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Platon, l'Egypte et la question de l'à¢me

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par Frédéric Mathieu
Université Montpellier III - Paul Valéry - Master I de philosophie 2013
  

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E) Indications dans les Dialogues

En dernière analyse, l'appréciation globale des oeuvres de Platon permet au lecteur attentif de consigner une liste quelque vingt-et-une références explicites à l'Égypte284. Un recensement plus avancé de ces allusions dans l'économie des Dialogues fait ressortir le fait que ces dernières abondent dans les écrits de maturité et de vieillesse. D'abord succinctes, accidentelles ou du moins incidentes dans les oeuvres de jeunesse, leur nombre augmente autant que leur importance dans la « période de transition » pour culminer dans les dialogues tardifs. Un accroissement quantitatif, mais également qualitatif : les passages égyptiens vont bientôt faire l'objet de développements à part entière. Spécifiquement dans le Philèbe, où se voit introduit le personnage de Theuth qui participe pleinement du schéma dialectique. De la même manière, le mythe égyptien du Phèdre synthétise non seulement le thème central de ce dialogue, mais encore toute la rhétorique platonicienne. Quant à la fresque du Timée, elle introduit, et justifie, et prête une assise historique aux propos de Critias comme à la République telle qu'elle était envisagée dans le dialogue qui le précède immédiatement selon la chronologie dramatique285. Moins structurés, les développements des Lois prêtent enfin à l'Égypte une valeur exemplaire qu'il n'est plus guère possible de considérer pour marginale.

284 Ceux-ci se répartissent de la manière suivante : Gorgias, 482b, 511d ; Ménéxène, 239e, 241e, 245d ; Euthydème, 288b ; Phédon, 80c, République, 436a ; Phèdre, 257d, 274c sq ; Politique, 264b, 290de ; Tinée, 21c sq ; Critias, 108d sq ; Philèbe, 18b ; Lois, 656d sq, 747c, 799a sq, 819a sq, 953e ; Epinomis 987a.

285 « Les citoyens et la cité que tu nous as représentés hier comme dans une fiction, nous allons les transférer dans la réalité ; nous supposerons ici que cette cité est Athènes et nous dirons que les citoyens que tu as imaginés sont ces ancêtres réels dont le prêtre a parlé. Entre les uns et les autres la concordance sera complète et nous ne dirons rien que de juste en affirmant qu'ils sont bien les hommes réels de cet ancien temps. [...] Suivant le récit et la législation de Solon, je ferai d'eux des citoyens de notre cité, les considérant comme ces Athéniens d'autrefois, dont la tradition des récits sacrés nous a révélé la disparition, et dès lors je parlerai d'eux comme étant des citoyens d'Athènes (Platon, Timée, 26b-27c). Critias propose ainsi de mettre en place un parallèle entre ce qu'il présente comme la « fiction » de la République telle qu'elle ressortissait des discussions de la veille, et la « réalité » de l'Athènes archaïque telle que dépeinte par l'officiant de Saïs. Pour citer J. McEnvoy, « il est remarquable que Platon fait implicitement la liaison entre la cité idéale qu'il avait présentée dans la République et Athènes qui, dans le passé, semble se rapprocher le plus d'elle. De surcroît, il réalise cette référence à travers l'Égypte, dont la stabilité admirable dans les connaissances historiques et scientifiques autant que dans l'organisation politique (fort semblable à la structure de la cité idéale, avec le roi-prêtre et la division des citoyens en castes) font d'elle un modèle plus solide encore, puisqu'elle existe dans le présent, de ce qu'une société doit être. D'autant plus que c'est le prêtre égyptien, représentant-serviteur du dieu, qui donne une leçon au législateur «homme divin» - de l'Athènes contemporaine du philosophe ». (Cf. J. McEnvoy, « Platon et la sagesse de l'Égypte », dans Kernos n°6, Varia,

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Les Dialogues de Platon comprennent ainsi de nombreuses indications, commentaires et connaissances précises sur l'Égypte. Ces connaissances concernent la géographie, l'histoire, la religion, les organisations sociales et politiques, l'art, l'éducation et les moeurs égyptiennes. Des historiens aux dramaturges en passant par les philosophes, nous avons pu, au commencement de ce chapitre, considérer les diverses sources possibles auxquels Platon aurait pu recueillir ce type de renseignements. Nous avons établi des recoupements, suffisamment nombreux pour nous faire douter de la nécessité d'un voyage de Platon en Égypte. C'est méconnaître que de nombreuses autres allusions figurent dans les dialogues qui n'étaient pas chez ses prédécesseurs. C'est à relever ces allusions, point d'orgue de notre démonstration, que nous consacrons l'ultime section de ce chapitre.

Frais de transport

Au nombre des renseignements sur l'Égypte qui ne se retrouvent effectivement nulle part ailleurs, ou plus exactement dans aucun texte à notre connaissance des auteurs antérieurs ou contemporains de Platon, est le prix du voyage de retour au Pirée à partir de l'Égypte. Cette allusion figure dans le Gorgias, lorsqu'au détour de la conversation, Socrate rétorque à Calliclès qui faisait cyniquement valoir que les puissants doivent écouter la voix de leurs intérêts, miser sur le paraître, que l'expertise seule est à même de conduire les passagers à bon port. Voulant donner un exemple de technique utile et cependant sans prétention, exemple à même de transposer le rapport du gouvernement au gouverné, Socrate évoque l'allégorie classique de la navigation :

Et cet art est d'allure et de tenue modeste ; il ne fait pas d'embarras, il n'affecte pas de grands airs comme s 'il accomplissait des choses merveilleuses, bien qu'il nous rende les mêmes services que l'éloquence judiciaire. Quand la science du gouvernail nous ramène sans détour d'Égine, sains et saufs, elle se fait payer deux oboles, je crois ; si c'est de l'Égypte ou du Pont, si c'est de très loin -- et alors qu'elle nous rend un immense service puisque, comme je l'ai dit tout à l'heure, elle nous sauve la vie, à nous-mêmes, à nos enfants, à nos richesses et à nos

1993, p. 270 et 274-275). Nous aurions donc affaire à un télescopage articulant, d'une part, la vérité mythique, atemporelle -- celle des idées -- à, d'autre part, la vérité historique transmise par les prêtres égyptiens, incluse dans une périodicité de cycles et d'éternels retours. « Ce qui doit être » (la Belle cité de la République) se voit alors projeté dans « ce qui fut » et qui, par conséquent, « sera » dans un avenir plus ou moins proche. Un paradoxe intéressant à relever serait que tout en présentant la cité idéale (?) comme une « fiction », Critias désamorce sa dimension utopiste en l'inscrivant dans une temporalité. Il recourt pour ce faire à un récit qui semble, malgré qu'il en ait, présenter toutes les caractéristiques du mythe (cf. E. Voegelin, « Plato's Egyptian Myth », dans The journal of Politics, vol. IX, n°. 3, Londres, Cambridge University Press, 1947, p. 307-324), à savoir le récit de l'officiant de Saïs. Un mythe pour justifier un autre mythe ?

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femmes --, elle demande au plus un paiement de deux drachmes au moment de débarquer sur le rivage.286

A supposer qu'elles fussent extraite d'un dialogue tel que les Lois ou la République, ces quelques lignes ne nous auraient sans doute pas arrêté. Le fait est qu'elles proviennent du Gorgias ; à savoir précisément d'un dialogue dont nous avons tout lieu de supposer qu'il fut écrit durant ou bien immédiatement après le retour de Platon de son séjour d'Égypte. Chronologie qui expliquerait que notre auteur, songeant à un exemple de navigation lointaine, opte spontanément pour celui de la traversée Égypte-Athènes ; ensuite seulement au même voyage en sens contraire. Bien plus : qu'il connaisse précisément le montant demandé : deux drachmes. Luc Brisson précise287 à titre informatif qu'il s'agit là d'une somme relativement modique, correspondant pour une famille entière à deux jours de salaire d'un ouvrier dans l'Athènes de l'époque. Pourquoi l'Égypte et pas Tarente, Crotone ou Syracuse, ou quelque autre port grec de Méditerranée ? A moins de n'y voir qu'un pur hasard, cette référence spontanée à l'Égypte conforte significativement l'hypothèse d'une traversée récente depuis la terre des pharaons à l'heure où Platon rédige le Gorgias. Relevons en outre que Platon précise un peu plus loin que le voyage d'aller coûte également deux drachmes. Ce que Platon ne pouvait savoir sans s'être renseigné depuis le port d'Athènes, ou sans avoir aussi effectué au moins une traversée en partance du Pirée. Une induction tout à fait favorable à l'idée que Platon serait revenu et reparti plusieurs fois de sa cité natale au cours de ses grandes pérégrinations.

Blasphèmes platoniciens

Le même dialogue contient une autre allusion d'importance à l'une des grandes figures du panthéon égyptien. Socrate tente à ce point de la conversation de convaincre Calliclès de revenir sur ses conclusions philosophiques, à savoir « que commettre l'injustice et, pour celui qui a commis l'injustice, ne pas expier est le dernier des maux »288. C'est à la cohérence qu'il en invoque alors pour inciter son interlocuteur à reconsidérer sa thèse. Faute de quoi, Calliclès se condamnerait à la contradiction -- contradiction en tant que l'homme cherche toujours le bien. Contradiction qui serait donc dysharmonie de l'âme, et qui caractérise précisément l'homme injuste lors même que Calliclès défmissait l'homme juste comme un individu habile à le paraître ; en d'autres termes, comme un expert capable de mettre en oeuvre tous les moyens -- dont l'injustice -- pour accomplir qu'il croit être dans son intérêt -- qui ne saurait être l'injustice. Socrate l'en avertit : « ou bien si tu laisses ce point

286 Platon, Gorgias, 511d.

287 L. Brisson, « L'Égypte de Platon », dans Lectures de Platon, Paris, Vrin, Bibliothèque d'Histoire de la Philosophie, 2000.

288 Platon, Gorgias, 482b.

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sans réfutation, par le dieu chien, dieu des Égyptiens, Calliclès ne sera pas d'accord avec soi-même, ô Calliclès, mais sera en dissonance durant toute sa vie »289. Il peut être édifiant de mettre ce passage en relation avec un autre extrait, tiré de la Vie de Platon d'Olympiodore : « il faut aussi savoir qu'il [Platon] est allé en Égypte trouver les prêtres et qu'il y a appris auprès d'eux la science sacrée. C'est pourquoi aussi dans le Gorgias il dit : "non, par le chien qui est dieu chez les Égyptiens" »290. Remarquons au passage de légères variations entre le texte original du Gorgias et la citation qu'en donne Olympiodore. Et le biographe de préciser : « le rôle que jouent en effet les statues divines chez les Grecs, les animaux le jouent chez les Égyptiens, parce qu'ils sont le symbole de chacun des dieux auxquels ils sont consacrés »291

a. « Par le dieu chien, dieu des Égyptiens »

Svoboda, comme la plupart des commentateurs de Platon, indique bien que cette divinité par laquelle jure Socrate n'est autre qu'Anubis292. Anubis est le dieu protecteur des nécropoles ; on l'associe au culte funéraire, aux pratiques d'embaumement293 et, originellement à la pesée du « coeur » (psychostasie) du défunt dans la salle des Deux Maât ; fonction qu'il occupera jusqu'à la réforme

289 Ibid. (nous soulignons).

290 Olympiodore le Jeune, Vita Platonis. Vie de Platon, L. I, 5.

291 Ibid.

292 K. Svoboda, « Platon et l'Égypte », dans Archiv Orientâlni, n°20, Amsterdam, 1952, p. 28-31.

293 Nous héritons par Hérodote d'un précieux témoignage des pratiques funéraires de momification qui avaient cours dans la vallée du Nil : « Tout d'abord à l'aide d'un crochet de fer, ils retirent le cerveau par les narines ; ils en extraient une partie par ce moyen, et le reste en injectant certaines drogues dans le crâne. Puis avec une lame tranchante en pierre d'Éthiopie, ils font une incision le long du flanc, retirent les viscères, nettoient l'abdomen et le purifient avec du vin de palme et, de nouveau, avec des aromates broyés. Ensuite, ils remplissent le ventre de myrrhe pure broyée, de cannelle et de toutes les substances aromatiques qu'ils connaissent, sauf l'encens, et le recousent. Après quoi, ils salent le corps en le couvrant de natron pendant soixante-dix jours ; ce temps ne doit pas être dépassé. Les soixante-dix jours écoulés, ils lavent le corps et l'enveloppent tout entier de bandes découpées dans un tissu de lin très fin et enduites de la gomme dont les Égyptiens se servent d'ordinaire au lieu de colle. Les parents reprennent ensuite le corps et font faire un sarcophage de bois, taillé à l'image de la forme humaine, dans lequel ils le déposent ; et quand ils ont fermé ce coffre, ils le conservent précieusement dans une chambre funéraire où ils l'installent debout, dressé contre un mur » (Hérodote, L'Enquête, L. II, 86). Notons ceci que l'historien se contente de décrire les aspects « médicaux », « chirurgicaux » du rite, sans mentionner nulle part sa dimension mythologique. Il n'est nulle part fait référence aux « quatre fils d'Horus » qui servaient d'effigie aux vases canopes censés contenir les humeurs du défunt ; non plus qu'au taricheute, au prêtre et praticien gouvernant la cérémonie, et portant pour cette occasion un masque d'Anubis. Sur toutes ces omissions et sur leur signification, cf. T. Bardinet, « Hérodote et le secret de l'embaumeur», dans Parcourir l'éternité. Hommages à Jean Yoyotte, Bruxelles, Brepols, Bibliothèque de l'École des Hautes Études-Sciences religieuses, 2012, p. 59-82. Si donc Platon pouvait trouver chez Hérodote quelque renseignement sur les momies et sur les procédés de thanatopraxie, ce n'est pas toutefois par Hérodote qu'il aurait pu s'instruire des représentations « canines » de son « dieu chien », patron des embaumeurs.

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osirienne qui l'en destituera pour le réduire au rôle de psychopompe. Dévolution originelle qu'il faudra garder à l'esprit lorsqu'il sera question de mettre en parallèle le thème du jugement chez Platon et la pesée du «coeur» tel qu'elle se trouve décrite dans le Livre des Morts égyptien294. L'emploi dans le dialogue de l'expression « dieu chien » rend compte des deux principales représentations d'Anubis, soit sous la forme d'un canidé noir (chacal ou chien sauvage), soit sous celle d'un homme cynocéphale. Il fait partie des principales divinités du XVIIe nome de Haute-Égypte et figurait également parmi les plus anciennes de la mythologie égyptienne295. Les Grecs connaissaient bien ce dieu dont Callimaque ne fut sans doute pas le premier à transcrire le nom depuis la langue égyptienne, Inpou ou Anepou « celui qui a la tête d'un chacal (ou d'un chien sauvage) » en caractères grecs, comme il ressort d'un fragment du poème évoqué par Strabon (« Voilà le dromos, le dromos sacré d'Anubis »296). Les Grecs de la période alexandrine l'assimileront plus tard au dieu Hermès, intronisant au panthéon du syncrétisme gréco-égyptien la déité d'Hermanubis. Son allure peu

294 Nous nous référerons pour ce chapitre à l'édition et à la traduction de P. Barguet du Livre des Morts des Anciens Égyptiens, Paris, Éditions du Cerf, 1967.

295 Sur la figure mythologique et les attributions d'Anubis -- et de ses prototypes -- à l'époque prédynastique et sous l'Ancien Empire (gardien, taricheute, psychopompe, huissier), se reporter aux travaux de l'égyptologue T. DuQuesne, The jackal Divinities of Egypt I: From the Archaic Period to Dynasty X Londres, Darengo, Oxfordshire Communications in Egyptology, n° VI, 2005. Pour une approche centrée sur les particularités et sur les représentations du dieu à l'époque de Platon, on pourra consulter l'article d'A. Charron, « Les canidés sacrés dans l'Égypte de la Basse Époque», dans Égypte, Afrique et Orient, vol. 23, Avignon, 2001, p. 7-23. Non moins intéressant, celui de Fr. Dunand et de R. Lichtenberg sur les dieux canidés, « Anubis, Oupouaout et les autres», dans Parcourir l'éternité. Hommages à Jean Yoyotte, vol. 156, Bruxelles, Brepols, Bibliothèque de l'École des Hautes Études-Sciences religieuses, 2012, p. 427-440. Cette dernière référence a le mérite d'ouvrir de nouvelles pistes de recherche en direction d'autres divinités plus archaïques identifiables au « dieu chien » de Platon. L'identification par Svoboda (op. cit.) de ce dieu chien à Anubis n'est pas si assurée qu'elle nous permette d'exclure à si peu de frais la possibilité que Platon songe à quelque autre divinité qui partagerait cette caractéristique. L'Égypte avait à sa disposition bien d'autres candidats. Parmi les plus sérieux était le dieu Oupouaout (lift. « celui qui ouvre les chemins »), initialement dénommé Sed, que l'on retrouve parfois mentionné dans les textes des pyramides sous l'appellation de « chacal du sud » (s3b smsw). Une épithète qui rend raison de ses diverses représentations sous l'aspect d'un chacal, d'un lycaon ou d'un chien sauvage. Le dieu arbore ainsi les mêmes traits qu'Anubis, à ceci près qu'il est le plus souvent représenté en station verticale. Il symbolise l'union des deux Égyptes et assume, tout comme Anubis, la fonction psychopompe du guide accompagnant les ba dans leur élévation. Son existence est attestée dès l'époque prédynastique, où il est honoré en sa qualité d'auxiliaire cynégétique (de prototype de l'animal de chasse). Son culte était toujours actif à l'heure où Platon visita l'Égypte. Oupouaout avait alors ses temples à Abydos, Lycopolis/(Assiout), Quban, El-Hargarsa, Memphis et -- cité jumelle d'Athènes -- Saïs, dont nous n'aurons de cesse que d'entendre parler. Si néanmoins la piste d'Oupouaout apparaît recevable, d'aucuns pourraient lui objecter la plus grande probabilité que la réputation d'un dieu du renom d'Anubis soit parvenue aux oreilles de Platon bien avant celle de son compétiteur. Qui peut le plus peut le moins ; la réciproque est rien moins qu'assurée. Si bien que le faute d'être certaine, l'identification communément admise entre le « dieu chien » de Platon et l'Anubis des Égyptiens ne cesse pas d'être la plus vraisemblable. Sur la figure mythologique d'Oupouaout, cf. Y. Guerrini, Recherche sur le dieu Oup-ouaout, des origines à la fin du Moyen-Empire, Mémoire de maîtrise d'égyptologie de l'Université Paris IV -- Sorbonne, Paris, 1989.

296 Strabon, Géographie, L. XVII, 28.

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commune lui valut également de nombreuses références dans la littérature latine, nous le retrouvons couramment affublé de l'épiclèse d'Anubis latrator, l'aboyeur.

Anubis embaumeur sur la momie de Sennedjem, relief peint297

L'évocation du « dieu chien » du Gorgias nous conduit directement à la momification. Au nombre des attributions propres au dieu Anubis figurent effectivement encore la thanatopraxie, ou la préparation cultuelle du nouveau corps du défunt, de son corps éternel, divin. Un passage du Phédon mentionne explicitement la débauche d'efforts des Égyptiens pour arrêter la corruption du corps au moyen de l'embaumement, lequel devait paraître un rite fort étonnant aux yeux des Grecs plus habitués à immoler qu'à conserver les corps : « Réfléchi à ceci, dit Socrate : une fois que l'homme est mort, sa part visible, son corps, qui a sa place dans le lieu visible, bref ce qu'on appelle cadavres immédiatement ; cela résiste au contraire pendant un temps assez long. Ce temps peut même être tout à fait considérable si, au moment de la mort, le corps est plein de vitalité et se trouve dans l'épanouissement de la jeunesse. Et je ne parle pas du corps émacié et décharné à la façon de momies d'Égypte, car lui se conserve quasi entièrement pendant un temps inimaginable »298. Sans avoir eu besoin d'assister de visu à de pareilles pratiques, Platon pouvait connaître les momies humaines d'après leurs représentations ou même les momies d'animaux qui s'échangeaient en guise d'offrandes sur le parvis des temples.

297 « Anubis embaumeur et la momie de Sennedjem », peinture murale du tombeau de Sennedjem, 19e dynastie (Nouvel empire), ref. c.1297-1185 BC, Deir el-Medina, Thèbes, Égypte.

298 Platon, Phédon, 80c.

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