demandé à la personne qui baptise, de verser de l'eau naturelle, à défaut d'eau bénite, sur la tête ou sur quelque autre partie du corps de l'enfant en disant "distinctement et avec attention", en latin ou en français : "Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il" »609. Benedicti montre que les femmes ont usé de ce droit lorsqu'il affirme qu'il est inacceptable que le confesseur ne sache pas « les paroles sacramentales de l'absolution [...] veu mesme que les femmes sçauent bien celles du Baptesme »610. Si les sages-femmes sont normalement les plus habilitées, parmi les femmes, à délivrer ce sacrement, toute femme611 le peut selon Benedicti. L'eau n'est pas même nécessaire puisque « quand vne femme seroit massacree pour la foy Catholique, & son enfant auec elle, il seroit baptisé en son sang »612. Il est néanmoins préférable que la cérémonie se fasse à l'église et c'est là qu'elle a dû avoir lieu dans la majorité des cas. En 1547, le concile de Trente conseille que les enfants soient baptisés « quamprimum », c'est-à-dire le plus tôt possible après leur naissance. En effet, plus les parents attendent, plus le risque que l'enfant décède avant d'avoir reçu le sacrement du baptême augmente.

Les douleurs de l'accouchement expliquent sûrement les deux principaux modèles proposés aux femmes en couches. Ils présentent en effet des accouchements sans difficulté peut-être afin de rassurer les parturientes ou du moins de les porter à espérer la même issue pour elles-mêmes et donc à prier Dieu en ce sens. La Vierge Marie,

608Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391. 609François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.118.

610Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.618. 611Ibid., p.389.

612Ibid., p.389.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

« contraincte de [se] retirer en vne estable exposee à tous vents »613 est néanmoins préservée des douleurs de l'enfantement puisque Jésus « sortit de sa mere comme les rayons du Soleil à trauers une vitre, sans y faire ouuerture & fraction »614. Sa foi en Dieu a été récompensée. L'histoire de l'accouchement d'Élisabeth doit aussi porter les futures mères à prier pour la Vierge. En effet, lorsque Marie rejoint sa parente, enceinte de Jean-Baptiste615, plusieurs miracles se produisent. L'enfant « se mit à bondir de joie dans le ventre de sa mère, comme pour saluer par ses mouvements celui qu'il ne pouvait pas encore saluer par la voix »616, c'est-à-dire Jésus, dont Marie est enceinte. Jean-Baptiste est ensuite un des rares enfants à être justifié « au ventre de sa mere »617. Cela signifie qu'il n'a pas besoin dans l'absolu d'être baptisé pour être lavé du péché originel. Enfin, c'est Marie elle-même qui accoucha Élisabeth et le reçut dans ses « sacrees mains virginales »618.

Si nous avons vu que la stérilité était particulièrement mal vécue au XVIe siècle, les nombreuses grossesses n'étaient pas non plus désirées. Le risque qu'elles faisaient courir aux femmes, mais aussi la pauvreté de certaines, les ont parfois poussées à utiliser des méthodes de contraception voire à tenter l'avortement. Benedicti pense que l'argument utilisé par certains parents pour justifier les moyens contraceptifs, à savoir qu'ils auraient trop de bouches à nourrir, est la preuve d'un manque de foi en Dieu car selon lui « iamais Dieu ne met vne creature sur terre qu'il ne luy baille les moyens de viure & gaigner sa vie »619. Néanmoins, le franciscain se montre indulgent, ou réaliste : « Si toutesfois les mariez craignent d'auoir trop d'enfans, qu'ils viuent en contine[n]ce mutuelle, implorans la grace de Dieu, & fuyans tous villains attouchemens, immodicitez & ordures »620. La continence comme moyen de contraception est donc la seule voie acceptée. En effet, il est précisé que ceux « qui par potion, breuuages ou autre maniere que ce soit, empesche[n]t la conception & la generation, craignans d'auoir trop d'enfans, pechent mortellement »621. Divers moyens contraceptifs nous sont connus. Catherine Fouquet souligne l'utilisation de pessaires622, de « morceaux de liège de la grosseur d'un

613Ibid., « Epistre dedicatoire ».

614Ibid., « Epistre dedicatoire ».

615Jean-Baptiste devient par la suite un prophète qui annonce la venue de Jésus et baptise ce dernier. Il a donc un rôle très

important dans la Bible.

616Jacques de VORAGINE, op. cit. [note n°295], p.305.

617Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.391.

618Ibid., « Epistre dedicatoire ».

619Ibid., p.152.

620Ibid., p.152.

621Ibid., p.152.

622Dispositif introduit dans le vagin servant de préservatif anticonceptionnel pour la femme.

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oeuf, ou encore des éponges »623. Elle note de plus que le « recours aux breuvages réputés abortifs était très ordinaire. Le persil était ainsi censé faire venir les règles. D'autres plantes encore et, d'une façon générale, toute substance provoquant des coliques étaient jugées susceptibles d'entraîner l'effet recherché »624.

Contraception et avortement sont largement assimilés au XVIe siècle. Cette assimilation « est fondée sur le cumul de trois fautes jugées très graves. La première est l'adultère, car tout acte conjugal accompli sans intention procréatrice est à mettre sur le même pied que la prostitution. La seconde faute est le meurtre, car, dans les deux cas, on empêche un enfant de venir au monde, ce qui est considéré comme la mise à mort de l'être qui aurait pu et dû venir au monde. La troisième faute est l'idolâtrie, car on se sert de moyens contraceptifs ou abortifs souvent liés à des pratiques magiques ou superstitieuses »625. L'avortement est jugé si grave qu'il est placé parmi les cas dont la pénitence et l'absolution sont réservées à l'évêque626. Ainsi, un simple prêtre ne peut décider des pénitences à accomplir afin de réparer la faute commise. Il existe deux degrés de péché liés à l'avortement selon Benedicti. Il précise en effet : « Quant à celuy qui procure l'auortement d'vne femme enceinte, si le fruit estoit des ia animé, il a commis homicide, lequel ne pouuant estre reco[m]pensé par peine pecuniaire, il le doit estre par vne longue & grande penitence, pour auoir esté cause de la mort corporelle & spirituelle, sçauoir, de la damnation de l'ame de l'enfant mort sans Baptesme »627. Benedicti fait la différence entre l'avortement commis sur un embryon non encore animé et sur un enfant qui a reçu une âme : « L'enfant masle reçoit l'ame quarante iours apres la conception, & selon aucuns soixa[n]te, & la femelle octante iours apres »628. Ces conceptions sont conformes aux croyances de l'époque. Si le Lévitique ne donne qu'une période d'impureté post-accouchement qui diffère selon le sexe de l'enfant (quarante jours s'il s'agit d'un garçon, plus de quatre-vingt jours si l'enfant est une fille629), les théologiens ont formé à partir de ce texte les théories concernant l'infusion de l'âme à l'embryon, qu'ils calquent sur le texte biblique. L'avortement avant le quarantième jour est « un acte contre nature, dans la mesure où il détruit un dynamisme à l'oeuvre dans l'embryon et s'oppose au principe de finalité inscrit dans le produit de la conception »630. De plus, l'être humain est créé à l'image de Dieu. Avorter, c'est s'opposer à Dieu qui, de

623KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.123.

624Ibid., p.124.

625Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe BECQUART, L'Église et la sexualité : repères historiques et regards

actuels, Paris, Éditions du Cerf, 2006 (coll. Histoire du christianisme), p.95.

626Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.589.

627Ibid., p.699-700.

628Ibid., p.110.

629Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Lévitique, 12.

630Guy BEDOUELLE, Jean-Louis BRUGUES, Philippe BECQUART, op. cit. [note n°625], p.150.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

plus, choisit parfois ses prophètes alors qu'ils « ne sont encore que des embryons [...], ce qui signifie qu'ils sont des êtres habités, bien avant leur naissance, par une âme spirituelle proprement humaine »631. Nous avons vu précédemment l'exemple de Jean-Baptiste. Après les quarante jours, l'avortement est purement un crime, un homicide « corporel » contre « un être humain pleinement constitué »632. Aussi, « celuy ou celle qui baille quelque breuuage pour faire mourir le fruict au ventre d'vne femme, ou pour la faire auorter, co[n]tracte irregularité »633. François Lebrun estime que « l'appel à la faiseuse d'anges est le fait de filles, femmes ou veuves soucieuses de faire disparaître les conséquences d'amours illégitimes. L'avortement dans le mariage, comme moyen de limiter le nombre des enfants, ne semble guère avoir été pratiqué »634. Dans ce dernier cas, il semble néanmoins que « des femmes n'ont reculé devant rien, souvent au risque de leur vie, afin d'avorter »635. Benedicti présente l'image d'une femme « qui se iette du haut en bas & se tourme[n]te le corps, pour se faire auorter »636. Il exprime néanmoins une sorte de pitié envers ces « malheureuses » qui « apres auoir abandonné leur pudicité aux ruffiens637, uiennent à défaire leur propre fruit, pour euiter le deshonneur du monde »638. Il les apostrophe ainsi : « O Dieu que sera-ce de vous ? Vos enfants crieront au grand iour du iugement vengeance contre vous »639. Benedicti espère peut-être que la peur de se trouver face à leurs enfants lors du Jugement dernier, les dissuadera de telles pratiques. Néanmoins, la republication périodique de l'édit de 1556 d'Henri II montre que la justice royale a jugé bon d'intervenir dans ces pratiques qu'elle jugeait contraires à la moralité. Cet édit stipule que les femmes enceintes doivent déclarer leur état au curé ou à un juge. Si leur enfant mourait sans avoir été baptisé et sans avoir été déclaré, la mère était jugée coupable d'infanticide. Elle pouvait dès lors être condamnée à mort. Cet édit montre que les risques d'avortement ou d'infanticide étaient pris en considération par les justices tant civile qu'ecclésiastique.

Malgré ces pratiques, la majorité des grossesses aboutissent à la venue au monde d'un enfant. Nous allons à présent nous pencher sur sa destinée durant les premiers mois de sa vie et sur le rôle essentiel de la femme auprès du bébé.

631Ibid., p.135.

632Ibid., p.150.

633Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.613.

634François LEBRUN, La vie conjugale..., op. cit. [note n°346], p.150.

635KNIBIEHLER, Yvonne, FOUQUET, Catherine, L'histoire des mères..., op. cit. [note n°576], p.123.

636Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.110.

637Un ruffian est un débauché, un entremetteur.

638Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.109.

639Ibid., p.109.

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