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Le regard porté sur les femmes par le franciscain Jean Benedicti à  travers son manuel de confession "la somme des pechez et le remede d'icevx" (1595, réédition )

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par Lucie HUMEAU
Lyon  - Master 1 2013
  

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La femme hors de l'Église : sorcière et huguenote.

Benedicti présente plusieurs modèles de femmes de mauvaise vie, autres que les prostituées. Il fait tout d'abord quelques allusions aux femmes qui adoptent un comportement considéré comme étant déplacé pour leur sexe. Il s'attache aussi à mettre en garde les bons chrétiens contre les sorcières, pourchassées en cette fin de XVIe siècle. Enfin, il se penche sur le problème des huguenotes ou des femmes de huguenots et leurs attitudes hérétiques.

Le franciscain dénonce « ces riotteuses949 de femmes, qui font blasphemer leurs maris »950. Cette dénonciation concerne les femmes qui provoquent la colère de leur mari sciemment. Si cela peut être une simple allusion au contexte de la vie privée du couple, nous pouvons souligner que les femmes apparaissent dans les sources policières comme celles qui poussent les hommes à la révolte, qui appellent à la manifestation par leurs cris. Le fait qu'elles préparent les repas implique qu'elles se sentent les premières concernées en cas de crise frumentaire951. Elles sont donc en première ligne des revendications populaires et entraînent à leur suite leurs maris et leurs enfants. Benedicti dénonce aussi l'ivresse des femmes qui, tout comme les cris, ne sied pas à leur supposée pudeur. Ainsi il affirme que le péché d'ivresse « est encores plus indecent aux femmes

949Riotteuse a le sens de querelleuse ou de « femme qui crie beaucoup ».

950Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.514.

951Les crises frumentaires, provoquées par des récoltes insuffisantes en blé, touchent régulièrement la France au XVI e siècle et menacent toute l'économie du pays, menant parfois à des révoltes populaires.

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qu'aux hommes : car celle qui est prise de vin est exposee à beaucoup de dangers. C'est pourquoy les ancie[n]s Romains auoient totalement prohibé l'vsage du vin à leurs femmes, au recit de Valere Maxime : lequel adiouste que la femme yurette ferme la porte à toute vertu, & l'ouure à tous vices. De la est que la loy des douze Tables pour espouuanter les femmes qui seroient subiectes à ce vice, ordo[n]na que celle qui seroit trouuee prise de vin fust punie comme vne adultere. Et de fait vn citoyen Romain tua la sienne pour ce qu'elle s'estoit enyuree »952. Les Romains auraient en effet interdit aux femmes de boire du vin, et cela pour plusieurs raisons. Le vin était considéré comme un abortif et comme dangereux pour la qualité du lait, comme nous l'avons déjà dit. Aussi, la femme, chargée de perpétuer l'espèce, ne doit pas en boire. De plus, les femmes, à qui l'on a toujours attribué des pouvoirs magiques, n'auraient pas besoin de boire du vin, ce que faisaient les hommes lors des rituels sacrificiels aux dieux. Les femmes sont donc éloignées des banquets et de la boisson. L'ivresse féminine est très mal vue chez les Romains même si elle a sûrement existé dans l'intimité du domicile. Benedicti la condamne car elle conduit selon lui à la luxure. Afin d'accentuer le lien causal entre ivresse et débauche, la première était punie selon les mêmes règles que la seconde d'après le franciscain. Ainsi, un homme trouvant sa femme en état d'ivresse aurait le droit de tuer cette dernière comme si elle avait été trouvée en situation d'adultère. Les premières lois écrites romaines, les Douze Tables, encourageraient cette peine, ce que nous n'avons pas pu vérifier.

Autre comportement qui semble indécent à Benedicti pour une femme, la violence. Celle-ci affleure dans la mention d'une « femme chaste & pudique qui frappe vn prestre ou religieux qui luy veut oster son ho[n]neur »953. Celle-ci n'est pas excommuniée. Néanmoins, cette mention montre qu'une violence féminine existe bel et bien au XVIe siècle, malgré le confinement auquel les hommes veulent la contraindre et malgré sa supposée « pudeur ». D'après Nicole Castan, les altercations « naissent toujours peu ou prou d'un honneur outragé »954. Elle souligne de plus que « malgré les efforts des Églises prônant la miséricorde et la paix, la violence fait partie de la culture populaire »955. Cette forme de violence serait le fait d'une réappropriation de l'espace malgré le désir des hommes de voir leurs épouses rester entre les murs de la maison. Benedicti condamne plus particulièrement la violence à l'encontre des ecclésiastiques mais sous-entend que les femmes peuvent se défendre s'il est question de leur honneur.

952Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.370. 953Ibid., p.605.

954Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.545.

955Ibid., p.545-546.

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

En effet, le franciscain répète fréquemment dans son ouvrage que l'honneur d'une personne vaut plus que tout aveu d'une faute, même grave.

Les modèles présentés sont ceux de femmes dominatrices, qui renversent le schéma socialement accepté à l'époque. Ainsi, la femme de Putiphar, maîtresse, au sens d'employeuse, du « bon patriarche Ioseph [...] laquelle luy promettoit de faire mourir son mary pour l'espouser, & se rendre de sa religion, s'il voulloit coucher auec elle »956. Le fait qu'une femme propose à haute voix, et plusieurs fois, à un homme de coucher avec elle entre en contradiction avec la croyance selon laquelle la naturelle pudeur féminine l'empêche de faire le premier pas en ce domaine. L'impératrice Eudoxie est dénoncée du fait de sa domination sur son mari, Arcadius. Cette impératrice du IVe siècle « incita son mary Arcadius à forba[n]nir957 ceste langue doree, S. Iea[n] Chrysostome : à cause dequoy elle fut par Innocence [sic] Pape premier de ce nom exco[m]muniee : ce qui luy abbregea finalement sa vie. Et qui plus est Dieu monstra en euidence combien ce glaiue est à craindre : car elle estant trepassee en ceste ce[n]sure & inhumee, son tombeau (ô terrible foudre de l'excommunie !) ne cessa de trembler iusques à tant que son fils le ieune Theodose impetra958 son absolutio[n] du sainct siege Apostolique »959. Si la vie de l'impératrice Eudoxie est assez mal connue, l'histoire a retenu d'elle l'image d'une femme dominatrice qui décida des actes politiques à mener à la place de son mari et élimina les personnes qui la gênaient dans ses ambitions. Elle aurait obtenu l'exil du patriarche de Constantinople et père de l'Église Jean Chrysostome qui avait dénoncé son amour du luxe et sa soif de pouvoir960. Hérodias est aussi présentée comme une femme diabolique, apprenant à sa fille comment danser afin de charmer son mari et d'obtenir la tête de saint Jean961. Enfin, « Brune-haut »962, modèle de la femme orgueilleuse, est blâmée par le franciscain. Cette dernière, princesse wisigothique, est accusée d'avoir « commandité plusieurs meurtres au terme d'une faide qui dura une trentaine d'années et l'opposa à Chilpéric Ier, roi de Neustrie - lequel avait ordonné le meurtre de sa soeur Galswinthe et s'était remarié avec Frédégonde -, puis à Frédégonde qui avait commandité le meurtre de son mari, Sigebert Ier en 575. Après la mort de son fils Childebert, en 595, Brunehaut se trouve régente de toute la Gaule de l'Est et du Sud-Est, au nom de ses deux petits-fils »963. Son caractère autoritaire et le

956Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.466.

957Bannir, expulser, reléguer.

958Impétrer signifie « essayer d'obtenir » ou « obtenir ».

959Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.599.

960Benedicti fait allusion à cette « correction fraternelle » à la page 503 de son ouvrage.

961Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.97.

962Ibid., p.261.

963Myriam TSIKOUNAS (dir.), Éternelles coupables : les femmes criminelles de l'Antiquité à nos jours, Paris, Éditions

Autrement, 2008, p.138.

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meurtre de plusieurs membres de sa famille l'isolent de l'aristocratie. En 613, le roi de Neustrie « fait tuer les héritiers et Brunehaut lui est livrée pour subir une mort ignominieuse à Renève, près de Dijon. On raconte que la vieille reine a été promenée sur un chameau avant d'être attachée par les cheveux, un bras et une jambe à un cheval fougueux qui a mis son corps en lambeaux »964. Ce châtiment est infiniment rare, et d'autant plus pour une femme, à cette époque. « Au fil des récits, son portrait s'est enrichi d'attitudes diaboliques qui la présentent comme une femme d'une sensualité démesurée. Son corps mi-nu et sa poitrine abondante évoquent effectivement la luxure. Ainsi se construit une sorte de damnatio memoriae dont le but est de justifier la cruauté du châtiment final »965. Benedicti répète que Dieu punit les orgueilleux. Nous pouvons souligner que, dans le châtiment subi, la nature royale de Brunehaut était mise à l'épreuve : si elle avait réellement été choisie par Dieu, celui-ci lui aurait donné le pouvoir de contrôler la nature et les animaux. Le fait qu'elle ait été emportée par le cheval sans pouvoir l'en empêcher devait montrer à l'assistance que Dieu ne lui était pas favorable.

Au-delà de ces « sorcières domestiques », le XVIe siècle voit une réelle chasse aux démons et trouve dans l'imaginaire lié aux femmes de véritables inquiétudes.

Les sorcières connues dont parle Benedicti sont Circé, Médée et Mégère. Édith Hamilton souligne que, dans la mythologie grecque, « [a]ucun homme et deux femmes seulement sont pourvues de pouvoirs effrayants et surnaturels. Les ensorceleurs démoniaques et les vieilles sorcières hideuses, qui hantaient l'Europe et l'Amérique jusqu'à une époque bien récente, ne jouent aucun rôle dans ces récits. Les deux seules sorcières, Circé et Médée, sont jeunes et d'une beauté ravissante - des enchanteresses et non des créatures horribles »966. Circé est connue comme la sorcière qui transforma les « compagnons d'Vlisses en porceaux »967 grâce à un breuvage magique. Médée est citée lorsque Benedicti dénonce le crime d'infanticide968. « Fille du roi de Colchide, dotée de pouvoirs magiques, elle aide Jason et ses compagnons, les Argonautes à conquérir la toison d'or. Elle suit ensuite Jason à Iolcos puis à Corinthe, où celui-ci décide de la répudier et d'épouser Créuse, la fille du roi. Pour se venger, Médée offre à sa rivale un péplos969 empoisonné qui provoque sa mort et celle de son père, puis elle tue les deux

964Ibid., p.138.

965Ibid.., p.138.

966Édith HAMILTON, La mythologie : ses dieux, ses héros, ses légendes, Alleur, Marabout, 1997 (rééd.), p.12.

967Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.41.

968Ibid., p.109.

969Un péplos est un vêtement féminin formé d'une grande pièce d'étoffe rectangulaire maintenue sur les épaules par deux agrafes,

avec un rabat retombant à l'extérieur.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

fils qu'elle a eus de Jason pour priver celui-ci de toute descendance »970. Enfin, Mégère, une des trois Furies poursuivant les criminels, se trouve associée à Médée dans la dénonciation de l'infanticide bien que rien ne semble expliquer ce choix. Les Furies, aussi appelées Érinyes, n'ont pas de pouvoir magique mais leur apparence physique les désigne comme des femmes extrêmement dangereuses : leurs cheveux sont des serpents, des larmes de sang coulent de leurs yeux, elles ont de grandes ailes et poursuivent les coupables armées de fouets et de torches.

Benedicti dédie un long paragraphe à la sorcellerie dans lequel il accuse « plusieurs Turcs, Iuifs, infideles, heretiques charnels & mondains, & sur tout les sorciers & sorcieres fruits du Caluinisme »971 de s'adonner aux sciences occultes. Le franciscain ne pointe pas particulièrement du doigt les femmes dans son propos sur les sorciers mais les actes qu'il décrit sont tous plus susceptibles d'être exécutés par une femme dans les mentalités de l'époque. La longue liste des « horribles & abominables crimes » commis par les sorciers pour Satan commence ainsi : « Le premier desquels, c'est qu'ils l'adorent comme leur Dieu. Le 2. Ils desauoue[n]t leur Baptesme & lareligion [sic] Chrestie[n]ne, laquelle co[n]tient les hommes en la crainte de Dieu. Le 3. Ils blasphement & contemnent le createur. Le 4. Ils sacrifient au diable »972. Tous ces crimes sont ceux d'une abjuration de foi. Or, selon Jacob Sprenger, auteur d'un célèbre traité de démonologie, « femina vient de fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi »973. De plus, depuis « l'Antiquité, la femme est traditionnellement réputée froide et humide, c'est-à-dire infirme et débile, tandis que l'homme, sec et chaud, incarne la force et la constance »974. La femme, qui n'a pas les capacités physiques suffisantes pour réfléchir, a nécessairement plus de mal à garder foi en Dieu quand un discours séducteur s'offre à elle. La preuve en est avec Ève, qui fut séduite par Satan sous la forme du serpent. De plus, « c'est à partir de la côte d'Adam qu'Ève fut créée. La côte étant un os courbe, l'esprit de la femme ne pouvait être que torve et pervers »975. Tout concourt à se tourner vers la femme quand on cherche un bouc émissaire. Pierre Darmon souligne que la « chasse aux sorcières, qui s'exacerbe entre 1580 et 1630, correspond encore à la grande vague de froid qui s'abat sur l'Europe, aux disettes et à la période de violence engendrée par les guerres de religion, la Réforme et la Contre-Réforme en des temps de souffrance, le diable est aux aguets et le peuple désemparé demande des boucs

970Myriam TSIKOUNAS (dir.), op. cit. [note n°963], p.55.

971Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

972Ibid., p.46.

973Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.42.

974Ibid., p.40.

975Natalie ZEMON DAVIS (dir.), Arlette FARGE (dir.), op.cit. [note n°79], p.524.

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émissaires. La sorcière fait dès lors figure de coupable idéale, et bien des accusations de sorcellerie recouvrent de simples règlements de comptes »976.

D'autres « horribles & abominables crimes » font pencher les croyances populaires vers l'idée d'une sorcellerie d'origine féminine : « Le 5. Ils luy voüent & dedient leurs propres enfans, les esleuant en l'air apres qu'ils sont nez. Le 6. Ils luy consacrent ceux qui ne sont encores nez. [...] Le 9. Ils tasche[n]t de tuer les petits enfa[n]s des Chrestiens, & de les faire auorter au ventre des meres, deuant le S.Baptesme, au souhait de Satan qui les veut priuer du ciel : co[m]me il les priue du Baptesme. Pour auta[n]t il se faut bien garder que ces vieilles sorcieres sous couleur de sages femmes, n'approchent de la femme accouchee. [...] Le 10. Ils s'efforcent aussi de cuire les petits enfans qu'ils desrobe[n]t deua[n]t le baptesme, afin de les manger »977. Le responsable des enfants en très bas âge à l'époque est la femme. Au milieu de ces généralités asexuées en apparence apparaît l'expression « vieilles sorcieres » qui montre que Benedicti a une image en tête lorsqu'il écrit ce paragraphe. Le stéréotype de la sorcière à l'époque est le suivant : « vieille femme, vivant parfois un peu isolée du reste de sa communauté mais le plus souvent résidant dans celle-ci, où elle est née ; pauvre sans être dans la plus noire misère ; redoutée pour ses pouvoirs, sa mauvaise langue ou ses menaces envers de plus prospères qu'elle, lorsqu'un service lui est refusé ; un peu déviante, au sens sociologique du terme, ne serait-ce que parce qu'elle est veuve, qu'elle s'est mariée plusieurs fois, qu'elle a vu mourir une partie de sa famille, bref qu'elle n'est pas protégée par les puissants liens de solidarité qui permettent une vie "normale" dans une telle société rurale et patriarcale où la sociabilité et l'entraide jouent un rôle fondamental »978. Pierre Darmon souligne néanmoins que « [c]e sont aussi les plus jolies femmes qui sont jetées dans les flammes. Enviées, désirées, génératrices de frustrations, on les accuse d'induire au péché pour plaire au diable. Entre les deux extrêmes, il n'y a pas de nuance. Pour se protéger du bûcher, mieux vaut être une épouse doublée d'une mère quelconque »979. Le fait que les sorcier sont censés promettre « d'induire le plus de gens qu'ils pourront à leur secte damnable »980 penche aussi en faveur de l'image d'une sorcière. En effet, la femme, bavarde mais dissimulatrice, propagatrice de rumeur, est la mieux à même dans l'imaginaire des gens du XVIe siècle de séduire de nouvelles recrues pour le Prince des Ténèbres.

976Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.46.

977Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

978Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société aux 16e et 17e siècles, Paris, Imago, 1987, p.12-13.

979Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.47.

980Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

Les actions des sorciers sont décrites ainsi : « Le 11. Ils taschent de tuer les Chrestiens par la poyson que le diable leur baille. Le 12. Ils font mourir le bestiail [sic] par leurs charmes. Le 13. Ils suscitent la gresle, orages, & tempestes par le moyen des diables, Dieu par vn iuste iugement le permetta[n]t. Le 14. Ils enchante[n]t & font mourir les bleds & fruits de la terre, pour induire la femine [sic] au pays, & font croistre des chenilles, hannetons & chate-pelues981, pour ronger les fruits & les arbres »982. Les philtres d'amour sont aussi craints : « Celuy qui s'ayde de charmes, herbes, malefices, à ceste intention [commettre fornication], & cherche deuines, sorcieres, ou malefiques, pour ses maquerelles, offense doublement »983 dit Benedicti. Plus tôt dans le texte, il affirmait que les « femmes, qui bailleront en breuuage aux hommes, ce que ie n'oseroye no[m]mer : c'est pour plus ardemme[n]t se faire aimer d'eux, chose assureme[n]t horrible et perilleuse, peut etre pour faire mourir la perso[n]ne ou la faire enrager »984. Robert Muchembled explique que « [p]our les démonologues du XVIe et du XVIIe siècle, comme pour la plupart de leurs contemporains, les causes de la sorcellerie sont claires : le diable agit en ce monde contre le plan divin d'organisation de l'univers. Il initie des humains à ses mystères, les convoque au sabbat pour se faire rendre un culte secret, nocturne et sulfureux, puis il leur ordonne de faire le plus de mal possible autour d'eux, grâce à des poudres et à des onguents maléfiques qu'il leur délivre à l'issue d'une véritable messe satanique »985. Grâce à ces poudres et à ces onguents, les sorcières se vengeraient de leur position d'infériorité dans la société. Elles deviennent les boucs-émissaires de tout malheur frappant la communauté. Pierre Darmon montre comment les populations du XVIe siècle ont vu les femmes : « Les faibles femmes sont les proies rêvées du diable. Cette faiblesse fait le berceau de leur crédulité, de leur infidélité, de leur violence et de leur malice ou méchanceté. Leur oisiveté les condamne à cette insatiable lascivité qui les place sous la dépendance de Satan »986. De plus, un changement intervient au XVIe siècle dans le regard porté sur la sorcière : « si la tradition populaire croit qu'elle réalise toute sorte de maléfices - le dépècement des enfants ; le recours au sang menstruel dans la préparation des sorts et des "formules magiques" ; l'empoisonnement des eaux et de la terre -, les inquisiteurs la définissent surtout par son pacte secret avec Satan. Dorénavant ce pacte sera scellé par des rapports

981Une chatepelose est une sorte de chenille ou de charançon.

982Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46. 983Ibid., p.157.

984Ibid., p.50-51.

985Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société..., op. cit. [note n°978], p.13. 986Pierre DARMON, Femme, repaire de tous les vices..., op. cit. [note n°452], p.47.

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charnels, pervers, de soumission, et par une jouissance insatiable des plaisirs de la chair »987.

Benedicti affirme que, parfois, les sorciers « se trouue[n]t bie[n] loin de leur pays, au sabbath, là où ils adorent à la renuerse le gra[n]d diable Satanas, en forme de taureau, ou de bouc, luy faisant l'honneur qui appartient à Dieu »988. Les sorcières commencent à être représentées sur un balai au début du XVIe siècle. Cela peut s'expliquer par le fait que le balai soit un attribut féminin dont le détournement pourrait montrer la dangerosité de la femme, maîtresse de son intérieur. Grâce à sa capacité à voler, elle peut rejoindre le lieu du sabbat à n'importe quel moment de la journée mais c'est bien sûr la nuit qui est privilégiée dans les récits des démonologues. La nuit est diabolisée par les théologiens qui tentent de rechristianiser ou tout simplement de christianiser les masses populaires à la sortie de la querelle entre protestants et catholiques. Ces mêmes théologiens construisent le mythe du sabbat, qu'ils imaginent comme « une liturgie chrétienne à l'envers, qui copie trait pour trait la messe, en affectant chaque élément d'un coefficient négatif, d'une coloration noire et morbide »989. Robert Muchembled explique comment, vers 1550-1570, le décalage entre le monde campagnard des croyances et « le monde des élites chrétiennes apparaît plus nettement qu'auparavant. Le dynamisme missionnaire d'Églises restructurées, réorganisées, conquérantes, amène un heurt brutal, un contact permanent de deux cultures. La culture populaire n'offre à ce choc qu'une énorme force de résistance passive, qui exaspère plus encore les missionnaires protestants et catholiques, conscients de l'importance de leur tâche, puisque le règne de Dieu est proche »990. Afin de conquérir ces esprits superstitieux, les théologiens auraient « utilis[é] la peur du diable pour structurer des mentalités plutôt polythéistes et pour faire émerger la figure unique d'un Dieu terrible »991. Plusieurs raisons peuvent expliquer le fait que 80% des victimes des bûchers aient été des femmes. Elles possèdent premièrement un grand savoir médical : « guérisseuse, concurrente du prêtre dans la religion domestique, elle diffuse aussi la culture populaire aux enfants à une époque où les écoles rurales sont rares »992. De plus, la sorcière serait « une femme vaincue, au temps de l'adaptation à la modernité de la société paysanne traditionnelle, dont elle porte comme guérisseuse, comme mère, comme fille et comme épouse la continuité. Une continuité que veulent interrompre les

987Esther COHEN, Le corps du diable : philosophes et sorcières à la Renaissance, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, p.48.

988Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

989Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société..., op. cit. [note n°978], p.228.

990Ibid., p.48.

991Ibid., p.21.

992Ibid, p.21.

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Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

détenteurs du savoir et du pouvoir, pour agréger à la modernité en marche, à une Europe en expansion, un monde rural trop immobile à leur gré »993. Afin d'évincer en quelque sorte les femmes, les théologiens construisent donc le mythe du sabbat qui est « une catégorie de pensée étrangère aux acteurs paysans de ces drames. Les témoins qui se présentent contre les prétendues sorcières n'en parlent jamais. Quant aux accusés, ils n'en font état qu'en avouant sous la torture et généralement en étant guidés par les questions très précises de leurs juges, lesquels leur fournissent les précisions démonologiques nécessaires pour pouvoir rédiger une sentence de facture classique. Celle-ci contient, on le sait, le rappel de l'initiation diabolique, concrétisée par une marque insensible aux piqûres et par la copulation avec le démon [...] »994.

Benedicti dénonce ces crimes : « Le 15 commette[n]t prodigieuses paillardises comme d'inceste, le fils auec la mere, soeur, parents, &c. Le. 16 Les ho[m]mes sorcières se couplent auec le diable en forme feminine, appellé des Hebrieux Lilith, & les sorcieres auec vn autre en forme d'ho[m]me. Et peut estre que de là vienne[n]t les incubes & succubes, question fort agitee entre les anciens & modernes. Tout cecy ne semblera pas estrange, à ceux qui croyent que Dieu permet beaucoup de choses aux diables & sorciers, pour le peché des ho[m]mes »995. Ainsi, plusieurs formes peuvent être prises par le diable : animale avec le bouc ou le taureau cités plus haut, féminine sous la forme d'une succube et masculine avec les incubes. La sensualité débordante des femmes est utilisée par le diable pour s'unir à elles. Elles peuvent s'accoupler avec un incube, c'est-à-dire un démon mâle, ou avec le diable sous une forme animale. Malgré les descriptions de ces sabbats comme des fêtes orgiaques par les démonologues, les témoignages des sorcières « laissent nettement entendre que ces unions ne sont guère voluptueuses. Le diable se montrerait un amant médiocre, pressé ou mal pourvu, puisque son membre [...] n'est guère plus long, ni plus gros qu'un doigt, moindre, en l'occurrence, que celui des maris. À moins qu'il ne soit, au contraire, énorme, couvert d'écailles, barbelé, dont la pénétration est ressentie douloureusement »996. La présence des succubes « démons femelles se donnant à des hommes, est compliquée. Leur implication peut n'avoir qu'une finalité fonctionnelle. En effet, le diable - dépourvu de sperme - est obligé, s'il veut procréer, d'en emprunter en recueillant celui d'un homme par cette ruse qui consiste à se comporter en femme avec un "donneur" volontaire »997. Lilith est quant à elle un mythe juif qui en fait la première femme d'Adam. Aux deux

993Robert MUCHEMBLED, Sorcières, justice et société..., op. cit. [note n°978], p.24.

994Ibid., p.228.

995Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46. 996Marcel BERNOS, Femmes et gens d'Église..., op. cit. [note n°3], p.86.

997Ibid., p.87.

récits de la création des hommes correspondraient deux femmes. Lilith serait la première femme, créée en même temps qu'Ève. Elle « abandonne son époux parce qu'il se refuse à inverser la "position naturelle" de l'acte sexuel. Lilith insiste pour monter son mari, dans une subversion de l'ordre hiérarchique »998. Elle se transforme en démon et certains récits la montrent prenant la forme d'un serpent pour séduire Ève. Le diable imposerait aussi une marque à ses fidèles, celle-ci étant activement recherchée lors de l'interrogatoire des suspectes. Enfin, il faut souligner que Benedicti affirme dans le passage cité précédemment que c'est Dieu lui-même qui accepte la présence des sorcières puisqu'il « permet beaucoup de choses ». Il est en effet impossible que quelque chose arrive sans le consentement de Dieu et l'existence des sorcières n'est donc peut-être qu'une des manières de tenter les hommes.

Les persécutions subies par les sorcières présumées au XVIe siècle s'accentuent dans un contexte de grande tension religieuse et d'importants changements sociétaux. Tout commence par « une rumeur concernant généralement une vieille paysanne. Une information voit défiler des témoins qui précisent les accusations. Alors s'ouvre le procès proprement dit : interrogatoire du suspect, récolement et confrontation des témoins, torture et aveux, sentence et exécution publique du suppôt de Satan. Puis, sur la base des déclarations de ce dernier, d'autres suspects sont mis en accusation et les bûchers s'allument à nouveau »999. En dehors des femmes âgées détentrices des savoirs ancestraux, une autre catégorie est susceptible d'être l'objet de graves accusations : les huguenotes.

Accusées par Benedicti de faire légion parmi les sorcières1000, les huguenotes ont une place particulière au sein de la société du XVIe siècle. Le franciscain distingue clairement deux catégories de femmes : celles qui sont catholiques mais mariées à un huguenot et celles qui ont adhéré à la religion de leur conjoint. Les deuxièmes seulement sont dénoncées par Benedicti. Il s'exclame contre les « belles Huguenottes » qui portent « en Geneue les medailles, pourtraits & images de Caluin, voire bien cherement entre leurs ma[m]melles. Il est bie[n] vray que c'est pour leur rafraichir la douce memoire de leur bie[n] aimé Patriarche, preferé par elles à la Royne des cieux, aussi bien que fut Barrabas à Iesus Christ »1001. Benedicti essaie de montrer ici l'hypocrisie des protestantes. Il affirme que malgré le rejet des images de culte par la doctrine calviniste,

998Esther COHEN, op. cit. [note n°987], p.66.

999Robert MUCHEMBLED, La sorcière au village (XVe-XVIIIe siècle), Paris, Éditions Julliard / Gallimard, 1979 (coll. Archives),

p.86.

1000Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.46.

1001Ibid., p.50.

Humeau Lucie | Master 1 CEI | maîtrise de mémoire | juin 2013 - 192 -

Humeau Lucie | Master 1 CEI | mémoire de maîtrise | juin 2013 - 193 -

Femmes et société dans le manuel de confession du père Jean Benedicti.

les huguenotes portent sur elles des images de Calvin qu'elles semblent honorer comme un dieu plutôt que comme un simple théologien. Le fait qu'elles portent ces images dans le creux de leur poitrine introduit une dimension sexuelle dans cette pratique. Les calvinistes accordent une importance bien moindre à la figure de Marie que les catholiques. Benedicti accuse d'iniquité les huguenotes qui préfèrent Calvin, simple mortel, à Marie, mère de Dieu qui est montée au ciel. Il compare cette situation à un épisode biblique durant lequel Ponce Pilate, pouvant libérer un prisonnier selon son libre désir, demande à la foule de faire un choix : la libération de Jésus ou bien la libération de Barabbas, possible criminel accusé d'avoir participé à une révolte dans la ville. La foule choisit alors de libérer le criminel. Les huguenotes sont aussi accusées d'avoir « imposé aux prestres & confesseurs mille farfanteries1002 [sic] & impostures, qui sont aussi bien veritables que celles de la femme de Putiphar contre Ioseph »1003. Joseph fut injustement emprisonné suite à l'accusation lancée contre lui par la femme de Putiphar. Les huguenotes tenteraient de même de séduire les prêtres afin peut-être de mieux les attirer à leur religion. En effet, les pasteurs protestants peuvent se marier. Tous les huguenots peuvent aussi divorcer sous certaines conditions. Benedicti dénonce ces mesures et accuse indirectement les huguenotes de pratiquer la polygamie. « Et par ce moyen voilà comme vne femme en moins de trois ans pourra auoir pleusieurs [sic] marys tous viua[n]s : chose maudite à tous les siecles passez »1004 s'exclame-t-il.

Pour ce qui est des femmes catholiques qui doivent vivre aux côtés d'un huguenot, Benedicti fait preuve d'une grande clémence. Il affirme que ne sont pas obligés d'aller se confesser « [c]eux qui sont en danger de perdre la vie, les biens, l'honneur, ou encourir quelqu'autre grand danger comme ceux qui habite[n]t entre les infideles & heretiques. En quoy aucunesfois les femmes de ceux qui sont Huguenots pourroient estre excusees, si elles ne se confessent tousiours à Pasques, quand leurs maris les batte[n]t, frappent & persecutent pour ce regard : car le commandeme[n]t de l'eglise n'oblige pas la personne au danger de sa vie, de son desho[n]neur, comme i'ay escrit par cy deua[n]t. Il est bien vray qu'elles doiuent tousiours auoir ceste bonne intention de satisfaire au commandement de l'Eglise à la premiere commodité, & ce pendant demander dispense aux superieurs s'il [sic] elles peuue[n]t aussi faire separation d'auec leurs maris, quand ils les empeschent de faire leur salut »1005. La femme qui vit avec un huguenot est donc une des seules à pouvoir demander le divorce auprès des

1002Forfanterie : caractère d'une personne qui se montre impudemment vantarde.

1003Jean BENEDICTI, La somme des pechez, et le remede d'icevx..., op. cit. [note n°170], p.224. 1004Ibid., p.126.

1005Ibid., p.218.

autorités catholiques. Elle n'est pas tenue de respecter les grandes obligations religieuses telles aller à la messe ou se confesser à Pâques. Néanmoins, « la femme Catholique, qui vit & couche auec son mary Huguenot » peut « demeurer, seruir & obeyr » s'il ne l'empêche pas « de suyure leur religion, autreme[n]t en tel cas il le faudroit quitter : car il faut plustost obeyr à Dieu qu'aux hommes »1006. Benedicti adopte une position plutôt souple car beaucoup de catholiques n'acceptent pas la fréquentation des « hérétiques ».

En conclusion, nous pouvons dire que les femmes en dehors de l'Église apparaissent comme plus dangereuses que les hommes dans la même situation car leur pouvoir de séduction pourrait leur permettre d'attirer d'autres personnes à elles. C'est pourquoi les sorcières doivent être brûlées. Les femmes qui ont un mauvais comportement ou cherchent à renverser la hiérarchie acceptée sont montrées du doigt tandis que les femmes de huguenots devraient chercher à rentrer dans le rang si elles ne veulent pas être dénoncées comme huguenotes.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand