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Platon, l'Egypte et la question de l'à¢me

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par Frédéric Mathieu
Université Montpellier III - Paul Valéry - Master I de philosophie 2013
  

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b. Pindare

Pindare, auteur du Ve s. avant J.-C., s'illustre dans le registre de la poésie lyrique. Au nombre de ses oeuvres figurent les quatorze odes des Olympiques célébrant des athlètes, à l'occasion de leurs victoires aux Jeux. La deuxième Olympique fait allusion au sort des âmes dans l'après-vie : « Et vous dont les âmes habitèrent successivement trois fois le séjour de la lumière et trois fois celui des Enfers sans jamais connaître l'injustice, bientôt vous aurez parcouru la route que traça Zeus »514 On notera que l'auteur parle d'habiter « trois fois » la Terre et les Enfers. H semble ainsi partager avec les pythagoriciens la croyance en la métempsycose ou transmigration des âmes. H faudra d'autre part, pour « parcourir la route que traça Zeus » que trois vies successives se soient écoulées « sans jamais connaître l'injustice ». Cette condition pour la libération ultime du cycle de réincarnation recoupe ici encore la doctrine orphique ou pythagoricienne. Croyance qui se retrouve expressément dans la bouche du Socrate de la République : « Et aussi bien, si chaque fois qu'un homme naît à la vie terrestre il s'appliquait sainement à la philosophie, et que le sort ne l'appelât point à choisir parmi les derniers, il semble, d'après ce qu'on rapporte de l'au-delà, que non seulement il serait heureux ici-bas, mais que son voyage de ce monde en l'autre et son retour se feraient, non par l'âpre sentier souterrain, mais par la voie unie du ciel »515 Aussi, « si donc vous m'en croyez, persuadés que l'âme est immortelle et capable de supporter tous les maux, comme aussi tous les biens, nous nous tiendrons toujours sur la route ascendante, et, de toute manière, nous pratiquerons la justice et la sagesse »516

Loin d'être unique, cette croyance partagée est encore loin d'être la seule qui puisse relier le récit de Pindare et les mythes eschatologiques de Platon. Nous avons encore relevé, chez ce dernier, la participation de Rhadamanthe au jugement des âmes : « Lors donc que les hommes arrivent devant leur juge, par exemple ceux d'Asie [524e] devant Rhadamanthe, Rhadamanthe les faisant approcher, examine l'âme d'un chacun, sans savoir de qui elle est »51. De même que le roi Minos jugeait seul dans les enfers d'Homère, c'est Rhadamanthe avec Pindare qui s'emploie à cette charge : « Bientôt vous parviendrez au royaume de Kronos, dans ces îles fortunées [...] Ainsi, dans sa justice, l'a voulu

514 Pindare, Olympiques H: A Théron, v. 104-109, trad. A. Puech, Paris, Les Belles Lettres, Cuf Grecque, 1970.

515 Platon, République L. X, 619 d-e. Nous soulignons.

516 Platon, République L. X, 621c. Nous soulignons. 51 Platon, Gorgias, 524 d-e.

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Rhadamanthe, qui siège à la droite de l'époux de Rhéa, puissante déesse dont le trône domine celui des autres Immortels »518. Platon, dans le Gorgias, associe ces deux figures, Minos et Rhadamanthe, leur associant un troisième juge. Ce motif des trois juges semble épouser le schéma conceptuel de la tripartition indoeuropéenne, dont nous avons précédemment montré quelle importance il pouvait jouer dans les Dialogues, relevé son existence dans le pythagorisme et suggéré son éventuelle fondement égyptien. Sans doute est-ce ainsi qu'il nous faudrait interpréter le choix de l'auteur de s'en tenir à un triumvirat, quitte à éliminer parmi ces « véritables juges » le personnage de « Triptolème et ceux des demi-dieux qui ont été justes quand il vivait » qu'il mentionnait pourtant à la fin de l'Apologie de Socrate519 Notons toutefois que le jugement dans l'Apologie n'est présenté que comme une éventualité, destiné à montrer que le sage n'a rien à redouter de la mort (« un beau risque »).

Sans évoquer explicitement un éventuel jugement des âmes, Pindare poursuit :

ôza Pavôvzcov,uèv gv-
Bàà' a6rix' àirôAa voi tppéveç
7cotvàç grioav, re( à' gv
râàe Aaôç àpxâ
gulirpec xarà yâç àaxécÇei ztç gxOpâ
26yov tppàoaiç àvegica
·
520

Ce vers a fait l'objet de nombreuses interprétations depuis l'Antiquité, changeant parfois sensiblement l'esprit de la formule. On trouve entre autres celle de J. Girard, proposée dans son étude portant sur Le sentiment religieux en Grèce 521 ou celle de E. Rohde522 qui prend à contre-pied l'exégèse d'Aristarque qui comprenait ces « crimes » jugés « sous terre » comme étant ceux commis dans le royaume souterrain. Le sens de ài aa Ivoi n'est en effet pas clair ; et il est difficile, dans de telles conditions, de décider absolument quelles fautes seront châtiées. Le Liddell-Scott propose ici de traduire « faible », mais relève également le sens exactement contraire chez les lyriques et les

518 Pindare, Olympiques II: A Théron, v. 104-109, op. cit.

519 Platon, Apologie de Socrate, 41a.

528 Pindare, ibid. Les divergences de traduction nous ont parus suffisamment significatives par leurs enjeux pour motiver le choix de reproduire directement le texte grec.

521 J. Girard, Le sentiment religieux en Grèce d'Homère à Eschyle, étudié dans son développement moral et dans son caractère dramatique, Paris, Hachette, 1887, p. 267.

522 E. Rohde, Psyche. Le culte de l'âme chez les Grecs et leur croyance à l'immortalité, trad. A. Peymond, Paris, Le chemin des philosophes, 1999, p. 434, note 3.

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élégiaques523. L'opposition de tv et SE rend en revanche compte avec plus d'évidence de la typologie des fautes, lesquelles se répartissent entre crimes inexpiables et fautes vénielles, entre châtiment d'expiation et châtiment éternel destiné à servir d'exemple. Ainsi lit-on dans le Gorgias que « pour gagner à la punition et satisfaire aux dieux et aux hommes, les fautes doivent être de nature à pouvoir s'expier »524 ; qu'en conséquence, «pour ceux qui ont commis les derniers crimes, et qui pour cette raison sont incurables, on fait sur eux des exemples » ; que « leur supplice ne leur est d'aucune utilité, parce qu'ils sont incapables de guérison ; mais il est utile aux autres »525. Pareilles affirmations ne sont pas sans faire écho aux propos rapportés de l'au-delà par Er le Pamphilien, et qui concluent la République.

Il y avait encore, selon son récit, de plus grandes peines pour l'impie, le fils dénaturé, l'homicide qui tue de sa propre main, et de plus grandes récompenses pour l'homme religieux et le bon fils. Il avait été présent, ajoutait-il, lorsqu'une âme avait demandé à une autre où était le grand Ardiée. Cet Ardiée avait été tyran d'une ville de Pamphylie, mille ans auparavant ; il avait tué son vieux père, son frère aîné, et commis, à ce qu'on disait, plusieurs autres crimes énormes. Il ne vient point, avait répondu l'âme, et il ne viendra jamais ici : nous avons toutes été témoins à son occasion d'un affreux spectacle. Lorsque nous étions sur le point de sortir de l'abîme souterrain, après avoir accompli nos peines, nous vîmes tout à coup Ardiée et un grand nombre d'autres, dont la plupart étaient des tyrans comme lui ; il y avait aussi quelques particuliers, qui, dans une condition privée, avaient été de grands scélérats. Au moment qu'ils s'attendaient à sortir, l'ouverture leur refusa le passage, et toutes les fois qu'un de ces misérables dont les crimes étaient sans remède, ou n'avaient pas été suffisamment expiés, essayait de sortir, elle se mettait à mugir [...] Tels étaient à peu près les jugements des âmes, leurs châtiments, ainsi que les récompenses qui y correspondent.526

523 H. G. Liddell, R. Scott, A Greek-English lexicon, Toronto, Robarts, 1901. Voir également j. Rumpel, Lexicon Pindaricum, Toronto, BiblioLife, Lipsiae B.G. Teubneri, 1929.

524 Platon, Gorgias, 525b.

525 « Or quiconque subit une peine, et est châtié d'une manière raisonnable, en devient meilleur, et gagne à la punition, ou il sert d'exemple aux autres, qui, témoins des tourments qu'il souffre, en craignent autant pour eux, et s'améliorent. Mais pour gagner à la punition et satisfaire aux dieux et aux hommes, les fautes doivent être de nature à pouvoir s'expier [...]. Pour ceux qui ont commis les derniers crimes, et qui pour cette raison sont incurables, on fait sur eux des exemples. Leur supplice ne leur est d'aucune utilité, parce qu'ils sont incapables de guérison ; mais il est utile aux autres, qui contemplent les tourments douloureux et effroyables qu'ils souffrent à jamais pour leurs crimes, en quelque sorte suspendus dans la prison des enfers, et servant tout à-la-fois de spectacle et d'instruction à tous les criminels qui y abordent sans cesse » (Platon, Gorgias, 525b-d).

Platon, Gorgias, ibid.

526 Platon, République L. X, 615b-616b. Nous soulignons.

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Fr. Daumas suggère que cette partition suggérée par Pindare, ainsi reconduite par Platon dans le Gorgias et dans la République, pourrait être directement inspirée de la doctrine orphique ou pythagoricienne527. Bien que les choses n'aient sans doute pas été aussi bien arrêtées que l'aurait souhaité Rohde528, celle-ci admet effectivement une récompense allant jusqu'à la délivrance définitive pour les justes et un châtiment, pouvant lui également être définitif, pour les injustes.

Concernant le sens global du passage de Pindare que nous avons choisi de restituer en grec, la traduction donnée par A. Puech, aux éditions Budé (1922), recoupe en cet endroit celle de Schroeder et de la collection Teubner : «Éclairé par cet esprit investigateur, il saura les secrets de l'avenir, les châtiments qui attendent les crimes commis sur la terre et la sentence que prononce au fond des enfers un juge inexorable »529. Nous souscrivons volontiers à l'interprétation de P. Lagrange, selon lequel le sens de ce fragment ne signifierait rien moins « que, parmi les morts, les coeurs faibles ont déjà ici subi leur peine, mais que les crimes commis dans le royaume de Zeus, sous terre on les juge en prononçant une sentence soumise à l'affreuse nécessité »530 Cette interprétation illustre effectivement que les exigences morales depuis Homère se sont faites plus pressantes dans la conscience des Grecs. Demeure toutefois un point aveugle dans l'eschatologie de Pindare : si Rhadamanthe rend effectivement la justice dans l'île des Bienheureux, il ne lui revient pas de décider quelles âmes peuvent y avoir accès531, ni si celles-ci doivent subir des épreuves ou disposer d'une connaissance particulière. Gageons, avec Guthrie532, qu'un poète mercenaire ne se serait pas risqué à effrayer ceux qui le rétribuaient pour ces éloges publics.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe