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Aspects d'un office du chapitre de Notre-Dame de Paris : les chanceliers de l'université de paris du milieu du XIIe au XVe siècle.

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par Christophe LEON
Université de Reims Champagne Ardenne - Master II Espaces et Civilisation 2003
  

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3. Le chancelier du chapitre de Notre-Dame de Paris : étude d'un personnage et propositions de définitions.

Dans cette partie, nous tenterons d'expliquer ce qu'était la fonction de chancelier de Notre-Dame de Paris en nous appuyant sur des définitions existantes que nous complèterons d'observations réalisées à partir de notre corpus.

« Donc nos rois sont fondateurs et patrons de l'Université, et comme tels nous les devons reconnaître premiers chefs. Quand à monsieur l'évêque de Paris, il est bien notre pasteur en ce qui concerne le spirituel, et le Pape qui est par dessus lui est notre Saint Père, souverain de ce pasteur et de nous en ce qui touche la spiritualité. Mais il n'est pas le chef des écoles et le gouvernement de celles-ci ne dépend pas de lui, même au temporel, ainsi elles sont en la protection du roi. Quand au chancelier de l'Université de Paris, il n'est aussi le chef de celles-ci. La dignité de chancelier est celle du scholastique, qui est chanoine de l'Eglise cathédrale, sa charge est telle qu'en plusieurs autres villes, celle d'un maître des écoles parmi les chanoines de l'Eglise cathédrale ; comme Bérenger en celle d'Angers. Et celui qui est le scholastique retient encore son premier nom et d'avantage à cet honneur d'être Chancelier de l'Université. Quant au Chancelier qui est en l'Eglise de Paris, il garde bien les sceaux de l'Université, mais pourtant il n'en est pas le chef, ainsi est le Recteur qui est le premier et le seul en qualité avec l'Université pour les causes qui touchent les écoles ou les études. Il est vrai que le Recteur qui est laïc, parce qu'il ne peut pas bénir. Après que les écoliers sont passés maîtres et admis au sein de l'Université, il les présente au Chancelier, qui est ecclésiastique, à ce qui leur donne la bénédiction. Mais pourtant le Chancelier n'a pas la direction et la conduite des Collèges ni des écoliers qui font des études publiques. Ainsi elle appartient à l'Office du Recteur, ad quem spectat provisio magistrorum qui debent dici scholares, comme je l'ai vu par un acte de l'an 1271, enregistré en leur Université. Similiter Belforestius in Cosmog. Mais qu'est ce que dire que la majesté du Recteur soit si grande en l'école, que les Actes publics de quelque faculté que ce soit, il précède évêques et cardinaux et fussent-ils pairs de France. Et ne souffriront que le Nonce du Pape ni [aucun] Ambassadeur de Prince au monde eut cet avantage de le précéder. Quem forte locum prae occulis habuit Hermannus Coringius sic scribens dissert. 5. de Antiq. Acad. »98

98 DU BOULAY, [V], t. 1, Dissertatio IV. De episcopo Parisiensi, p. 268.

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Partant de la définition assez précise, mais incomplète, qui nous en est donnée par Du Boulay, nous pouvons constater que la notion de chancelier est polysémique. Mais ne retenons, dans cette étude, que celles concernant l'Eglise et l'Université, en écartant toutes celles liées au droit ; il s'agit d'un « titre indiquant une dignité du chapitre dont l'un des chanoines est revêtu », à partir du XIIe siècle, et « chancelier d'université », à partir du XIIIe siècle99. « Nommé en principe par l'évêque, le chancelier (cancellarius) a la garde du sceau du chapitre100. Astreint à résidence, il est chargé de la rédaction des actes du chapitre et des églises qui en dépendent, assisté dans sa tâche par des clercs appelés notaires qui font office de scribes. Il perçoit des droits de rédaction et de sceau, variables suivant la nature des actes qu'il établit. Sont exempts de tous droits les contrats souscrits par ou avec le chapitre et ses proches membres, les actes intervenant avec les églises et les chanoines de Saint-Jean-le-Rond, Saint-Denis-du-Pas, Saint-Benoît-le-Bétourné, Saint-Merri et Saint-Christophe. Les contrats concernant l'hôpital de Notre-Dame sont également dressés en franchise de droit. Pour les actes qui concernent d'autres personnes, le chancelier reçoit quatre deniers, sauf si la rédaction est demandée par le chévecier101 de l'église, auquel cas les droits de sceau sont calculés sur la valeur d'une obole de cire par lettre et d'un denier de cire par charte102. A l'exception des livres de chant dont la garde incombe au chantre, le chancelier assure la conservation et l'entretien des livres de l'église. Installée d'abord dans une dépendance du

99 (Mediae latinitatis lexicon minus, composuit J. -F. Niermeyer, Leiden, E. -J. BRILL Ed., 1976, [G], p. 124125). Cependant, il conviendra, dans un approfondissement, d'envisager la fonction chancelière au croisement des institutions laïque, ecclésiastique et universitaire. Notre définition du « chancelier » s'appuie sur l'ouvrage de GANE, R, Le chapitre de Notre-Dame de Paris, [15], p. 39-40 ; les cancellarii » étaient à l'origine des serviteurs du tribunal, qui, dès la deuxième moitié du IVe siècle, devaient en tant qu'aides personnelles des magistrats du tribunal, surveiller les abords de ceux-ci. C'est dans cette fonction qu'ils eurent une influence croissante, qui s'exprima également par une revalorisation de leur rang. D'abord recrutés à l'extérieur, ils furent au fil du temps choisis parmi des fonctionnaires et parvinrent au rang de sénateur au VIe siècle. Ils furent utilisés par le royaume de Bourgogne et les Wisigoths (Lexikon des Mittelalters, Zweiterband / Siebente lieferung - Caecilia Romana - Castro, Artemisverlag, München und Zürich, février 1983, [F], p. 1428).

100 Symbole de la puissance, le sceau marque l'appartenance à un corps et sert à clore et à authentifier les actes qui en émanent. AN, LL 78, p. 369 ; « si le chapitre possède son sceau - c'est le chancelier qui en a la garde - chaque chanoine a le sien propre. (...) Chaque sceau porte, à côté du nom de son titulaire, la mention « can. par. » (chanoine de Paris). Signe de la puissance, le sceau peut être aussi une marque de dévotion. » - R. Gane, Op. Cit., p. 183.

101 « Collaborateur à la fois du chapitre et de l'évêque, le chévecier (capicerius) est plus particulièrement chargé du trésor de la cathédrale et de la garde des reliques et des offrandes des fidèles. Il veille également à la conservation des ornements, des vases et des linges sacrés et prépare, pour les cérémonies, les livres et les objets liturgiques destinés au culte. Il doit également pourvoir à l'entretien du sanctuaire en surveillant l'exécution des travaux décidés par le chapitre et justifier du bon emploi des sommes affectées aux dépenses (entretien de la toiture, des cloches, du mobilier, ...). C'est « l'économe de la communauté » » - R. Gane, Op. Cit., p. 42.

102 GUERARD, B., Cartulaire, [X], t. I, p. CIV et 355.

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cloître qui s'avère rapidement trop exiguë, la bibliothèque doit être déplacée. La chapitre projette de la transporter au-dessus de la chapelle Saint-Aignan, mais y renonce pour l'installer, à la fin du XIVe siècle, dans les combles de la cathédrale, au-dessous des voûtes (supra testudines), où l'accès se fait par l'escalier de la tour nord103. En sus du chancelier, le doyen, les archidiacres et le chantre en détiennent la clef. Les membres du chapitre, les chapelains, les clercs et les écoliers de Notre-Dame peuvent venir y consulter les ouvrages104.

Le chancelier assume, d'autre part, un rôle important dans le domaine de l'enseignement puisqu'il dirige les écoles capitulaires dont il nomme les maîtres et qu'il délivre en outre l'autorisation d'enseigner (licentia docendi)105. L'école capitulaire de Notre-Dame excelle surtout dans l'enseignement de la théologie mais ne néglige pas pour autant le droit106. Enfin, il exerce également les fonctions de chancelier de l'Université de Paris107. A ce titre, il confère la licence aux étudiants et ne peut la refuser à celui qui est jugé digne par la majorité des maîtres. Il partage ce droit avec le chancelier de Sainte-Geneviève, en vertu d'une décrétale de Grégoire IX, de 1227108. Il préside d'autre part les réunions de la Faculté de Théologie109. »

Cette nouvelle définition est cependant, elle aussi, incomplète et nous souhaitons en préciser certains points. Ce n'est qu'après le second quart du XIIe siècle, que le chancelier assume les devoirs de l'écolâtre110. Il est l'un des huit dignitaires du chapitre de l'église de

103 SAMARAN, CH., « Les archives et la bibliothèque du chapitre de Notre-Dame de Paris », dans Huitième Centenaire de Notre-Dame de Paris, Paris, 1964, [36], p. 173.

104 A. Franklin, Les anciennes bibliothèques de Paris, Paris, 1877, t. 1, p. 19, cité par R. Gane, [15].

105 F. Claeys, Dictionnaire de Droit Canonique, art. «Chancelier», t. III, col. 457-458, cité par R. Gane, [15].

106 GABRIEL, A. -L., « Les écoles de Notre-Dame et le commencement de l'Université de Paris », dans Huitième Centenaire de Notre-Dame de Paris, Paris, 1967, [13], p. 164, et cité par R. Gane, [15].

107 CUP, [IV], t. III, p. 324, ; J. -B. Jaillot, Recherches critiques, historiques et topographiques sur la ville de Paris, (15 vol. Paris, 1772-1775), t. I : « La cité », p. 143, cité par R.Gane, [15].

108 G. Bourbon, « La licence d'enseigner et le rôle de l'écolâtre au Moyen Âge », dans Revue de Questions Historiques, t. XIX, 1876, (p. 543 et s.), p. 537, cité par R. Gane, [15].

109 P. Féret, La Faculté de Théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres, (4 vol.) Paris, 1894-1897, p. 99 ; cité par R. Gane, [15].

110 « La direction des écoles au XIe et au début du XIIe siècle fut confiée aux écolâtres (scholastici) qui, pour la plupart, excellaient par l'éclat de leur enseignement. A Paris, il furent choisis parmi les membres du chapitre et jouissaient de la prébende ordinaire d'un chanoine. Malheureusement, aucun document ne nous révèle un personnage à Paris qui auraient porté le titre d'écolâtre ou scolasticus » - GABRIEL, A. L., Ecoles de Notre-Dame et commencement de l'Université, [13], p. 156.

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Notre-Dame. Il est nommé par l'évêque111. Parmi les premiers devoirs du chancelier, on retrouve la charge de bibliothécaire et, peut-être, la direction d'un petit scriptorium. Il devait donc corriger, relier, garder et conserver tous les livres de l'Eglise de Paris112, exception faite de ceux du chant113.

Cependant son devoir principal consistait en la surveillance de l'enseignement et de la nomination du maître du cloître : « instituere magistrum in claustro qui sufficus sid ad scolarum reginem »114.

Le droit de conférer la licence d'enseigner, qui permettait au nouveau maître de commencer son inceptio, fut exercé assez tôt par le chancelier. Celui-ci devenait ainsi par ce droit le représentant du pape auprès de l'évêque et de l'Université de Paris. Alexandre III reconnut ce droit, mais en 1170-1171, dans sa bulle, Quanto Gallicana, il interdit de demander une rétribution monétaire pour la licence accordée : « pro prestanda licentia docendi alios ab aliquo quidquam amodo exigere audeant »115. Pierre le Mangeur fut la seule exception. Ce chancelier de l'Eglise de Paris, de 1168 à 1178, fut autorisé par Alexandre III, compte tenu de sa réputation, d'accepter certaines rémunérations pour la licence accordée116.

La somme exigée des impétrants pour l'obtention de la licence était assez élevée et beaucoup de maîtres parisiens réagirent contre la vente de la licentia docendi. Le Concile de Latran, en 1179, renforça de nouveau les décrets antérieurs interdisant son commerce.

Mais, par la suite, il fut difficile d'interdire aux chanceliers de ne pas exiger une compensation financière pour avoir accorder la licence. En 1209, le successeur du chancelier

111 Comme le chantre et les trois archidiacres (Paris, Josas, Brie), tandis que le doyen était élu par le chapitre. Ibid.

112 CUP, [IV], I, n. p. 81 : « [...] Cancellarium Parisiensem fuisse tunc solum scribam Universitatis chartarumque custodem : Quis nescit, alia fuisse cancellarii in ecclesia, alia in Universitate munia ? Itaque capituli commentaria confecerit, cartasque ejus et instrumenta publica conscripserit, sigilli capitularis custodiam habuerit, bibliothecam curaverit, magistrum idoneum scholae claustrali praefecerit, qui sufficiens esset ad scholarum regimen et ad officium, quod debebat facere in ecclesie, et ad litteras capituli si opus esset faciendas, nil ad rem nostram. »

113 Lesquels relevaient de la compétence du chantre.

114 CUP, [IV], I, ep. 21, p. 81 : « Compositio facta inter capitulum Parisiense et cancellarium super sigillo. 1215, mense Octobri, [Parisiis] ».

115 CUP, [IV], I, Intro., p. 5, n. 4 : « que la science qui doit être dispensée à tous gratuitement, ne semble pas à l'avenir taxée à prix d'argent ».

116 CUP, [IV], I, ep. 8, p. 8 : Alexander III Petro cardinali S. Chrysogoni, apostolicae sedis legato, mandat ut cum alii super scholarum regimine Parisiensium provideat, ita quod personam magistri Petri cancellarii Parisiensis non excedat, quod exinde fecerit.

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Prévôtin, Jean de la Chandeleur, vendait ouvertement la licence et exigeait de l'argent des maîtres ; il est alors réprimandé par Innocent III en 1212, par l'entremise de l'évêque de Paris, Hervé117. Devant, le refus du chancelier de se plier aux recommandations du pape, les maîtres ès art, n'eurent d'autres solutions que de transférer leurs activités sur la rive gauche de la Seine. Ils échappaient ainsi à la juridiction du chancelier de Notre-Dame pour placer leurs écoles sous celle de celui de Sainte-Geneviève. Ainsi, à la fin du XIIe siècle, l'abbaye de Sainte-Geneviève réputée pour la qualité des leçons publiques que donnent des maîtres aussi prestigieux qu'Abélard, Jocelin, Robert de Melun et Gautier de Mortagne118, réclame le droit d'accorder la licence d'enseignement pour toutes les disciplines, dans l'étendue de sa seigneurie. En 1222, le pape Honorius III prie le chancelier de Notre-Dame de ne pas troubler la liberté des maîtres qui enseignent à Sainte-Geneviève et le pape Grégoire IX va plus loin en faisant droit à la demande de l'abbaye qu'il autorise, par une bulle de 1227, à délivrer la licence d'enseignement119. Le chapitre de Notre-Dame ne peut qu'enregistrer cette restriction apportée aux prérogatives du chancelier. L'importance de la licence, et son attribution, vient de l'association qui est faite entre ce diplôme et la large de gamme de charges et d'offices auxquels elle permet d'accéder. Les avocats du Parlement ou au Châtelet, les conseillers du roi, les gens de sa chambre des comptes, tous ces gens de justice ou d'administration intervenant dans les actes fonciers, indiquent qu'ils sont licenciés, le plus souvent en droit120.

Mais le XIIe siècle fut aussi celui des chanceliers érudits et des évêques savants. Il est difficile d'établir une liste complète des chanceliers121, mais pour la seconde moitié du XIIe

117 CUP, [IV], I, ep. 14, p. 73 : « (...) Miramur non modicum et movemur quod, sicut ex dilectorum filiorum scolarium Parisiensium querala didicimus, a volentibus scolas regere, quos etiam magistrorum assertio idoneos asserit ad regendum, juramentum fidelitatis vel obedientie ac interdum pecunie precium dilectus filius ... cancellarius Parisiensis nititur extorquere, pro motu proprio incarcerans delinquentes, ubi etiam non presumitur, quod pro enormitate delicti examen judicis debeant fuge presidio declinare, ac exigens pecuniam ab eisdem (cum in personam, non in facultates, vindicari requirat excessus), in usus proprios convertit eandem, ut videatur vindictam cupiditatis ardore potius quam zelo justicie exercere ».

118 Comme le chapitre de Notre-Dame, l'abbaye de Sainte-Geneviève relève directement de l'autorité du pape et n'est pas soumise à l'autorité épiscopale, comme précisé dans le chapitre sur l'Université ; Cf. supra.

119 GABRIEL, A. L., Les écoles de la cathédrale de Notre-Dame et le commencement de l'Université de paris, [13], p. 157-160. La bulle de Grégoire IX est reproduite dans CUP, [IV], I, ep. 55 et s., p. 111.

120 Le service du roi, au sens large et notamment dans sa justice, offre davantage de possibilités que celui de l'Eglise. Le niveau de doctorat concerne moins de monde car pour obtenir ce grade il fallait achever un long parcours d'études ; cependant, il ouvrait la possibilité de belles carrières, soit dans l'Université, soit dans l'Eglise, comme l'office de chancelier et le tremplin qu'il a constitué vers d'autres offices ecclésiastiques plus prestigieux tend à le prouver, à travers des personnages comme Pierre d'Ailly notamment.

121 Denifle -Chatelain, CUP, [IV], I, p. XIX - XX, op. cit..

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siècle et les siècles suivants la liste est plus complète122. Les crises qui opposent alors et ensuite les chanceliers à l'Université sont autant d'étapes qui marquent une évolution dans la fonction de ce dignitaire du chapitre, laquelle se poursuit au sein même du chapitre et dans la société laïque. Cette évolution est constante ; ainsi dès 1360, puis en 1370 et 1408, il est rappelé que la fonction de chancelier est avant tout un office attaché au chapitre cathédral et ne confère pas à celui qui l'exerce une quelconque dignité123.

A l'origine de l'Université, durant sa période de formation et de consolidation de la corporation des maîtres, dans les années 1140 à 1178, les chanceliers recevaient un paiement pour chaque attribution de licence. Les maîtres répugnaient généralement à payer pour obtenir la licence, mais cela n'était cependant pas un obstacle dans leur formation ; ce qui était déjà le cas alors que Pierre le Mangeur (Petrus Comestor) était chancelier. Aucune protestation ne fut faite à son encontre dans cet office, au moins entre 1164 et 1168, quand il fut explicitement autorisé par le pape à obtenir des honoraires pour l'attribution des licences124.

Dans les premières écoles cathédrales, nous l'avons déjà remarqué, l'officiant en charge de la supervision des écoles et de l'attribution des licences pour enseigner était appelé scholasticum ou magister scholarum. A Paris, durant la seconde moitié du XIIe siècle, les charges de scholasticus furent prises par les chanceliers, choisi parmi les huit dignitaires du chapitre des chanoines de la cathédrale Notre-Dame.

122 GABRIEL, Astrik L., The conflict between the chancellor and the University of masters and students at Paris during the middle ages, [14], 1976, p. 146-151; cf. supra dans l'introduction et notes 11 et 13 ; dans le Manuscrit d'Ajaccio (MS Ajaccio, [III], BM I38, fol. 71 - 135) des noms de chanceliers ne faisant pas partis de la liste retenue par Denifle et Chatelain et Gabriel sont cités ; cependant, il ne figure dans aucune autre source consultée, ce qui nous oblige, pour le moment, à ne pas les retenir dans notre étude.

123 LL 265, [XII], f. 260 : « Cancellaria est simplese officium dumtaxat et non dignitas : hodie Decretum ut Canellariam non esse dignitatem sed simplese officium et quod cum officiis ecclesiae parisienses obtinentes illa etiam cum illis obtinebant Beneficia curata », Reg. 2 p. 292 ; « Sevibantus litterae testimoniales qualites Cancellaria Parisiensis reputata fuit ab antique et adhuc reputatus officium in ecclesia et capitula parisienses. », 1370, Reg. 3 p. 579 ; « De supplicatione domini cancellarii (Gerson) quod habeat litteras testimoniales quod cancellaria non est dignitas sed officium simplex cum litteris recomendatonis »", 1408, Reg. 6 p. 125. » Il est peut être possible de voir dans cette distinction le résultat de la lutte d'influence qui oppose le recteur de l'Université au chancelier, notamment dans la préséance entre ces deux personnages lors des remises des licentiae docendis, et dont témoignent les nombreuses suppliques adressées au pape par les différentes facultés pour arbitrer ce différent récurrent. Cette distinction est aussi une marque des prérogatives extérieures que le chapitre souhaite affirmer en toute circonstances. Ainsi en est-il également des considérations chancelières de sa supériorité dignitaire sur le recteur de l'Université, même si, nous l'avons dit (cf. supra et introduction, p. 3), la fonction de chancelier n'est pas une dignité. Il ne faut donc pas confondre les termes « dignitaire » (dignitate, littéralement celui qui est revêtu d'une dignité, esse cum dignitate) et « dignité » (dignitas, tatis, auquel il serait mieux de préférer le terme honor), comme cela a pu être le cas de certains érudits.

124 CUP, [IV], I, ep. 8, p. 8 ; Cf. supra n. 116.

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Plus tard, dans d'autres universités, la dignité de chancelier fut confiée à l'évêque de la cité ou au prévôt des chanoines du chapitre de la cathédrale, mais toujours à un dignitaire ecclésiastique. La tradition de choisir le chancelier dans les rangs du clergé était si forte que même les empereurs ou les princes locaux choisissait uniquement des dignitaires ecclésiastiques pour servir dans leurs universités.

Les charges de chancelier de l'Université étaient donc similaires à celles de chancelier royal. Il était le custos du cachet du chapitre de la cathédrale ; il envoyait les lettres en plus de sa charge de la bibliothèque pour la constitution des collections de livres et leur présentation. Mais sa tâche principale était de superviser l'enseignement et d'appointer les Maîtres du « cloître »125.

Sa charge la plus importante était donc la délivrance des licences d'enseignement. Le pape Alexandre III dans la bulle Quanto Gallicana, éditée en 1170-1171, interdit de demander un paiement pour ce service, mis à part la dispense attribuée seulement au chancelier Pierre le Mangeur126. La Renaissance intellectuelle du XIIe siècle entraîne une multiplication du nombre des maîtres et de la présence d'étudiants étrangers aptes à enseigner ; l'enseignement devient alors une entreprise très lucrative. Il semble naturel que le chancelier, qui délivrait les licences, souhaite partager les profits réalisés par les maîtres. Ainsi, sans être réellement officiel, le « simonisme scolastique »127 était né. C'est ce droit au profit qui fut au centre d'un grand conflit qui opposa le chancelier aux maîtres de l'Université de Paris de 1384-1386.

A travers ce conflit c'est l'autorité même du chancelier qui était contestée par les maîtres et, indirectement, par le recteur de l'Université. Or l'autorité du chancelier trouvait son origine en partie dans le privilège royal donné par Philippe Auguste en 1200 et en partie dans la confiance papale autorisant le chancelier de délivrer la licence pour enseigner n'importe où dans le monde chrétien. Le chancelier est également, un représentant du pape, Commissarius Pape, comme Pierre d'Ailly qui se présente comme tel en 1385128.

L'autorité du chancelier fut donc renforcée tout d'abord par le privilège, donné par Philippe Auguste, mettant les étudiants en dehors de la juridiction du prévôt de Paris, et sous

125 « Et talem instituere magistrum in claustro, qui sufficiens sit ad scolarum regimen », CUP, [IV], I, ep. 21, p.81.

126 Comme nous l'avons indiqué précédemment; cf. supra notes 116 et 124.

127 GABRIEL, Astrik L., The conflict between the chancellor and the University of masters and students at Paris during the middle ages, [14], 1976.

128 Voir MS Ajaccio, [III] ; GUENEE, B., Entre l'Eglise et l'Etat, quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge (XIIIe - XVe siècles), [21], Paris, 1987.

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celle de l'évêque de Paris : « reddet eum justicie ecclesiastice »129. L'office de chancelier recouvre ainsi une fonction de juge en lieu et place de la justice royale, puisqu'il a la charge de l'enseignement au sein du chapitre. Ainsi si un universitaire, maître ou étudiant, arrêté, par le prévôt, n'était pas relâché après l'intervention de deux maîtres et, en recours ultime, du recteur lui-même, alors ce dernier devait en appeler au chancelier puis à l'évêque ou son représentant pour que l'individu soit relâché130. Cette compétence juridictionnelle du chancelier sur les étudiants fut confirmée par plusieurs décrets au cours du XIIIe siècle, dont celui du 18 novembre 1234131. Le chancelier était donc considéré dans ce cas comme supérieur au recteur en autorité.

L'autorité du chancelier reposait principalement sur sa compétence pour la délivrance

de la « licentia docendi », non en son nom mais en celui du pape, non comme un représentant du Chapitre de la cathédrale Notre-Dame mais comme représentant du souverain pontife lui-même. Sa fonction a très bien été définie par le chancelier Gauthier de Château Thierry (1246-1249), qui fut ensuite évêque de Paris. Gauthier disait que si les clefs de l'apprentissage étaient l'apanage des maîtres, le trésor de la connaissance était, dès lors, entre les mains du pape ou, sur son ordre, du chancelier132.

L'autorité du chancelier a été, par la suite, renforcée, du milieu du XIIe siècle à la fin du XVe siècle, de Pierre le Mangeur à Pierre d'Ailly, et à Jean de Gerson, par le fait qu'il était reconnu comme universitaire de premier plan. Déjà, dès le XIIIe siècle, Jean de Garland reconnaît que le chancelier de Notre-Dame dirige les études133. La « Bataille des sept Ars »,

129 CUP, [IV], I, ep. 1, p. 60: « et tunc arrestabit eum justicia nostra in eodem loco sine omni percussione, nisi se defenderit,et reddet eum [l'étudiant] justicie ecclesiastice, que eum custodire debet pro satisfaciendo nobis et injuriam passo ».

130 « Et si prepositus eum [l'étudiant] reddere noluerit rectori, tunc reccurret rector ad cancellarium et postremo ad episcopum uel officialem ejusdem », CUP, [IV], I, ep. 197, p. 223.

131 « Ratione jurisdictionis ordinarie quam obtinetin eisdem subjecti erant cancellario memorato », CUP, [IV], I, ep. 105, p. 156.

132 CUP, [IV], I, p. XI : « Ante saec. XIII officium Cancellarii Parisiensis sic explicabatur, magistris commissas esse « claves scientiae a domino Papa, vel a Cancellario Parisiensi ex ordinatione domini Pape, ad aperiendum thesaurum sapientie » ; CUP, [IV], I, p. XI, n. 2.

133 CUP, [IV], I, p. XIX : « Ab abbate S. Genovefae ab anno 1222 licentiatos invenimus, sed, crescente Artium magistrorum numero qui jurisdictionem Montis un vico Garlandiae petierunt, Cancellarius ibi necessarius fuit ».

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un poème du XIIIe siècle, désigne le chancelier comme le premier clerc de France134. Robert de Sorbon, dans son De consciencia, le décrit comme un homme d'une telle connaissance que les étudiants étaient terrifiés à l'idée de lui adresser la parole135.

Mais la crainte évoquée par Robert de Sorbon relève tout autant de la fonction même du chancelier qui est celui qui attribue la licentia docendi. Les étudiants étaient alors d'autant plus impressionnés par ce personnage que c'était de lui que dépendait la suite de leur carrière universitaire. Ainsi il faut voir dans les plaintes des maîtres contre le chancelier à propos du paiement de la licence, non pas le soucis d'assurer à leurs étudiants le moins de frais possibles dans l'octroi de celle-ci, mais un moyen pour la formation et le développement de la corporation des maîtres et des étudiants à la fin du XIIe siècle : le conflit était alors institutionnel136. Les oppositions suivantes entre le chancelier comme commissarius du pape dans l'attribution des licences et l'Université permirent de mieux affirmer et clarifier les droits et privilèges de celle-ci et les prérogatives du chancelier.

Les conflits des XIIIe et XIVe siècles furent centrés autour d'une série de controverses dont le droit du chancelier d'accorder la licence d'enseignement, la méthode d'examen des candidats et le rôle des facultés dans cet examen, la rémunération financière du chancelier pour l'attribution de la licence, la question de la direction du conseil de l'Université entre le recteur ou le chancelier, le droit du chancelier d'évaluer la qualité de l'enseignement des maîtres et de leur préparation des candidats à la licence.

L'affrontement du premier quart du XIIIe siècle, en 1212-1213 et 1219, déboucha sur le renforcement de la solidarité des Universitas, c'est-à-dire des facultés parisiennes, et clarifia les conditions d'attribution de la licentia docendi, codifiée brièvement dans les statuts

134 La Bataille des VII Ars of Henri d'Andeli and the Morale Scolarium of John of Garland, in PAETOW, Louis John, Memoirs of the University of California, vol. 4 No. 1 et 2, Berkeley, 1927, P. 44: Vv. 84-86:

Par le conseil au chancelier

Ou ele avoit molt grant fiance

Quar c'ert li mieldres clers de France

(La Bataille des VII ars).

cité in GABRIEL, Astrik L., The conflict between the chancellor and the University of masters and students at Paris during the middle ages, [14] p. 109.

135 « Multi autem bene respondent coram aliquibus simplicibus [magistris], qui male responderent coram Cancellario, perterriti et stupefacti propter magnitudinem sue sapiencie », CHAMBON, F., Robert de Sorbon. De consciencia et De tribus dietis, Paris, 1903, P. 18 chapt. ; cité in GABRIEL, Astrik L., Ibid..

136 VERGER J., Le chancelier et l'université à Paris à la fin du XIIIe siècle, in Les universités françaises au Moyen Age, 1995, [43], Introduction.

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de 1215 de Robert de Courçon, et plus largement dans la bulle Parens Scientiarum de Grégoire IX en 1231.

Les maîtres de la faculté de théologie et de droit canon furent assurés du droit de participer à l'attribution de la licence s'il témoignait de la qualité du candidat. Pour la licence de théologie, l'opinion de la majorité des maîtres sur le candidat semble avoir été rendue obligatoire par le chancelier. Néanmoins toute personne n'ayant pas été licenciée par le chancelier pouvait l'être par l'autorité papale. Cependant, le langage ambigu de la bulle pontificale semble indiquer que le chancelier, d'aussi loin que les théologiens étaient concernés, avait le droit d'octroyer la licence à toute personne de son souhait. Le chancelier bénéficiait d'encore plus de liberté dans l'attribution de la licence aux physiciens. Le coût de l'examen pour les étudiants de la faculté des arts était à la charge de la faculté et sur les six maîtres retenus pour participer à l'examen, trois étaient choisis par le chancelier.

De son côté et malgré quelques tentatives de pression de la part d'un certain nombre de maîtres, le chancelier de Sainte Geneviève, le Cancellarius Superior, ne fut jamais un sérieux rival pour Notre-Dame, Cancellarius Inferior. Le chancelier de Sainte Geneviève accueillait les artistes qui émigraient de la Cité dans son territoire autour de 1219-1222. Le pape Honoré III prévient le chancelier de Notre-Dame de ne pas priver de leur liberté de mouvement ceux des théologiens et des chanoines qui désiraient être promu par le chancelier de Sainte-Geneviève au lieu de prendre la licence inter duos pontes. Cependant, il apparaît que seuls les étudiants de la faculté des arts semblent avoir sollicité la montagne Sainte-Geneviève.

Dans le même ordre d'idée, quelques-unes des attaques et des tirades des chanceliers contre l'Université, comme celle de Philippe le Chancelier, de 1218 à 1236, peuvent être expliquées à travers leur opposition avec la corporation des maîtres et des étudiants. Il affirme dans un de ses sermons que les principes mêmes de l'organisation corporatiste sont mauvais et incompatibles avec une bonne marche des études. Philippe fut sévèrement réprimandé par le pape pour avoir emprisonné et excommunié des étudiants qui ne reconnaissaient pas son autorité137. Cependant, habile politicien, le même Philippe le Chancelier se rangea au côté de

137 CUP, [IV], I, ep. 33, p. 93 : « Honorius III Philippum cancellarium Parisiensem propter gravia quaedam accusatum et ad suam praesentiam constitutum Parisios remittit, quia nullus accusator comparuit » ; CUP, [IV], I, ep. 45, p. 102-104 : « Honorius III archidiaconis Remensi ac Senonensi et mag. Petro de Collemedio ut exsecutoribus scribit, quae pendente lite inter Guillelmum episcopum, Philippum cancellarium et officialem Paris. ex una, et magistros et scholares ex alia parte, observari debeant prohibetque ne episcopus nec aliquis alius ejus nomine in Universitatem sententiam excommunicationis proferre possit. Interim etiam usus sigilli

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l'Université durant la crise de l'exode de 1229-1231, faisant tout ce qui était en son pouvoir pour attirer les étudiants d'Orléans et d'Angers à Paris. De même dans le conflit qui opposa les Séculiers aux Mendiants, au milieu du XIIIe siècle, le chancelier, alors que nombre d'étudiants ou de maîtres étaient des clercs, prit une attitude prudente de non intervention et se soumit à la bulle Quasi Lignum Vitae d'Alexandre IV datant de 1255.

Sur l'ensemble des conflits entre le chancelier et l'Université, un débat important porta sur la question de la préséance entre le chancelier et le recteur. La question était d'importance puisqu'elle posait le problème d'une université bicéphale et de l'autonomie de celle-ci face à l'évêché parisien. Le conflit éclata entre la faculté des arts et le chancelier Philippe de Thory aux alentours de 1280-1284. La dispute autour de la même question de la supériorité fut posée plus violemment de 1282 et 1286 entre Jean Blanchart et l'Université138.

A la fin du XIIIe siècle, l'Université, non seulement comme collège, mais aussi au nom de quatre facultés distinctes accomplit la consolidation de son autonomie vis-à-vis du chancelier. En 1271-1272 la faculté de droit canon réclama le droit d'utiliser son propre sceau, et la faculté de médecine fit de même en 1274 pour valider les documents officiels et attester de la légitimité des licences qu'elles attribuaient.

Malgré une série de décrets et de mises en gardes du pape, comme différents statuts interdisant l'acceptation d'honoraires ou d'émoluments des impétrants à la licence par le chancelier, la coutume d'offrir des cadeaux au chancelier ne pu pas être éradiquée et fut même finalement tolérée, et non pas autorisée comme dans le cas de Pierre le Mangeur.

Durant le conflit de 1290 entre le recteur de l'Université et le chancelier Berthault de Saint Denis, celui-ci fut accusé de vendre toutes sortes de faveurs à des ignorants. Mais durant les cent ans qui suivirent le début de cette dispute, on remarque qu'il n'y eut que très peu d'accusation contre le chancelier à propos de cadeaux qu'il aurait accepté pour la délivrance de licences. En 1384 la pratique du don d'argent ou de cadeaux pour recevoir le signetum ou pour obtenir la licence fut universellement acceptée comme une coutume traditionnelle qui aurait toujours existé. Entre 1350 et 1380 peu de plaintes furent enregistrées contre le chancelier, car l'Université fut occupée par sa résistance au prévôt de Paris, et dans ce cadre,

scholarium suspendatur, nec scholares secundum nationes suas sibi quemquam ad ulciscendas injurias praeficiant. 1222, Maii 32, Alatri. »

138 Sur cette affaire la meilleure étude est celle proposée par BERNSTEIN, A. -E., Pierre d'Ailly and the Blanchard Affair. University and Chancellor of Paris at the Beginning of the Great Schism, Leyde, 1978, [3] que l'on peut completer par VERGER J., Le chancelier et l'université à Paris à la fin du XIIIe siècle, [43].

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le chancelier pouvait se révéler être un allié utile. Les prisons ne furent plus sous la responsabilité du chancelier dès le début du XIIIe siècle, ce qui marquait la fin d'une partie de son pouvoir séculaire face au prévôt de Paris. Celui-ci fit construire deux prisons spéciales pour les membres de l'Université.

Ainsi, durant le XIIIe siècle, les conflits entre les chanceliers et l'Université permirent le développement de l'autonomie de l'Université en clarifiant les droits et les privilèges concernant les deux parties. L'Université conservait un droit de regard sur les jugements du chancelier en matière d'enseignement et pour la préparation des candidats.

Le conflit de 1330-1332 entre la Faculté de médecine et le chancelier Guillaume Bernard de Narbonne fit éclater au grand jour les abus dans les attributions des licences sur recommandation de personnes influentes, comme les rois ou les princes, ne tenant pas compte des formalités d'usage comme la consultation en premier lieu de la faculté dont était issu l'impétrant. La dispute autour de ce « simonisme scolastique » rappela quelques droits oubliés comme celui d'avoir à consulter l'ensemble de la faculté et pas uniquement quelques maîtres.

Aux alentours de la fin du XIVe siècle, les conflits eurent plutôt tendance à refléter des ambitions personnelles de certains chanceliers puisque la réforme des statuts de l'Université de 1366 proposait, notamment, de régler, avec Grimaud Boniface, le problème de la compétence dans la collation de la licence d'enseignement139. Ainsi l'importance de l'opposition de 1384-1386 se focalisait plus particulièrement sur la question de la rémunération pour l'obtention de la licence. Mais même cette contestation entre Jean Blanchart et l'Université, alimentée par une intrigue et des problèmes plus personnels, ne suffit à résoudre ce problème de la gratuité de l'octroi de la licence, qui resta insoluble même après le XVIe siècle140. Pierre d'Ailly, avec ses riches bénéfices, combinées à son érudition scolastique, montra une autorité incontestable dans son office141. Il fut suivi par des chanceliers qui assurèrent une direction forte à l'intérieur de l'Université durant le XIVe siècle. L'office de chancelier fut remarquable du temps de personnages tels que Jean Gerson, de 1395 à 1429, Jean Chuffart, 1433 à 1451, Robert Ciboule, de 1451 à 1458, Jean de Oliva, de 1459 à 1471, et Denis Citharedi, de 1471 à 1482.

139 Cf. supra dans l'étude de Grimaud Boniface et CUP, [IV], III, ep. 1319, p. 143-148.

140 Ibid. Pour une étude plus approfondie de ce problème central de l'octroi de la licence par le chancelier, il est nécessaire d'ouvrir cette étude sur le temps long, c'est-à-dire jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

141 GUENEE, B., Entre l'Eglise et l'Etat, quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Âge (XIIIe - XVe siècles), [21], Op. cit..

142 La dénomination de l'Université de Paris comme fille aînée du roi date des statuts de Jean de Courçon en 1215.

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Si les chanceliers du chapitre de Notre-Dame de Paris ont laissé une empreinte profonde dans la vie intellectuelle de l'Université de Paris au Moyen Age, la liste d'une quarantaine de chanceliers du XIIe au XVe siècle comporte de nombreux noms célèbres, tout à la fois à cause des écrits et traités qu'ils laissèrent que par les fonctions ecclésiastiques qu'ils tinrent ensuite. Ainsi, quatre chanceliers devinrent évêques et quatre cardinaux. Par les textes qu'ils produisirent, ils eurent un rôle important dans la constitution de la pensée philosophique, théologique et juridique de l'Université de Paris. Si les chanceliers montrèrent généralement un manque d'érudition en ce qui concerne la théologie et le droit canon, ils furent cependant dans une excellente position pour défendre, vis-à-vis de la corporation des maîtres et des étudiants leurs propres droits, autorité, et pour provoquer la constitution d'une législation fructueuse concernant l'autonomie et les privilèges de l'Université. A la fin du XIVe siècle, la charge de chancelier était revêtue d'un grand respect et d'un grand prestige à leur charge. Ce n'est pas la fonction qui apportait le prestige au chancelier, mais le chancelier qui donnait autorité à sa charge. Il put réaliser cela en faisant disparaître, voir oublier, les nombreux conflits qui l'opposèrent à l'Université, et en changeant les difficultés en compromis bénéfiques.

Au début du XVe siècle, jusqu'à la prise de Paris par les Bourguignons en 1418, l'Université peut prétendre jouer un rôle de premier plan aussi bien dans la vie de l'Eglise que dans celle du royaume, et par conséquent il en va de même pour ceux qui en ont la charge, les maîtres et le recteur, et celui qui en a la responsabilité, le chancelier. Placée sous l'autorité directe des papes, reconnue et protégée par les rois, établie dans la capitale du royaume de France, l'Université de Paris a une vocation universelle, c'est-à-dire à l'échelle du monde chrétien. Elle approfondie et répand, par sa faculté de théologie, la connaissance de Dieu et elle forme les hommes qui dans l'Eglise ou dans la société médiévale soutiennent et aident tous les autres à faire leur salut. C'est pourquoi, il ne faut pas s'étonner que les maîtres parisiens estiment jouer un rôle de premier plan. Et le chancelier Gerson l'a bien compris lui qui, en 1405, dans le discours pour la réforme du royaume qu'il adresse à Charles VI déclare à propos de la place de l'Université : « Mais tournes s'il vous plaist ung peu les yeulx de vostre consideracion envers la fille du roy [l'Université de Paris]142 et les ostez de moi ; avisez bien son estat et sa composicion, et vous verres tres convenablement luy apartient de fait et de

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parole ce noble cry : vive le roy. Pour quoy ? Regardes la faculte de medecine : elle cure et gouverne la vie corporelle. Regardez philosophie morale, ethiquez, yconomiquez, politiquez, de quoy traictent les ars et le droict et loys, et vous trouverez que par cez deux facultez est gouvernee la vie civile et politique. Theologie, c'est de certain gouverne la vie espirituelle, divine et catholique. [...] L'office de la fille du roy est traictier et enseigner verite et justice [...]. Pensez doncques comme la fille du roy est dicte comme le bel oeil cler mis en ce royaume pour veoir tout ce qu'est a faire, et est comme la guette mise au plus hault de la tour pour regarder que mal ne viengne ; et le sonner [...]143. » Le chancelier Gerson n'oublie personne dans son discours et cite même les quatre facultés qui forment l'Université : médecine, droit, arts et théologie. Cependant, en plaçant en dernier la théologie, il marque l'importance de celle-ci sur toutes les autres, car elle est au sommet de la hiérarchie des sciences.

Gerson n'est plus comme Philippe le Chancelier ou Jean Blanchart un chancelier qui se débat contre l'Université pour en garder le contrôle. Il est un chancelier qui la défend, qui l'accompagne dans ses revendications universaliste et d'interventionniste dans tout ce qui concerne le monde. Et ainsi, il est juste que l'Université dise ce que doit être l'autorité du roi et la bonne manière de gouverner la cité. Ainsi il est normal qu'elle soit le guetteur qui prévient le royaume des dangers qui pourraient le toucher. Ainsi le roi est sage s'il ne néglige pas son conseil. Ainsi l'Université gagne sa légitimité non seulement par son autonomie vis-à-vis de l'Eglise, mais par son action de plus en plus grande dans la politique royale.

Et le chancelier dans tout cela ? N'est-il pas le garant de la qualité de ce qui est enseigné dans l'Université par sa faculté de distribuer la licentia docendi ? N'a-t-il pas un rôle plus éminent à jouer dans la société par ce biais ? Et, justement, ce rôle plus concret est celui que vont tenter de jouer les grands maîtres144 à travers leurs propositions et leurs actions pour le règlement du Grand Schisme et la seconde phase de la guerre de Cent Ans. Il ne leur suffit plus de conseiller, il leur faut prendre parti mais cela se fait au détriment des étudiants qui se trouvent ainsi abandonnés par des maîtres accaparés par des charges qu'ils jugent plus importantes. Le chancelier, se présente comme un repère pour l'Université dans cette période de tourments qui s'ouvre ; Gerson tente d'entraîner l'Université à prendre parti dans le conflit qui oppose Armagnacs et Bourguignons, en faveur des premiers contre le tyrannicide des

143 Vivat Rex, in GERSON, Jean, OEuvres complètes, [IX], éd. Glorieux, P., Vol. VII* : l'oeuvre française - Sermons et discours, n° 398, p. 1144-1145, p. 1145 Paris-Tournai, 1968 ; sur ce discours, voir DACREMONT, Henri, Gerson, [8], Paris, 1929, Ed. Jules Tallandier, p. 7 à 33.

144 A ce titre, Pierre d'Ailly et Jean Gerson sont à la fois des grands maîtres et des chanceliers.

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seconds ; mais le poids du chancelier est bien faible face à la situation même de l'Université. Etant implantée dans la capitale, l'Université devait ainsi en subir les mêmes conséquences et soutenir, malgré elle, les Bourguignons et le chancelier choisir pour un tant l'exil dans une province voisine ; mais tel n'est pas le sujet principal de notre propos. Dans cette affaire, Gerson, en tant que chancelier, s'occupait donc moins de la fonction sociale de l'Université que du rôle de guide du pouvoir qu'elle revendiquait et qu'il entendait jouer, lui le chancelier, de par sa fonction. Mais nous pouvons considérer que ce fut un échec dans la mesure où l'inertie de l'Université, liée à sa situation géographique fut plus forte que la volonté de son chancelier. Après la guerre de Cent Ans, ni l'Université de Paris, ni le chancelier n'ont semble-t-il plus le même prestige qu'ils avaient atteint en cette première moitié du XVe siècle.

Cette évolution de la charge de chancelier de Notre-Dame, que nous avons sommairement rapporté ici, principalement vis-à-vis de l'Université, mériterait d'être analysée dans le détail pour chaque chancelier qui s'est succédé à ce poste. Cette évolution doit également prendre en compte les changements de la fonction chancelière vis-à-vis de l'Eglise145 mais aussi de la société médiévale dans son ensemble. Cependant, compte tenu de l'importance du corpus, c'est un travail de thèse qui permettra de réaliser cette étude.

145 Une étude croisée peut, notamment, être envisagée dans une partie entre le chancelier de Notre-Dame de Paris et celui de la montagne Sainte-Geneviève.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery