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Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

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par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

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LA FEMME EN SOCIÉTÉ.

Le franciscain fait de nombreux commentaires sur la place que devraient tenir les femmes en société. Il démontre par là même quelles attitudes étaient attendues d'elles mais aussi quels préjugés étaient en cours au XVIe siècle. En effet, les comportements reprochés à la femme sont très stéréotypés : elle serait coquette, vecteur de tentation notamment par le biais de la danse mais aussi menteuse et bavarde. Ces traits de caractère sont attribués à toutes les femmes indifféremment. De plus deux catégories de femmes sont plus spécifiquement identifiées comme étant dangereuses : les prostituées et les sorcières, parmi lesquelles sont présentes quelques huguenotes. Nous allons étudier tour à tour ces divers péchés dont se rendent coupables les femmes.

La coquette.

Le Sieur de la Serre, écrivain français, dénonce ainsi la coquetterie des femmes : « Dites moy donc un peu à quoy servent ces pots à pommade, ces boites à poudre, ces fiolles à eau distillée et ces papiers à vermillon que je voy sur vos toilettes ? Est-ce une partie des artifices que vous mettez en oeuvre pour vous faire plus belle que vous n'êtes ?

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 150 -

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

O que ces affettes [choses superflues] vous coûteront des larmes si vous avez le loisir de vous en repentir !

Il est vray que vos corps demandent tous les jours la charité d'une pommade de senteur pour corriger les défauts de leur infection ; que vos cheveux ne peuvent cacher leur graisse qu'avec la poudre ; que vos visages basanez, après s'estre savonnez à la fontaine de l'alambic [cosmétique] cherchent du vermillon afin que leur couleur mourante ne paroisse. Mais vous ne considérez pas qu'en ces occupations vous remplissez des cruches percées comme les Danaïdes. Où trouvera-t-on de la pommade à l'épreuve de votre puanteur ? Quelle poudre desséchera la graisse gluante de vos testes ? Et quel vermillon peut faire paroistre sur vos joues les roses que la nature n'y a point plantées »720.

Benedicti paraît bien modéré par rapport à son contemporain quand il aborde le péché de coquetterie. Néanmoins, c'est contre ce dernier qu'il s'insurge le plus auprès des dames. La femme serait futile, frivole et vaine. Elle chercherait par divers artifices à se rendre plus belle qu'elle n'est. Nous verrons tout d'abord quels types de comportements sont considérés comme de la coquetterie par Benedicti avant de montrer quelles en sont les conséquences selon lui.

Le confesseur voit trois domaines dans lesquels la femme pèche par coquetterie : l'habillement, le maquillage et la coiffure. Dans son discours, Benedicti associe fréquemment coquetterie et vanité. En effet, le souci de plaire et l'envie de se montrer complaisamment vont ensemble. Ainsi, la « femme qui se met à la fenestre, pour estre regardee, ou va à l'Eglise, pour veoir & estre veuë, ou qui s'habille pompeusement721 pour estre desiree & aymee charnellement n'vn [sic] autre, peche mortellement, noobstant [sic] que son intention ne fust effectuee »722. Tout habillement superflu est susceptible de faire pécher son possesseur selon Benedicti. Il s'avoue plus clément que certains de ses contemporains en faisant une distinction entre les femmes qui savent qu'elles sont en tort lorsqu'elles portent ces vêtements, et les femmes qui n'en auraient pas conscience. Il affirme en effet : « car si elles croyent que cela soit peché mortel, & nonobta[n]t en portent, elles offensent mortelleme[n]t : la raison c'est que, celuy qui fait vn peché veniel, croyant qu'il est mortel, offense autant comme s'il commettoit vn peché mortel »723. Benedicti dénonce l'extravagance de certains habits. Il déclare : « C'est

720Sieur de LA SERRE, Le Réveil-matin des dames, 1588 cité dans Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452],

Pierre DARMON, p. 262.

721« Pompeusement » signifie ici d'une manière fastueuse, avec ostentation.

722Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.156-157.

723Ibid., p.250.

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grand cas dit Tertullian de la vanité des femmes du iourd'huy, lesquelles sont si ornees & atteintees, que vous diriez prompreme[n]t724 [sic] qu'elles porte[n]t de grandes forests sur vn petit col. Ie croy qu'il vouloit parler de ces godero[n]s (si dés ce temps-là ils estoient en vsage) & fraises à la confusion »725. Les « godrons » ou « goderons » sont les plis ronds qui donnaient leur forme aux fraises. La fraise, attribut vestimentaire caractéristique du XVIe siècle en France, tant féminin que masculin, prend des largeurs démesurées dans les années suivant son apparition (1550-1560). Sa taille maximale aurait été atteinte peu avant 1580 ce qui explique pourquoi Benedicti en parle dans son ouvrage. La « fraise à confusion » n'est pas empesée et se rabat donc en partie sur le vêtement de celui qui la porte. Elle remplace peu à peu la fraise à godrons en France, qui s'attirait de nombreuses moqueries et marques de désapprobation. Ce n'est sûrement pas de ces habits dont parlait Tertullien, né vers 150 ou 160 et mort en 220 mais le citer permet à Benedicti d'ancrer son propos dans une plus longue durée et de s'appuyer sur des figures d'autorité. Le franciscain se penche aussi sur le port d'une « robe dissoluë »726 ou d'« habits dissoluts »727. Il explique longuement ce qu'il entend par là dans un paragraphe détaillé qui précise ce qui suit : « La fille ou femme qui descouure sa poitrine, ses mammelles & tetins sans volonté de mal faire, mais seulement pour estre veuë plus belle, & pour co[m]plaire à son mary, ou pour en chercher vn, peche venieleme[n]t. De faire paroistre les autres parties vergogneuses, comme en portant des vestemens minses & subtils à ceste fin ce seroit peché mortel »728. Jean-Claude Bologne analyse l'apparition d'une véritable différenciation sexuelle dans les costumes au XVIe siècle. Il affirme qu'en effet à cette période, la femme « dissimule de plus en plus le bas du corps pour exalter les parties supérieures »729. Il explique que malgré les dénonciations virulentes des moralisateurs et des prédicateurs, « la focalisation du désir sur le haut du corps va imposer durablement le décolleté dans le costume féminin occidental »730. Enfin, il souligne qu'il s'agit bien là « d'une coquetterie publique, puisqu'en privé elles recouvrent leur sein d'un linge ou d'un mouchoir »731. Ces vêtements qui découvrent la poitrine des femmes sont attaqués avec force car ils serviraient « à capturer le corps et l'âme des hommes »732 selon l'expression de Scarlett Beauvalet-Boutouyrie. Cette manière de s'habiller est réprouvée car elle est vue comme

724Proprement signifie véritablement, vraiment, réellement.

725Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.

726Ibid., p.250.

727Ibid., p.251.

728Ibid., p.252.

729Jean-Claude BOLOGNE, Pudeurs féminines..., op. cit. [note n°526], p.152.

730Ibid., p.152.

731Ibid., p.152.

732Scarlett BEAUVALET, Histoire de la sexualité..., op. cit. [note n°347], p.24.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

une arme de séduction. La femme est soupçonnée « de vouloir attirer les regards masculins, d'éveiller leur concupiscence et de les attirer dans l'abîme de la luxure »733. Benedicti fait à nouveau une distinction entre les divers objectifs qui poussent la femme à s'habiller ainsi. Il accepte en effet que les femmes usent de ce moyen afin de plaire à leur mari ou pour en trouver un. Mais il semble aussi accepter une sorte de coquetterie « naturelle » aux femmes puisque celles voulant être vues plus belles qu'elles ne sont, ne sont pas réellement blâmées. Cela rend un moment ambiguë la position de Benedicti à ce propos. Néanmoins, le fait que ce comportement soit considéré comme un péché véniel montre qu'il ne le cautionne pas tout à fait.

Dans la suite de son discours, il défend en quelque sorte le droit de la femme de s'habiller comme elle le souhaite. Il donne en effet ces arguments : « Voire mais, me direz-vous, cela est cause d'attirer les hommes à concupiscence. Ie respons que le peché ne vient pas de la femme, qui fait cela sans mauuaive intentio[n], ains il procede de celuy, qui prend l'occasio[n] de luy-mesme »734. Il estime cependant que la femme ne doit pas provoquer un « scandale »735 par la manière dont elle s'habille. Elle doit donc porter des vêtements qui suivent la mode de son pays et s'adapter aux modes vestimentaires des endroits où elle se rend. Benedicti pense néanmoins qu'il vaudrait mieux « que ceste coustume d'aller ainsi les tetins descouuerts seroit du tout abolie, pour les maux qui en peuuent arriuer : car le diable est caut736 & subtil »737. Le franciscain en appelle-t-il à une sorte de bon sens des femmes ou à leur pudeur supposée naturelle ? Il leur propose ici de s'abstenir de porter des vêtements pouvant pousser les hommes à commettre un péché. Ailleurs dans l'ouvrage, Benedicti se montre plus persuasif en menaçant « ces femmes dissoluement habillees, lesquelles corrompent le monde auec leurs vanitez »738, d'aller en Enfer pour cause d'homicide spirituel sur la personne atteinte par leurs traits.

Lorsque Benedicti décrie l'utilisation de trop de maquillage par les femmes de son époque, il emploie le mot « fard ». Il est intéressant de remarquer avec Catherine Lanoë que ce mot est très peu employé tant dans les livres de recettes de cosmétiques que par les contemporains de Benedicti. Il semble que cela soit dû au fait que, « [d]ès son apparition en français en 1190, le vocable fard est employé au figuré avec une forte connotation péjorative, destiné à désigner tout "ce qui constitue une apparence

733Ibid., p.24.

734Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252. 735Ibid., p.252.

736« Caut » signifie « rusé ».

737Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252. 738Ibid., p.698.

trompeuse", une feinte ou une dissimulation "dans les paroles et l'attitude". Au fard est attachée l'idée du masque, de l'artifice, de la pratique nocturne et dérobée... »739. Lorsque Benedicti emploie ce mot, il est dès lors immédiatement dans la condamnation de son utilisation. Cette condamnation est forgée à partir des textes bibliques, que rappelle le franciscain. Il cite en effet « vne constitution des Apostres qui dit [...] ne te farde point le visage ô femme, c'est celuy que Dieu a fait. Et s'il n'y a rien en toy qui doiue estre fardé : car tout ce qu'a fait Dieu, il est bien fait »740. Puis, Benedicti s'appuie sur saint Ambroise, qui aurait tenu ce discours : « O pauure fe[m]me dit-il, tu effaces la peinture de Dieu, si tu te fardes. Di-moy [sic] si tu fais venir quelqu'vn pour repaindre & recolorer l'image & le pourtrait que tu as, le peintre excellent & bien expert qui l'a faite, ne sera-il pas courroucé contre toy, voyant son image adulteree & changee ? Donne toy donc garde, toy qui es fait à l'image du Createur, d'effacer la peinture de Dieu, pour prendre celle d'vne putain. Tu commets vn grand crime, si tu penses de te mieux peindre que Dieu »741. Le port de fards serait contraire aux désirs de Dieu pour ses créatures. Pèche donc véniellement toute « femme ou fille, qui se farde auec blanc d'Espagne ou autres couleurs, seulement pour paroistre plus belle »742. Catherine Lanoë explique que « dès le XVIe et jusqu'à la fin du XVIIIe, la quête de la blancheur s'impose en France à la manière d'une véritable tyrannie, car l'albâtre de la peau constitue le fondement même de la beauté, son origine et son principe »743. Le blanc, symbole de pureté dans le catholicisme même, est très recherché dans les hautes strates de la société. Deux types de produits sont utilisés à cette fin : les fards qui assurent un blanchiment passif et des remèdes censés « agir directement sur l'épiderme, dans le cadre d'un blanchiment actif »744. Benedicti ne mentionne que le « blanc d'Espagne » qui, appelé aussi blanc « de Meudon, ou encore blanc de Troyes, était un carbonate de calcium naturel, de la craie broyée tout simplement »745. Quand Benedicti dénonce le fait pour une mère d'apprendre à sa fille à « farder, peindre, plastrer leur visage »746, il nous montre dans le même temps quels pouvaient être les gestes d'une femme à sa toilette. Le terme « plastrer » peut sembler péjoratif mais il renvoie aussi à la consistance même du fard, décrit comme « un enduit plus ou moins épais, sec et couvrant »747 par Catherine

739Catherine LANOE, La poudre et le fard : une histoire des cosmétiques de la Renaissance aux Lumières, Seyssel, Champ

Vallon, 2008 (coll. Époques), p.33-34.

740Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.250.

741Ibid., p.252.

742Ibid., p.251.

743Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.28.

744Ibid., p.29.

745Anne-Marie MOMMESSIN, Femme à sa toilette : beauté et soins du corps à travers les âges, Levallois-Perret, Éditions

Altipresse, 2007, p.97.

746Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.

747Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.30.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Lanoë. Les femmes du XVIe siècle usent aussi de fards rouges, afin de souligner la blancheur de leur teint. « S'il s'agit d'un rouge végétal, la poudre peut être étendue sur le visage au doigt ou au pinceau, telle quelle ou bien diluée dans une eau parfumée et gommée. S'il s'agit d'un rouge minéral en revanche, sa faible solubilité dans l'eau oblige le consommateur à le mélanger à une huile ou à de la gomme arabique748, comme le font les peintres »749. Ainsi, le verbe « peindre », employé par Benedicti peut renvoyer à la fois au pinceau utilisé par les femmes pour se maquiller ou à la ressemblance existant entre les gestes de la femme qui se maquille et les gestes du peintre. Il faut enfin souligner que si le fard peut être dérobé « à vne femme qui s'en farde pour en abuser »750, la pratique est cependant acceptée « pour couurir quelque deformitié & laydeur, qu'elle pourroit auoir contracté de quelque maladie, ou autre inconuenient »751.

Enfin, Benedicti aborde la question des « femmes qui portent les cheuelures de quelques trespassees pour estre plus belles & non pour autre fin »752 et de celles qui « dore[n]t leur tresse & entortille[n]t leurs cheveux pour attraper les hommes, comme l'araignee les mousches à sa toyle »753. De nouveaux canons définissent les soins à apporter aux cheveux au XVIe siècle. Dans la haute société, les femmes sont très influencées par les modes étrangères qui introduisent des coiffures travaillées, « nattées à la Toscane ou à l'Italienne, quand ce n'est pas à l'Espagnole »754. La comparaison des femmes à des araignées attirant leur proie montre qu'une fois encore, la peur du franciscain est qu'elles incitent les hommes à pécher. Depuis les origines du christianisme, les femmes « se paraient de faux cheveux confectionnés à partir de chevelures humaines ou de poils animaux »755. Au XVIe siècle, ces pièces de faux cheveux sont appelées des « coins ». Ils permettent aux femmes de multiplier les possibilités de coiffure. Les perruques et postiches sont aussi utilisés bien que l'Église ait condamné leur usage dès le Haut Moyen Âge756. Les perruques servaient essentiellement à « recouvrir de trop brunes crinières »757. En effet, la mode est au « blond vénitien », ce que rapporte Benedicti quand il dit : « celle, laquelle par artifice fait deuenir ses cheueux qu'elle a naturelleme[n]t noirs, iaulnes, blonds, ou d'autre

748La gomme arabique est obtenue à partir de la sève de l'acacia. Glucide naturel, elle est utilisée pour solidifier, coller et donner

du brillant.

749Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.58.

750Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.172.

751Ibid., p.251.

752Ibid., p.252.

753Ibid., p.250.

754Paul GERBOD, Histoire de la coiffure et des coiffeurs, Paris, Larousse, 1995, p.67.

755Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745], p.118.

756Ibid., p.130.

757Ibid., p.130.

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couleur, elle offense venielement »758. Anne-Marie Mommessin explique que, « [p]lus rare que la teinte brune, le blond a dû symboliser très tôt les forces bénéfiques ; la couronne solaire, le blé mûr, la croûte dorée du pain, tandis que le brun renvoyait à la terre, à la glèbe, à l'automne, à la tristesse si bien que chez les Romains comme pour l'Église catholique, le brun était symbole d'humilité, de pauvreté, couleur déterminante de la rude bure des moines »759. Les Vénitiennes réussissent au XVIe siècle « grâce à des préparations complexes et subtiles (teintures et séchage au soleil), [à] obtenir une nuance très appréciée »760. De multiples recettes sont données dans des recueils ou des traités à destination d'un public féminin. Ces préparations demandent de nombreux ingrédients tels de la cendre de vigne, du bois de réglisse, du citron ou encore des lupins. Benedicti dénonce un péché véniel ici encore alors qu'il affirme « qu'aucuns voudroyent dire que ce seroit mortel[...] »761.

Quelles peuvent être les conséquences directes de ce péché de coquetterie chez les femmes ? Il faut rappeler tout d'abord un passage de la Bible explicitant nettement à quoi les coquettes s'exposent. Dans le livre d'Isaïe, une prophétie concerne particulièrement les femmes qui apportent trop de soins à leur toilette : « Yahvé a dit : À cause de l'orgueil des filles de Sion, parce qu'elles vont la tête haute et les yeux provocants, parce qu'elles vont à pas menus, faisant sonner les anneaux de leurs pieds, le Seigneur rendra galeux le crâne des filles de Sion et découvrira leur nudité. Ce jour-là, le Seigneur enlèvera parure de chevilles, croissants, pendentifs, bracelets, voiles, bandeaux, coiffures, chaînettes de pieds, ceintures, boîtes à parfums et amulettes, bagues, anneaux de nez, vêtements précieux, manteaux, capes, aumônières, miroirs, linges fins, turbans et mantilles. En fait de parfum, la pourriture ; en fait de ceinture, la corde ; en fait de coiffure, tête rase, et comme robe splendide, un sac ; au lieu de beauté, une marque au fer rouge »762. Si Benedicti ne les menace pas de telles choses, la toxicité de certains produits de beauté devait se charger d'offrir un spectacle similaire à certaines femmes. Évelyne Berriot-Salvadore décrit le châtiment qui « vient justement frapper celles qui s'y adonnent : rides, puanteur d'haleine, noirceur et chute des dents, rougeur des yeux, perte de la vue, surdité sont les marques infamantes d'un mauvais usage du

758Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251. 759Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745], p.128.

760Paul GERBOD, op. cit. [note n°754], p.67.

761Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.252. 762Bible de Jérusalem, op. cit. [note n°6], Isaïe, 3, 16-24.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

sublimé763, de la céruse et autres produits "aussi dangereux que peste" »764. En effet, de nombreux fards sont composés de céruse, ingrédient utilisé en peinture également et dont les effets néfastes ne sont réellement dénoncés qu'au XVIIIe siècle. Ce pigment blanc est fabriqué à base de plomb, ce qui lui donne un caractère extrêmement toxique. Les femmes du XVIe siècle s'exposent donc à des maladies ophtalmiques, salivation, sécheresse excessive de la bouche ou inflammation des gencives. Deux siècles plus tard, les médecins lui attribuent « l'occurrence de maladies de poitrine, d'affection des poumons [...], l'apparition de taches, la sécheresse de la peau, voire des "douleurs aiguës et des convulsions effroyables" ou la mort par affection pulmonaire »765. Les symptômes aujourd'hui connus du saturnisme, maladie provoquée par l'intoxication au plomb, se retrouvent dans ces commentaires médicaux. Les femmes ont donc parfois payé chèrement leur désir de se conformer à la mode du temps. Selon Benedicti, la faute la plus grave que commettent les coquettes est qu'elles en oublient d'aller à la messe. Il dénonce en effet les « femmes qui sont si rauies à se vestir, orner, parer qu'elles en perdent la Messe aux festes & Dimanches »766. De même la « femme qui s'applique si long temps à s'accoustrer, diaper767, attinter768 & orner, & par ce moyen perd la Messe aux festes & Dimanches, peche mortelleme[n]t »769. Aucune différence n'est faite ici sur les motifs qui la poussent à prendre soin de sa toilette. Benedicti stigmatise aussi « celle qui est cause que son mary faict ba[n]queroute par la superfluité des atours & habits dissoluts, ou empesche par ce moyen, que les dettes soie[n]t acquittees »770. En effet, certaines recettes demandent l'achat de « coûteuses substances d'épicerie ou de fruiterie » et Catherine Lanoë souligne que « c'est bien désormais d'une boutique entière que devrait disposer une femme pour se farder, y puisant céruse et sublimé, rouge d'Espagne et alun zaccharin, mie de pain et vinaigre distillé, fèves et amandes, eaux de fleur et fientes de boeuf...répartis en mille boîtes différentes »771. Ces coûts, selon Benedicti, peuvent être la cause d'un grave déséquilibre dans le budget du ménage, voire d'une « ba[n]queroute ». De plus, la femme est accusée de prendre de son propre chef « à son mary quelque chose notable pour entretenir ses jeux, atours, fards, & autres

763Le sublimé est un remède fait à base de mercure, élément chimique hautement toxique.

764Évelyne BERRIOT-SALVADORE, « De l'ornement et du gouvernement des dames : esthétique et hygiène dans les traités

médicaux des XVIe et XVIIe siècles », p.37-58, dans Cathy McCLIVE (dir.), Nicole PELLEGRIN (dir.), op.cit. [note n°568],

p.49.

765Anne-Marie MOMMESSIN, op. cit. [note n°745], p.94.

766Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.251.

767« Diaper » viendrait du nom commun « diaspre » désignant un drap de soie à fleurs, à ramages ou arabesques.

768« Atinter » signifie « se préparer ».

769Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.196.

770Ibid., p.251.

771Catherine LANOE, op. cit. [note n°739], p.139.

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superfluitez »772, ce qui est contraire à l'idée selon laquelle c'est l'homme qui gère l'économie familiale.

Benedicti ne semble pas dénoncer la coquetterie seulement pour elle-même mais surtout parce qu'elle entraîne potentiellement une suite d'autres péchés plus importants. Ainsi la femme qui se maquille est souvent qualifiée de « piaffeuse »773 c'est-à-dire d'orgueilleuse, qui souhaite se montrer à tout prix. Or, l'orgueil fait partie des sept péchés capitaux. L'envie, autre péché capital, est elle aussi soeur de la coquetterie dans le discours de Benedicti. Il semble régler une querelle entre femmes, un chagrin de coquette, lorsqu'il dit : « [l]a femme qui porte enuie à sa voisine, dequoy elle est plus belle qu'elle, elle a grand tort, car la beauté de sa voisine n'empesche par la sienne. Qu'il soit ainsi, si sa voisine n'eust esté iamais nee, elle ne seroit pas plus belle qu'elle est, & n'auroit pas d'auantage qu'elle a »774. La coquetterie serait aussi une dangereuse incitation à la luxure. Ainsi, la « fille ou femme laquelle s'habille pompeusement, soit en allant à l'Eglise, aux compagnies ou ailleurs, pour complaire charnelleme[n]t à d'autres qu'à son mary, nonobstant que l'effect ne s'ensuyue, peche mortellement pour ce que son intention est sinistre & peruerse »775. De même, « la fille ou femme, qui de guet à pend se met aux fenestres, & se presente en la compagnie des hommes pour estre veüe & souhaitee d'eux charnellement, peche »776. Plus loin, le confesseur dénonce « les femmes mondaines & piaffeuses, lesquelles par leurs habillemens excessifs, par leurs gestes lascifs, bal & risee prouoquent les autres à mal »777. Il s'appuie aussi à ce sujet sur saint Jean Chrysostome qui aurait dit que la femme « qui s'orne pompeuseme[n]t, pour estre desiree de quelqu'vn, peche mortelleme[n]t, scandaliza[n]t son prochain, & luy offrant le venin pour boire »778. La femme venimeuse incite par sa coquetterie à des comportements transgressifs. Le blâme est étendu à ceux qui fabriquent « des fards pour les femmes mondaines »779 et aux « marchands qui veulent trancher des gentils-hommes, & les habillemens, colliers, carquans780, ioyaux, bombans, pompes & autres vanitez de leurs femmes »781. Benedicti propose certains remèdes à cela.

Au chapitre portant sur la restitution, le franciscain exprime l'opinion qu'« [o]n n'est pas tenu de rendre [...] le fard à la femme piaffeuse »782. Benedicti souhaite aussi

772Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.164.

773Ibid., p.169, p.254, p.720, p.735.

774Ibid., p.355.

775Ibid., p.190.

776Ibid., p.190.

777Ibid., p.720.

778Ibid., p.17.

779Ibid., p.719.

780Collier de pierreries.

781Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.169.

782Ibid., p.735.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

responsabiliser la mère qui enseignerait ces gestes en lui faisant prendre conscience que, donnant à sa fille un « mauuais exemple, elle est homicide de l'ame de son fruit »783. Le franciscain rappelle aussi que l'excommunication punissait les femmes grecques de tels comportements784. Il tente de montrer que les hommes sont parfois plus responsables que la femme coquette qui n'a pas de mauvaise intention785 mais il sait la faiblesse des religieux même et il conseille au « pere confesseur [... de recevoir] le pecheur doucement & benignement, sans toutesfois le regarder en face lors qu'il se confesse, ne permettre aussi d'estre regardé de luy principalement si c'est vne femme »786. Ainsi, pour éviter toute tentation, il est recommandé d'éviter tout regard qui pourrait la faire naître.

Il semble donc que la coquetterie soit mal vue par le confesseur Benedicti. Ce dernier la condamne modestement pour elle-même mais il souligne qu'elle incite à de nombreux péchés mortels. Cet art de l'illusion, utilisé pour séduire et conquérir, n'est qu'une des facettes des moyens dont les femmes usent pour tenter les hommes. Nous allons voir à présent quelles autres figures se présentent à l'esprit de Benedicti quand il pense au pouvoir de séduction des femmes.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams