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Réflexions sur le concept d'états défaillants en droit international

( Télécharger le fichier original )
par Wenceslas MONZALA
Université de Strasbourg - Master II Droit International Public 2012
  

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Septembre 2012

FACULTE DE DROIT, SCIENCES POLITIQUES ET DE GESTION

REFLEXION SUR LE CONCEPT D'ETATS

DEFAILLANTS EN DROIT

INTERNATIONAL

MEMOIRE EN VUE DE L'OBTENTION DU MASTER 2 EN DROIT
INTERNATIONAL PUBLIC

Sous la direction de Monsieur Alexis VAHLAS

Par

Wenceslas MONZALA

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Dédicace

1

A mes parents, Thierry et Sylvie ZOUMA,
Pour leur indéfectible soutien.

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Remerciements

2

Je tiens à exprimer ma gratitude à Monsieur Alexis VAHLAS pour avoir accepté la direction de mes travaux de recherche et pour m'avoir donné de précieuses orientations que j'espère avoir suivies.

Mon séjour à Strasbourg dans le cadre de ce Master n'aurait pas été possible sans le soutien de ma famille et de mes amis en particulier Wilson et Dalila ZOUMA, Epiphanie, Théophanie et Angy OUILIDANA. Je tiens à les en remercier.

Que l'abbé Benjamin KAFALA soit aussi rassuré de ma gratitude pour son hospitalité et son soutien spirituel.

3

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Liste des sigles et abréviations

AFDI : Annuaire Français de Droit International

AGNU : Assemblée Générale des Nations Unies

AJIL: American Journal of International Law

Ann. CDI : Annuaire de la Commission du Droit International

APD : Aide Publique au Développement

AQMI : Al-Qaïda au Maghreb Islamique

CAD : Comité d'Aide au Développement

CCP : Commission de la Consolidation de la Paix

CDI : Commission du Droit International

CIISE : Commission Internationale sur l'Intervention et la Souveraineté des Etats

CIJ : Cour Internationale de Justice

CJCE : Cour de Justice de la Communauté Européenne

CPJI : Cour Permanente de Justice Internationale

OCDE : Organisation de Coopération et Développement Economiques

ONU : Organisations Nations Unies

OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

PESC : Politique Etrangère de Sécurité Commune

PESD : Politique Européenne de Sécurité et de Défense

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

PUF : Presses Universitaires Françaises

RCADI : Recueil des Cours de l'Académie de Droit International

RGDIP : Revue Générale de Droit International Public

SFDI : Société Française pour le Droit International

UE: Union Européenne

URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques

USAID: United States Agency for International Development

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Sommaire

Introduction générale

1ère Partie : Les enjeux théoriques du concept d'Etats défaillants en droit international

Chapitre 1 : Vers la naissance d'un consensus international autour du concept d'Etats défaillants

Section 1 : La genèse du concept d'Etats défaillants

§1 : L'après seconde guerre mondiale et l'affirmation du principe d'autodétermination des peuples

§2 : Les lendemains du 11 septembre 2001

Section 2 : L'évolution du concept d'Etats défaillants

§1 : Le concept d'Etats défaillants dans l'élaboration de la politique nationale de défense et de sécurité des Etats

§2 : L'approche développementaliste des Etats défaillants

Chapitre 2 : Le régime juridique des Etats défaillants en droit international Section 1 : Un régime juridique statutaire non diversifié

§1 : La capacité d'action internationale de l'État défaillant

§2 : La protection de la qualité d'Etat de l'État défaillant

Section 2 : L'applicabilité du droit international par les Etats défaillants : un régime encore inexistant

§1 : L'État défaillant face à ses obligations internationales

§2 : Les règles régissant la violation des obligations internationales

2ème Partie : L'État défaillant, un concept opératoire en droit international

Chapitre 1 : L'intervention internationale, réponse à la défaillance étatique

Section 1 : L'introduction des pratiques de consolidation de la paix au sein des mandats des opérations de paix de l'ONU

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

§1 : Les fondements substantiels des opérations de consolidation de la paix

§2 : Le cadre juridique de la pratique de la consolidation de la paix Section 2 : Le cadre opérationnel de la reconstruction des Etats défaillants

§1 : Le volet sécuritaire de la reconstruction des Etats défaillants

§2 : Les volets politique, économique et social de la reconstruction des Etats défaillants

Chapitre 2 : L'État défaillant, un concept à dépasser

Section 1 : Comment fragiliser un État sous prétexte de sa défaillance : étude du cas de l'Afghanistan

§1 : L'Afghanistan vu par la Communauté internationale avant les attentats du 11 septembre 2001

§2 : La qualification de l'Afghanistan après l'invasion américaine d'octobre 2001 Section 2 : De la sécurité de l'État à la sécurité de l'individu

§1 : L'approche des Etats défaillants par la sécurité humaine : une approche globale de la sécurité internationale

§2 : La sécurité humaine, extension de la sécurité collective

Conclusion générale Bibliographie

Annexes

Table des matières

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Introduction Générale

«Nous savons tous, plus ou moins implicitement, que l'ordre international à venir devra reposer sur une société qui doute de ses propres structures et, singulièrement, de la première d'entre elles : l'État»1.

Ce jugement de l'ancien Secrétaire général de l'ONU faisait état de la «très grave crise»2 que subit le phénomène étatique en ces débuts du XXIe siècle. Cette crise est pour une grande partie liée au monde dans lequel nous sommes entrés après la chute du communisme3 et pour une part encore plus importante aux transformations subies par la société internationale du fait de l'intensification de la mondialisation, ces transformations provoquant ainsi une réévaluation de la conception traditionnelle de l'État. On pourrait ajouter à ces facteurs, contribuant à la détérioration de la qualité des Etats, celui de la prolifération de territoires soustraits au contrôle d'un gouvernement central, capable d'y imposer l'ordre, en raison de l'augmentation importante des guerres civiles durant la première moitié de la décennie quatre-vingt-dix. L'État serait alors entré dans une phase de dépérissement irréversible. Toutefois, cette thèse apocalyptique concernant la forme d'organisation politique qu'est l'État a été battue en brèche au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001, où était apparue la nécessité d'un État plus fort afin de renforcer la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme international.

La nouvelle configuration de la société internationale impose donc au juriste une réflexion sur l'avenir de l'institution étatique. Déclin, transformation ou réaffirmation ? Ces interrogations sur la légitimité de l'État et ses insuffisances le plongent selon l'expression du Professeur Serge SUR « dans un bain d'acide »4 et demandent de ce fait des réponses aux théoriciens de l'État sur la question de savoir si cette crise est allée jusqu'à atteindre l'essence même de l'institution étatique ou si elle n'est que la résultante d'une situation conjoncturelle momentanée. La littérature juridique sur ce sujet ne se contente pas seulement d'établir un diagnostic de la crise que connaît l'État, en ce début du XXIe siècle, mais propose également des remèdes au mal dont souffre l'institution étatique5. En effet, s'il est indéniable que l'État est en crise aujourd'hui, il n'est pas envisageable de penser que l'ordre international puisse, dans un avenir proche, se passer de la forme d'organisation politique qu'est l'État. C'est ce qu'exprime M. Boutros BOUTROS - GHALI dans son Agenda pour la paix lorsqu'il estime que « la pierre angulaire de l'édifice est et doit demeurer l'État (...) le respect de sa

1 Allocution de M. Boutros BOUTROS - GHALI, Secrétaire général de l'ONU, au cours du congrès des Nations Unies sur le droit international, AFDI 1995, p. 1175.

2 MOUTON J. - D., «Retour sur l'État souverain à l'aube du XXIe siècle», in État, société et pouvoir à l'aube du XXIe siècle : Mélanges en l'honneur du professeur François BORELLA, Presses Universitaires de Nancy, Nancy, 1999, pp. 319 - 334.

3 A/47/277, Agenda pour la paix, Rapport présenté par le Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de Sécurité le 17 Juin 1992, § 17.

4 SUR S., « Sur quelques tribulations de l'État dans la société internationale », RGDIP, 1993, pp. 881 - 889.

5 Voir S.F.D.I., L'État souverain à l'aube du XXIe siècle, Actes du colloque de Nancy, Pedone, 1994, 318p. ; MOUTON J. - D., « Crise et internationalisation de l'État : une place pour l'État multinational ? », in Actes du colloque sur l'État multinational et l'Europe, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1997, pp. 9 - 18 ;

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

souveraineté et de son intégrité constitue les conditions de tout progrès international »6. L'impératif du maintien de l'État en tant que garant de l'ordre international se révèle encore plus manifeste lorsque l'on s'intéresse à la littérature produite par de nombreux auteurs en science politique et en relations internationales. Dans ces champs d'études, la cause de la crise du phénomène étatique est à rechercher en priorité dans ses faiblesses et ses défaillances. Plusieurs concepts y sont souvent développés pour expliquer la crise de l'État. Celui qui nous intéresse dans le cadre de ce mémoire est l'« Etat défaillant ». De l'avis de ses promoteurs7, ce concept veut procéder à une lecture « objective » de la crise de l'État en réinterprétant les attributs traditionnels des Etats. En effet, si l'on peut apprendre de la convention de Montevideo qu'en droit international, un État peut être défini « as a person of international law should possess the following qualifications : a) a permanent population ; b) a defined territory ; c) government and d) capacity to enter into relations with the others states ». Ces quatre éléments constitutifs8 de l'État seraient ainsi donc aujourd'hui en crise devant l'incapacité de certains Etats à assurer l'effectivité de ces attributs. Dans ce cadre, l'analyse des causes de l'implosion de l'État porte donc sur sa qualité à assumer ses attributs fondamentaux autrement dit sur la capacité de réussite des Etats à accomplir cette mission. Dans cette perspective, il peut être distingué selon Gerald Helman et Steven Ratner, d'une part les « Etats réussis » et de l'autre les « failed states » (ou Etats faillis), ces derniers étant tellement désorganisés qu'ils seraient « totalement incapables de se maintenir en tant que membres de la communauté internationale »9. L'attribut essentiel de l'État mis en cause réside ici en sa capacité à « revendiquer avec succès le monopole de la violence légitime » d'après la définition wébérienne de l'État10. En effet, au lendemain de la décolonisation et, de manière générale, à la suite des évènements ayant donné lieu à la naissance de nouveaux Etats, la souveraineté internationale est restée longtemps le seul critère d'admission des Etats, sur la scène internationale. En mettant l'accent sur cet aspect externe de la souveraineté, la doctrine du droit international a semblé perdre de vue que cet aspect externe n'est que le corollaire de la souveraineté interne qui se traduit par une forme d'organisation interne du pouvoir. Comme le constate à juste titre Charles CHAUMONT, « La souveraineté internationale de l'État est intimement liée à la façon dont les gouvernements conçoivent et appliquent l'autorité de la nation, c'est-à-dire à la souveraineté interne »11. Or les difficultés qu'éprouvent ces nouveaux Etats à assurer l'impérieuse mission du maintien de l'ordre à l'intérieur de leurs frontières entraînent un émiettement de leur autorité. L'État se voit ainsi concurrencé dans sa mission de maintien de l'ordre par d'autres acteurs privés tels que les réseaux terroristes, les réseaux de

6 Agenda pour la paix, Rapport présenté par le secrétaire Général des Nations - Unies en 1992.

7 Voir notamment les travaux des auteurs comme Stephen D. KRASNER, Carlos PASCUAL, Chester A. CROCKER, Stewart PATRICK, Robert JACKSON, Robert ROTBERG, Gerard RATNER, etc.

8 Il faudrait préciser que le quatrième critère « capacity to enter into relations with the others states » a fait l'objet de nombreuses interprétations variées, voir mutatis mutandis CRAWFORD J., The creation of states in international law, London, Oxford University Press, 2006, 2nd Edition, p. 74; BROWNLIE I., Principles of public international law, London, Oxford University Press, , 7th Edition, 2008, p. 71 et DUGARD J., International Law, A South African Perspective, Capetown, Juta & Company Ltd Publishers, , 2nd Edition, 2000, p. 74.

9 HELMAN, Gerald B., RATNER, Steven R., « Saving Failed States », Foreign Policy, Winter 1992-1993, p. 3.

10 WEBER M., Le savant et le politique, UGE 1979, 1ère édition, 1919.

11 CHAUMONT C., « Recherche du contenu irréductible du concept de souveraineté internationale de l'État », in Hommages d'une génération de juristes au Président BASDEVANT, Paris, A. Pedone, , 1960, p. 151.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

trafic de drogue. Cette lutte interne constitue non seulement une remise en cause de l'effectivité de l'État lui-même mais contribue aussi à l'effritement du standard étatique sur la scène internationale. L'État ne représenterait plus un gage de stabilité de la société internationale comme ce fut le cas depuis le XVIIe siècle, après la paix de Westphalie12.

D'après cette grille de lecture, la menace contre la stabilité de la société internationale ne provient plus désormais des Etats dits « forts » mais au contraire des Etats « défaillants », « faibles ». C'est donc pour apprécier la véracité de cette thèse, sous-tendue par la concept d'Etats défaillants que nous avons jugé utile de quelques réflexions sur ce concept en droit international mais particulièrement dans le champ du droit international du maintien de la paix. Ces réflexions sont d'autant plus d'actualité car depuis les attentats du 11 septembre, le concept d'Etats défaillants s'est imposé dans le discours sécuritaire en tant que concept analytique des nouvelles menaces pour la sécurité internationale. Toutefois, l'apparition de ce concept, dans les milieux politique et universitaire, remonte à la fin des années 1970 lorsque plusieurs auteurs s'interrogeaient sur la capacité des nouveaux Etats fraîchement décolonisés à se gouverner13. Pourtant c'est au début des années 1990 que naitra une théorisation un peu plus approfondie de ce concept face au risque d'effondrement de certains pays en développement comme la Somalie, le Libéria et le Congo14. On attribue volontiers à G. HELMAN et S. RATNER la paternité de ce concept que ces derniers ont utilisé dans sa version anglaise pour la première fois dans un article : « Saving failed States »15 paru dans la revue Foreign Policy en 1992. Dans cet article, les deux diplomates américains constataient qu' « Un phénomène nouveau et inquiétant est en train d'émerger : l'État - nation manqué [failed nation - state], totalement incapable de se maintenir en tant que membre de la communauté internationale [...] »16. HELMAN et RATNER procèdaient ensuite à une triple catégorisation de ces failed nation - state : les failed states à proprement parler (à l'exemple de la Bosnie, du Cambodge, du Libéria, de la Somalie) dont les structures gouvernementales sont complètement dépassées par les troubles militaro-politiques ; les failing states (comme l'Ethiopie, la Géorgie, le Zaïre17), Etats dont l'effondrement n'est pas imminent mais pourrait se produire dans un avenir proche ; enfin les Etats nouvellement indépendants (l'Ex - Yougoslavie, les Ex - Républiques Socialistes Soviétiques) dont la viabilité reste difficile à évaluer.

12 BLIN A., 1648, la paix de Westphalie ou la naissance de l'Europe politique moderne, Paris, Eds. Complexe, , Vol. 1, 2006, p. 213.

13 Voir R. L., Rothstein, and Columbia University. Institute of War and Peace Studies. The Weak in the World of the Strong: The Developing Countries in the International System. New York, Guildford, Columbia University Press, 1977 ; M.R. Singer, Weak States in a World of Powers: The Dynamics of International Relationships, New York, Londres, Free Press, 1972.

14 Voir notamment les travaux de M. Ayoob, «State-Making, State-Breaking and State Failure: Explaining the Roots of `Third World Insecurity'», in Van de Goor, L., Rupesinghe, K. et Sciarone, P., Between Development and Destruction. An Enquiry into the Causes of Conflict in Post-Colonial States, London, MacMillan, 1996, pp. 67-90 ; A. Mazrui, «The Blood of Experience: The Failed State and Political Collapse in Africa», World Policy Journal, n°12, 1995, p. 28-34.

15 Op. cit. 2.

16 HELMAN, Gerald B., RATNER, Steven R ., op. cit. p. 3. « A disturbing new phenomenon is emerging : the failed nation-state, utterly incapable of sustaining itself as a member of the international community. Civil strife, government breakdown and economic privation are creating more and more modern debellatios [...] ».

17 L'actuelle République Démocratique du Congo.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

A ce niveau, une précision sémantique s'impose : il serait indispensable de délimiter les contours de ce concept afin d'en dégager une définition susceptible de permettre une meilleure compréhension de son contenu.

D'entrée de jeu, il faudrait observer que le concept d'Etats défaillants n'aura pas dans le cadre de cette étude, la signification qui lui est souvent attribuée en droit international économique, à savoir, une notion permettant de désigner des pays qui du fait de la dégradation de leur situation financière, ne sont pas capables d'assurer à eux seuls leurs dépenses d souveraineté ou de rembourser leur dette extérieure, à telle enseigne que ces Etats pourraient être déclarés en faillite si les institutions financières internationales les traitaient comme des entreprises18. Ces Etats défaillants sont souvent désignés par l'expression « Etats fragiles », expression développée par les organisations de développement dont l'action est dictée par des objectifs plus politiques et économiques que juridiques.

Ensuite, l'État défaillant ne désigne pas non plus, dans cette étude, les Etats faibles (weak ou soft states). L'expression Soft State avait été utilisée dès les années 1960 par Gunnar Myrdal19 pour caractériser les entités décolonisées. Il s'agit de ces Etats, qui en atteignant un certain degré de violence et d'anarchie, mettent en danger leurs propres populations et menacent la sécurité des Etats frontaliers20. Sont souvent catalogués comme tels les Etats africains dont le décollage économique, au lendemain des indépendances, est entravé par le sous-développement.

Enfin, la notion d'Etats défaillants doit être distinguée de celle d'Etats voyous (rogue states) par laquelle l'administration américaine désigne des Etats dotés de régimes dictatoriaux qui se mettent à l'écart du système international à travers la violation des traités internationaux, l'ignorance du droit humanitaire, l'exercice d'une dictature policière, etc. Mais cette notion part aussi du constat selon lequel l'impuissance d'un État à maintenir sous son contrôle son territoire et sa population favorise l'apparition de micro - pouvoirs de type mafieux tenant sous leur joug des secteurs entiers de l'économie et des régions. Le phénomène des « narco-Etats » est particulièrement révélateur de cette dérive ; le trafic illicite de stupéfiants nourrissant des micro-pouvoirs qui entament les compétences fonctionnelles de l'autorité étatique comme ce fût le cas de l'Afghanistan, premier producteur d'opium au monde21.

Il s'ensuit que l'État défaillant ne désigne pas, de prime abord, l'État faible, l'État effondré (concept paraissant très extrême dans la description de la crise de l'État et qui n'a aucune portée juridique) ou l'État voyou même s'il est vrai qu'en général les Etats défaillants se recrutent parmi les Etats faibles et que ces derniers peuvent à leur tour basculer dans la délinquance de même que, à l'inverse, les mesures prises contre un État voyou peuvent précipiter sa défaillance. L'État défaillant désignerait alors une situation empirique plus

18 CAHIN Gérard, « L'Etat défaillant en droit international : quel régime pour quelle notion ? » in Droit du pouvoir, pouvoir du droit, Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 178.

19 Gunnar Myrdal, Le Défi du monde pauvre, Paris, Gallimard, 1971, p. 209

20 HELMAN et RATNER, op. cit., p. 4.

21 Rapport de l'Office des Nations Unies pour Contre la Drogue et le Crime, 31 Mars 2010, disponible sur http://www.unodc.org/documents/crop-monitoring/Afghanistan/Afghanistan Cannabis Survey 2009.pdf

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

complexe de la déliquescence étatique. L'État défaillant serait donc un concept extensif qui peut s'appliquer à n'importe quel État en situation de crise interne (devant l'échec de l'appareil étatique à maintenir l'ordre à l'intérieur de ses frontières et à honorer ses responsabilités régaliennes) mais aussi internationale (face à son incapacité à tenir son rang de membre de la communauté internationale). Le concept d'Etats défaillants, à la différence des autres terminologies, paraît moins définitif et reflète une approche dynamique de la description de la crise de l'État. De ce fait, la crise de l'État, mise en exergue par le concept d'Etats défaillants, est non seulement relative à la forme de l'État mais aussi à son rôle. En résumé, l'évaluation de la défaillance étatique peut s'opérer sous trois angles différents : la sécurité (interne et externe), le bien - être22 (économique, social et environnemental) et la légitimité et l'État de droit (le respect des libertés politiques, des Droits de l'Homme, la bonne gouvernance, etc.)23. La défaillance étatique est donc appréciée à partir des performances et de la capacité des Etats à fournir des biens publics à leur population, à maintenir l'ordre et à assurer la sécurité sur leur territoire. Cette approche dynamique est mise en lumière par William Zartman qui considère la défaillance étatique comme une « longue maladie dégénérative »24. Par conséquent, le processus de défaillance étatique comporte toujours plusieurs degrés d'intensité qui peuvent se traduire aussi par différents niveaux d'attente aux éléments constitutifs de l'État. Il commence par un simple affaiblissement de l'État à la suite d'une contestation interne qui entraîne une crise de légitimité et d'effectivité de l'autorité gouvernementale telle qu'elle ne dispose plus d'un appareil suffisant pour assurer le maintien de l'ordre (Angola, Mozambique, Albanie). Il peut ensuite se traduire par une désintégration politique qui va jusqu'à une véritable vacance du pouvoir en raison de la disparition momentanée de l'autorité exécutive (Libéria, Sierra Leone). Enfin, ce processus peut se manifester à travers un démantèlement de l'État mais sans recomposition politique (Somalie)25. A divers degrés, la défaillance étatique affecte donc non seulement l'organisation politique mais également la population des Etats de façon à fragiliser in fine la substance même de l'État.

Face à cet état des choses, la société internationale n'a pas fait montre d'indifférence dans ses actions de prévention de la défaillance étatique et surtout de consolidation et de reconstruction de l'État au terme d'un processus de défaillance. L'attention de cette société internationale s'est cependant plus focalisée sur l'aspect sécuritaire de la défaillance étatique. La sécurité reste l'élément le plus fondamental dans la mesure où elle constitue une condition sine qua non de l'effectivité de tous les attributs juridiques de l'État. Cela explique donc la mobilisation de la société internationale autour de la problématique de la défaillance étatique afin d'éviter l'effet de spill-over susceptible de mettre en péril la gouvernance mondiale dans sa mission du maintien de la paix et de la sécurité internationale.

22 «Nation-states fail when they [...] cease delivering positive political goods to their inhabitants», Robert I. Rotberg, When States Fail: Causes and Consequences, Princeton, Princeton University Press, 2004, p. 1

23 FUKUYAMA F., State Bulding : Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle, Paris, La Table ROnde, 2005, p. 28.

24 Ibid., p. 5

25 MOUTON J. - D., op. cit., pp. 320 - 321 ; Voir aussi Les conflits armés liés à la désintégration des structures de l'État, Document préparatoire du Comité International de la Croix Rouge pour une Iere réunion périodique sur le droit international humanitaire, Genève, 19 - 23 Janvier 1998, disponible sur http://www.cicr.org/fre/resources/documents/misc/5fzfn9.htm (02 Juillet 2012).

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Toutes ces considérations vont donc nous conduire, à travers cette étude, à réfléchir sur le rôle du concept d'Etats défaillants en droit international. S'il est vrai que le concept d'Etats défaillants appartient au monde des idées, il serait en revanche totalement erroné de nier la dimension matérielle de cette création spirituelle. De ce fait, il serait alors intéressant d'étudier dans quelle mesure ce concept a pu servir dans l'analyse des causes de la crise de l'institution étatique et dans la recherche des solutions à cette dernière ; même si la formulation de ce concept n'est pas neutre idéologiquement et peut, dans un contexte opératoire, faire l'objet d'instrumentalisation politique de la part des Etats « forts »26.

L'angle d'analyse adopté dans cette étude se veut transversal car on passera en revue, non seulement, les réponses politiques préventives ou réactives de la société internationale à la défaillance étatique mais il devra également permettre d'entamer, sinon de poursuivre, un effort de réflexion approfondie sur le devenir de l'État comme base de l'architecture de la société internationale. De ce fait, la présente recherche devra apporter des éléments de réponse cette question fondamentale de savoir si l'attribution de l'épithète « défaillant » aux Etats en situation de crise institutionnelle peut justifier l'application d'un régime juridique ou de politiques spécifiques à ces Etats ?

Ainsi, pour atteindre les objectifs de cette étude, à savoir l'appréciation du rôle du concept d'Etats défaillants en droit international, il nous est apparu judicieux de partir d'abord des considérations théoriques qui sous-tendent le concept d'Etats défaillants. Ce qui nous amènera dans un premier temps à analyser les enjeux théoriques du concept (PREMIERE PARTIE) à travers l'étude de son origine, son évolution et sa signification. Ce sera aussi l'occasion d'engager une réflexion sur la portée de ce concept en droit international. Cette réflexion nous conduira à démontrer si la notion d'Etats défaillants est simplement une formule ou si elle peut entraîner des conséquences juridiques dans la perception de ce type d'État et notamment si elle peut autoriser la consécration d'un régime juridique qui lui est spécifique en droit international. Ce dernier aspect devra ensuite nous permettre, dans un second temps, de démontrer le caractère opératoire du concept en droit international (SECONDE PARTIE). L'étude de l'impact de ce concept dans la pensée et la pratique du droit international devra contribuer à mettre en exergue son versant opérationnel dans le développement des réponses communes susceptibles de remédier à la défaillance des Etats de manière pratique mais également sur le plan théorique à repenser en profondeur l'institution étatique pour faire face aux tribulations qu'elle traverse aujourd'hui.

26 Voir CHAPAUX V., Dominer par les idées: étude de la notion de failed states, Thèse présentée en vue de l'obtention du grade de docteur en sciences politiques et sociales, Université Libre de Bruxelles, Année 2010 - 2011.

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Première partie : Les enjeux théoriques du concept d'Etats défaillants en droit

international

Bien qu'étant une construction de l'esprit, le concept d'Etats peut induire des conséquences juridiques, du moins sur le plan théorique, dans la conception de l'État et de son régime juridique. D'emblée, il importe de rappeler ce qu'est, de façon théorique, un concept de manière à bien préciser le sens des développements qui vont suivre. En effet, nous pouvons apprendre du dictionnaire de langue française Le Petit Robert que le terme concept, dérivé de l'expression latine conceptus, elle-même provenant du verbe concipere signifiant « recevoir », désigne en philosophie « une représentation générale et abstraite d'un objet »27. Indéniablement, un concept appartient au monde des idées. Toutefois, le concept peut être utilisé pour décrire une réalité matérielle et surtout impacter la perception de cette réalité. A ce titre, le concept pourra être associé à un jugement, une opinion de nature essentiellement subjective. Le concept d'États défaillants n'échappe pas à cette logique car sa définition et son utilisation peuvent être teintées de diverses colorations idéologiques en fonction des acteurs de la société internationale qui ont recours à ce concept. Il se pose alors des difficultés dans la précision du contenu de ce concept. L'élasticité et la relativité de la définition de l'État défaillant posent ainsi des difficultés dans leur appréhension par le droit international.

Pour présenter les enjeux théoriques de ce concept qui se cristallisent davantage par la difficulté de la détermination du régime juridique applicable aux Etats défaillants en droit international (Chapitre 2), on pourra remarquer qu'au-delà de la difficulté à dégager une conception unifiée des Etats défaillants, la société internationale, au travers d'importants évènements historiques ayant marqué son fondement, a pu au fil des années créer un consensus autour de la réalité matérielle que le concept d'Etats défaillants prétend décrire (Chapitre 1).

12

27 Dictionnaire Le Petit Robert, 2012.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Chapitre 1 : Vers la naissance d'un consensus international autour du concept

d'Etats défaillants

A l'aube du XXIe siècle, une question, qui n'a rien d'une classique polémique doctrinale hante les esprits : l'État serait-il devenu incapable de tenir les promesses qui ont présidé à sa naissance ? L'État moderne qui avait matérialisé les espoirs de paix, de justice, de libertés est devenu assez rapidement la préoccupation centrale des théoriciens du droit quant à sa capacité à demeurer, selon les termes de l'ancien secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros BOUTROS-GHALI, « la pierre angulaire »28 de l'architecture de la société internationale. Cette inquiétude autour de l'institution étatique résulte de ce que Pascal Boniface appelait en 1999 « la prolifération étatique »29. Il s'agit du phénomène de multiplication sans cesse croissante du nombre d'Etats depuis l'après guerre-froide. La chute du bloc communiste, la décolonisation en Afrique Noire auxquelles, on pourrait ajouter la tendance à la remise en cause des frontières étatiques ne font qu'accroître la « balkanisation » du monde. Ce n'est pas tant l'augmentation du nombre d'Etats qui constitue une menace pour l'effectivité de ce mode d'organisation politique, car elle peut aussi témoigner de la force d'attraction du modèle étatique, mais c'est beaucoup plus la capacité de ces Etats à assumer effectivement leur souveraineté tant interne qu'internationale.

C'est donc dans ce phénomène de fragmentation de l'espace étatique mondial30 qu'il faudrait rechercher la genèse du concept d'Etats défaillants (Section 1). Les milieux politiques et universitaires s'accordent au moins sur le fait que les Etats, issus de ce phénomène de fragmentation de l'espace étatique mondial, intègrent la société internationale avec de lourds handicaps qui font d'eux, aujourd'hui, des Etats défaillants pour la grande majorité d'entre eux. Ce postulat se confirmera plus tard avec la résurgence d'autres types de menaces pour la société internationale dont les Etats défaillants seront accusés, à tort ou à raison, d'être la cause. La prise en compte de ces menaces par la société internationale fera aussi évoluer sa perception des Etats défaillants. L'étude des politiques de sécurité et de défense de quelques Etats occidentaux permettra de saisir la signification concrète de ce concept d'Etats défaillants (Section 2).

28 Agenda pour la Paix, op. cit., p. 3.

29 BONIFACE P., « Danger ! Prolifération étatique », Le Monde Diplomatique, Janvier 1999.

30 ROSIERE S., « La fragmentation de l'espace étatique mondial. », L'Espace Politique, 11 | 2010 - 2, mis en ligne le 16 Novembre 2010, disponible sur le http://espacepolitique.revues.org/index1608.html (Consulté le 03 Juillet 2012).

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Section 1 : La genèse du concept d'Etats défaillants

Suivant l'évolution chronologique du droit international, l'émergence du concept d'Etats défaillants peut être rattachée à deux évènements historiques d'importance dans la configuration de la société internationale après la seconde Guerre Mondiale. Il s'agit en premier lieu de l'affirmation du principe d'auto-détermination des peuples (Paragraphe 1). En effet, après la seconde guerre mondiale, la consécration par l'ONU du principe de l'égalité des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, va amplifier le mouvement d'émancipation des Etats déjà amorcé quelques années plus tôt par le phénomène de la décolonisation. Quelques années plus tard, ce principe recevra aussi application en Europe centrale et orientale en entraînant la chute du bloc communiste et, avec lui un lot de préoccupations quant à l'avenir de l'institution étatique. Ces évènements et ses conséquences sur la structure de la société internationale constituent déjà, au lendemain de la seconde guerre mondiale et dans le contexte post guerre froide, le laboratoire idéal du foisonnement du concept d'Etats défaillants.

En second lieu et historiquement beaucoup plus proche de nous, les attentats du 11 Septembre vont constituer un tournant décisif dans l'évolution du concept d'Etats défaillants. Il s'agissait de la manifestation d'une évolution sans doute paroxystique de ce crime international, le terrorisme, qui n'a cessé d'ébranler la quiétude et la stabilité du monde depuis ces dernières années. La filiation entre le terrorisme international et l'augmentation du nombre d'Etats défaillants dans le monde est quasi-automatiquement établie. En constituant les bastions du terrorisme international, les Etats défaillants deviennent eux-mêmes la menace principale pour la paix et la sécurité internationales au lendemain des attentats du 11 Septembre 200131 (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'après seconde guerre mondiale et l'affirmation du principe

d'autodétermination des peuples

Afin de mieux établir la corrélation existant entre la consécration du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'émergence du concept d'Etats défaillants dans la doctrine du droit international, il faudrait au préalable préciser la signification de ce principe même et l'historique de sa codification. En effet, le processus de codification du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » ou encore le « principe de l'autodétermination des peuples » remonte aux Révolutions américaine et française qui vont consacrer de façon assez embryonnaire ce droit. La formulation de l'article 2832 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 23 Juin 1793, en consacrant le droit de chaque peuple de revoir, de

31 Voir par exemple la National Security Strategy of the United States of America de 2002, étudiée plus loin.

32 Cette disposition se lit comme suit : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

réformer ou de changer sa constitution, laisse dès lors présager la future consécration du principe d'autodétermination des peuples. Plus tard, après la première guerre mondiale, le président américain Woodrow Wilson, dans ses « quatorze points » va formellement mettre en lumière le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un principe désormais fondamental en droit international car il sera repris par la Charte des Nations Unies parmi les « buts des Nations Unies »33 et aussi par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques34. Cette consécration va également être confirmée par deux Résolutions de grande portée à savoir la Résolution 151435 adoptée par l'Assemblée Générale le 15 Décembre 1960 et la Résolution 262536 adoptée par la même assemblée le 24 Octobre 1970. Toutefois, ni la Charte, ni les différentes résolutions sus-mentionnées ne précisent le contenu du droit à l'autodétermination ni d'ailleurs sa nature juridique. A ce sujet, Jean François Guilhaudis propose une lecture du droit des peuples à l'autodétermination selon une double approche classique et moderne37. Sous son aspect classique, le droit des peuples à l'autodétermination renferme, selon, J.-F. Guilhaudis, le droit pour une population de ne pas être échangée ou cédée contre sa volonté et le droit des peuples sur le plan interne et constitutionnel de choisir leur régime politique et, , dans sa version moderne, le droit des peuples déjà constitués en État de disposer d'eux-mêmes38. Toutes ces options, dans l'interprétation du principe d'autodétermination des peuples, ne concourent qu'à la complexification de son application ; or, il s'agit là d'un principe qui sera à la base du droit international après la seconde guerre mondiale. Ainsi, à la suite de J.-F. Guilhaudis, nous pouvons dégager quatre interprétations possibles du principe d'autodétermination des peuples : le droit des peuples à choisir leur forme de gouvernement, le droit des peuples à être consultés sur toute cession territoriale, le droit des peuples à être protégés contre toute intervention extérieure et le droit des peuples à se libérer d'une domination qui les opprime.

Il s'ensuit que le principe d'autodétermination peut recouvrer à la fois une dimension « externe », sans doute celle qui a donné lieu à la décolonisation (A), et une dimension « interne », celle qui sera à l'origine de la dislocation de plusieurs entités fédérées en Europe de l'Est ; laquelle dislocation a entraîné ce qui a été appelé la décommunisation (B). La décolonisation et la décommunisation ont constitué de ce fait l'un des plus grands mouvements de successions d'Etats après la décolonisation de l'Amérique latine au début du XIXe siècle et le démantèlement des empires turc et austro-hongrois à la fin de la première

33 Art. 1. 2 de la Charte des Nations Unies qui se lit comme suit : « [...] Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux - mêmes [...] ».

34 Article 1. 1 du Pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 qui se lit comme suit : « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux - memes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

35 AGNU/Rés. 1541 (XV), Sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, 14 Décembre 1960.

36 AGNU/Rés. 2625 (XXV), Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, 24 Octobre 1970.

37 GUILHAUDIS J. - F., Le droit des peuples à disposer d'eux - mêmes, Presses Universitaires de Grenoble, 1976, pp. 168.

38 Id., p. 17

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guerre mondiale. Les tentatives de codification de la pratique de successions d'Etats39 n'ont pas pu empêcher le bouleversement de la configuration de l'espace étatique mondial en raison du contexte et de l'importance de ces deux évènements. Mais, si de l'avis du professeur Serge SUR40, les nouveaux Etats issus de la décolonisation et de la décommunisation témoignent de la vitalité de l'institution étatique, un tel optimisme doit être tempéré au regard des difficultés que vont rencontrer ces Etats dans l'affirmation de leur légitimité et dans la création d'un véritable État de droit, selon les standards admis jusque là par la société internationale.

A. Le contexte de la décolonisation

En dépit de nombreuses controverses sur le fondement juridique du droit à la décolonisation41, cette dernière a toujours été considérée comme la mise en oeuvre par excellence du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La décolonisation va ainsi générer la création de nouveaux Etats, majoritairement sur le continent africain, qui constituera d'ailleurs, dans les développements ultérieurs, le cadre matériel de l'étude de l'émergence des premiers Etats défaillants. A ce titre, l'Assemblée Générale des Nations Unies (ci après AGNU), dans sa volonté décolonisatrice va considérer que « [...] les questions de superficie, d'isolement géographique et de ressources limitées ne doivent retarder en aucune façon l'application à ces territoires de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux »42. De ce fait, aucune appréciation n'a été portée sur l'aptitude de ces Etats indépendants à assumer l'exercice des fonctions qui découlent de leur nouveau statut d'Etats indépendants. Cette question ne se posait d'ailleurs pas puisqu'elle était en opposition directe avec le principe même de l'autodétermination des peuples et la raison d'être de la décolonisation43. Dans le contexte africain qui nous intéresse, ces nouveaux Etats vont très vite être confrontés à des difficultés économiques et politiques croissantes déclenchant ainsi l'irréversible processus de leur défaillance. Plusieurs auteurs vont, dès le lendemain des indépendances et précisément dans les années 1970, s'interroger sur la nature de ces nouvelles entités étatiques qui n'ont d'Etats que le nom44. A ce titre, Robert Jackson d'une manière

39 Sur la codification de la succession d'Etats, Voir la A/CONF. 80/31, Nations Unies, Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de traités du 23 Août 1978 ; et A/CONF. 117/14, Nations Unies, Convention de Vienne sur la succession d'Etats en matière de biens, archives et dettes d'État du 7 Avril 1983.

40 SUR S., op. cit. p. 2

41 CHARPENTIER J., « Autodétermination et décolonisation » in Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : méthodes d'analyse du droit international : Mélanges offerts à Charles CHAUMONT, Paris, A. Pedone, 1984, pp. 117 - 133.

42 AGNU/Rés. 2592 (XXIV), § 4.

43 HELMAN et RATNER, op. cit., p. 3

44 ROTHSTEIN R. L., op. cit., p. 3

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

assez provocatrice les qualifie de « quasi states »45 (ou quasi-Etats). Il considère en effet que «The state in Africa is . . . more a personal- or primordial-favouring political arrangement than a public-regarding realm. Government is less an agency to provide political goods such as law, order, security, justice, or welfare and more a fountain of privilege, wealth and power for a small elite who control it [. . .] Many governments are incapable of enforcing their writ throughout their territory. In more than a few countries . . . some regions have escape from national control [. . .] and the states are fairly loose patchworks of plural allegiances and identities some what reminiscent of medieval Europe»46. L'ex-Zaïre, devenu la République démocratique du Congo, constitue une parfaite illustration de la manière dont l'institution étatique, héritée de la période coloniale, s'est rapidement effondrée après l'indépendance du pays.

Depuis son indépendance le 30 Juin 1960, concédée dans la précipitation par la Belgique, le Congo-Kinshasa a connu une instabilité politique presque chronique. La mise en place d'un pouvoir étatique stable a aussitôt échoué car, dès Juillet et Août 1960, auront lieu les sécessions du Katanga et du Sud Kasaï. S'ensuivra ensuite une série de crises politiques et militaires qui vont matérialiser le processus de défaillance d'un pouvoir étatique déjà inexistant dans ce nouvel État indépendant. Sur le plan économique, le pays, comme beaucoup d'autres pays africains dans cette période, ne vivait qu'aux dépens des aides et dons des organismes financiers internationaux, d'anciens pays colonisateurs ainsi que du soutien des Etats-Unis et de l'URSS pendant la guerre froide. Au regard de ces éléments, le principal attribut de l'État, la souveraineté, n'aura été pour de nombreux Etats africains nouvellement indépendants qu'une fiction47.

Partant de ce constat, Robert Jackson évoque l'idée d'une « souveraineté négative » qui caractérise ces Etats et qui se traduit par leur incapacité à faire valoir les prérogatives inhérentes à une pleine souveraineté. Cette phase de souveraineté négative marque le début de la défaillance étatique car, à ce stade du processus, le pouvoir n'a pas encore complètement disparu mais il commence à se reconstituer autour d'autres organisations politiques telles que les mouvements sécessionnistes, les seigneurs de guerre (ou « warlords »)48 ou du crime organisé49. Le cas de la Somalie, considérée comme le cas d'école des Etats défaillants voire

45 JACKSON R.H., op. cit., p. 9

46 Id. p. 10

47 HERBST J., «Responding to state failure in Africa», International Security, Vol. 21, n°3, Hiver 1996 - 1997, p. 122

48 Sur cette question, Voir RENO W., Warlord Politics and african states, London, Lynne Rienner Publishers, 1998, p. 269

49 Sur la description du processus de défaillance étatique, voir BATT J. et LYNCH D., « What is a failing state, and when is it a security threat?», Working Paper (Institut d'Etudes de Sécurité de l'Union Européenne), 8 Novembre 2004, p. 2 disponible sur le http://www.iss.europa.eu/uploads/media/analy099_01.pdf (Consulté le 04 Juillet 2012)

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« faillis »50, illustre fort bien ces propos. Dans les années 1990, la Somalie ainsi que le Libéria, mais également hors d'Afrique Haïti et la Yougoslavie, vont constituer une deuxième génération d'Etats défaillants et justifier l'approfondissement du concept d'Etats défaillants, en particulier à partir de la guerre civile en Somalie. Ancienne colonie britannique, le Somaliland accède à l'indépendance le 26 Juin 1960 et fusionne avec l'ancienne colonie italienne quand celle-ci devient à son tour indépendante le 1er Juillet 1960 pour créer la Somalie51. La guerre civile débutera en 1979 après l'accession au pouvoir du président Siad Barré et sa volonté d'éliminer toute forme de clanisme dans le pays. A partir des années 1980, de nombreux groupes rebelles émergent et les jours du président Siad Barré, qui recherche le soutien des Etats-Unis, sont désormais comptés. Chaque clan constitue son front de libération face aux exactions commises par le régime et ses dérives criminelles et mafieuses. Au début des années 1990, la Somalie est totalement déstructurée par les combats qui se sont étendus sur l'ensemble de son territoire. Le 27 Janvier 1991, le président Siad Barré est renversé par le général Mohamed Farah Aïdid qui le contraint à l'exil. La chute de l'ancien dictateur ne met pas un terme aux hostilités. Les différents clans somaliens se livrent, depuis cette période, à une lutte acharnée pour contrôler le pays52.

Nous pouvons tirer deux principaux enseignements de l'effondrement de l'État somalien. Le premier enseignement est parfaitement mis en lumière par cette métaphore de W. Zartman lorsqu'il considère que la défaillance étatique est « [...] a long - term degenerative disease »53. En réalité, la défaillance étatique se traduit, à l'instar des cas somaliens et congolais cités plus haut, par une incapacité pour l'entité étatique dans l'exercice de l'autorité souveraine, dans l'organisation dans la prise de décision et dans le monopole de la sécurité. Étant donné que ces trois fonctions sont souvent enchevêtrées, la défaillance étatique se matérialise, dans la pratique, par une perte progressive des attributs traditionnels de l'État. Ensuite, l'absence de véritables nations, base de toute construction étatique, peut aussi expliquer la défaillance des Etats issus de la décolonisation. Tel est le second enseignement qu'on peut tirer de l'étude de ces deux Etats défaillants. On peut retenir, en effet, de l'expérience européenne que toute construction étatique viable doit reposer sur un « vouloir vivre ensemble » des différentes composantes de sa population. Dans le cas des Etats africains, l'agrégation de plusieurs ethnies, quasiment tenues à accepter, de facto, de vivre dans un même cadre territorial, présageait un échec certain de ces Etats. Ces derniers acquièrent le statut d'Etats avec un lourd handicap, celui du découpage artificiel de leurs frontières issues de la colonisation ; un handicap qui a compromis les efforts de construction de véritables nations en Afrique. Les Etats africains issus de la décolonisation ont échoué dans la préservation de l'unité de leur base humaine. Cet échec est aussi celui de l'État car, comme l'exprime assez bien ADHEMAR ESMEIN, « l'État est la personnification juridique de la

50 VERON J. - B., « La Somalie : cas d'école des Etats dits « faillis » », Politique étrangère, 2011/1 Printemps, pp. 45 - 47.

51 Sur l'historique de la construction de l'État somalien voir MARCHAL R., « Le Somaliland : entre construction et reconstruction de l'État », Afrique contemporaine, n° 199, Juillet - Septembre 2001, pp. 192 - 204.

52 Voir BALENCIE J. - M. et A. De LAGRANGE, Les nouveaux mondes rebelles : conflits, terrorisme et contestations, Paris, Editions Michalon, 2005, p. 503

53 ZARTMAN W., op. cit., p. 8

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

nation »54. Cet impératif de l'existence d'une nation a été également retenu par le conseil constitutionnel français qui, dans sa décision sur le statut de la Corse, a rappelé que l'unicité du peuple français faisait obstacle à toute reconnaissance en son sein d'une quelconque composante55.

Il ressort que dans l'ensemble, l'application du principe d'autodétermination des peuples, dans le contexte de la décolonisation, n'a pas été encadrée juridiquement. La décolonisation a donné lieu à la réussite d'une théorie - celle de l'État - qui va s'appliquer sans la prise en compte des réalités historiques, socio-culturelles des entités nouvelles indépendantes. Ce décalage entre la technique juridique et la difficile réalité de l'effectivité de l'État n'a contribué qu'à la création d'Etats défaillants condamnés dès le départ à l'échec. C'est dans ce contexte qu'on peut expliquer l'émergence du concept d'Etats défaillants mis en oeuvre sous différents vocables au lendemain des indépendances pour expliquer les difficultés des nouveaux membres de la société internationale. Après la décolonisation, la décommunisation, cas d'application « interne » du principe d'autodétermination des peuples, verra aussi l'expansion du concept d'Etats défaillants.

B. La décommunisation

La décommunisation renvoie traditionnellement à l'effondrement des régimes communistes d'Europe de l'Est à la fin du XXe siècle. Dans la suite de l'étude du principe d'autodétermination des peuples, la décommunisation s'apparente à une application « interne » de ce droit et se traduit par une dissolution d'Etats déjà constitués. La dissolution d'Etats consiste en l'éclatement d'un État préexistant en deux ou plusieurs Etats nouveaux, dont aucun ne peut prétendre être le continuateur de celui dont ils sont issus, sinon par accord entre les Etats successeurs, comme cela s'est produit pour l'U.R.S.S. (les Etats de la Communauté des Etats Indépendants, à travers l'accord d'Alma - Ata du 21 décembre 1991, ont reconnu à la Russie le droit de succéder à l'U.R.S.S. comme membre des Nations Unies avec les prérogatives qui en découlent telles que le siège permanent au conseil de sécurité, le droit de veto, etc.)56. Dans l'étude de la décommunisation, il est souvent fait référence à trois démembrements d'Etats : le cas de la Russie, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie et à une incorporation dans le cas de l'Allemagne. Les développements qui vont suivre se limiteront aux exemples de la dislocation de la Fédération Yougoslave et de l'Union soviétique qui vont véritablement donner lieu à l'apparition de nouveaux Etats. A ce sujet, il faudrait observer d'entrée de jeu que le droit international n'encourage pas ce mode de création d'Etats qui s'oppose au principe du respect de l'intégrité territoriale. Mais devant la dislocation de la fédération yougoslave et l'union soviétique, la communauté internationale a dû entériner ce fait.

54 ADHEMAR ESMEIN, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, Paris, Sirey, 1927, Tome 1, pp. 1- 2.

55 CONSEIL CONST., déc., n°91 - 290 DC du 9 mai 1991, Statut de la Corse.

56 SATCHIVI A., Le déclin de l'État en droit international public, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 113.

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En ce qui concerne l'URSS, sa dislocation a débuté avec les difficultés économiques rencontrées par la fédération au début des années 1990 ; difficultés qui vont ensuite affermir la volonté des entités fédérées à accéder à la souveraineté. Pour mémoire, l'URSS a été créée en 1922 par une décision du premier congrès des soviets de l'URSS composé de quatre républiques soviétiques : la république socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), la RSS d'Ukraine, la RSS de Biélorussie et la République socialiste fédérative soviétique du Caucase (formée en mars 1922 par l'union des trois républiques soviétiques du Caucase : la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan). L'Union était fondée sur deux documents importants issus de ce premier congrès des Soviets de l'URSS, à savoir la Déclaration sur la formation de l'Union des Républiques socialistes et le traité sur la formation de l'Union des Républiques socialistes soviétiques qui fixait les compétences attribuées à l'Union et en définissait les structures. L'union s'est ensuite dotée d'une constitution, celle du 31 Janvier 192457, qui va fixer la répartition des compétences entre l'Union et les Républiques fédérées. Celles-ci sont passées de quatre en 1922 à quinze en 1957. La disparition de la RSFSR a entraîné l'intégration du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Turkménistan, du Tadjikistan et de la Kirghizie à l'Union avec le statut de république fédérée. Ensuite, la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie et la Moldavie sont devenues républiques soviétiques en 1940 à la suite des accords entre Staline et Hitler.

Au début des années 1990, le fédéralisme soviétique entre dans sa phase d'effondrement progressif. L'indépendance des pays baltes, proclamée en 1990 pour la Lettonie et l'Estonie et en 1991 pour la Lituanie, va sonner le glas de la dissolution de l'Union à la suite de l'échec des tentatives de M. Gorbatchev pour renouveler le fédéralisme soviétique. Suivant l'exemple des Etats baltes, les républiques fédérées vont, les unes après les autres, proclamer d'abord leur souveraineté puis leur indépendance. La signature le 8 décembre 1991 par la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie des accords de Minsk consacrent la naissance, entérinée plus tard par les accords d'Ata-Aka du 21 décembre 1991, de la communauté des Etats Indépendants et la fin de l'Union soviétique.

La destruction du système communiste soviétique entraîne en 1990 celle de l'ex-Yougoslavie. La république fédérative de Yougoslavie réunissait six entités hétérogènes, à savoir la Serbie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, la Macédoine et le Monténégro. L'éclatement de la fédération yougoslave commence, après la mort du Maréchal Tito en 1980, avec les résurgences nationalistes et l'aspiration de plus en plus forte des différentes entités fédérées à une totale autonomie. Le nationalisme serbe atteint son paroxysme avec l'arrivée au pouvoir en 1986 du communiste Slobodan Milosevic. L'année 1990 va marquer un tournant décisif dans la dislocation de la fédération yougoslave avec l'organisation des référendums sur l'indépendance, d'abord en Slovénie (1990) puis en Croatie (mars 1991). Ce mouvement d'indépendance satisfaisait les peuples non serbes au grand dam des serbes pour lesquels le seul avantage de l'État yougoslave consistait à pouvoir réunir tous les serbes dans un seul État. Les institutions fédératives vont se bloquer à un point tel qu'il n'était plus possible de trouver un arrangement entre peuples minoritaires et peuples majoritaires dans les

57 La Constitution de l'URSS du 31 Janvier 1924, disponible à l'adresse : http://mjp.univ-perp.fr/constit/su1924.htm (Consulté le 05 Juillet 2012).

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

différents Etats. Seule l'armée restait fédérale mais elle était dominée par les officiers serbes. Elle cherchera en vain à lutter contre la proclamation d'indépendance de la Slovénie, puis de la Croatie en mai 1991. A son tour, la Macédoine proclame son indépendance à la suite du référendum de septembre 1991. Interviendra en mars 1992, la proclamation de la république de Bosnie suivie de la sécession des serbes et de la guerre entre Serbes et Bosniaques.

Ce qu'il faudrait retenir de ce bref rappel historique est la cause, du moins les principes juridiques qui ont été avancés pour justifier le droit à l'autodétermination de ces peuples. Grosso modo, on aura appris, sans doute de manière inattendue à cette époque, que les peuples appartenant à des Etats déjà constitués pouvaient bénéficier d'un droit à l'autodétermination. La communauté internationale se trouvait, dans le cadre de la décommunisation, devant un fait accompli et elle se devait de trouver une solution à l'épineuse équation de la conciliation entre « [...] deux principes qui s'opposent en apparence, à savoir le respect de l'intégrité des Etats et le droit à l'autodétermination des peuples »58. On peut donc s'apercevoir, à travers la décommunisation, qu'il a été reconnu aux peuples appartenant à des Etats déjà constitués un droit à l'autodétermination, droit qui s'appuie sur une sorte de « principe de légitimité ethnique »59. La création de nouveaux Etats, dans le contexte de la décommunisation, répondait, dans la majorité des cas, à une référence à des arguments identitaires mélangeant des aspects culturels et historiques.

En fin de compte, la mise en avant de l'identité ethnico-nationale dans l'application du principe d'autodétermination des peuples n'a abouti qu'à créer des conflits qui ont fini par créer des Etats à l'infini défaillants. L'appréciation de la défaillance de ces Etats ne s'opère pas exclusivement sur la base de critères économiques car, dans ce domaine, certains Etats issus de la décommunisation ont, en intégrant certaines communautés économiques régionales, comblé leur retard et jouissent d'une relative stabilité. En revanche, l'évaluation de leur défaillance sur la base de critères tels que l'effectivité de l'État de droit ou encore le respect des Droits de l'Homme, confirme aisément ces propos. Ainsi, au moins onze (11) Etats issus de la décommunisation figurent dans la catégorie « warning », « very higt warning », « hight warning » et « alert » du Failed States Index 2012 produit par le Fund of Peace60.

C'est d'ailleurs sur la base des critères de l'effectivité de l'État de droit, du respect des Droits de l'Homme que s'appréciera la défaillance étatique au lendemain des attentats du 11 septembre, période qui a également vu émerger un consensus international autour du concept d'Etats défaillants.

58 Point de presse du ministre français des affaires étrangères, R. BADATINR du 8 Juillet 1991 à la Haye, cf. AFDI 1991, p. 986

59 Voir GOSSIAUX J. - F., Pouvoirs ethniques dans les Balkans, Paris, PUF, 217 p.

60 The Fund of Peace, Failed States Index 2012, p. 4 - 5; document disponible à l'adresse : http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/cfsir1210-failedstatesindex2012-06p.pdf (Consulté le 05 Juillet 2012)

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Paragraphe 2 : les lendemains du 11 septembre 2001

L'attaque des Etats Unis, le 11 septembre 2001, par le mouvement terroriste Al-Qaida va accélérer le débat sur les Etats défaillants. En remontant la piste des pirates de l'air, les américains effectuent un long périple qui les mène de Ground Zero à Manhattan jusqu'aux grottes de l'est des montagnes afghanes. L'Afghanistan, selon les termes de Stephen Krasner et Carlos Pascual, « one of the poorest countries in the world, became the base for the deadliest attack ever on the U.S. »61. Si l'attention de la communauté internationale s'est focalisée au départ sur l'Afghanistan, considéré comme la base arrière d'Al-Qaida, très vite de nombreux Etats défaillants d'Afrique, d'Europe de l'Est, d'Amérique latine et du Moyen Orient vont aussi être considérés comme des sources potentielles d'instabilité internationale. A la suite des attentats du 11 septembre (ci-après attentats du 11/9), la criminalité internationale n'aura plus de frontières rationnelles dans la mesure où les problèmes des Etats défaillants peuvent affecter directement les autres Etats et entraîner des conséquences terriblement dramatiques. Dès lors au lendemain des attentats du 11/9, le consensus autour du concept d'Etats défaillants s'établit à partir d'une approche sécuritaire. Les Etats défaillants vont être considérés dans la politique étrangère internationale comme une menace pour la paix et la sécurité internationales (A) en raison du rôle important qu'ils jouent dans l'éclosion des filières transnationales hostiles liées au terrorisme islamiste international, au blanchiment d'argent, à l'immigration internationale et au trafic de drogue qui constituent de nouvelles problématiques sécuritaires internationales (B).

A. Le concept d'États défaillants dans la politique étrangère internationale

Les attentats du 11/9 vont pousser la communauté internationale à accorder une attention maximale à la problématique des Etats défaillants. Ils vont ainsi permettre l'entrée des Etats défaillants dans l'Agenda sécuritaire international62, suite à la pression des think tanks américains qui ont consacré de nombreuses études à ces entités. Alors même que la toute première prise en compte des Etats défaillants dans l'Agenda sécuritaire international remonte au début des années 1990, et plus précisément à 1992 date à laquelle le Conseil de sécurité autorise une intervention en Somalie63. Dans cette résolution, le conseil de sécurité n'a pas cherché à justifier son action en invoquant les implications régionales de la crise comme il l'avait fait par le passé64. Dans cette résolution 794, n'était pointée du doigt que la

61 KRASNER S. et PASCUAL C., « Addressing state failure », Foreign Affairs, vol. LXXXIV, n°4 Juillet/Août 2005, pp. 153 - 163 et précisément p. 153

62 Sur la construction de l'Agenda sécuritaire international, voir WASINSKI C. et MORSELLI V., « comment se construit l'agenda sécuritaire international ? », Revue internationale et stratégique, 2/2011 (n°82), pp. 77 - 85 ; Document disponible à l'adresse : http://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-2-page-77.htm (Consulté le 06 Juillet 2012)

63 S/RES/794 du 3 décembre 1992

64 S/RES 775 du 28 Août 1992 ; S/RES/733 du 23 Janvier 1992 ; S/RES/746 du 17 mars 1992 ; S/RES/751 du 24 avril 1992 et S/RES/767 du 27 juillet 1992.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

défaillance de l'État somalien, son échec dans la résolution d'un conflit interne qui a déjà fait beaucoup de victimes civiles. Cette extension de l'agenda sécuritaire international contribue ainsi à un changement de perspectives au niveau international au regard des approches traditionnelles des questions de sécurité : la menace contre la paix et la sécurité internationale ne naît plus de la puissance des Etats mais de leur faiblesse et de leur défaillance. Au lendemain des attentats du 11/9, cette extension de la sécurité internationale va se concrétiser autour de deux approches : d'une part la pauvreté et, partant, le sous développement dans les Etats défaillants est perçu par la communauté internationale comme un danger ; d'autre part, devant les risques de débordement de ce danger, les Etats défaillants apparaîtront comme une menace pour la paix et la sécurité internationales en raison de leur échec dans le maintien de l'ordre sur leurs territoires. Dans la politique étrangère internationale, les attentats du 11/9 ont donc permis de résoudre l'équation « défaillance des institutions étatiques = terrorisme = danger ».

Ce consensus autour de la menace que représenteraient les Etats défaillants va se traduire d'abord par l'harmonisation des discours des personnalités politiques internationales dans leur perception des Etats défaillants. C'est ainsi que l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Koffi Annan va estimer que « [...] contre des terroristes qui opèrent depuis des refuges dans les failed states aucune nation ne peut se protéger »65 ou encore Gerhard Schröder qui considère que : « les failed states sont une menace lorsqu'ils viennent accompagnés du terrorisme international et des armes de destruction massive »66. Pour sa part, Michelle Alliot-Marie, alors ministre française de la Défense Nationale, mentionnait en avril 2005, devant l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale, que « Les Etats défaillants, parce qu'ils ne peuvent maintenir l'autorité et l'ordre, sont à la source de troubles politiques, humanitaires, économiques qui peuvent rapidement s'exporter dans les pays voisins ou chez nous. Ils peuvent menacer notre sécurité et celle de nos ressortissants »67.

Ce consensus va également se concrétiser, de manière institutionnelle, par la création au niveau de l'ONU de la Commission de consolidation de la paix (ci-après CCP). Cet organe a été mis en place en 2005 et est en charge de la gestion de certains Etats qui ne parviennent plus à se stabiliser et qui sont potentiellement sources de menace pour la sécurité internationale68. Selon le président de l'Assemblée générale des Nations Unies, lors de la première séance de la CCP, cette dernière devra aider les Nations Unies à « empêcher les Etats de retomber dans les conflits ou de devenir des failed states [...] »69.

65 ANNAN KOFFI, «What I have learned», Washington Post, 11 décembre 2006, p. A19.

66 Discours devant l'Assemblée Générale des Nations Unies, le 23 septembre 2004 à New York, disponible sur http://www.un.org/webcast/ga/59/statements/gereng040923.pdf (Consulté le 6 Juillet 2012)

67 GAULME F., « « Etats faillis », « Etats fragiles » : concepts jumelés d'une nouvelle réflexion mondiale », Politique Etrangère, 2011/1 Printemps, p. 23

68 Sur la création de la CCP, voir : CHAPAUX V., « La réforme des Nations Unies et consolidation de la paix : la création de la commission de consolidation de la paix », in CARDONA LLORENS, jorge, La ONU y el mantenimiento de la paz en el siglo XXI, entre la adaptacion y la reforma de la carta, Valencia, Tirant Lo Blanch, 2008, pp. 245 - 261.

69 Discours du président de l'AGNU, M. Jan Eliasson lors de la première séance d'ouverture des travaux de la commission de consolidation de la paix à New York, le 23 Juin 2006, disponible sur http://www.un.org/ga/president/60/speeches/060623.pdf (Consulté le 6 Juillet 2012).

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

En somme, la mise en au programme sécuritaire de la défaillance étatique après les attentats du 11/9 a contribué à forger un consensus international autour du concept d'Etats défaillants. Ce consensus s'est progressivement imposé dans la politique étrangère internationale au regard du développement de nouvelles sources de menace à la paix et à la sécurité internationale dont les Etats défaillants sont souvent tenus pour responsables.

B. Le lien entre la défaillance étatique et les nouvelles menaces à la sécurité

internationale

Dans une démarche d'analyse de la crise de l'institution étatique, notamment sous l'angle de la défaillance étatique, une thèse voulant établir un lien entre cette dernière et l'apparition de nouvelles menaces pour la paix et la sécurité internationales70 peut paraître, a priori difficilement soutenable. Mais dans un monde de plus en plus interconnecté, du fait de l'intégration de l'économie mondiale, une telle thèse peut aisément emporter la conviction. C'est ce qui ressort du rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, qui considère qu' « aujourd'hui plus que jamais auparavant, les menaces sont étroitement liées entre elles et ce qui constitue une menace pour l'un d'entre nous [Etats] est une menace pour tous »71. Dans les Etats défaillants, la perte de l'effectivité du contrôle du territoire et des activités qui s'y déploient offre des conditions propices au développement de ces nouvelles menaces pour la paix et la sécurité internationales. A en croire l'ancien président américain Jimmy Carter, les Etats défaillants peuvent devenir « havens for terrorist ideologues seeking refuge and support. [...] the breeding grounds for drug trafficking, money laundering, the spread of infectious diseases, uncontrolled environmental degradation, mass refugee flows and illegal immigration »72: telles sont les nouvelles menaces qui proviendraient aujourd'hui des Etats défaillants.

En ce qui concerne le terrorisme international, il faudrait observer d'emblée, qu'il n'a rien de « nouveau » puisque le terrorisme, en tant qu'infraction internationale, était déjà reconnu par le droit international depuis l'époque de la Société des Nations73. Mais au lendemain des attentats du 11/9, sa « nouveauté » a résidé essentiellement dans l'ampleur de sa puissance destructrice et déstabilisatrice. Au vu de ces considérations, le conseil de sécurité était même amené à qualifier les actes de terrorisme international comme « l'une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationale au XXe siècle »74. Après les attentats du 11/9, le lien établi entre les Etats défaillants et l'émergence du terrorisme international

70 Pour une analyse approfondie de ces nouvelles menaces, voir S.F.D.I., Les nouvelles menaces contre la paix et la sécurité internationales/New threats to international Peace and security, Paris, A. Pedone, 2004, 297 p.

71 Assemblée générale, A/59/565, Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur p. 21, §17.

72 JIMMY CARTER, « The Human Right to Peace», Global Agenda, 2004, http://www.globalagendamagazine.com

73 Allusion est ici faite à la Convention sur la « prévention et la répression du terrorisme » du 16 novembre 1937.

74 S/RES/1377 () du 12 novembre 2001.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

s'explique par trois arguments75. En premier lieu, les Etats défaillants, en ayant perdu l'effectivité du contrôle sur la totalité de leur territoire, offrent souvent aux groupes terroristes l'opportunité d'avoir un territoire sur lequel ils pourront procéder aux opérations d'entraînement de leurs membres, construire des dépôts d'armes et surtout bénéficier des facilités de communications. Le plus souvent, les groupes terroristes prennent le contrôle sur ces portions de territoire en soutenant les mouvements de rébellion. L'accord entre AQMI et le mouvement rebelle Ansar Dine dans la crise au Nord du Mali en constitue la parfaite illustration. En outre, les groupes terroristes profitent en général de ces conflits pour développer des trafics lucratifs de drogue ou de pierres précieuses afin de financer leurs activités. Enfin, l'extrême pauvreté dans les Etats défaillants ajoutée aux problèmes de chômage et d'éducation rendent les jeunes très réceptifs au discours extrémiste qui, pour l'essentiel, désigne l'Occident comme responsable de leur malheur. Toutes ces frustrations concourent au développement du terrorisme dans les Etats défaillants.

Par ailleurs, le terrorisme, le trafic de drogue et le blanchiment d'argent alliés aux autres sources d'instabilité créent un cercle vicieux menaçant de façon continue la paix et la sécurité internationales. Ainsi, les Etats défaillants, par leur sous-développement, favorisent le développement des réseaux d'immigration illégale. Ces réseaux exploitent la misère et le désespoir des populations qui sont prêtes à recourir à des méthodes souvent dangereuses pour gagner les pays développés, en quête d'un avenir meilleur. De même, la déficience du système sanitaire dans les Etats défaillants entraîne aussi la propagation des maladies pandémiques comme le VIH/SIDA. A titre illustratif, l'Afrique subsaharienne, dont les Etats dans leur quasi-totalité, peuvent être considérés comme défaillants, présente le plus fort taux de prévalence de contamination au virus du VIH/SIDA. Ce taux est de l'ordre de 5%, soit une population contaminée d'environs 22, 4 millions de personnes sur les quelques 829 millions d'habitants vivant sur de cette partie du continent76.

Toutes ces menaces et surtout leur complexité appellent une plus forte collaboration entre les Etats. Car, « il est en effet de l'intérêt de chaque État d'aider les autres à régler leurs problèmes de sécurité les plus pressants afin de pouvoir s'assurer leur concours le moment venu »77. C'est également dans ce contexte qu'a pu émerger un consensus autour de la notion d'Etats défaillants, consensus illustré par la conception de la stratégie de sécurité et de défense de quelques puissances mais aussi par le discours des institutions internationales qui mènent des actions dans ces Etats dits défaillants.

75 Pour une analyse approfondie sur le lien entre terrorisme et les Etats défaillants, voir STEWART P., « weak states and global threats : fact or fiction ? », The Washingtion Quaterly, n° 29, 2006, pp. 27 - 53 ; TAKEYH R. and GVOSDEV N., « Do Terrorist networks need a home ? », The Washington Quaterly, n°25, 2002, disponible sur http://www.cfr.org/world/do-terrorist-networks-need-home/p7348 (Consulté le 08 Juillet 2012)

76 Rapport mondial 2010 de l'ONUSIDA, disponible sur
http://www.unaids.org/globalreport/documents/20101123_GlobalReport_Full_Fr.pdf

77 AGNU, A/59/565, « Un monde plus sûr, notre affaire à tous »,Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, p. 22

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Section 2 : L'évolution du concept d'Etats défaillants

Après les attentats du 11/9, le concept d'Etats défaillants va trouver un écho dans une sphère autre que celle de l'Agenda sécuritaire international. Le concept d'Etats défaillants va désormais occuper une place importante dans les politiques nationales de sécurité et de défense de certains Etats (Paragraphe 1). Ces derniers vont reconsidérer leurs relations avec ces Etats. Cela se traduit par l'élaboration de politiques spécifiques à l'endroit des Etats défaillants mais aussi parfois par la création d'organes administratifs chargés de s'occuper exclusivement de ces Etats défaillants et surtout de mesurer l'impact de ces derniers sur leur

sécurité nationale78. Cette évolution s'observe aussi dans le droit international du
développement notamment à travers l'émergence d'une notion qui se veut « neutre » pour rendre compte de la défaillance étatique. Il s'agit de la notion d' « Etats fragiles » qui matérialise l'approche développementaliste des Etats défaillants (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le concept d'Etats défaillants dans l'élaboration de la politique
nationale de défense et de sécurité des Etats occidentaux

Dans ce paragraphe, nous nous bornerons à l'étude de deux acteurs importants de la scène internationale dont le narratif sécuritaire au cours de ces dernières années permet de mettre en lumière l'évolution du concept d'Etats défaillants. Aussi, conviendrait-il de préciser qu'il s'agit d'un choix entièrement arbitraire en raison du fait que la quasi-totalité des Etats influents dans l'élaboration de l'Agenda sécuritaire international, ont dû, au cours de ces dernières années, tenir compte de la problématique des Etats défaillants dans leur politique nationale de sécurité et de défense79. Ainsi, les développements qui vont suivre se limiteront, d'une part, à l'analyse de la politique nationale de sécurité et de défense des Etats Unis (A) et au discours de l'Union Européenne envers les Etats défaillants d'autre part (B).

78 A titre d'exemple, on peut citer l'U.S Commission on weak states and National Security.

79 A titre illustratif on peut citer la Position de la France sur les Etats fragiles et les situations de fragilité, stratégie validée par le Comité Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement le 27 Septembre 2007, disponible sur http://www.diplomatie.gouv.fr/en/IMG/pdf/EtatsFragiles-2.pdf (Consulté le 8 juillet 2012) ; pour le compte de l'Australie, nous avons Our failing Neighbour : Australia and the future of Solomon Islands, document produit par l'Australian Strategic Policy Institute en 2003, document disponible sur http://www.aspi.org.au/htmlver/22484solomons/index.html ; enfin pour le Royaume Uni, nous pouvons citer The strategic Defense Review : A new chapter , 2002 disponible sur http://www.mod.uk/NR/rdonlyres/79542E9C-1104-4AFA-9A4D-8520F35C5C93/0/sdr a new chapter cm5566 vol1.pdf

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

A. L'U.S. National Security Strategy et les Etats défaillants

«The events of September 11, 2001, taught us that weak states, like Afghanistan, can pose as great a danger to our national interests as strong states»80. Cette phrase par laquelle l'ancien président américain G.W. Bush introduit la stratégie de sécurité nationale de l'année 2002 (ci-après SSN) est assez évocatrice de la place que son gouvernement accordait aux Etats défaillants après les attentats du 11/9. Même si certains auteurs ont remarqué, à juste titre, que les Etats défaillants ont commencé à devenir la préoccupation des politiques nationales de sécurité des Etats Unis quelques années après la fin de la guerre froide81. C'est dans cette perspective, qu'entre 1995 et 2000, la CIA, sous la houlette du ministère de la défense des Etats Unis (Department of Defense), a été appelée à travailler avec la State failure task force. Il s'agissait d'un groupe spécial d'étude dont la mission était de mettre en avant les causes de la défaillance étatique et celles de l'incapacité de ces Etats à rester membres de la communauté internationale. Dans cette même période, la United States Agency for International Development (USAID), la principale agence d'aide américaine au développement s'intéressait déjà à la situation des pays déstabilisés par l'effondrement du mur de Berlin à travers des opérations ayant pour objectif d'assurer le retour à la paix et l'établissement de la démocratie dans ces pays.

Mais en réalité, l'intérêt que l'administration américaine porte aux Etats défaillants est apparu plus manifeste depuis les attentats du 11/9 dont la responsabilité est imputée en partie à l'Afghanistan, du fait de sa défaillance dans le contrôle d'une portion de son territoire qui a servi de base arrière au mouvement terroriste Al-Quaïda. Selon l'expression de l'ex-secrétaire d'État à la défense Condoleezza Rice, ces Etats défaillants posent aux Etats Unis un danger « unparalled »82 en raison de leur lien avec le développement de nouvelles menaces contre la paix et la sécurité internationale. Cette idée constitue le leitmotiv de toute la stratégie de sécurité nationale de 2002. Le document, dans différents chapitres, établit des liens entre les Etats défaillants et le développement du terrorisme international (Chapter III : Strengthen alliances to defeat global terrorism and work to prevent attacks against US and our friends), la propagation des armes de destruction massive (Chapter V : Prevent our enemies from threatening US, our allies, and our friends with weapons of mass destruction) et enfin les Etats défaillants sont perçus comme sources d'instabilité régionale (Chapter IV : Work with others to defense regional conflicts)83. Cependant, il faudrait signaler que, quand bien même la Stratégie de Sécurité Nationale de 2002 considère les Etats défaillants comme l'un des défis majeurs du XXIe siècle et comme l'un des dangers les plus importants à la sécurité des Etats-Unis, le raisonnement dans tout le reste du document, est construit autour de la vielle notion de rogue states : ces Etats qui maltraitent leur population et dilapident leurs ressources au

80 White House, National Security of the United States of America, 2002, p.1

81 Voir SACHS D. J., « The strategic signidicance of global inequity», The Whasington Quaterly, Vol. 24, n°3, Summer 2001, pp. 187 - 198 (Il s'agit en effet d'un article écris quelques années plus tôt mais dont la

publication n'a été effectuée qu'en 2001), disponible sur
http://www.earth.columbia.edu/sitefiles/file/about/director/pubs/ECSP_1003.pdf

82 RICE Condoleezza, « The promise of Democratic peace: why promoting freedom is the only Realistic path to security», Washington Post, Decembrer 11, 2005.

83 White House, U.S National Security Strategy, 2002.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

profit des dirigeants, rejettent les règles du droit international, soutiennent le terrorisme, ne respectent pas les Droits de l'Homme et par-dessus tout, haïssent les Etats Unis. C'est du moins ce qui ressort de la définition des rogue states donnée par l'US National Security Strategy de 200284. Du reste, la principale innovation dans le document consiste en la mise en place d'une stratégie d'action envers ces Etats. Cette stratégie repose sur trois axes à savoir la diplomatie, la défense et le développement. Ce dernier axe est sans doute l'innovation majeure de ce document. Le développement devient ainsi un enjeu majeur pour la sécurité intérieure des Etats-Unis. A titre d'exemple, le chapitre VII (Expand the circle dor development by opening societies and bulding the infrastructure of democracy) du document s'emploie à expliquer le rôle de l'aide au développement dans la protection de l'intérêt national étatsunien dans son combat face aux nouveaux défis du XXIe siècle. L'USAID rentrera très vite dans cette dynamique en adoptant le 7 janvier 2003 un rapport intitulé Foreign Aid in the National Interest85 dans lequel l'agence explique comment les actions d'aide publique au développement vont être coordonnées avec celles d'une politique nationale de sécurité. Il faudrait alors remarquer que, par le biais de ce positionnement, les Etats Unis utilisent l'aide publique au développement non pas pour aider les Etats défaillants mais au contraire pour se protéger de ces Etats. C'est en tout cas l'opinion de l'ex-secrétaire d'État à la défense Condoleezza Rice lorsqu'elle considère que l' « un de nos meilleurs outils pour aider les Etats à construire des institutions démocratiques et à renforcer la société civile est notre aide au développement, mais nous devons l'utiliser correctement. Une des grandes avancées des huit dernières années a été la création d'un consensus bipartisan pour une utilisation plus stratégique de l'aide étrangère. Nous avons commencé à transformer notre aide en incitants, afin de pousser les pays en développement à gouverner de manière juste, à avancer en matière de liberté économique et à investir dans leur population. [...] Nous alignons maintenant mieux notre aide au développement avec nos objectifs de politique étrangère »86.

Ainsi, d'une conception purement sécuritaire au départ, le concept d'Etats défaillants a pu s'imposer dans la politique intérieure et étrangère des Etats Unis et apparaît aujourd'hui comme un moyen d'action au service de la politique d'aide au développement à l'égard des Etats défaillants. C'est également cette approche qu'a adopté l'Union Européenne (ci-après l'UE) dans son positionnement face à la problématique des Etats défaillants.

B. Les Etats défaillants dans le discours sécuritaire de l'Union Européenne

Pour se donner une représentation politique sur la scène internationale et surtout suivre la dynamique de réussite de son intégration économique et monétaire, l'UE s'est dotée d'une politique étrangère de sécurité commune (PESC). Dès ses premiers balbutiements, cet

84 Ibid., p. 13

85 USAID, Foreign Aid in the National Interest : promoting freedom, security, and opportunity, Washington D.C., 2003 disponible sur http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/pdabw901.pdf (Consulté le 9 juillet 2012).

86 RICE Condoleezza, « Rethinking the National interest», Foreign Affairs, Jul/Aug 2008, Vol. 87.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

instrument communautaire a dû se confronter aux crises de Bosnie et du Kosovo, sans doute les deux conflits les plus graves qu'ait connu l'Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il était donc impérieux pour l'UE de revisiter sa politique étrangère qui a montré jusqu'à présent beaucoup de signes de faiblesse révélant à différentes reprises les divergences entre les Etats. Cet impératif d'évolution devait donc au final permettre à l'UE de s'affirmer pleinement dans la recomposition de l'Europe et du monde, après la guerre froide et surtout après les attentats du 11/9, et de faire face aux nouvelles menaces pour la paix et la sécurité internationale. D'après le document stratégique de sécurité européenne, ces menaces ont pour nom le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, la criminalité organisée, les conflits régionaux mais surtout la déliquescence des Etats87. L'expression « déliquescence étatique » est préférée dans le cadre européen à toute la panoplie des appellations issues de la doctrine américaine qui, de l'avis des européens, relèvent souvent de la « paranoïa »88 dans la lutte contre les sources potentielles d'instabilité de la société internationale. Ce choix de vocable illustre de manière significative la différence entre l'approche européenne des Etats défaillants et l'approche étatsunienne déjà étudiée. En la matière, les différents instruments communautaires adoptent d'une manière générale l'appellation retenue par les institutions financières internationales (ci-après IFI) à savoir « Etats fragiles », et, mieux encore l'UE parle de « situations de fragilité ». Toutefois, aucun document stratégique de l'UE ne donne une définition claire de ces situations de fragilité. De l'avis de la commission européenne, il s'agit des situations qui « [...] font obstacle au développement durable, à la croissance équitable et à la paix, en générant une instabilité régionale, des risques sur le plan de la sécurité à l'échelle mondiale, des flux migratoires incontrôlés, etc. »89. Cette appellation se veut beaucoup plus neutre afin de traduire le caractère conjoncturel de la fragilité étatique. A travers cette appellation, l'UE adopte une approche technique et surtout non statique de la définition de la fragilité étatique. Par conséquent, dans la conception européenne, tous les Etats, même ceux réputés « forts » ou « réussis », peuvent présenter des situations de fragilité mais à des degrés variables90. Ce cadre théorique va ainsi permettre à l'UE, dans son action envers les Etats présentant des situations de fragilité, de ne prendre en compte que la capacité des Etats à faire face aux changements en matière d'efficacité ou de légitimité de l'État de droit. Il s'agit du principe de la résilience développée aussi par l'OCDE dans son action envers les Etats fragiles91. Cette approche implique donc de la part de l'UE une action circonstanciée en tenant compte de la spécificité de la fragilité des Etats. Cette mission est remplie par les Documents de Stratégie par Pays (DSP)92. Il s'agit des documents stratégiques visant à assurer l'efficacité de l'action de l'UE pour le développement des pays présentant des

87 Une Europe sûre dans un monde meilleur - Stratégie européenne de sécurité adoptée par le Conseil Européen le 12 Décembre 2003, p. 3

88 Allocution de M. François GAULME lors de la conférence : Fragile states : the final frontier, the african exemple, organisée conjointement par l'IFRI et l'OCDE le 9 Octobre 2010 ; document sonore disponible sur http://www.youtube.com/watch?v=rLm0OYljq2w

89 Com (2007) 643 du 27/10/2007

90 Cette thèse a été aussi défendue par Naom CHOMSKY qui qualifie les Etats Unis eux mêmes de failed States : voir CHOMSKY N., Failed States. The Abuse of Power and the Assault on Democracy, New York, Metropolitan Books, 2006, p. 401; Voir aussi

91 OCDE, « Concepts et dilemmes pour le renforcement de l'État dans les situations de fragilité : de la fragilité à la résilience », Revue de l'OCDE sur le développement, Vol. 9, n°3, p. 12

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

situations de fragilité. Cette action s'effectue en trois temps : il s'agit d'abord d'une action de coopération au développement visant à remédier à long terme à la fragilité des Etats (au moyen des DSP notamment) ; elle peut se décliner aussi en action de nature politique et diplomatique en cas de détérioration de la situation faisant apparaître un risque de conflit (à travers la PESC et la PESD) et enfin par des actions humanitaires en cas de conflit ouvert.

En somme, l'évolution du concept d'Etats défaillants se traduit à l'échelle européenne par la définition d'un nouveau cadre conceptuel privilégiant une approche dynamique de l'évaluation de la défaillance étatique. Cette approche se distingue de celle des Etats Unis, quasi manichéenne, qui oppose la stabilité à la fragilité, la réussite à l'échec dans l'évaluation de la défaillance étatique. Ce n'est sûrement pas un hasard si l'UE, principal acteur en matière d'assistance humanitaire et d'aide au développement, adopte à l'instar des institutions financières internationales, une approche développementaliste des Etats défaillants.

Paragraphe 2 : L'approche développementaliste des Etats défaillants

Cette analyse a été en partie développée avec l'étude de la place du concept d'Etats défaillants dans le discours sécuritaire des Etats-Unis et de l'UE. Elle nous a permis de démontrer que l'évolution qu'a connu ce concept en droit international le positionne désormais à la croisée des chemins entre la politique sécuritaire des acteurs de la scène internationale et leur politique de développement à l'égard des Etats défaillants. Dans les développements qui vont suivre, nous nous placerons dans le champ d'étude qui a vu émerger le concept d'Etats défaillants, à savoir le droit international du développement. Il serait alors intéressant, dans une perspective comparative, de mettre en lumière l'évolution du concept dans le discours des acteurs du développement international. Dans ce contexte, nous nous intéresserons d'abord à l'approche des institutions financières internationales (A) qui sont toujours au premier plan dans le processus de reconstruction des Etats défaillants. Leur pratique peut s'avérer très utile dans l'élaboration des critères de défaillance étatique (B) qui permettront une véritable reconstruction des Etats défaillants.

A. L'approche des institutions financières internationales

Ces IFI désignent le plus souvent des structures non - privées qui interviennent, par le biais de financements, auprès des gouvernements ou du secteur privé des Etats défaillants. Parmi ces IFI, on peut compter les Institutions de Bretton Woods, les banques de développement régional et les autres agences et institutions de développement bilatérales. Nous procéderons, dans cette partie, à l'analyse de l'approche développée par la Banque Mondiale (ci-après BM) et le Comité d'Aide au Développement de l'OCDE (ci-après CAD) en tant que principaux acteurs au développement dans les Etats défaillants.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Après la fin de la guerre froide, ces IFI ont de suite porté une attention particulière à la crise de l'institution étatique. Cet intérêt s'est traduit dans la réalité par le développement des notions de « bonne gouvernance », de « state bulding » qui ont souvent servi dans la recherche de l'efficacité de l'Aide Publique au Développement (APD) provenant de ces IFI. Après le 11/9, elles ont dû s'aligner dans la droite ligne de l'Agenda sécuritaire international qui a posé, comme priorité fondamentale, la lutte contre les menaces à la paix et à la sécurité internationale à travers des actions de développement en direction des Etats défaillants qui en sont souvent la cause. Afin de s'approprier cette mission, elles vont se départir de la conception sécuritaire des Etats défaillants et élaborer d'autres cadres conceptuels pour servir au mieux leurs objectifs de développement. C'est ainsi que la BM va mettre en place en 2002 le Low Income Countries Under Stress Office (ou le groupe d'étude sur les pays à faible revenu ou à difficulté). Le critère d'analyse retenu par la BM est donc le LICUS (Low Income Countries Under Stress) qui désigne les pays « caractérisés par de très faibles politiques, institutions et gouvernances ». Désormais, l'action de la BM ne se bornera plus seulement au transfert de ressources par le mécanisme des APD mais revêtira également une dimension plus politique à travers le renforcement des institutions étatiques, l'établissement de la bonne gouvernance afin de mener à bien les efforts de développement dans les Etats défaillants. Ce n'est qu'en 2005 que la BM va procéder à une réévaluation de ce critère. Le LICUS va ainsi évoluer et tendre vers la définition d'Etats fragiles dans les institutions financières internationales. Cette définition va désormais mettre l'accent sur la construction de la paix et de l'État, devenue un enjeu majeur des activités de développement, tout en prenant en compte la spécificité de chaque pays.

De son côté, le CAD de l'OCDE, après avoir expérimenté plusieurs terminologies, va aussi adhérer au consensus général autour de l'utilisation du concept d'Etats fragiles dans ses actions de développement envers ces Etats. En effet, dans l'objectif de lutter contre la pauvreté et de promouvoir, à cette fin, une gestion efficace de l'aide au développement, le CAD avait alors en 2003 adopté le concept de poor performers countries (ou pays peu performants) puis difficult partnerships (ou partenaires difficiles) pour qualifier les pays qui ne jouent pas un rôle de leader dans l'accomplissement de cet objectif. Il faudra attendre 2005 pour voir apparaître l'expression « Etats fragiles » dans un document officiel du CAD. Il s'agit de la Déclaration de Paris de 2005, sur l'efficacité de l'aide, dans laquelle les Etats fragiles sont définis comme « les pays caractérisés par un manque d'engagement politique et/ou par une faible capacité à développer ou mettre en oeuvre des politiques en faveur des pauvres, par la présence de conflits violents et/ou une faible gouvernance »93.

En somme, dans le cadre des actions de développement menées par les IFI, on peut observer l'émergence d'un consensus international non pas autour du concept d'Etats défaillants mais bien plutôt autour d'une nouvelle élaboration conceptuelle censée traduire au mieux les impératifs de la mission qui leur incombe. Mais dans le fond, on peut remarquer, dans cette approche, le spectre du concept d'Etats défaillants qui appréhende les Etats défaillants ou fragiles comme des sources potentielles d'instabilité de la société internationale. Par conséquent, dans la droite ligne de l'U.S National Strategy Security, l'aide publique au

93 Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, OCDE/CAD, 2005

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

développement doit être utilisée comme un moyen de parer à ces défaillances. Mais dans l'impossibilité de concilier l'approche sécuritaire et l'approche développementaliste des Etats défaillants, la pratique des IFI a su dégager certains critères d'identification de ces Etats.

B. Vers des critères d'identification des Etats défaillants

Vouloir dégager les critères d'identification des Etats défaillants peut se révéler complexe en raison des écarts plus ou moins considérables qui existent entre toutes les formulations théoriques développées par les auteurs, les Etats, les organisations internationales, les institutions financières internationales, voire certaines organisations non gouvernementales94. Aussi, cet exercice peut-il s'avérer d'autant plus difficile en raison de la différence de culture juridique95 des concepteurs de ces théories mais également en raison de la diversité des critères d'identification qu'ils retiennent pour expliquer la défaillance étatique. Helman et Ratner, par exemple, regroupent, en se fondant sur le critère de la graduation de la défaillance étatique, les Etats défaillants en trois catégories : les failed states, les failing states et les new states established96. R. Rotbert, quant à lui, en se basant sur la capacité des Etats à satisfaire les besoins de leurs populations en termes de services publics, dégage deux catégories d'Etats défaillants : les failing states et les failed states97. Ainsi, du fait de la difficulté à distinguer les critères d'identification élaborés par les auteurs, un même pays peut parfois être catégorisé différemment par deux auteurs différents. A titre d'exemple, HELMAN et RATNER considèrent que la Somalie et le Cambodge sont des failed states98 tandis que ROTBERG décrit la Somalie comme un collapsed State et le Cambodge comme un weak state99.

Mais au-delà de la différence intrinsèque à tous ces critères, on peut remarquer que leur élaboration, tout comme la logique du concept d'Etats défaillants en lui-même, s'appuie en général sur l'analyse fonctionnelle de l'État. Ce serait donc le rapport créancier/débiteur qui existe entre l'État et sa population, dans l'exécution du contrat social les liant, qui peut permettre d'affirmer si l'État est défaillant. Sous cet angle, on peut donc distinguer des Etats qui « ne peuvent pas » et d'autres qui « ne veulent pas » satisfaire aux besoins primaires de leurs populations et ont, de ce fait, failli dans leurs fonctions fondamentales. Ces fonctions ont été dégagées par les IFI notamment la BM100. Elles seront ensuite précisées et classées en

94 A titre d'exemple, nous avons The Fund of Peace qui produit chaque année une indexation des Etats en situation de crise dans le monde.

95 on peut recenser dans la littérature juridique en langue anglaise, française et allemande, plusieurs terminologies qui abordent la question des Etats défaillants. En anglais : quasi-states, fragile states, collapsed states, state failure, weak state; en allemand: der Wegfall effektiver Staatsgewalt, gescheiterter Staat, zerfallender Staat, zerbrochener Staat, prämoderner Staat ; en français : État failli, État mou, État faible, État défaillant.

96 HELMAN et RATNET, op. cit. p.2

97 R. ROTBERG, «The failure and collapse of Nation-states : Breakdown, prevention and repair» in When States fail : Causes and Consequences, Princeton, Princeton University Press, 2003, p. 3.

98 HELMAN et RATNER, Ib., p. 2

99 R. ROTBERG, Ib., p. 46 et 49.

100 Banque Mondiale, L'Etat dans un monde en mutation : rapport sur le développement dans le monde 1997, Eska, Paris, p. 278 ; disponible en langue anglaise sur http://go.worldbank.org/1AF3C6JFZ0

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

trois catégories par F. Fukuyama dans son livre State Bulding : Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle101 :

- Fonctions minimales : fourniture des biens publics, défense, santé publique,

amélioration de l'équité, protection des droits de propriété, protection des pauvres. - Fonctions intermédiaires : garantir l'éducation, la protection de l'environnement,

l'assurance sociale, la maîtrise des monopoles, la régulation financière.

- Fonctions activistes : politique industrielle, redistribution du capital.

Toujours selon Fukuyama, ces fonctions doivent être assumées au moyen d'un cadre législatif efficace, une bonne gouvernance et des institutions gouvernementales fiables. D'une manière générale, c'est aussi sur ces critères fonctionnels que s'appuient plusieurs organismes d'indexation des Etats défaillants (ou Etats fragiles selon la terminologie retenue). C'est en effet le cas pour l'Indice International du Risque (ou Country Risk Guide Number), l'Index humain de développement du PNUB ou encore l'Index Freedom House102 et le Failed States Index103 (du Fund of Peace) qui prennent en compte des critères plus généraux comme l'effectivité des droits politiques et des libertés civiles.

En définitive, il faudrait retenir que depuis son élaboration, le concept d'Etats défaillants n'a pu créer un véritable consensus international qu'autour de la seule réalité qu'il prétend décrire. Cette réalité est celle d'une crise de l'institution étatique, dans sa conception wébérienne, à savoir l'incapacité de l'État à « revendiquer avec succès le monopole de la violence légitime [...] » exercées sur « une communauté humaine dans les limites d'un territoire déterminé [...] »104. Ce consensus international s'est aussi établi autour de la menace que représenteraient les Etats défaillants dans l'émergence de nouvelles sources d'instabilité internationale. En revanche, en fonction des différents champs d'étude, plusieurs approches et plusieurs appellations ont servi à décrire cette réalité. Toutes ces dénominations, partant, les approches qui les sous-tendent, ne parviennent pas à donner un contenu juridique précis au concept d'Etats défaillants. Ce manquement peut justifier à certains égards la timidité du droit international dans la définition de leur régime juridique.

101 FUKUYAMA F., State Bulding : Gouvernance et ordre du monde au XXIe siècle, Paris, La table Ronde, 2005, p. 28.

102 Disponible sur http://www.freedomhouse.org/?page=1

103 Voir Annexe 1.

104 WEBER M., op. cit. p. 3.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Chapitre 2 : Le régime juridique des Etats défaillants en droit international

Parce qu'il demeure l'acteur principal de la société internationale, la crise de l'État doit être un catalyseur du progrès de l'ordre juridique international et surtout de sa capacité à trouver une réponse à cette crise. Il faudrait alors voir de quelle manière le droit international s'intéresse à cette question d'autant plus que la crise de l'État peut, de l'avis de l'ex Secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros BOUTROS GHALI, remettre en cause le progrès de tout le droit international lui-même105. En filigrane à cette question, se pose surtout le problème de l'application des règles du droit international à ces entités qui ne seraient plus que, nominalement, les membres de la communauté internationale. Si l'on doit considérer tout ordre juridique comme le reflet du système politique qui le façonne106, alors le droit international devrait légitimement se préoccuper de la problématique des Etats défaillants qui, jusque là, n'est explorée que sous l'angle politique dans la doctrine politiste.

A cet effet, dans une perspective unitaire voulant primer la technique juridique sur les considérations de fait, on serait tenté de considérer que le droit international ne connaît qu'un seul régime juridique statutaire qui s'applique aux Etats, défaillants ou réussis (Section 1). Au demeurant, cette analyse peut se révéler infructueuse pour appréhender ce qu'est l'État aujourd'hui en droit international et surtout pour mieux comprendre la dynamique du droit des gens à l'égard de cette typologie d'Etats, à savoir les Etats défaillants. Mais si l'on retient une approche fonctionnelle, en tenant compte de la qualité des Etats et non pas en fonction des éléments qui conditionnent et caractérisent traditionnellement l'État en droit international, on peut se rendre compte de la nécessité d'une diversité dans l'application du droit international. A ce niveau, le régime juridique de l'applicabilité du droit international aux Etats défaillants doit encore être inventé (Section 2).

Section 1 : Un régime juridique statutaire non diversifié

De manière générale, un régime statutaire est une situation établie par un ordre juridique en faveur de l'un de ses sujets en raison de son appartenance « à une catégorie dont les attributs sont définis de manière collective et non au cas par cas »107. Ainsi, en droit interne, on peut remarquer l'existence d'un statut juridique d'enfant légitime, de salariés, ou de propriétaires, etc. En droit international, l'État bénéficie aussi d'un statut « unique » qui lui est attribué par l'ordre juridique international. Tout État, quelles que soient, sa taille, sa superficie, sa puissance économique, peut prétendre à ce statut qui lui est systématiquement reconnu, sans considération de ses particularités. L'État défaillant peut donc, au même titre que tous ses pairs, bénéficier de ce statut et jouir des attributs qui en découlent en dépit de sa

105 Agenda pour la paix, op. cit.

106 VERHOEVEN J., « L'État et l'ordre juridique international. Remarques », R.G.D.I.P., 1978, p. 764

107 COMBACAU J. et SUR S., Droit international Public, Paris, Montchrestien, 7e éd., 2006, p. 226

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singularité. Cette jouissance doit néanmoins s'apprécier au regard des pré-conditions matérielles qui doivent concourir à l'effectivité de ce statut. A ce stade, le régime juridique statutaire des Etats défaillants se trouve considérablement biaisé en ce qui concerne la capacité d'action internationale de ces Etats (Paragraphe 1) même si leur qualité de sujets originaires du droit international demeure protégée par, ce qui s'apparente vraisemblablement à une fiction, à savoir leur souveraineté (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La capacité d'action internationale de l'État défaillant

Il faudrait indiquer, d'entrée de jeu, qu'en dépit de l'existence de jure d'une capacité d'action internationale, celle-ci en réalité est, soit neutralisée, soit inefficace, en raison du désordre interne ou de l'absence d'un véritable gouvernement à même d'assurer la visibilité des actions de l'État défaillant sur le plan international. La capacité d'action de l'État défaillant se trouve donc de fait paralysée en premier lieu dans la faculté d'engagement de celui-ci dans des relations bilatérales ou multilatérales (A) et ensuite dans l'exercice du droit de légation (B) qui devrait lui permettre d'entretenir des relations diplomatiques avec les autres membres de la communauté internationale.

A. La capacité de s'engager de l'État défaillant

Cette capacité, dite substantielle,108 car liée à la personnalité de l'État, doit être entendue ici comme l'aptitude de l'État à s'impliquer effectivement dans le processus de création normative en droit international. Tous les Etats disposent donc, sous réserve de restriction de leur fait, de la capacité de s'engager par des actes juridiques unilatéraux (actes tels que l'engagement unilatéral109, la reconnaissance ou l'acquiescement) ou par des actes posés conjointement avec d'autres membres de la société internationale (les traités) créant ainsi des obligations positives internationales ou des situations légales. Ainsi, la capacité de conclure des traités (treaty making power), à laquelle on s'intéressera particulièrement dans ces développements, constitue un attribut fondamental de la personnalité juridique internationale comme l'a si bien mentionné la C.P.J.I., dans l'affaire Vapeur de Wimbledon, érigeant « la faculté de contracter des engagements internationaux » en « un attribut de la souveraineté de l'État »110. Cette évidence a également été rappelée par l'article 6 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités111. Ainsi, l'exercice du treaty making power, même par les Etats défaillants, ne saurait valablement être contesté. Toutefois, les

108 Ibid., p. 232

109 CIJ, Essais nucléaires français, ordonnance en mesures conservatoires, requête Fidji pour intervention et fond, 20 décembre 1974, CIJ, Rec. 1974 ; Voir aussi CPJI, Statut juridique du Groenland oriental, 5 avril 1933, CPJI, Rec, 1933.

110 CPJI, Affaire Du Vapeur Wimbledon, 17 août 1923, Série A, n°1, p. 25

111 Cette disposition se lit comme suit « Tout État a la capacité de conclure des traités ».

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Etats « ne pouvant agir qu'au moyen et l'entremise de la personne de leurs agents et représentants »112, le désordre institutionnel ou parfois l'absence totale de gouvernement dans les Etats défaillants peut rendre difficile l'exercice effectif de ce droit d'action internationale. A titre illustratif, l'absence d'autorité pour ratifier la Convention de Lomé113 du 15 décembre 1989, modifiée par l'accord de partenariat ACP-CE de Cotonou114, a empêché la Somalie de bénéficier de l'aide au développement allouée par le Fond Européen de Développement. Cela, en dépit du fait que cet accord allait jusqu'à envisager une adhésion future de la Somalie suite à l'intervention du Secrétaire Général de l'ONU auprès du Conseil ACP-UE invitant ce dernier à faire preuve de souplesse à l'égard de l'État somalien qui n'a pas pu ratifier ces différents instruments « en raison de circonstances échappant à son contrôle »115. Cette absence d'autorité étatique capable de ratifier les traités internationaux a pénalisé la Somalie dans ses relations avec la Banque Mondiale. L'État somalien n'a pas pu par conséquent bénéficier des nombreux programmes d'aide, mis en place par la Banque Mondiale116. Dans un tout autre domaine, la Somalie s'est vue imposer une opération des Nations Unies à visée humanitaire en raison de l'absence d'un gouvernement qui aurait du souverainement autoriser une telle action. En effet, dans le cadre du respect du principe de non intervention dans les affaires intérieures des Etats117, le Conseil de Sécurité de l'ONU ne peut autoriser une action humanitaire dans un État, en dehors du cadre du chapitre 7 de la Charte, que si ce dernier en a fait la demande à un autre État ou un groupe d'Etats, conformément à la Résolution 387 du 31 mars 1976118. Mais, dans l'exemple somalien, la Résolution 794 (1992)119 a été adoptée par le conseil de sécurité pour imposer à la Somalie, sans représentation devant la communauté internationale, une opération humanitaire.

En outre, que les Etats défaillants aient la capacité de conclure des traités et de s'engager ainsi internationalement, personne ne saurait leur contester cette faculté. Toutefois au regard de l'objet et du but de certains traités, il semblerait légitime de leur refuser le droit de participer à leur conclusion. Cela peut, de manière évidente, s'appliquer aux relations conventionnelles bilatérales dans lesquelles la qualité de l'État peut être prise en compte et lui être opposée par l'autre État contractant. Mais cela peut s'avérer beaucoup plus compliqué dans le cadre des traités multilatéraux et particulièrement ceux dits « d'intérêt général » en considération du « principe de participation universelle »120 pour ce genre de traités qui « portent sur la codification et le développement progressif du droit international ou dont

112 CPJI, Colons allemands en Pologne, avis consultatif du 10 septembre 1923, Série B, n°6, pp. 1, 22.

113 Journal officiel, n° L 84, 28 février 1990.

114 Accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et la Communauté européenne et des Etats membres, signé à Cotonou, le 23 juin 2000, Journal officiel, n° L 317, 15 décembre 2000.

115 Décision du Conseil ACP-UE du 28 juin 1996, citée in CJCE, Affaire Somalfruit SpA et Camar SpA c. Ministero delle Finanze et Ministero del Commercio con l'Estero du 27 novembre 1997, C-369/95, Rec. I-6619, §9 - 11.

116 S/1999/882, Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie, 16 Août 1999, §74.

117 Article 2, §7 de la Charte de Nations Unies

118 S/Res/387 (1976) du 31 mars 1976 : « Rappelant également le droit naturel et légitime de chaque État, dans l'exercice de sa souveraineté, de demander l'assistance de tout autre État ou groupe d'Etats, [...] »

119 S/Res/794 (1992) du 3 décembre 1992

120 MATHY D., « Participation universelle aux traités multilatéraux », RBDI, Vol. VIII, 1972-1, pp. 529 - 567.

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l'objet et le but intéressent la communauté internationale dans son ensemble »121. Même dans un cadre multilatéral, il serait préférable de primer la logique qualitative sur la simple nécessité comptable de faire participer le maximum d'Etats à la conclusion de ces traités. Car il va de soi que seuls les Etats ayant satisfait aux pré-conditions matérielles d'application de ces traités pourront contribuer à leur effectivité. Les traités de protection des Droits de l'Homme peuvent illustrer parfaitement ces propos. Il nous semble d'aucune utilité de faire participer un État défaillant à la conclusion d'un traité de protection des Droits de l'Homme quand on sait par avance qu'un tel État pourra impunément n'en tenir aucun compte ou ne disposera pas d'institutions efficaces pour en assurer l'application122. En raison de l'objet et du but de ces traités, il paraîtrait justifié de dépasser le simple aspect formaliste qui milite pour une plus grande participation d'Etats et d'en refuser ainsi l'adhésion aux Etats défaillants qui n'offrent pas des garanties suffisantes pour en assurer le respect dans leur ordre juridique.

Ces difficultés quant à l'action internationale de l'État défaillant, ne se limitent pas qu'à sa seule faculté de s'engager, elles peuvent aussi se traduire par son incapacité à entretenir des relations diplomatiques et s'assurer par la-même une visibilité internationale.

B. L'ineffectivité du droit de légation de l'État défaillant

Le droit de légation est défini par J. Salmon comme « le droit pour un État souverain d'envoyer et de recevoir des agents diplomatiques »123. Selon la doctrine du droit naturel, le droit de légation constitue, au même titre que le droit de conclure des traités, le droit de guerre ou le droit de légitime défense, un attribut fondamental de tout État124. Mais étant donné que l'établissement des relations diplomatiques suppose nécessairement le consentement et le concours des deux souverainetés intéressées125, ce droit se décline dans la pratique plutôt comme une faculté, ou une capacité reconnue aux Etats. Ainsi, même en situation de défaillance, l'État conserverait toujours cette faculté car à la différence de la guerre, la déliquescence, même durable, des organes étatiques n'entraîne pas systématiquement la rupture des relations diplomatiques ; bien qu'en pratique, les Etats représentés dans ces Etats

121 Voir les discussions relations à l'introduction d'un article 5bis dans le projet de Convention sur le droit des traités, A/Conf.39/C.1/L/74 ; Pour plus de détails sur la question Voir NAHLIK, H., « La Conférence de Vienne sur les droits des traités », AFDI, 1969, pp. 24 et ss.

122 Dans le même sens, voir la critique formulée par le Professeur A. PELLET à l'endroit de ceux qu'il appelle les « droit-de-l'hommistes », PELLET, A., « « Droit-de-l'hommisme » et droit international », discours prononcé à l'occasion de la conférence commémorative GILBERTO AMADO aux Nations Unies à Genève le 18 juillet 2000, disponible sur http://www.alainpellet.eu/Pages/Articles.aspx

123 SALMON, J. (Sous la direction de), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 375

124 ROUSSEAU, Ch., Droit international public, Paris, Sirey, tome 1er, 1970, p. 29. Sur la théorie des droits fondamentaux de l'État, voir Le Fur Louis, « La théorie du droit naturel depuis XVIIIe siècle et la doctrine moderne », RCADI, 1927, III, Vol. 18, pp. 263 - 439 ; PILLET, A., Recherches sur les droits fondamentaux des Etats dans l'ordre des rapports internationaux et sur la solution des conflits qu'ils font naître, Paris, A. Pedone, 1899, p. 107

125 Article 2 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques : « L'établissement des relations diplomatiques entre Etats et l'envoi de missions diplomatiques permanentes se font par consentement mutuel ».

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défaillants aient dû rappeler leur personnel diplomatique en raison du climat d'insécurité générale qui y prévaut. Aussi, si l'État défaillant peut légitimement jouir d'un droit de légation en dépit de sa particularité, l'exercice effectif de ce droit n'est toujours pas garanti. L'absence de gouvernement effectif, car, le plus souvent dans ces Etats, plusieurs gouvernements établis sur une portion du territoire national revendiquent la légitimité de l'action internationale au nom de l'État défaillant, empêche l'envoi des missions diplomatiques et l'entretien de véritables relations diplomatiques avec les Etats étrangers. Dans le cas de la Somalie, par exemple, le changement récurrent de gouvernement a entraîné dans de nombreux Etats accréditaires la fermeture des ambassades de la République de Somalie, faute de véritables lettres d'accréditation de la part du nouveau gouvernement en place qui autoriseraient les agents diplomatiques somaliens à continuer à représenter valablement la Somalie. Par conséquent, les agents diplomatiques somaliens dans les Etats étrangers verront leur capacité d'action limitée et peuvent véritablement se retrouver dans une insécurité juridique. A titre illustratif, le juge britannique a dû limiter la capacité processuelle de l'État somalien devant les tribunaux nationaux en refusant toute représentativité à un ambassadeur, nommé par un premier gouvernement qui ne contrôlait qu'une portion du territoire national, au moment de l'exercice d'une action en réclamation du prix d'une cargaison de riz non livrée : « the former government ofd president Siad Barre had ceased to exist and Mrs Bihi has no accreditation or authority from any other government [...J»126.

Le droit de légation des Etats défaillants est non seulement privé d'effets dans le cadre des relations diplomatiques bilatérales, il l'est également dans la représentation de ces Etats auprès des organisations internationales ou régionales dont ils sont membres. L'absence d'un gouvernement effectif dans un État défaillant peut donc empêcher ce dernier de participer et de défendre ses intérêts lors des travaux de ces organisations internationales. C'est en effet le cas de la Somalie qui n'a pas eu de représentation aux différentes sessions de l'assemblée générale des Nations entre 1992 et 2000. En effet, conformément à la procédure de vérification des pouvoirs, au début de chaque session de l'AGNU, la Commission de Vérification des Pouvoirs doit examiner de manière formelle l'accréditation des représentants des Etats membres et vérifier l'authenticité de l'autorité accréditante (vérifier si l'accréditation a été donnée par un chef d'État, un chef de gouvernement ou un ministre des affaires étrangères, etc.)127. C'est ainsi qu'à l'ouverture de la XLVIIe session, le dernier représentant de la Somalie auprès de l'AGNU n'a pas pu justifier d'un véritable pouvoir de représentation en raison de l'absence de toute autorité gouvernementale du fait des circonstances politiques qui ont suivi le renversement du président de la Somalie Mohamed Siad Barré en 1991. Ce fut le premier cas de vacance de siège dans toute l'histoire de l'AGNU et il est à différencier des situations précédentes du Rwanda, de la Sierra Leone et du Liberia dont les pouvoirs ont été jugés réguliers par la Commission de vérification des pouvoirs, en dépit des troubles politiques que connaissaient ces pays128. Dans le cas somalien, aucun pouvoir n'a été présenté, entre 1992 et 2000, empêchant ainsi la Somalie d'avoir une

126 British High Court, Queen's Bench Division, Somalia v. Woodhouse Drake & Carey, 13 mars 1992, The weekly Law Report, 6 novembre 1992, p. 744, citée par CAHIN G., op. cit., p. 187.

127 Article 27 du Règlement intérieur de l'AGNU

128 Voir SHRAGA, D., « La qualité de membre non représenté : le cas du siège vacant », AFDI, 1999, pp. 649 - 664.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

représentation permanente auprès de l'ONU. Sa seule présence dans l'organisation internationale se réduit à une plaque portant son nom dans la salle de l'AGNU et dans les autres salles de conférence, faute de gouvernement habilité à désigner une personne autorisée à occuper cette place.

En somme, l'État défaillant, en raison des difficultés matérielles inhérentes à sa situation, peut être paralysé dans l'exercice effectif des attributs que lui confère son statut d'État en droit international. Car ces attributs lui sont reconnus de droit par la personnalité juridique dont il dispose et encore plus par l'égalité de souveraineté qu'il partage avec ses pairs, deux éléments qui lui garantissent sa qualité d'État en dépit de sa défaillance.

Paragraphe 2 : la protection de la qualité d'Etat de l'État défaillant

L'État défaillant en dépit de ses vicissitudes n'en demeure pas moins un État au sens juridique du terme. Un État dont l'existence est protégée par sa personnalité juridique internationale (A) et dont la souveraineté doit être préservée (B) au même titre que tous les autres Etats.

A. Une personnalité juridique internationale protégée

D'une manière générale, la personnalité juridique peut être entendue comme « le fait d'être capable d'avoir des droits et des obligations juridiques dans un système de droit donné ou, en d'autres termes, d'être le destinataire direct des règles de ce système »129. Ainsi, dans l'ordre juridique international, la personnalité juridique internationale désigne concrètement le statut légal des sujets du droit international qui sont dépositaires de la capacité de recevoir des droits et de contracter des obligations en droit international. Cette personnalité juridique internationale renvoie en définitive à la possession de droits et devoirs découlant du droit international et à la capacité à les exercer ou à en être responsable en cas d'inobservation. L'État, sujet par excellence de cet ordre juridique, dispose de toute évidence de cette personnalité juridique internationale même s'il ne possède que l'un de ces droits et devoirs130. De l'avis de la CIJ, la personnalité juridique internationale peut être conférée à une entité (État ou organisation internationale) par le consentement des personnes juridiques internationales existantes, soit par une reconnaissance expresse ou une reconnaissance impliquée et donc tacite131. Cela suppose en effet que pour acquérir la personnalité juridique

129 BEDJAOUI, M., Droit international. Bilan et Perspectives, Paris, A. Pedone, Tome 1, 1991, p. 23

130 CIJ, Affaire relative aux droits des ressortissants des Etats Unis d'Amérique au Maroc, arrêt du 27 août 1952, Rec. CIJ, 1952, p. 185 « [...] le Maroc, même sours le protectorat, a conservé sa personnalité d'État en droit international ».

131 CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, 11 avril 1949, Rec. CIJ, 1949, p. 174

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internationale, l'État postulant aura démontré auprès des membres existants, jusque là auteurs des règles de droit et responsables de leur application, sa capacité à assumer les droits et obligations qui découlent de l'ordre juridique international. C'est pourquoi, ayant acquis la personnalité juridique internationale, l'État peut la conserver aussi longtemps qu'elle possédera les moyens d'en assumer les conséquences. Dans une telle configuration, il peut sembler difficile pour un État défaillant, déstructuré, de pouvoir prétendre encore à la personnalité juridique internationale. Ce n'est cependant pas encore le cas en droit international. L'exemple somalien illustre une nouvelle fois de façon pertinente le paradoxe entre le maintien de la personnalité juridique internationale des Etats défaillants et leur déliquescence avérée. En effet, après plusieurs années de crises politiques à répétition, la Somalie était encore, il y a quelques années, « le seul pays au monde à ne pas avoir de gouvernement national et dans lequel les fonctions incombant d'ordinaire à un État (...) ne sont plus assurées »132. Pourtant, la disparition définitive de la Somalie en tant qu'État n'a jamais été validée, son existence, au contraire, continue d'être approuvée par la pratique de l'ONU. Le conseil de sécurité a toujours invité, entre 1992 et 1994, le chargé d'affaires somalien à assister aux débats du conseil concernant son pays133. Les organes et institutions de l'ONU ont aussi, dans leur pratique, continué à affirmer l'existence de la personnalité juridique de la Somalie. Cette dernière est membre de la Commission des Droits de l'Homme jusqu'à la fin de son mandat en 1992. Par conséquent, la Somalie n'a donc jamais perdu sa qualité d'État membre de l'ONU. La présence symbolique de sa plaque dans la salle de l'AGNU peut de surcroît en témoigner.

En outre, la protection de la personnalité juridique de la Somalie se reflète dans les efforts sans cesse soutenus de la communauté internationale à limiter la déliquescence de son autorité et à rétablir la paix dans le pays. Cela se concrétise par l'organisation de nombreuses conférences nationales de réconciliation, d'abord au plan régional par les Etats voisins, et à l'échelle internationale par l'intervention humanitaire des autres Etats sous les auspices de l'ONU avec les interventions des « casques bleus »134. Cette volonté de la communauté internationale de maintenir la Somalie unie en tant qu'État se manifeste aussi par l'absence de reconnaissance d'autres Etats en faveur de la collectivité sécessionniste du Somaliland. Ces recours de la communauté internationale au chevet de la Somalie et de bien d'autres Etats défaillants témoignent de la nécessité de la protection de la qualité d'État de ces entités, en dépit de leur déliquescence, et suffisent aussi à prouver qu' « une fois la situation juridique d'État constituée, le droit international lui assure une certaine permanence, indépendamment de la vérification effective des conditions » à remplir pour bénéficier du statut d'État135. L'État défaillant bénéficie aussi de cette protection au regard de l'un de ses principaux attributs, à savoir sa souveraineté.

132 S/1999/882, Rapport du Secrétaire général sur la situation en Somalie, 16 août 1999, §63.

133 S/23445 du 20 janvier 1992 in Répertoire de la pratique du Conseil de Sécurité - Supplément 1989 - 1992, p. 647.

134 Dans la période 1992 - 1995, on peut compter deux opérations des Nations Unies en Somalie : ONUSOM I (1992 - 1993) et ONUSOM II (1993 - 1995).

135 RUIZ FABRI H., « Genèse et disparition de l'État à l'époque contemporaine », AFDI, 1992, pp. 153 - 178, précisément p. 162.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

B. Une souveraineté de jure protégée

Il s'agit ici de la souveraineté dans sa conception négative i.e la souveraineté internationale de l'État qui implique sa non-soumission à une autorité considérée comme lui étant supérieure dans l'ordre international et qui détiendrait une puissance légale envers lui. Vue sous cet angle, la souveraineté internationale ne diffère en rien de la notion d'indépendance, situation de fait « qui permet à une collectivité de prétendre à la qualité d'État » et dont la souveraineté internationale ne serait qu'une « formalisation légale »136. Ainsi, dans une représentation chronologique de la création d'un État, c'est donc la réalisation d'une indépendance effective qui détermine l'acquisition de la souveraineté internationale.

Cependant, ce postulat semble n'avoir pas été appliqué dans le processus de création de nombreux Etats, catalogués aujourd'hui comme défaillants137.On peut remarquer dans le processus de création de ces Etats défaillants un retournement du processus d'acquisition de la souveraineté qui s'est traduit par « la reconnaissance de la qualité d'État souverain à des entités dépourvues d'autorités gouvernementales effectives [...], et ce sur la base du droit à l'autodétermination [...] » et cela a conduit à « faire de l'indépendance formelle la base de la souveraineté »138. De ce fait, certains auteurs notamment les laudateurs de la théorie de la dualisation de la souveraineté139 remettent en cause la souveraineté internationale de ces Etats défaillants considérés comme des « Etats des Nations Unies »140. Mais contrairement à la doctrine, la pratique des Etats et notamment au niveau de l'ONU semble légitimer ce cheminement inverse vers l'acquisition de la souveraineté. Les efforts de la communauté internationale à protéger la souveraineté de tous ses membres et, en particulier, celle des Etats défaillants, en sont la manifestation. Cette volonté de protection se caractérise d'abord par la consécration du principe de non-intervention dans les affaires intérieures des Etats quels qu'ils soient, défaillants ou « forts ». Dans le droit des Nations Unies, ce principe découle de l'alinéa 7 de l'article 2 de la Charte141 et sera plus tard élevé par l'AGNU au rang de principe fondamental touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats dans sa déclaration du 24 octobre 1970142. Dans la même veine, la CIJ dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats Unis) va considérer ce principe comme une règle « absolue et sacrée » dont « l'inobservation pourrait avoir des conséquences désastreuses et causer d'indicibles souffrances à l'humanité »143.

136 COMBACAU J. et SUR S., op. cit. p. 235

137 Notamment les Etats issus de la décolonisation et de la décommunisation (Voir supra Chapitre 1).

138 MOUTON J. - D., « L'État selon le droit international : diversité et unité » in S.F.D.I., L'État souverain à l'aube du XXIe siècle, Paris, A. Pedone, 1994, pp. 79 - 106, 89.

139 Voir JACKSON R., « Quasi - States, dual regimes and neoclassical theory : international jurisprudence and the third world », International Organization, Vol. 41, n°4, (Autumn 1987), pp. 519 - 549, disponible sur http://www.jstor.org/stable/2706757 (Consulté le 14 juillet 2012)

140 VERHOEVEN J., « L'État et l'ordre juridique international », RGDIP, 1978, pp. 749 - 774,

141 Cette disposition se lit comme suit : «Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État [...] ».

142 Résolution 2625 (XXV), déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, A/8082, 24 octobre 1970.

143 CIJ, Aff. des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats Unis d'Amérique, fond) du 27 juin 1986, Rec. CIJ, 1986, p. 211.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

C'est donc à ce titre que le conseil de sécurité n'a cessé de rappeler à tous les Etats de « s'abstenir d'intervenir militairement en Somalie et que le territoire somalien ne doit pas servir à compromettre la stabilité dans la sous-région »144. En dépit de l'état de déconfiture des Etats défaillants, les autres Etats se doivent de respecter leur souveraineté, leur intégrité territoriale ainsi que leur indépendance politique. Le conseil de sécurité se porte ainsi garant du respect des principes cardinaux qui découlent de la souveraineté des Etats défaillants. Il le rappellera dans de nombreuses résolutions prises sur la situation en Somalie comme sur celle de bien d'autres Etats en déliquescence145. Ainsi, toute intervention internationale dans un État défaillant devrait s'effectuer dans le strict respect des règles traditionnelles du recours à l'emploi de la force résultant du droit et de la pratique de l'ONU. Une telle intervention, à défaut d'avoir été sollicitée par l'État défaillant lui-même, faute de gouvernement effectif146, doit être justifiée par une situation d'extrême détresse147 ou par l'état de nécessité148 de mener une telle action de protection des personnes civiles en péril de mort. A ce titre, on pourrait s'interroger sur la légalité de l'intervention américaine en Afghanistan à la suite des attentats du 11/9 ou encore des frappes de l'armée américaine sur Mogadiscio contre des factions terroristes présumées alliées d'Al-Quaida dans la région. A tout le moins, l'incapacité de ces Etats à lutter efficacement contre ces mouvements terroristes, en raison de leur défaillance, pourrait expliquer ces interventions armées qui assurément ne s'inscrivent dans un aucun cadre légal et violent par conséquent la souveraineté de ces Etats défaillants. Se pose alors la question de l'effectivité de cette souveraineté au regard des obligations internationales incombant à ces Etats et, de manière générale, de leur capacité à appliquer le droit international.

Section 2 : L'applicabilité du droit international par les Etats défaillants : un

régime à inventer

Du point de vue de la technique juridique, le régime statutaire des Etats défaillants ne se différencie d'aucune façon de celui des autres Etats. Par conséquent, si l'État défaillant, en dépit de sa particularité, peut jouir des droits qui découlent de son statut, l'application des obligations internationales qui lui incombent, en tant que sujet à part entière du droit international, peut, par contre, se révéler très problématique. En effet, la défaillance étatique peut sérieusement remettre en cause le respect par l'État défaillant de ses obligations internationales (Paragraphe 1). A ce niveau, il faudrait remarquer que l'unité du droit international sur le régime statutaire qui lui est reconnu ne résiste pas dans la recherche des

144 S/PRST/2001/1, Déclaration du président du Conseil de Sécurité sur la situation en Somalie, 11 janvier 2001, disponible sur http://urls.fr/5rh (Consulté le 14 juillet 2012)

145 S/RES1519 (2003) du 16 décembre 2003

146 S/RES/387 (1976) du 31 mars 1976

147 Article 24 du projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, Annexe de la résolution AGNU/26/83 du 12 décembre 2001

148 Article 25 du projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, Annexe de la résolution AGNU/26/83 du 12 décembre 2001

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

conséquences juridiques qui découlent de la violation de ces obligations internationales, notamment sur le terrain du droit de la responsabilité internationale (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'État défaillant face à ses obligations internationales

En règle générale, L'État défaillant, privé d'organes exécutifs, momentanément ou de façon chronique, se trouve dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations internationales lato sensu à savoir les obligations conventionnelles ou coutumières découlant du droit international. Mais dans les développements qui vont suivre, seules les obligations conventionnelles retiendront notre attention. En effet, en l'état actuel du droit international, la défaillance étatique n'est pas considérée comme une circonstance d'extinction, de retrait ou de suspension de l'exécution des traités. Il serait alors intéressant de voir comment le droit international appréhende la défaillance étatique dans l'exécution des obligations résultant des traités internationaux (A). Et pour donner plus de visibilité à cette analyse, nous nous intéresserons à la problématique de l'application des obligations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme dans les Etats défaillants (B).

A. L'exécution des obligations conventionnelles par les Etats défaillants

Pour déterminer de quelle manière la défaillance étatique peut impacter l'exécution des traités, il importe de préciser au préalable le statut de ces traités au regard de la situation de défaillance étatique. Il faudrait dire à ce sujet que la défaillance étatique ne remet absolument pas en cause le principe de la continuité de l'État. Par conséquent, la sécurité juridique des relations conventionnelles est protégée par ce principe de continuité de l'État. C'est pourquoi après une Révolution ou un changement de gouvernement, un État ne peut pas déclarer ne pas être lié par les traités qui ont été signés et ratifiés par le gouvernement précédent. De la même manière, une situation de défaillance, qu'il s'agisse d'une simple situation momentanée de désordre institutionnel ou une anarchie chronique dans les institutions gouvernementales, n'entraîne pas une extinction des obligations conventionnelles qui continuent de lier l'État défaillant. A titre d'exemple, la charte somalienne de transition de 2001 réaffirme l'adhésion de la Somalie aux traités internationaux conclus par tous les gouvernements précédents149. Mais si la défaillance étatique n'éteint pas les obligations conventionnelles qui lient l'État défaillant, leur application demeure cependant extrêmement dépendante de l'existence de structures étatiques efficaces. Le respect du principe de la pacta sunt servanda150 qui préside à l'exécution des obligations conventionnelles implique l'existence d'organes étatiques forts dont ne disposent pas les Etats défaillants. Il faudrait

149 Article 3 de la Charte Nationale de Transition citée par la Commission des Nations Unies pour les droits de l'homme dans son rapport sur la situation des droits de l'homme en Somalie, Doc. E/CN/2001/105, 13 mars 2001.

150 Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

alors déterminer le régime juridique pouvant régir les obligations conventionnelles incombant aux Etats défaillants. A ce sujet, la défaillance étatique pourrait être perçue comme un des cas exceptionnels prévus par la règle rebus sic stantibus de l'article 62 de la Convention de Vienne. Toutefois les juridictions internationales n'ont pas une interprétation uniforme de l'assimilation de la défaillance étatique à un changement fondamental de circonstances en vertu de la clause rebus sic stantibus. En 1997, la CIJ dans l'affaire Projet Gabcikovo - Nagymaros151, avait écarté les prétentions de la Hongrie, fondées entre autres, sur le changement des conditions politiques en Europe centrale entre 1977 et 1989. Tandis que dans l'affaire A. Racke GmbH & Co152 de 1998, la CJCE avait, quant à elle, considéré la dissolution de la Yougoslavie et la situation de guerre qui a prévalu dans la région comme un changement fondamental des circonstances justifiant la suspension puis la dénonciation par la Communauté Européenne d'un accord la liant à cet État. En effet, cette position de la CJCE pourrait se justifier par le fait que l'existence de structures gouvernementales en état de marche est indispensable à l'exécution des obligations conventionnelles, partant, leur défaillance pourrait être à juste titre considérée comme un changement fondamental de circonstances pouvant justifier l'inexécution des traités. Cependant, cette approche ne saurait être généralisée en raison de la difficulté à saisir le processus de la défaillance étatique. De ce fait, considérer la défaillance étatique comme une circonstance rentrant dans le cadre de la règle rebus sic stantibus ne contribuerait qu'à augmenter l'insécurité juridique dans l'application des obligations résultant des traités conclus avec les Etats défaillants. Néanmoins, la défaillance étatique pourrait être assimilée à un cas de force majeure qui, à défaut de justifier l'extinction des obligations conventionnelles incombant aux Etats défaillants, pourrait devenir une circonstance excluant la responsabilité internationale de l'État défaillant.

En définitive, les dispositions relatives à la non-application des traités se révèlent en l'état insatisfaisantes pour s'appliquer à la particularité de la défaillance étatique. Cette situation justifierait alors la nécessité d'inventer un régime juridique spécifique applicable aux Etats défaillants dans leurs relations conventionnelles bilatérales ou multilatérales. Cette urgence est encore beaucoup plus manifeste face aux difficultés qu'éprouvent les Etats défaillants dans l'application des traités de droits de l'homme et de droit international humanitaire.

B. L'exécution des obligations découlant du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme

Si ces deux corps de règles partagent essentiellement de nombreux points communs en raison de leur finalité, les difficultés que rencontrent les Etats défaillants dans leur application se situent dans des cadres légèrement différents.

151 CIJ, Projet Gabcikovo - Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, CIJ Rec. 1997, pp. 3, 64, §104.

152 CJCE, A Racke Gmbh & co. V. Hauptzollamt Mainz, arrêt du 16 juin 1998, C-162/96, Rec. I-3655

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Pour ce qui est des règles du droit international des droits de l'homme (ci-après DIDH), il faudrait dire que leur caractère objectif, non réciproque et universel font que leur application ne tient aucun compte de la qualité des Etats qui en sont chargés. En effet, les traités de droits de l'homme ont cette particularité de rendre l'État débiteur d'une obligation dont est créancier l'individu placé sous sa juridiction. En vertu des traités de protection des droits de l'homme dont est partie l'État, ce dernier devient le principal garant des droits dont bénéficie sa population. L'État est donc la véritable « raison d'être » des traités de protection des droits de l'homme153. Et pour assurer efficacement ce rôle, l'État doit disposer d'organes suffisamment forts afin d'apporter une protection maximale aux droits garantis. Cependant, comme a du le constater la Commission des droits de l'homme, les Etats défaillants, à l'instar de la Somalie et de l'Afghanistan, ne disposent pas d'une administration à même de respecter et de protéger ces droits et, par conséquent, leur adhésion aux instruments de protection des droits de l'homme n'auront aucun effet pratique154. Or, l'une des particularités des traités de droits de l'homme réside dans le fait que leur application n'autorise aucune suspension même en période de crise grave du moins en ce qui concerne un noyau dur de droits dont la protection est rendue incompressible155. Ce principe a été aussi consacré par l'article 60 §5 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qui exclut la possibilité de suspendre en conséquence de leur violation, l'application des « dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans des traités de caractère humanitaire ». La CIJ, pour sa part, a érigé ce principe au rang d'un « principe juridique général »156 rendant ainsi impossible la suspension des traités de droits de l'homme dans les situations de défaillance étatique, comme pourraient l'être les autres traités interétatiques. D'ailleurs, le simple fait que ces Etats soient157 régulièrement conviés à participer aux séances de travail des organes de contrôle des traités de droits de l'homme, vient aussi confirmer que l'application de ces traités n'était pas suspendue, en dépit de nombreuses violations souvent constatées.

Mais si la défaillance étatique n'entraîne pas la suspension des obligations résultant des traités de droits de l'homme, leur applicabilité n'en demeure pas moins un véritable défi pour les Etats défaillants. En effet, dans les Etats défaillants, l'État n'est pas toujours le seul agent transgresseur des règles de DIDH. Il est très souvent concurrencé en cela par le rôle sinistre joué par les milices et les différents groupes armés qui sont souvent à l'origine des violations graves et massives des droits de l'homme dans les Etats défaillants. Ainsi, la difficulté pour l'État défaillant d'assurer l'application des traités de droits de l'homme se trouve encore accrue par le fait que ces entités « ne sont pas, à strictement parler,

153 MUTUA M., « Savages, victims, and saviors : the metaphor of Human Rights», Harvard International Law Journal, Vol. 42, n°1, Winter 2001, pp. 201 - 245, 203.

154 Rapport sur la situation des droits de l'homme en Somalie, E/CN.4/2001/105 du 13 mars 2001. Voir aussi pour la Somalie le Rapport de l'expert indépendant sur la situation en Somalie, E/CN.4/1994/77/Add.1, §22 et pour l'Afghanistan celui du rapporteur spécial pour l'Afghanistan, E/CN.4/1994/53, §44.

155 Toutes les conventions de protection des droits de l'homme consacrent une liste de droits indérogeables en tout temps dont certains ont acquis la valeur de jus cogens, voir par exemple article du pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 14 al 2 de la Convention européenne des droits de l'homme.

156 CIJ, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du conseil de sécurité, avis consultatif du 21 juin 1971, CIJ Rec. 1971, pp. 47, §96.

157 UN Doc. A/50/18, Report of the Committe on the Elimination of Racial Discrimination, 22 september 1995, §593 - 596

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

juridiquement tenues de respecter les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme qui sont des instruments adoptés par des Etats, auxquels seuls des Etats peuvent officiellement adhérer ou que seuls des Etats peuvent ratifier » ; par conséquent « les mécanismes de surveillance établis en vertu de ces instruments ne sont pas habilités à contrôler les activités de ces groupes ni à prendre des mesures après avoir pris connaissances de rapports les concernant »158.

Ces mêmes difficultés d'applicabilité des règles du DIDH apparaissent également dans le champ d'application des règles du droit international humanitaire (ci-après DIH). Mais à la différence des règles de DIDH, les règles du DIH lient non seulement les Etats mais également les entités non étatiques qui participent aux conflits qui sont souvent à l'origine de la défaillance étatique. De fait, l'article 3, commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949, imposent aux parties à un conflit armé non international le respect de certaines règles minimales du DIH. Mais toute la difficulté d'application de ces règles à un État défaillant réside dans la qualification de ces « parties au conflit ». De manière générale, pour avoir la qualité de « partie au conflit », un groupe armé doit présenter un certain degré d'organisation et disposer d'un commandement responsable qui pourra être tenu responsable de l'application des règles du DIH pendant le conflit159. Cette condition d'organisation, indispensable à la satisfaction de la compétence rationae materiae des conventions de Genève sur le DIH, ne saurait être vérifiée au niveau des groupes armés en conflit dans les Etats défaillants. Il peut parfois aussi se révéler difficile d'établir une distinction entre les belligérants et les civils car ces derniers deviennent souvent la cible directe des combats. De ce fait, il peut techniquement s'avérer difficile, voire impossible, de qualifier de tels groupes armés de « parties au conflit » afin de leur appliquer les règles du DIH. Toutefois, la pratique du conseil de sécurité, dans le cadre des conflits en Somalie et au Sierra Leone, a permis de dégager une conception presque coutumière des « parties au conflit » dans les Etats défaillants. Le conseil de sécurité, dans plusieurs résolutions, a retenu l'appellation « parties au conflit » pour qualifier les groupes armés en conflit dans ces Etats défaillants160. Cet assouplissement dans la qualification de ces groupes armés vise essentiellement à faire entrer leur agissement dans le cadre de la compétence matérielle des règles du DIH. Pour paraphraser la CIJ, ceci en raison des « considérations élémentaires d'humanité »161 qui inspirent ces règles et qui doivent s'appliquer même aux acteurs des conflits armés non internationaux ayant lieu dans les Etats défaillants et qui ne rentrent pas toujours dans le champ des conditions de conflictualité posées par les conventions de Genève de 1949 et leurs différents protocoles additionnels.

158 Rapport du Secrétaire Général à la commission des droits de l'homme, règles humanitaires minimales, E/CN.4/1998/87, 5 janvier 1998, §59

159 Article 1 du Protocole II additionnel aux conventions de Genève relatif à la protection des victimes dans un conflit armé non international, Genève le 8 juin 1977, entré en vigueur le 7 décembre 1978.

160 Sur le Libéria SC/RES/788 du 19 novembre 1992 et sur la Somalie SC/RES/814 du 26 mars 1993

161 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats Unis d'Amérique), arrêt du 27 juin 1986, CIJ Rec. 1986, p. 114, §218 ; CIJ, Aff. Détroit de Corfou (Fond), arrêt du 9 avril 1949, CIJ Rec. 1949, p. 22, § 215.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Il apparait ainsi de manière incontestable que la défaillance étatique ne permet pas aux Etats d'honorer leurs obligations primaires en particulier celles découlant du DIDH et du DIH. Mais qu'en est-il des obligations secondaires ?

Paragraphe 2 : Les règles régissant les violations des obligations internationales

Il s'agira dans cette partie d'analyser les relations de l'État défaillant avec le corps des règles qui régissent les conséquences de son action consistant en la violation d'une obligation internationale. Mais bien plus que la seule violation d'une obligation internationale, il serait intéressant d'examiner ici l'applicabilité du régime juridique de la responsabilité internationale aux situations de défaillance étatique. Car, sujet incontesté du droit international et bénéficiant du même régime statutaire que tous les autres Etats, l'État défaillant doit aussi être comptable de son action dans l'ordre juridique international. Le corollaire nécessaire du droit étant la responsabilité, celle de l'État défaillant sera engagée si un fait internationalement illicite lui est attribuable (A). Mais cette condition, l'une des plus essentielles162 d'engagement de la responsabilité internationale des Etats peut a priori être difficilement remplie par un État défaillant qui souvent ne dispose pas d'une véritable structure gouvernementale à qui il pourrait être attribué la violation d'une obligation internationale. Par contre, la situation de défaillance étatique pourrait bien être considérée ici comme une circonstance excluant l'illicéité de l'action de l'État défaillant (B).

A. L'attribution d'un fait internationalement illicite à l'État défaillant

En matière de responsabilité internationale, la règle générale est donc que le seul comportement susceptible d'engager la responsabilité internationale de l'État est celui qui peut lui être attribué, c'est-à-dire celui de ses organes de gouvernement ou celui d'autres entités qui ont agi sous la direction, à l'instigation ou sous le contrôle de ces organes, en qualité d'agents de l'État163. Cette approche objective de la responsabilité internationale, adoptée par la CDI, vise donc à limiter la responsabilité de l'État à un comportement qui l'engage directement (par le canal de ses agents) et à établir aussi l'autonomie des personnes privées qui agissent pour leur propre compte et dont les agissements, sans lien avec une entité publique, peuvent avoir une « portée internationale »164. Cette définition des critères d'attribution d'un fait internationalement illicite (ci-après fii) ne saurait être appliquée aux

162 Rapport de la Commission de droit international à l'Assemblée Générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, A/CN.4/SER.1/2001/Add.1(Part2), p. 39

163 Article 4 du Projet d'article de la CDI sur la responsabilité des Etats, Annexe de la Résolution A/RES/56/83, du 28 janvier 2002 ; Sur l'attribution d'un fait internationalement illicite à un État de manière générale voir CONDORELLI L., « L'imputation à l'État d'un fait internationalement illicite : solutions classiques et nouvelles tendances », RCADI, 1984-VI, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht/Boston/London, 1988, t. 189, p. 19 - 216.

164 Article 1 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, A/CONF.183/9 du 17 juillet 1998

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Etats défaillants dont le principal symptôme est l'absence d'organes officiels qui pourraient répondre internationalement d'un fait internationalement illicite attribué à l'État défaillant. Il faudrait alors rechercher ailleurs, dans le projet d'articles de la CDI, des dispositions susceptibles de retenir la responsabilité internationale d'un État en dépit de sa défaillance.

Dans ce contexte, l'article 9 dudit projet pourrait s'appliquer avec succès. En effet, cette disposition intitulée « comportement en cas d'absences ou de carence des autorités officielles », attribue à l'État le comportement d'un groupe de personnes qui « exerce en fait des prérogatives de puissance publique en cas d'absence ou de carence des autorités officielles et dans des circonstances qui requièrent l'exercice de ces prérogatives ». D'après le commentaire du projet d'articles165, cette disposition vise en particulier un cas exceptionnel à la suite d'une révolution, d'un conflit armé, d'une occupation étrangère où des forces irrégulières prennent la place des autorités officielles empêchant ces dernières d'exercer leurs fonctions dans un domaine ou un endroit précis. Plus loin dans le commentaire de son projet d'article, la CDI précise aussi que ces situations envisagées supposent « l'existence d'un gouvernement officiel et d'un appareil d'État dont des irréguliers prennent la place ou dont l'action est complétée dans certains cas ». A travers cette dernière précision, la CDI semble viser davantage des situations plus transitoires que celles qui caractérisent l'état de défaillance. Dans ces conditions, il sera difficile d'attribuer à l'État le comportement des groupes armés qui, pourtant, contrôlent effectivement une partie du territoire de l'État défaillant et y exerce aussi des prérogatives de puissance publique comme c'est le cas, en Somalie du somaliland qui est sous le contrôle des milices du Somalian National Movement (SNM) depuis les années 1980 et du Puntland passé depuis la fin des années 1990 sous le contrôle des éléments du Somalian Salvation Democratic Front (SSDF).

En revanche, l'article 10 du projet d'articles qui régit le comportement des mouvements insurrectionnels pourrait s'appliquer aux cas de défaillance étatique dont de tels mouvements sont souvent à l'origine. Mais afin d'attribuer un fii à un mouvement victorieux devenu le nouveau gouvernement d'un État défaillant, il faudrait au préalable réussir à qualifier de mouvement insurrectionnel. Or, la CDI, dans son projet d'article, ne fournit ni la définition du mouvement insurrectionnel ni les critères permettant de qualifier un mouvement comme tel.

Au vu de tous ces éléments, on peut remarquer que dans son projet d'articles, la CDI n'a pas tenu grand compte de la défaillance étatique dans la codification du régime juridique de la responsabilité internationale des Etats. C'est pour cette raison que les différentes dispositions du projet d'articles peinent à s'appliquer véritablement aux Etats défaillants. Mieux encore, dans l'économie générale du projet d'articles, la défaillance étatique peut être considérée comme une circonstance excluant l'illicéité.

165 Projet d'articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Annuaire de la CDI, 2001, Vol. II, p. 117

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

B. La défaillance étatique, une circonstance excluant l'illicéité ?

En droit de la responsabilité internationale, une circonstance excluant l'illicéité est une situation ayant une valeur d'exception ou de justification qui vient dédouaner l'État de sa responsabilité qui serait pourtant effectivement fondée sur la violation d'une obligation internationale. Dans le chapitre V de son projet d'articles, la CDI a défini six circonstances excluant l'illicéité d'un fait qui serait pourtant internationalement illicite et qui serait attribué à un État. Il s'agit du consentement (art 20), de la légitime défense (art 21), des contre-mesures (art 22), de la force majeure (art 23), de la détresse (art 24) et de l'état de nécessité (art 25).

Parmi toutes ces circonstances, la défaillance étatique peut être assimilée à un cas de force majeure définie par le projet d'articles de la CDI comme « la survenance d'une force irrésistible ou d'un évènement extérieur imprévu qui échappe au contrôle de l'État et induit qu'il est matériellement impossible, étant donné les circonstances, d'exécuter l'obligation »166. La force majeure, dans le projet d'articles, va au-delà de la simple impossibilité d'exécuter un traité167 car les circonstances dans lesquelles la force majeure peut être invoquée s'étendent jusqu'à la perte de contrôle d'une partie du territoire de l'État, suite à une insurrection ou à la dévastation d'une zone engendrée par des opérations militaires conduites par un État tiers168. Ainsi, l'État défaillant, en proie à un conflit armé et ayant perdu le contrôle d'une partie de son territoire, ne peut donc pas être tenu responsable des dommages résultant de son incapacité matérielle à prévenir les actes des particuliers ou encore à en assurer la répression, conformément à son obligation de diligence.

Cependant, l'application de la force majeure à une situation de défaillance étatique pourrait être compromise par les dispositions du paragraphe 2 du même article 23. En effet, en vertu de cette disposition, l'État défaillant ne pourra pas s'exonérer de sa responsabilité en invoquant une force majeure lorsque cette dernière est due soit uniquement soit en conjonction d'autres facteurs à son propre comportement. De fait, même si de multiples causes structurelles et conjoncturelles peuvent expliquer la défaillance étatique, il faudrait indiquer que les décisions unilatérales prises en toute souveraineté par les autorités d'un État, avant son processus de désintégration, peuvent aussi rentrer en ligne de compte. Ces décisions unilatérales, les choix de politique opérés peuvent constituer la « contribution » des gouvernants des Etats défaillants à l'effondrement de l'appareil d'État et à la décomposition du pays. On pourrait alors considérer que l'État défaillant a contribué d'une manière ou d'une autre à la survenance de la circonstance qui a rendu impossible l'exécution de ses obligations internationales.

166 Article 23, projet d'articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, A/RES/56/83, 12 décembre 2001

167 Annuaire de la Commission du Droit International, 1966, vol. II, p. 278

168 Rapport de la Commission à l'Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, ACDI, 2001, Vol. II, p. 81

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Partie 2 : L'État défaillant, un concept opératoire en droit international

S'il peut être établi que le concept d'États défaillants a servi de manière théorique à décrire et expliquer la crise de l'État, il est par contre assez difficile de démontrer l'utilité opérationnelle d'un tel concept dans la pratique des acteurs de la scène internationale. En effet, l'étude des enjeux théoriques du concept d'Etats défaillants nous a permis de démontrer qu'il s'agit d'un système de sens mis en place dans les milieux universitaires et politiques pour expliquer la crise de l'institution étatique à laquelle est confrontée la société internationale. Et comme pour tout système de sens, les acteurs qui l'utilisent ne démontrent pas clairement la finalité particulière qu'ils poursuivent. Toutefois, une étude des caractéristiques intrinsèques de l'objet du concept - les Etats défaillants en tant que réalité matérielle - et des actions de la communauté internationale169 à l'égard de ces Etats, peut nous permettre d'appréhender l'objectif pratique de ce concept. A cet effet, l'une des premières et sans doute la principale réponse à la crise de l'État est ce que Jean-Denis MOUTON appelle « l'internationalisation de l'État »170. Il s'agit d'une autre forme d'intervention internationale qui se met en place le plus souvent après les conflits dans les Etats défaillants et qui opère une double mission : endiguer la violence et le chaos qui y règnent et surtout réaffirmer la présence et la puissance de ses pouvoirs publics contestés et fragilisés. La communauté internationale vient ainsi au secours de l'État défaillant pour pallier à sa déliquescence en restaurant sa légitimité et son autorité. Au nom d'une action sous forme de principe de subsidiarité, la communauté internationale s'érige en architecte de la reconstruction des Etats qui sont incapables de le faire eux-mêmes. Ces actions de reconstruction peuvent rappeler un phénomène, déjà très ancien, ayant vu le jour dans l'entre-deux-guerres à savoir le système d'administration internationale. Mais après la guerre froide, ce mode de gestion des territoires a été réactualisé et s'est davantage généralisé. Les acronymes renvoyant à ce type d'intervention internationale peuvent en témoigner : APRONUC (Autorité des Nations Unies au Cambodge), CPR (Coalition Provisional Authority in Irak), l'ATNUTO (Administration Transitoire des Nations Unies au Timor Oriental)171, etc. L'ONU n'est pas le seul acteur de cette « internationalisation » des Etats. Elle est secondée par d'autres acteurs poursuivant le même objectif. Ainsi, l'administration de la ville de Mostar par la Communauté Européenne ou celle de la Bosnie - Herzégovine par le « Haut Représentant » participent aussi de ce type d'intervention internationale172.

Que la communauté internationale intervienne dans les Etats défaillants, cela ne constitue sans doute pas un phénomène nouveau en droit international. Mais ce qui a retenu notre

169 Dans cette partie, l'expression abstraite « communauté internationale » servira à désigner l'ensemble des organisations internationales composées d'Etats et autres bailleurs de fonds étatiques qui interviennent dans la reconstruction des Etats défaillants.

170 Voir MOUTON J. - D., « Crise et internationalisation de l'État : une place pour l'État multinational ? », in L'État multinational et l'Europe, Presses Universitaires de Nancy, 1997, pp. 9 - 18

171 Voir N. QUOC DINH, DAILLIER P. et PELLET A., Droit international public, Paris, L.G.D.J., 7ème éd., 1992, p. 611 - 612

172 Pour une présentation générale des projets d'administration internationale depuis 1932, voir WILDE R., International territorial Administration - How Trusteeship and the Civilizing Mission Never Went Away, Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 94 - 95

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attention et qui nous permettrait de mettre en lumière l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants dans cette ingénierie de la reconstruction étatique, est le fondement à la fois juridique et politique d'un tel projet. Dans ce contexte, le concept d'Etats défaillants vient donc légitimer une nouvelle forme d'action internationale qui va au-delà de la traditionnelle ingérence humanitaire et qui implique une véritable « réinterprétation »173 de la souveraineté des Etats défaillants. L'État défaillant, en représentant une menace pour sa propre sécurité et celle des autres Etats, impose à ces derniers une nouvelle obligation. La CIISE appelle cette nouvelle obligation, la responsabilité de protéger, qui rend admissible une intervention à des fins de protection humaine, y compris une intervention militaire dans les cas extrêmes, lorsque des civils sont en grand danger ou risquent de l'être à tout moment et que l'État en question ne peut pas ou ne veut pas mettre fin à ce péril ou en est lui-même l'auteur »174. Cette responsabilité, quoique dite de protéger, ne se limite pas en réalité à la seule protection des personnes civiles, elle implique une autre obligation, celle de construire. C'est ce versant de la responsabilité de protéger qui focalisera notre intérêt dans cette partie car il permet de mettre nettement en avant l'aspect opérationnel du concept d'Etats défaillants à travers cette nouvelle forme d'intervention internationale considérée comme une réponse adéquate à la défaillance étatique (Chapitre 1). Cette analyse de l'aspect opérationnel du concept d'Etats défaillants devra conduire à une réflexion en profondeur sur son efficacité dans la résolution de la crise de l'État. Ce sera alors l'occasion d'envisager d'autres perspectives qui pourront dépasser la simple catégorisation des Etats et proposer d'autres approches et solutions au problème de la défaillance étatique (Chapitre 2).

173 Robert KEOHANE, «Political Authority after Intervention : Gradations in Sovereignty», in J-L. Holzegrefe and R-O. Keokane (eds.), Humanitarian Intervention : Ethical, Legal and Political Dilemmas, Cambridge University Press, 2003, p. 276

174 Rapport de la Commission Internationale sur les Interventions et la Souveraineté des Etats (CIISE), Ottawa, 2001, p. 16

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Chapitre 1 : L'intervention internationale, réponse à la défaillance étatique

La principale solution à la crise de l'État proposée par la communauté internationale a pris, depuis ces dernières décennies, la forme des interventions internationales. Ces interventions internationales se caractérisent par leur diversité et leur complexité croissante. Mais dans un contexte post-conflit, elles revêtent de manière générale la forme d'opérations de paix. Apparu au lendemain de la guerre froide, le concept d'opérations de paix a été consacré d'abord par l'Agenda pour la paix175 de 1992 et ensuite par le Rapport Brahimi176 de 2000 et il visait à remplacer l'ancien concept de maintien de paix dans le mandat des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales. D'après ce même rapport, les opérations de paix consistent à déployer une ou plusieurs équipes organisées de spécialistes civils, policiers ou militaires au lendemain d'un conflit dans le but de remplir deux fonctions : le maintien et la consolidation de la paix177. Tandis que les opérations de maintien de la paix visent le rétablissement et parfois l'imposition de la paix par des forces armées sous mandat international, les opérations de consolidation de la paix, quant à elles, qualifient une mission de long terme visant à créer les conditions d'une paix durable en renforçant les capacités fonctionnelles de l'État après un épisode conflictuel178. On peut déduire de ces définitions que la réponse à la crise de l'État dans les Etats s'orientera bien plus vers une opération de consolidation de la paix, combien même le maintien de la paix peut se révéler tout à fait indispensable et conditionne souvent la réussite de la reconstruction de l'État. Les termes anglais « peacebulding » et « state-bulding », termes les plus souvent employés pour désigner les opérations de consolidation de la paix traduisent mieux leur dimension concrète qui vise fondamentalement la reconstruction des Etats défaillants. C'est ce qui justifie le choix, dans les développements qui vont suivre, de l'expression state-bulding pour mettre en lumière les efforts de reconstruction déployés par la communauté internationale dans les opérations de consolidations de paix.

Quoiqu'il en soit, il faudrait observer que même si les fondements philosophiques de cette nouvelle génération d'action internationale remontent loin dans le passé, leur introduction au sein des mandats des opérations de paix est assez récente (Section 1). Les opérations visant la reconstruction des Etats défaillants se particularisent aussi par leur caractère multidimensionnel ou multifonctionnel. C'est ainsi que le cadre opérationnel de ces opérations touche à la fois les volets sécuritaire, politique, économique et social (Section 2).

175 BOUTROS BOUTROS-Ghali, op. cit. p. 7, §57

176 A/55/305 - S/2000/809, Etude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects, 21 Août 2000.

177 WHITE N., « Opérations de paix » in CHETAIL V. (dir.), Lexique de la consolidation de la paix, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 293 - 313, 313.

178 Département de maintien de la paix des Nations Unies, Opérations de maintien de la paix des Nations Unies : principes et orientations, New York, 2008, p. 19 ; Voir aussi TARDY T., Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : acteurs, activités, défis, Bruxelles,De boeck, 1ère éd., 2009, p. 280

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Section 1 : L'introduction des pratiques de consolidation de la paix au sein des

mandats des opérations de paix

La pratique de la consolidation de la paix doit son entrée dans le vocabulaire international et en particulier dans celui des Nations Unies, au lendemain immédiat de la guerre froide, à l'Agenda pour la paix de l'ancien secrétaire général de l'ONU Boutros BOUTROS-GHALI. L'ancien secrétaire général y décrivait déjà la consolidation de la paix comme l'un des quatre domaines d'activités essentielles de la gestion des conflits aux côtés de la diplomatie préventive, du rétablissement de la paix et du maintien de la paix. Plus loin, il précisait la finalité de la consolidation de la paix : « reconstruire les institutions et les infrastructures des nations déchirées par la guerre civile et les conflits internes [...] »179. En 1995, dans le Supplément à l'Agenda pour la paix180, il rappelait « le bien-fondé des efforts de consolidation de la paix après les conflits » et mettait aussi en exergue la nécessité de « mener une action intégrée » à travers les quatre domaines d'activités de la consolidation de la paix. Ces deux documents ont ainsi fait évoluer considérablement la conception de la consolidation de la paix au niveau de l'ONU. De l'Agenda pour la paix en 1992 au Supplément à l'Agenda pour la paix de 1995, la conception onusienne de la consolidation de la paix est passée d'une approche linéaire à une approche qui se veut plus intégrée. L'introduction, et surtout l'évolution de la consolidation de la paix dans le mandat des Nations Unies, seront entérinées en 2005 lors du sommet mondial qui confirmera « la nécessité d'une approche coordonnée, cohérente et intégrée de la consolidation de la paix au lendemain de conflits en vue de l'instauration d'une paix durable »181. Ce besoin de coordination a conduit l'ancien secrétaire général, Kofi Annan, à proposer à la suite du sommet, la création d'une Commission de Consolidation de la Paix afin de pallier au déficit institutionnel dans le domaine de la coordination des opérations de reconstruction des Etats après les conflits. Ainsi, les opérations de consolidation de la paix ont pu s'imposer dans l'arsenal des actions internationales en vue de résoudre la défaillance étatique et permettre par la même occasion à l'ONU, principal acteur de ces opérations, d'atteindre son principal but, à savoir « maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix (...) »182.

Aussi importante qu'elle puisse paraître, la notion de consolidation de la paix n'est cependant pas clairement précisée dans les textes officiels de l'ONU. Les différents rapports qui traitent de la consolidation de la paix, n'abordent la question que par le biais des opérations de consolidation de la paix. Cette constatation rend ainsi nécessaire la détermination des fondements substantiels de la notion de consolidation de la paix (Paragraphe 1). Ensuite, le fait que ces opérations, orientées vers la reconstruction des Etats,

179 BOUTROS BOUTROS-GHALI, op. cit., §15

180 Supplément à l'Agenda pour la paix, Rapport de situation présenté par le secrétaire général à l'occasion du cinquantenaire de l'ONU, A/50/60 - S/1995/1, 25 janvier 1995

181 Nations Unies, Secrétaire général, Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous, A/59/2005, 21 mars 2005, p. 26

182 Article 1er, Charte de l'ONU.

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puisse porter atteinte à la souveraineté des Etats défaillants oblige à préciser la spécificité de son cadre juridique (Paragraphe 2)

Paragraphe 1 : Les fondements substantiels des opérations de consolidation de la

paix

Le lendemain de la guerre froide a permis d'une manière générale une réflexion approfondie sur les pratiques de l'ONU dans la recherche de la paix. Ce besoin de réinterprétation de la conception de la paix se justifiait par le fait que la période de la guerre froide a réduit la paix à son acception la plus classique, à savoir l'absence de guerre. C'est pourquoi l'introduction des pratiques de consolidation de la paix au début des années 1990 visait donc à concilier les objectifs a priori contradictoires entre la conception d'une paix négative - se traduisant par une absence de guerre - et celle d'une paix positive - impliquant le maintien de la paix et la sécurité internationale, le respect des droits de l'homme. Il en résulte que les opérations de consolidation de la paix visent à établir une paix positive et structurelle nécessaire à la reconstruction des Etats défaillants (A). La poursuite de cet objectif doit ensuite reposer, sinon se concrétiser, par des actions structurantes et constructives menées par tous les acteurs impliqués dans la reconstruction des Etats défaillants (B).

A. La reconstruction des Etats à travers une paix structurelle

Bien qu'elle soit d'apparition récente comme pratique onusienne des opérations de paix, l'attention portée à la notion de consolidation de la paix par les Nations Unies ne tient pas d'une préoccupation circonstancielle. Plusieurs documents officiels témoignent de ce que, depuis ses origines, l'Organisation mondiale considère la recherche d'une paix durable, structurelle comme un élément important sinon la finalité ultime ayant présidé à sa création, lors de la conférence de San Francisco en 1945. En effet, une lecture combinée du préambule et de la charte, en particulier celle du chapitre premier relatif aux buts et objectifs de l'ONU, permet de constater que la paix y est envisagée dans une approche positive. A travers ces dispositions, on peut comprendre que la paix désigne à la fois un état mais surtout un processus devant conduire, selon les termes mêmes de la Charte, à « favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une plus grande liberté »183. A cet effet, la mission du maintien de la paix, incombant à l'organisation mondiale en vertu de l'article 1er de la charte, ne se limite pas seulement à la recherche d'une paix « négative » se traduisant par l'absence de conflit entre les Etats mais implique aussi la recherche à plus long terme d'une paix durable afin de favoriser le progrès social et de créer de meilleures conditions de vie.

183 Préambule de la Charte des Nations Unies, 26 juin 1945

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Ainsi, comme le fait remarquer Boris MIRKINE-GUERZEVITCH, « la sauvegarde de la paix et la défense des Droits de l'Homme »184 constituent véritablement les deux idées directrices de l'Organisation internationale. De ce fait, dans l'idée des rédacteurs de la Charte, la recherche de la paix dans sa dimension militariste, et ce avec des moyens spécifiques donnés par cette même charte, doit s'accompagner d'une action plus structurelle d'éradication des causes profondes du conflit afin d'établir une paix durable entre les anciens belligérants. On peut ainsi se rendre compte que l'idée d'une paix positive et structurelle sous-jacente à la notion de consolidation de la paix et en particulier aux opérations de reconstruction des Etats, était déjà ancrée dans la Charte des Nations Unies. La mise en oeuvre des nouvelles pratiques de consolidation de la paix ne seraient ainsi qu'un « retour aux sources de la Charte »185.

Par ailleurs, la formalisation de la consolidation de la paix peut à certains égards être considérée comme une codification au niveau de l'ONU des aspirations philosophiques, longtemps considérées comme idéalistes, du président Woodrow Wilson et, bien avant lui, de plusieurs penseurs du XVIIIème siècle. Les travaux d'Emmanuel KANT sur la paix perpétuelle peuvent être considérés comme les prémisses de cette paix structurelle que veulent établir les Nations Unies au moyen des opérations de consolidation de la paix. En effet, déjà en 1795, KANT publiait Vers la paix perpétuelle186 ouvrage dans lequel il considère que la paix n'a de véritable signification qu'en étant perpétuelle, à telle enseigne que l'expression « paix perpétuelle » s'apparente, selon lui, à un pléonasme. Par conséquent l'état de calme naturel qui existe entre deux guerres ne désigne pas la réalité d'une paix qui, d'après lui, ne peut se construire qu'à travers un projet de long terme. C'est pourquoi dans cet ouvrage ressemblant à un véritable traité de paix, il propose les conditions devant conduire à l'établissement d'une paix durable qui n'équivaudrait pas seulement à une suspension de la guerre. Une paix durable, de son avis, s'appuie d'une part sur un régime politique particulier qui est celui de la démocratie et d'autre part sur le respect d'autrui, le respect du droit, et le respect du droit d'autrui. Pour le professeur Jean-Denis MOUTON, c'est ce droit cosmopolitique, s'entendant à la fois comme le droit ayant pour destinataire la « communauté humaine » et comme le droit des obligations incombant aux Etats, qui a abouti à l'internationalisation des droits de l'homme et a consacré le passage d'une société internationale dominée par l'état de nature à une société respectant le droit187.

Ainsi, on peut en déduire que la création de l'ONU découle de cette vision kantienne, mais aussi de celle, bien avant KANT, de l'abbé de Saint-Pierre et de Jean Jacques Rousseau188, qui prônent la recherche de la paix par le droit.

184 MIRKINE - GUERZEVITCH B., « Quelques problèmes de la mise en oeuvre de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme », RCADI, 1953, t. II, vol. 83, p. 302.

185 DUPUY J. - M., « Sécurité collective et organisation de la paix », RGDIP, 1993, p. 623.

186 KANT E. et DARBELLAY J., Vers la paix perpétuelle : essai philosophique ; traduction précédée d'une introduction historique et critique par Jean Darbellay, Paris, éd. St Augustin, vol. 1, 1958, p. 188.

187 MOUTON J. - D., « L'Union Européenne, modèle original de combinaison de la force et du droit », in ACHOUR B. et LAGHMANI S. (sous la direction de ), Le droit international à la croisée des chemins. Force du droit et droit de la force, Paris, A. Pedone, 2004, pp. 281.

188 Voir BELISSA M., « Les projets de paix perpétuelle : une « utopie » fédéraliste au siècle des Lumières », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Coloquios, 2008, Puesto en Linea el 10 junio, 2008, disponible sur http://nuevomundo.revues.org/35192 (Consulté le 22 juillet 2012)

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Cette idée d'une paix perpétuelle, qui sous-tend la pratique de la consolidation de la paix a également été développée par le sociologue et chercheur norvégien Johan GALTUNG dans ses travaux sur la distinction entre « paix négative » et « paix positive ». Dans son ouvrage Peace, war and defense : essays in peace research189, il considère que la paix négative se caractérise par une « absence de violence directe entre groupes humains ou nations » tandis que la paix positive se gagne par une coopération à plus long terme entre ces groupes et ces nations et par l'éradication des causes profondes du conflit190.

Ainsi, du concept d'Etats défaillants à celui de la consolidation de la paix, la recherche des solutions à la défaillance étatique, par le biais des actions internationales, aura permis de redonner vie aux différents projets de paix perpétuelle qui ont, d'une manière ou d'une autre, fondé la création de la SDN puis de l'ONU dont les actions poursuivent cette finalité. De ce fait, l'instauration d'une paix structurelle dans les Etats défaillants apparait dans la démarche de la reconstruction des Etats comme un palliatif efficace pouvant empêcher une éventuelle rechute de la défaillance étatique.

Pour sortir des origines conceptuelles de la notion de consolidation de la paix, il faudrait signaler que, pour paraître moins utopiste, l'idée d'une paix structurelle qui sous-tend la pratique de la consolidation de la paix, nécessite une plus forte coopération des acteurs agissant dans ce domaine. De la communauté internationale à l'État défaillant lui-même, le projet de reconstruction étatique requiert une véritable action structurante.

B. La reconstruction des Etats au moyen d'une action structurante

La complexité et le caractère multidimensionnel du projet de la reconstruction étatique justifient qu'un tel projet soit mené au moyen d'une action structurante, fédérant tous les acteurs qui y sont impliqués. L'idée d'une action structurante, au service d'une paix structurelle qui anime la pratique de la reconstruction des Etats, n'est rien d'autre qu'un nouveau « retour aux sources de la charte »191 des Nations Unies. Il s'agit en réalité de recourir à la coopération internationale afin de « résoudre les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire » conformément au troisième alinéa de l'article premier de la charte. Ainsi, en raison du caractère polymorphe de l'entreprise de la reconstruction étatique, on peut distinguer plusieurs catégories d'acteurs impliqués à des degrés divers. On peut dénombrer, à ce propos, les acteurs étatiques (les Etats et les différents gouvernements), les acteurs non étatiques (la société civile, les organisations non gouvernementales, les agents économiques, les institutions financières internationales ainsi que les agences d'aide au développement, etc.) et les acteurs militaires (les organisations militaires, les forces multinationales agissant sous mandat international, etc.). C'est en effet la coordination de cette diversité d'intervenants qui conditionne la réussite de la consolidation

189 GALTUNG J., cité par CHETAIL V., op. cit. p. 29

190 Id.

191 Voir supra, note 207

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de la paix et, partant, de la reconstruction des Etats défaillants. Cette coordination est assurée au niveau de l'ONU, principal acteur de la gouvernance internationale, par la commission de consolidation de la paix qui agit sous la houlette du conseil de sécurité. En effet, dans les efforts de reconstruction des Etats défaillants, le conseil de sécurité demeure investi de la mission du maintien de la paix, au sens policier du terme et son action sera accompagnée dans les domaines social, économique voire politique par celle de la commission de consolidation de la paix.

Toutefois, si l'action internationale se révèle d'une importance capitale dans la reconstruction des Etats, il ne faudrait pas ignorer le rôle que peuvent jouer les acteurs locaux dans le projet de reconstruction de leur État, de leur société. La réussite du projet de reconstruction des Etats défaillants doit nécessairement passer par ce que le sociologue belge François POLET appelle « l'endogenéïsation du state-bulding »192. Le renforcement des capacités des acteurs locaux, en particulier de ceux issus de la société civile, ainsi que l'appropriation par ces derniers des différentes actions menées par la communauté internationale ne pourront que contribuer à la reconstruction effective des Etats défaillants. Il ne s'agit là que de réaliser le but de la pratique de la consolidation de la paix précisé dans l'Agenda pour la paix c'est-à-dire la définition au sein même des Etats défaillants des structures capables de raffermir la paix193. Dans ce contexte, la reconstruction étatique n'entraîne pas la création d'un nouvel État avec de nouvelles structures, elle vise entre autres tâches à « remettre en état l'infrastructure [existante afin de ] de jeter les bases du relèvement et de l'économie et entreprendre des réformes économiques à long termes »194.

S'inspirant directement des origines conceptuelles de la charte, la pratique de la consolidation de la paix, de par son caractère multidimensionnel, s'inscrit toutefois dans une perspective d'évolution des actions menées par les Nations Unies en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Cette évolution, se traduisant sous un certain angle par des efforts de reconstruction des Etats, a remis sur la table le sempiternel dilemme entre la souveraineté nationale des Etats, mêmes défaillants, et la légalité des interventions internationales aux fins de reconstruction de ces Etats. Il serait alors nécessaire de s'intéresser au cadre juridique dans lequel s'inscrivent ces interventions internationales d'une toute autre nature.

192 POLET F., « State Bulbing au Sud : de la doctrine à la réalité », in (Re-)construire les Etats, nouvelle frontière de l'ingérence, Alternatives Sud, 16 mars 2012, disponible sur http://www.cetri.be/spip.php?article2561 (Consulté le 23 juillet 2012)

193 A/57/277 - S/25111 du 1è juin 1992, Agenda pour la paix, Diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix, § 21.

194 S/2003/715 du 17 juillet 2003, Rapport de Secrétaire général présenté en application du paragraphe 24 de la résolution 1483 (2003) du Conseil de sécurité, § 87.

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Paragraphe 2 : Le cadre juridique de la pratique de la consolidation de la paix

Si d'un point de vue substantiel, la conception polymorphe des pratiques de consolidation de la paix ne constitue pas véritablement une innovation, cette constatation ne trouve pas aisément confirmation dans le cadre de l'analyse des fondements juridiques de ces opérations. La tendance à ce sujet se situe à mi-chemin entre l'idée d'une continuité des assises juridiques ayant toujours sous-tendu les opérations onusiennes, en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale, et une innovation tenant beaucoup plus à l'heure actuelle de la pratique des Etats. Ainsi, les pratiques de consolidation de la paix peuvent sans aucun doute être fondées sur la base du chapitre VI et du Chapitre VII de la Charte de l'ONU (A). Toutefois, la particularité des Etats défaillants, cadre géo-spatial, d'opérationnalisation de la pratique de la consolidation de la paix a, depuis ces dernières années, constitué une partie de la justification des pratiques de consolidation de la paix. En raison de l'incapacité des Etats défaillants à assurer le bien-être de leur population, et surtout du fait qu'ils sont devenus eux-mêmes des menaces à la paix et à la sécurité internationale, les autres Etats se sont reconnus une responsabilité de protéger les personnes civiles et de reconstruire l'État qui n'en est pas matériellement capable. Cette obligation non encore codifiée, s'apparente ainsi à une obligation d'origine coutumière qui viendrait fonder l'action de reconstruction d'un État défaillant (B).

A. Les chapitres VI et VII de la Charte de l'O.N.U.

Bien que constituant une nouvelle génération des opérations de maintien de la paix, les opérations de reconstruction des Etats relèvent du cadre juridique existant qui a toujours été appliqué par l'ONU dans sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Elles reposent dès lors sur ce que l'ancien secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjöld, appelait le « chapitre VI et demi » oscillant entre les méthodes traditionnelles du règlement pacifique des différends consacrées par le chapitre VI et une action plus coercitive, moins axée sur le consentement en vertu du chapitre VII de la charte. Ainsi, le fondement des opérations de reconstruction des Etats doit trouver son point d'ancrage autant dans les dispositions du chapitre VI que dans celles du chapitre VII.

En effet, les opérations de reconstruction étatique, s'apparentant davantage à la diplomatie préventive195, s'inscrivent véritablement dans la logique des « procédés de pacification » de premier ordre consacrés par le chapitre VI de la Charte196. Toutefois, dans la mise en oeuvre des opérations de consolidation de la paix, les résolutions adoptées par le conseil de sécurité ou par l'Assemblée générale, ne mentionnent pas expressément la référence au chapitre VI de la Charte. Néanmoins, la détermination du fondement juridique dans le cadre du chapitre VI, pourrait être présupposée dans toutes les résolutions de l'ONU mettant en place des

195 A/47/277 - S/24111, Agenda de la paix, 17 juin 1992, op. cit., § 21.

196 VIRALLY M., L'organisation mondiale, Paris, A. Colin, 1972, p. 419

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opérations de consolidation de la paix. Il ne saurait en être autrement en raison de la nature structurelle de ces opérations dont la réussite nécessite le consentement de tous les acteurs impliqués. Le consensualisme va ainsi servir de socle à la pratique de la consolidation de la paix et pourrait s'entendre d'un double point de vue. Il s'agit d'abord d'une obligation juridique qui participe au respect du principe de l'égalité souveraine qui existe entre les Etats et qui n'autorise d'ingérence d'aucune sorte dans les affaires intérieures des autres Etats conformément au paragraphe 7 de l'article 2 de la Charte197. Le consentement de l'État hôte est requis à plus forte raison du fait des compétences reconnues à ces opérations ; lesquelles compétences touchent parfois à la substance même de la souveraineté de ces Etats. Si la consolidation de la paix peut se concrétiser par des activités de gouvernement dans les Etats défaillants, il serait impératif de recueillir, au préalable, le consentement de ces derniers en considération de la souveraineté de jure qui leur est encore reconnue. Comme l'a souligné la Cour internationale de justice dans l'Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, l'absence du consentement d'un État rend illicite une intervention internationale portant sur des matières dont la libre administration est garantie par le principe de l'égalité de souveraineté entre les Etats198.

Ensuite, l'exigence du consentement de l'État hôte semble également incontournable en ce qu'elle conditionne la réussite pratique des opérations de consolidation de la paix. De manière générale, ces opérations sont mises en place à la suite d'un accord entre les parties au conflit et l'ONU. Ainsi, la bonne exécution de ces accords repose fondamentalement sur une relation consensuelle qui doit exister entre les différents acteurs. C'est la raison pour laquelle le Rapport Brahimi appelle les opérations de consolidation de la paix des « opérations de mise en oeuvre des accords de paix »199. Le concours de l'État défaillant et des autres parties au conflit - les mouvements rebelles par exemple - est indispensable à la bonne exécution de ces accords de paix. La défaillance de l'État ne justifie pas qu'il lui soit appliqué des décisions auxquelles il n'a pas consenti au préalable. L'ancien secrétaire général, M. BOUTROS-GHALI, va dans le même sens quand il considère que « la consolidation de la paix n'est pas une thérapie que l'ONU peut imposer à un patient peu disposé à l'accepter (...) »200.

Toutefois, si le consentement de l'État hôte s'avère indispensable à la réussite de l'opération de consolidation de la paix, il ne constitue pas une nécessité juridique qui conditionne, dans l'absolu, la mise en place de telles opérations. Mais en cas d'échec des procédés pacifiques, le conseil de sécurité peut se dispenser de recueillir le consentement de l'État défaillant et décider de la mise en place d'une opération de consolidation de la paix sur le fondement d'un ensemble de dispositions, contenues dans le chapitre VII, qui lui donnent un pouvoir discrétionnaire d'action en cas de menace à la paix, rupture à la paix ou d'agression. La menace contre la paix, la rupture de la paix ou l'agression, qui doivent au

197 Pour une analyse approfondie des implications de cette disposition, Voir MAMPUYA A., « Historique et contenu de l'article 2§7 », in La pratique de l'exception posée par l'article 2§7 de la Charte des Nations Unies : Que reste-t-il de la clause de compétence nationale ? Civitas Europa n°17, Décembre 2006, p. 29.

198 CIJ, Affaires des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt du 27 juin 1986, CIJ, Rec. 1986, p. 108, § 205.

199 A/55/305 - S/2000/809 du 2A août 2000, Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies, § 20.

200 A/51/1, Rapport du Secrétaire général sur l'activité de l'Organisation, 20 août 1996, § 1095

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

préalable faire l'objet de qualification de la part du Conseil de Sécurité201, constituent ainsi les seules hypothèses dans lesquelles peuvent être appliquées les mesures coercitives contenues dans le chapitre VII de la charte. Dans le cadre des opérations de reconstruction, par rapport à la pratique du conseil de sécurité, une nouvelle condition, qui pourrait justifier une action en vertu du chapitre VII, a vu le jour : la défaillance étatique. Cette dernière n'est certes pas expressément consacrée par le conseil de sécurité dans ses résolutions. Mais il s'en dégage, de par l'attention portée par le conseil à ces Etats défaillants, l'idée que la défaillance étatique englobe plusieurs sources d'instabilité qui ont déjà été consacrées expressément par le conseil de sécurité comme des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Il s'agit des atteintes massives aux droits de l'homme, des problèmes de gouvernance politique, de l'instabilité sociale, économique, etc. Cette qualification extensive des menaces à la paix et à la sécurité internationales va conduire le conseil de sécurité à décider de la création de plusieurs opérations de paix aux fins de la reconstruction de certains Etats défaillants en Afrique. Dans sa résolution 814, le conseil de sécurité va retenir les difficultés rencontrées par les autorités somaliennes dans le processus de réconciliation nationale ainsi que l'absence totale de légalité pour fonder la création de l'ONUSOM II202. Dans la résolution 1528, le Conseil de sécurité va considérer la dégradation de la situation économique en Côte d'ivoire comme une menace contre la paix et la sécurité internationales justifiant ainsi la mise sur pied de l'ONUCI203. Enfin, le conseil de sécurité va considérer que l'instabilité politique, sociale et économique d'Haïti représente une menace à la paix et à la sécurité internationales afin de créer la MINUSTAH en 2004204.

Ainsi, en évitant de consacrer l'État défaillant comme une nouvelle catégorie juridique et en fondant son action en vertu du chapitre VII, le conseil de sécurité recourt à des notions telles que les atteintes aux droits de l'homme, la violation du droit international humanitaire, etc. De cette façon, le conseil dispose dorénavant d'un continuum juridique allant du chapitre VI au chapitre VII qui lui permet de justifier ses actions de reconstruction des Etats défaillants. Hormis ce cadre juridique traditionnel des opérations onusiennes de maintien de la paix, il se dégage, de la pratique des Etats, un principe qui peut, à certains égards, constituer un fondement coutumier aux opérations de reconstruction des Etats.

B. L'émergence d'un foncement d'origine coutumière de la pratique de consolidation de la paix

Pour mémoire, il importe de rappeler que l'une des bases, sur lesquelles repose le système de la sécurité collective codifié par la Charte de l'ONU, est le principe de la souveraineté de

201 Article 39 de la Charte : « le conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

202 Préambule de la résolution S/RES/814 du 26 mars 1993

203 S/RES/1528 du 9 mars 2004, §1.

204 S/RES/1542 du 30 avril 2004, §1.

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ses Etats membres. Dès lors que tout Etat est considéré comme l'égal de l'autre, nul ne peut s'ingérer dans les affaires intérieures d'autrui205. Longtemps considéré comme un principe sacro-saint du droit international, la conception de la souveraineté des Etats n'a cessé d'évoluer autour des problématiques liées au droit d'ingérence humanitaire. Cette reconsidération va se confirmer, dans le discours international, avec l'émergence du concept d'Etats défaillants ayant permis de mettre en lumière la capacité des Etats à assumer véritablement cette souveraineté. En 2001, le rapport de la Commission Evans/Shanoun donnera l'occasion de préciser cette nouvelle conception de la souveraineté des Etats. La souveraineté n'apparaît plus comme un droit qui confère aux Etats la faculté de gérer de façon libre et indépendante leurs affaires intérieures, elle s'analyse désormais comme un devoir qui oblige l'État à assumer une série de responsabilités envers ses citoyens et envers les autres Etats206. En vertu de cette souveraineté fonctionnelle, l'État a désormais la « responsabilité (...) de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité ». Toutefois, « lorsque les autorités nationales n'assurent manifestement pas la protection de leurs populations (...) il incombe (...) à la communauté internationale dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies de mettre en oeuvre les moyens pacifiques appropriés (...) » et, « lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats (...) » de mener « (...) une action collective résolue par l'entremise du Conseil de sécurité (...) »207 afin de protéger les populations de ces fléaux. Ce principe de la responsabilité de protéger, consacré par le document final du sommet mondial de 2005, n'est en réalité que l'écho de trois autres documents majeurs de l'ONU. En premier lieu, dans leur rapport « Un monde plus sûr : notre affaire à tous »208, le groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement mandaté par Kofi Annan avait déjà en 2004 adopté ce principe. Il sera ensuite repris par l'ancien secrétaire général Kofi Annan lui-même dans son rapport intitulé « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous »209. Enfin, la responsabilité de protéger s'est trouvée également au coeur du rapport de la CIISE en 2001210. Succédané du concept du droit ou devoir d'ingérence - dont elle n'est qu'une brillante traduction diplomatique211 - le principe de la responsabilité de protéger vient donc légitimer une intervention internationale aux fins de protection des personnes civiles lorsque l'État se révèle défaillant dans l'accomplissement de cette mission. D'après le Rapport Evans/Shanoun, cette responsabilité de protéger peut être fondée, entre autres, sur les dispositions de l'article 24 de la Charte qui consacre la responsabilité principale ou « primordiale »212 du conseil de sécurité dans le maintien de la

205 §1 et §7 de l'article 2 de la Charte de l'ONU.

206 Voir DENG F., Sovereignty as responsability : conflict management in Africa, Washington D.C., Brookings Institution Press, 1996, p. 290

207 A/60/L.1, Document final du sommet mondial de 2005, §138 et 139.

208 A/59/565 Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement : Un monde plus sûr : notre affaire à tous, 2 décembre 2004, § 201 - 209.

209 A/59/2005, Rapport du secrétaire général du 24 mars 2005, § 135

210 La responsabilité de protéger, Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, décembre 2001.

211 BOISSON de CHAZOURNES L. et CONDORELLI L., « De la « responsabilité de protéger », ou d'une nouvelle parure d'une notion déjà bien établie », in RGDIP, 2006, pp. 9 - 18.

212 D'après la version espagnole de la charte qui parle de la « (...) responsabilidad primordial de mantener la paz y la seguridad internacionales (...) ».

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paix et de sécurité internationales. Au-delà du conseil de sécurité, cette responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales incombe traditionnellement à tous les Etats qui doivent « respecter et faire respecter »213 les règles protectrices des droits de l'homme, les règles du droit international humanitaire dont la violation massive pourrait mettre en péril la paix et la sécurité internationales. La violation de ces « principes intransgressibles du droit international coutumier »214 en raison de la défaillance d'un État, fonde ainsi la responsabilité des autres Etats à mener une action dans le cadre de la charte des Nations Unies afin de mettre un terme à ces violations. La défaillance étatique, étant désormais constitutive de menace contre la paix et la sécurité internationales215, donne par conséquent toute légitimité à une intervention pacifique ou armée, menée par la communauté internationale en vertu du principe de la responsabilité de protéger.

Cependant, si la justification du principe de la responsabilité de protéger s'appuie sur le droit des Nations Unies, sa consécration en tant que norme du droit international ne s'est pas encore opérée et, à la suite de la Commission Evans/Shanoun, l' « on n'est pas encore suffisamment fondé à affirmer qu'un nouveau principe de droit international coutumier est apparu (...) »216. Le principe de la responsabilité de protéger s'apparente ainsi à une coutume en devenir ; coutume dont l'élément matériel paraît incontestable au regard d' « (...) une pratique croissante des Etats et des organisations régionales, ainsi que les précédents du conseil de sécurité (...) »217. En effet, dans plusieurs résolutions relatives aux situations au Darfour (S/RES/1706 (2006) du 31 août 2006), en Côte d'Ivoire (S/RES/1975 (2011) du 30 mars 2011) ou encore en Lybie (S/RES/1973 (2011) du 17 mars 2011) le conseil de sécurité invoque le principe de la responsabilité de protéger, consacré par les paragraphes 138 et 139 du Document final du Somment mondial de 2005218. Ainsi, à partir de ces dernières résolutions, se développe, dans la pratique du conseil de sécurité et d'autres organisations internationales voire non gouvernementales, l'idée que les Etats, dans leur ensemble, portent une responsabilité de protection tant à l'égard de leurs propres citoyens que de ceux d'autres Etats. Toutefois, l'accession à la normativité de cette pratique est entravée par l'immixtion dans les interventions, au nom de la responsabilité de protéger, des données politiques et matérielles rendant ainsi ces interventions très sélectives, en dehors de toute considération à la protection des populations civiles219. Si la communauté internationale, à travers le conseil de sécurité, a décidé d'assumer sa responsabilité de protection à l'égard des populations ivoiriennes et libyennes, il ressort à l'heure actuelle, de la pratique du conseil de sécurité, que les populations du royaume de Bahreïn et de la Syrie ne « mériteraient » pas cette protection.

213 Article 1 commun aux quatre conventions de Genève

214 CIJ, Avis sur la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis 8 juillet 1996, Rec. CIJ, 1996,

§79 ; CIJ, Avis du les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, § 157.

215 Voir supra A.) du paragraphe 2

216 Rapport de la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, décembre 2001, p.

16, §2.24

217 Id.

218 A/60/L.1, op. cit. §138 et §139.

219 Voir Géraud de La Pradelle, « Rôles du « droit » et de la « justice » en matière d'interventions humanitaires »,

in ANDERSSON N. et LAGOT D. (Sous la direction de), Responsabilité de protéger et guerres « humanitaires », Le cas de la Libye, Paris, L'Harmattan, 2012, pp. 21 - 38.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Etant donné que l'application du principe de la responsabilité de protéger est subordonnée à des considérations politiques, la sédimentation et le raffermissement de l'opinio juris de cette pratique ne sont pas véritablement acquis au point de faire de cette pratique, un principe coutumier du droit international220. Les interventions sélectives, sur la base du principe de la responsabilité de protéger, constatées jusque-là ne sont pas de nature à permettre la cristallisation de cette pratique et à le renforcement de son opinio juris au sein de la communauté des Etats.

Mais en dépit de ces considérations ne relevant que de la technique juridique, la maltraitance des individus du fait de la défaillance étatique a toujours justifié une action de la communauté internationale. Les opérations de reconstruction des Etats s'inscrivent dans cette logique et peuvent ainsi justifier de leur légalité, tant au regard du droit des Nations Unies que dans la pratique des Etats et des organisations internationales, même si certaines spécificités se dégagent du régime juridique appliqué à cette nouvelle forme d'opération de paix. Cette innovation se traduit aussi en pratique à travers le caractère multidimensionnel de ces opérations.

Section 2 : Le cadre opérationnel de la reconstruction des Etats défaillants

Depuis la redéfinition par le rapport Brahimi des opérations de paix, la pratique onusienne en matière de maintien de paix est désormais orientée vers des missions de plus en plus ambitieuses et des fonctions plus élargies : de la sécurité aux droits de l'homme, de l'état de droit aux élections et à la gouvernance économique. La reconstruction des Etats, troisième phase des opérations de consolidation de la paix, s'inscrit naturellement dans cette dynamique au vu de ses enjeux. Pour souligner le caractère multidimensionnel de ces opérations et, partant de la pratique de la reconstruction des Etats, il faudrait s'intéresser au cadre opérationnel d'exécution de ces missions. Ainsi, au vu du travail effectué par les opérations de consolidation de la paix sur le terrain et d'après les termes de leur mandat, la reconstruction des Etats passe d'abord par l'amélioration des structures sécuritaires des Etats défaillants (Paragraphe 1). La réforme du secteur de la sécurité doit naturellement permettre la restructuration des autres secteurs afin de contribuer effectivement à la reconstruction des Etats et de leur assurer une paix durable (Paragraphe 2).

220 La CIJ dans plusieurs arrêts a déterminé les conditions de formation de la règle coutumière, Voir CIJ Affaire du Plateau Continental de la Mer du Nord, arrêt du 20 février 1969, Rec. CIJ, §44 « Pour constituer l'opinio juris [...] non seulement les actes considérés doivent représenter une pratique constante, mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la manière dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l'existence d'une règle de droit » ; Voir aussi CIJ Affaire de la délimitation maritime dans la région du Golfe du Maine, arrêt du 12 octobre 1984, Rec. CIJ, 1984, p. 299, §11 : la règle coutumière « [...] se prouve par voie d'induction en partant de l'analyse d'une pratique suffisamment étoffée et convaincante, et non pas par voie de déduction en partant d'idées préconstituées à priori [...] » ; Voir mutatis mutandis CAHIN G., La coutume internationale et les organisations internationales : l'incidence de la dimension institutionnelle sur le processus coutumier, Paris, A. Pedone, 2001, p. 782.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Paragraphe 1 : Le volet sécuritaire de la reconstruction des Etats

La reconstruction des Etats, ayant pour ultime finalité l'instauration d'une paix durable, s'intéresse en premier lieu au traitement des armes dont la profusion était généralement à l'origine du développement du banditisme ou des situations conflictuelles dans les Etats défaillants. A cet effet, la reconstruction de l'État s'oriente primordialement vers la recherche d'une stabilité sécuritaire à travers les opérations de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens combattants (A). Ensuite, afin de promouvoir à l'avenir un État plus à même d'assurer et de garantir par lui-même une véritable paix durable, la reconstruction de l'État passe obligatoirement par la restructuration des forces de l'ordre (B).

A. Les opérations de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens

combattants

Aujourd'hui, les opérations de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens combattants (ci-après DDR) font partie intégrante du package standard de toute intervention internationale post conflictuelle221 et constituent la première étape du long processus de reconstruction des Etats défaillants ayant sombré pendant de longues années dans la guerre. Le DDR s'inscrit ainsi dans une logique d'instauration d'un climat de stabilité et sécurité nécessaire au démarrage des activités de développement du pays. Né de l'idée que le développement de l'État post-conflit est intimement lié à sa capacité à garantir la sécurité sur son territoire, le DDR a été adopté, au sein de l'ONU, par les communautés de la sécurité et du développement, à telle enseigne qu'il se révèle assez susceptible quand il s'agit de préciser sa définition et de circonscrire son périmètre. Expérimenté pour la première fois en Amérique centrale à travers le mandat du Groupe d'observateurs des Nations Unies en Amérique centrale222, le DDR est désormais incorporé dans le mandat de toutes les opérations de consolidation de la paix et de reconstruction des Etats après les conflits223. Il peut être défini comme l'ensemble des activités ayant trait à la collecte et au contrôle des armes, au cantonnement et à la démobilisation des anciens combattants, à l'aide à leur réintégration et réinsertion dans la vie civile224. A travers cette définition, on peut appréhender les trois étapes de ce processus : le désarmement, la démobilisation et la réintégration/réinsertion. De l'avis du conseil de sécurité, ces trois étapes sont consécutives et doivent être envisagées de manière intégrée dans le processus de reconstruction des Etats : « Le Conseil de sécurité reconnaît que le désarmement, la démobilisation et la réinsertion ne peuvent être envisagés isolément, mais

221 Voir POULIGNY B., Les anciens combattants aujourd'hui. Désarmement, démobilisation et réinsertion, CERI et SGDN, Paris, Septembre 2004, p. 60

222 Résolution 650 (1990) du 27 mars 1990

223 Voir S/2000/101, Rapport du secrétaire général sur le rôle des opérations de maintien de la paix des Nations Unies dans le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion, 11 février 2000.

224 MUGGAH R., « Désarmement, Démobilisation et Réintégration », in CHETAIL V. (Sous la dir.), op. cit., p. 144

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

doivent être considérés comme un processus continu, fondé sur l'objectif plus général de la recherche de la paix, de la stabilité du développement (...) »225.

Le désarmement, première étape de ce processus, consiste concrètement en la collecte, le stockage et la gestion des armes de petit calibre, des munitions, des explosifs détenus par des combattants après l'obtention d'un cessez le feu sur un théâtre conflictuel226. Cette opération qui est le souvent incluse dans les accords de paix de sortie de crise, doit idéalement s'effectuer sur une base volontaire. Comme le souligne le conseil de sécurité dans le cadre u mandat de l'ONUSOM II, la réussite du désarmement, support de la reconstruction pacifique de l'État, nécessite une bonne volonté politique de la part des mouvements et factions devant être désarmés227. Dans ce cadre, pour encourager les anciens combattants à rendre leurs armes, on leur attribue le plus souvent des indemnités financières ou la garantie d'échapper à des poursuites judiciaires.

Sont souvent associées au désarmement, les opérations de déminage des territoires. Le déminage des territoires s'avère tout aussi important que le désarmement lui-même et consiste à dépolluer entièrement les régions dans lesquelles ont été disséminées des mines pendant la période des affrontements. Cette mission complémentaire au désarmement a été incorporée par exemple dans le mandat de l'Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge. L'APRONUC devait, en vertu de la résolution 745 (1992), assister le Cambodge en matière de déminage et lancer des programmes de formation en matière de déminage et de sensibilisation aux mines parmi la population cambodgienne228.

Après le désarmement, intervient ensuite la deuxième phase du processus à savoir la démobilisation. A la lumière du travail effectué par la mission des Nations Unies au Libéria (MINUL), on peut apprendre que la démobilisation consiste en l'inscription et l'accueil des soldats à démobiliser dans des centres spécifiques, la délivrance des cartes d'identité, l'enregistrement et l'entrepôt des armes et le cas échéant leur destruction229. Cette deuxième phase du DDR doit aboutir obligatoirement à la réinsertion des combattants démobilisés car, comme l'a si bien remarqué l'ancien secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, la démobilisation serait incomplète sans une véritable réinsertion230. Dans la pratique du DDR, la réinsertion constitue une étape intermédiaire entre la démobilisation et la réintégration des anciens soldats dans la vie civile. Elle consiste en une assistance transitoire, ponctuelle apportée aux démobilisés afin de leur permettre de subvenir à leurs besoins fondamentaux. Cette assistance peut parfois prendre la forme d'une indemnité de sûreté transitoire, de denrées alimentaires, des vêtements, d'un abri, des services médicaux, des services

225 S/PRST/1999/21, Déclaration du président du Conseil de sécurité, 8 juillet 1999, p. 1

226 Département des Opérations de Maintien de la Paix des Nations Unies, Integrated Disarmament, Demobilisation and Reintegration Standards (IDDRS), New york, 2006, p. 2 ; A/C.5/59/31, Note du secrétaire général sur les Aspects administratifs et financiers du financement des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, 24 mai 2005

227 S/RES/814 du 26 mars 2003, § 7 - 8.

228 S/RES/745 du 28 février 1992.

229 S/2004/972, Cinquième rapport du secrétaire général sur la Mission de l'organisation des Nations Unies au Libéria, 17 décembre 2004, §21 - 24.

230 S/2000/101, Rapport du secrétaire général, op. cit. §58 - 61.

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d'éducation, de formation et d'emploi231. Le processus de DDR se conclut par une véritable réintégration des anciens soldats dans la vie civile. La réintégration s'inscrit dans le long terme et permet aux anciens soldats d'acquérir le statut de civil grâce à un emploi stable. Elle offre ainsi la possibilité de transformer les combattants en de véritables citoyens productifs, aptes à contribuer au relèvement de leur pays. Cet effort de reconstruction sécuritaire, au moyen du DDR, implique inéluctablement la réforme des structures militaires policières afin de bâtir une véritable armée opérationnelle capable de contribuer à l'établissement d'une paix durable.

B. La restructuration des forces de l'ordre

Après le DDR, la réforme du secteur sécuritaire des Etats défaillants passe nécessairement par une véritable restructuration des forces de l'ordre. En effet, au vu de la situation qui prévaut généralement dans les Etats défaillants où l'armée et la police nationale sont transformées en instruments de répression, la création d'un État de droit dans les Etats défaillants doit nécessairement passer par la subordination des forces de l'ordre à l'autorité civile et par la limitation de leur rôle quant au maintien de la sécurité intérieure. Dans ce domaine, l'objectif du projet de reconstruction des Etats défaillants est de transformer l'armée et la police nationale, considérées autrefois comme des éléments déstabilisateurs de la paix, en de véritables garants et promoteurs de la paix. L'action internationale en vue de la restructuration des forces de l'ordre des Etats défaillants doit d'une part permettre la rationalisation232 des effectifs des forces de l'ordre et, d'autre part, le renforcement des capacités opérationnelles et professionnelles de celles-ci.

Pour ce qui est de la restructuration des forces armées, l'action de la communauté internationale en Centrafrique et au Congo permet de saisir la portée des réformes accomplies dans ce domaine. En Centrafrique, il faudrait observer que le projet de restructuration des forces armées a été incorporé au mandat de la Mission des Nations Unies en République Centrafricaine (MINURCA) par la résolution 1182 (1998). En vertu de cette résolution, la MINURCA devait conseiller et fournir une assistance technique en vue de la restructuration des forces de sécurité du pays233. Dans ce cadre, la MINURCA, avec le concours des autorités nationales, a permis l'élaboration de quatre projets de lois visant à préciser le rôle de chacune des composantes de l'armée nationale dans le maintien de la sécurité et la défense nationale ; mission qui était dévolue à un conseil suprême de défense nationale et de la gestion des crises. En outre la MINURCA a aussi contribué à la formation des cadres de l'armée nationale du

231 A/C.5/59/31, Note du secrétaire général sur les aspects administratifs et budgétaires du financement des opérations de maintien de la paix, 24 mai 2005

232 Cette rationalisation peut se faire soit par l'augmentation des effectifs souvent insignifiants des forces de l'ordre soit par la réduction des effectifs de ces dernières.

233 S/RES/1182 du 14 juillet 1998, §9.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

pays afin de rendre plus efficaces l'administration et la gestion des forces armées centrafricaines234.

Pour ce qui est de la République Démocratique du Congo, la Mission de l'Organisation des Nations Unies au Congo (MONUC) a été investie, par la résolution 1565 (2004) du mandat, d'une mission de conseil aux autorités nationales afin de mener à bien « la réforme du secteur de la sécurité, y compris l'intégration des forces de défense nationale et de sécurité intérieure (...) en s'assurant de leur caractère démocratique et pleinement respectueux des droits de l'homme et des libertés fondamentales »235. Ainsi, d'après le rapport du secrétaire général Kofi Annan, l'assistance de la MONUC a permis la réduction de l'effectif des Forces Armées de la République Démocratique du Congo, la formation des éléments intégrés dans la nouvelle armée constituée et leur entrainement236. Il conviendrait aussi de souligner le rôle de la MONUC dans la supervision de l'assistance apportée par les autres partenaires dans la restructuration des forces armées congolaises. On peut citer pour exemple, la mission EUSEC - RD. CONGO237 déployée par l'Union Européenne afin d'accompagner les réformes du secteur de la sécurité en République Démocratique du Congo238.

La reconstruction des forces de l'ordre des Etats défaillants doit permettre de mettre sur pied des structures efficaces dans le maintien de l'ordre civil afin de créer un véritable climat de paix et de sécurité au plus près de la population. A ce titre, dans son rapport de 2006 sur la situation en Haïti, l'ancien secrétaire général de l'ONU considère que la mise en place d'une police professionnelle et efficace constitue une condition préalable et indispensable à la création d'un tel environnement favorable à une paix durable239. Dans les opérations de reconstruction des Etats défaillants, la restructuration de la police nationale de ces Etats est dévolue aux Observateurs de police civile des Nations Unies dont la mission, selon le Rapport Brahimi, consiste non seulement à recenser les abus et autres comportements inacceptables mais doit avant tout impliquer la réforme et la réorganisation des forces de police locales240. Dans la même dynamique que celle de la restructuration des forces armées, le conseil de sécurité va intégrer au mandat des forces internationales déployées dans les Etats défaillants en vue de leur reconstruction, la mission de renforcement des capacités opérationnelles et des compétences professionnelles des forces de police. C'est ainsi que l'Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB) est investie par la résolution 1545 (2004) de la mission de mener à bien des réformes institutionnelles ainsi que de la constitution des forces intégrées de sécurité intérieure, en particulier la formation et la supervision de la police, en s'assurant de leur caractère démocratique et pleinement respectueux des droits de l'homme et des libertés

234 S/1999/788, 7ème rapport du secrétaire général sur la mission des Nations Unies en République Centrafricaine, 15 juillet 1999.

235 S/RES/1565 du 1er octobre 2004, §7, b)

236 S/2004/251, Quinzième rapport du secrétaire général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo, 25 mars 2004.

237 Mission mise en place à la demande du gouvernement de la République Démocratique du Congo par la Décision 2010/565/PESC publiée au Journal officiel de l'Union Européenne du 21 septembre 2010.

238 S/RES/1693 du 30 juin 2006, §5.

239 S/2006/60, Rapport du secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti, 2 février 2006, §65.

240 A/55/305 - S/2000/809, Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies du 21 août 2000, §39.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

fondamentales241. Dans cette même optique, le conseil de sécurité a également chargé la Mission des Nations Unies au Timor Oriental (MANUTO), établie en 2002 en remplacement de l'Autorité Transitoire des Nations Unies au Timor Oriental (ATNUTO), du mandat d'assurer le maintien de l'ordre et de la sécurité publique et d'aider à la mise en place du Service de police du Timor Oriental, nouvel organisme chargé du maintien de l'ordre public dans le pays242.

Ainsi, dans plusieurs autres Etats défaillants, la reconstruction des forces de l'ordre s'est effectuée à travers la rationalisation des effectifs mais surtout par le renforcement des capacités opérationnelles des éléments de l'armée et de la police nationales. Dans la reconstruction des Etats défaillants, ces réformes du secteur de la sécurité doivent préparer le terrain à d'autres réformes visant à asseoir l'autorité politique de l'État à reconstruire et à faciliter de cette manière son développement économique et social.

Paragraphe 2 : Les volets politique, économique et social de la reconstruction des

Etats défaillants

L'analyse des activités menées par la communauté internationale dans les domaines politique, économique et social témoigne du caractère multidimensionnel de la reconstruction des Etats défaillants. Les efforts de reconstruction politique, à travers le renforcement de l'autorité politique de l'État et la création d'un véritable État de droit (A), doivent permettre aux Etats défaillants de renouer avec le développement. Comme le remarque si bien l'ancien secrétaire général Kofi Annan dans son Agenda pour le développement, « au lendemain d'un conflit, sans reconstruction et développement, il ne saurait y avoir de paix durable » ; et pour bâtir une véritable paix durable, gage du développement, il importe de mener « (...) une action soutenue et concertée dans les domaines économiques, sociaux, culturels et humanitaires (...) »243 (B).

A. La reconstruction politique des Etats défaillants

L'assistance internationale, dans ce domaine, vise à doter l'État défaillant d'institutions démocratiques, respectueuses de l'État de droit et des droits de l'homme afin de renforcer l'effectivité de sa compétence nationale, remise en cause pendant la période de déliquescence. L'accent mis sur la démocratisation des Etats défaillants, dans leur processus de

241 S/RES/1545 du 21 mai 2004, §6.

242 S/RES/1410 du 17 mai 2002, §2, b).

243 A/48/935, Développement et coopération économique internationale, Agenda pour le développement, Rapport du secrétaire général des Nations Unies, 6 mai 1994, §22

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reconstruction, s'inscrit dans une tendance ayant vu le jour au lendemain de la guerre froide244 et qui considère que la règle de droit (rule of law) et les institutions de contrainte (law nforcement) constituent des préalables indispensables à la pacification des Etats. Dans ce contexte, les mandats des opérations des Nations Unies, en charge de la reconstruction des Etats, feront l'expression de cette volonté de favoriser, au sein des Etats défaillants, l'établissement d'institutions démocratiques. Ainsi, dans sa résolution 814 (1993) élargissant le mandat de l'ONUSOM II, le conseil de sécurité réaffirme le rôle que cette mission doit jouer dans l'organisation « (...) de consultations et de délibérations à caractère largement représentatif pour parvenir (...) à un accord sur la mise en place d'institutions gouvernementales de transition ainsi qu'à un consensus sur les principes de base et les mesures propres à favoriser l'établissement d'institutions démocratiques représentatives »245. La reconstruction de l'État de Bosnie-Herzégovine symbolise égalament cette volonté de doter cet État d'institutions démocratiques. Cette volonté était d'abord exprimée dans l'accord de paix sur la Bosnie-Herzégovine paraphé à Dayton le 21 novembre 1995 et signé à Paris le 14 décembre de la même année, qui prévoyait que « Bosnia and Herzegovina shall be a democratic state, which shall operate under the rule of law and with free and democratic elections »246. Il s'agit du même objectif poursuivi par l'action de la communauté internationale dans la reconstruction politique de l'Irak247, de l'Afghanistan248, de la Côte d'Ivoire249, etc.

Il ressort de l'analyse du mandat de toutes ces opérations que la reconstruction politique des Etats défaillants s'effectue au moyen d'une assistance internationale par la réforme des structures en charge des domaines législatif, administratif et électoral.

Dans le domaine législatif, les missions de reconstruction des Etats apportent leur assistance dans la rédaction et le contrôle du respect des dispositions législatives de manière à raffermir les bases d'un véritable État de droit dans les Etats défaillants. D'une manière générale, les réformes législatives mises en oeuvre dans les Etats défaillants sous la houlette des missions des Nations Unies s'articulent autour de la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales. C'est dans ce contexte que l'actuel secrétaire général Ban KI-MOON rapporte que les missions des Nations Unies au Burundi, au Libéria et en Sierra Leone ont aidé ces Etats « à se donner les moyens de mieux sauvegarder les droits de l'homme en facilitant la transposition des normes internationales dans leur législation interne (...) »250.

244 Voir FRANCK M. T., « The emerging right to democratic governance », in AJIL, vol. 86, n°1, January 1992, pp. 46 - 91.

245 S/RES/814 du 26 mars 1993 ; Voir aussi la Déclaration de la présidence de l'Union Européenne sur la Conférence de réconciliation nationale en Somalie, Bruxelles le 30 janvier 2004, 5823/1/04 (Presse 36) REV 1 (fr) P 18/04.

246 Article 1.2 du texte de la Constitution de 1995 annexée à l'Accord de Paix (Annexe IV)

247 S/RES/1546

248 S/RES/1563 du 17 septembre 2004

249 S/RES/1528 du 9 mars 2005, §6

250 A/63/1, Rapport du secrétaire général sur l'activité de l'Organisation, du 12 août 2008, §45.

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Pour ce qui est des réformes du secteur administratif, l'appui de la communauté internationale prend la forme d'avis d'experts et d'assistance technique afin de moderniser et de renforcer l'administration des Etats défaillants. Dans de nombreux Etats en reconstruction, l'assistance internationale a surtout accompagné les lois de décentralisation administrative et encadré leur exécution par les Etats défaillants eux-mêmes. C'est en effet le cas de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone qui a contribué à la mise en place, dans le pays, de la réforme de la décentralisation, notamment dans la répartition des compétences entre l'administration centrale et les conseils locaux dans les domaines de l'éducation, la santé et l'agriculture251.

S'agissant enfin du domaine électoral, l'assistance internationale vise à garantir au peuple l'expression de son droit à l'autodétermination à travers le choix de ses dirigeants. L'assistance électorale se révèle d'une importance capitale dans la reconstruction d'un État en raison du fait que la défaillance étatique trouve généralement son origine dans les troubles nés de la contestation des résultats d'un scrutin. Depuis leur première mission de supervision d'un processus électoral en 1989 au Nicaragua252, les Nations Unies ont depuis lors participé à l'organisation de nombreuses élections dans des Etats en reconstruction et ont acquis une expérience remarquable en la matière. La mission des opérations de supervision des élections consiste, d'une part, en l'observation et en la vérification du processus électoral et, d'autre part, à organiser et à garantir le bon déroulement de tout le processus électoral de manière à ce que ce dernier soit conforme aux standards établis par l'Assemblée Générale de l'ONU dans sa résolution 43/157 de 1988253. L'appui international peut se matérialiser, comme ce fut le cas de la Mission d'Observation des Nations Unies en El Salvador254 et de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti255, par la restauration de tout le système électoral des Etats hôtes, notamment dans la rédaction du code électoral, par le renouveau des listes électorales et la mise en place d'une commission électorale afin de garantir le bon déroulement du scrutin.

Afin de remédier aux causes profondes de la défaillance étatique, les efforts de reconstruction politique doivent être accompagnés de la reconstruction des infrastructures économiques et sociales afin que les Etats défaillants renouent définitivement avec des perspectives saines de développement.

251 S/2005/596, Vingt - sixième rapport du secrétaire général sur la Mission des Nations Unies en Sierra Leone, 20 septembre 2005, §16 - 18.

252 DONG NGUYEN H., « L'assistance électorale comme préalable à la restauration de l'État », in DAUDET Yves (Sous la direction de), Les Nations Unies et la restauration de l'État, Paris, A. Pedone, 1995, p.34

253 A/43/157, Renforcement de l'efficacité du principe d'élections périodiques et honnêtes, 8 décembre 1988

254 Voir S/1995/220, Rapport du secrétaire général sur la Mission d'Observation des Nations Unies en El Salvador, 24 mars 1995, § 41.

255 Voir S/2005/631, Rapport du secrétaire général sur la Mission des Nations Unies de Stabilisation en Haïti, 6 octobre 2005, §19.

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B. La reconstruction des infrastructures sociales et économiques des Etats

défaillants

Dans le processus de reconstruction des Etats défaillants, le volet économique et social occupe une place tout aussi importante que la dimension politique et sécuritaire. A travers ce triptyque, l'action internationale en vue de la reconstruction des Etats défaillants doit parvenir à faire la paix, à la maintenir et à assurer sa pérennité. La reconstruction économique et sociale doit ainsi contribuer à faire durer la paix à travers la détermination et la création de structures capables d'éviter la réapparition d'un conflit. Car « au lendemain d'un conflit, sans reconstruction et développement, il ne saurait y avoir de paix durable » comme le souligne l'ancien secrétaire général dans son Agenda pour le développement256. Toutefois, la reconstruction économique et sociale, préalable indispensable à l'établissement d'une paix durable, n'est toujours pas consacrée dans le mandat des opérations de consolidation de la paix dans les Etats défaillants257. Parce qu'une telle mission peut s'étaler dans le temps et doit être poursuivie après la durée du mandat des opérations de l'ONU, le conseil de sécurité n'a jamais voulu s'octroyer l'exclusivité d'une telle tâche. Dans de nombreuses résolutions décidant de la mise en place d'une mission de reconstruction étatique, le conseil de sécurité invite la communauté internationale dans son ensemble - Etats, organisations internationales, institutions financières internationales, etc. - à apporter une assistance et les moyens nécessaires à la reconstruction économique et sociale des Etats défaillants. A titre illustratif, en créant la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL), le conseil de sécurité demande instamment à tous les Etats et organisations internationales d'apporter une assistance soutenue et généreuse en vue des actions à mener sur le long terme en matière de reconstruction, de redressement économique et social de la Sierra Leone258. Sur le terrain, le rôle du Conseil de sécurité se restreint à coordonner l'assistance apportée par les différents acteurs impliqués dans le redressement économique des Etats défaillants259. Mais d'une manière générale, les efforts de la communauté internationale pour aider au redressement économique des Etats défaillants se traduisent par l'allègement de leur dette publique. Sous l'influence des Etats et des organisations internationales, les institutions créancières des Etats défaillants peuvent accepter de réduire le montant de leur dette publique afin de faciliter leur reconstruction économique. Ainsi, sur la proposition de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, les pays du G7, ont décidé lors du sommet de Lyon en 1996, de mettre en place un mécanisme international d'allègement de la dette connue sous l'appellation d'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Une telle initiative vise à convaincre les créanciers260 des pays les plus pauvres de ramener la dette extérieure de ces

256 A/48/935, Développement et coopération économique internationale, Agenda pour le développement, Rapport du secrétaire général du 6 mai 1994, §22.

257 La résolution 782 (1992) du 13 octobre 1992 qui crée l'ONUMOZ précise aussi ses quatre domaines de responsabilité à savoir : le domaine politique, militaire, électoral et humanitaire. Aucune référence n'a été faite à la nécessité de procéder à la reconstruction des infrastructures économiques et sociales du Mozambique.

258 S/RES/1270 du 22 octobre 1999, § 21.

259 A/55/305 - S/2000/809, Rapport du Groupe d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations Unies, 21 août 2000, § 44.

260 Ces créanciers sont composés le plus souvent des gouvernements nationaux, des sociétés privées, la Banque Mondiale, le Fonds monétaire international, et les autres institutions financières régionales.

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pays à un niveau qu'ils pourraient raisonnablement supporter, de manière à ne pas handicaper leur reconstruction économique. Ainsi, en Juin 2012, 36 pays parmi lesquels 30 sont essentiellement africains ont bénéficié de ce mécanisme d'allègement de leur dette pour un montant avoisinant 76 milliards de dollars américains261.

L'appui de la communauté internationale peut se traduire aussi par l'assistance technique apportée par le Fonds Monétaire international et la Banque Mondiale afin d'améliorer la gestion des affaires publiques dans les Etats en reconstruction. Cette assistance est indispensable pour le suivi de la bonne gestion des aides apportées par les donateurs internationaux en vue de la reconstruction économique des Etats défaillants. Les garanties de bonne gouvernance sont même devenues une condition d'éligibilité aux programmes et aides de ces institutions financières internationales.

Par conséquent, cette assistance internationale en vue de la reconstruction économique des Etats défaillants participe aussi à la reconstruction de leurs infrastructures sociales et humanitaires. La communauté internationale, en apportant une assistance financière en vue du redressement économique des Etats défaillants, va aussi mettre l'accent sur les secteurs dans lesquels des projets devraient être prioritairement réalisés. L'action de la Banque Mondiale dans le domaine éducatif illustre de façon significative ces propos. Dans la seule période allant de 2004 à 2008, la Banque Mondiale a engagé 2 milliards de dollars américains de prêts, crédits et dons pour soutenir l'éducation dans de nombreux Etats en reconstruction. Désormais, l'éducation mais aussi d'autres problématiques sociales dans les Etats défaillants (lutte contre le VIH/SIDA, lutte contre la corruption, etc.) constituent parallèlement à la poursuite de la stabilité économique, les domaines d'action de la Banque Mondiale.

Les développements qui précèdent invitent à retenir deux conséquences majeures de l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants. La première conséquence est que le concept d'État défaillant, au-delà de la simple description de la crise que traverse l'État, permet de justifier une nouvelle forme d'intervention internationale considérée comme la solution au problème de la défaillance étatique. Cette nouvelle ingérence extérieure se fonde sur un autre concept : la responsabilité de protéger qui autorise les autres Etats à intervenir dans l'État défaillant puis à reconstruire ce dernier. Telle est la deuxième conséquence de l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants en droit international.

Toutefois, ce tableau assez satisfaisant de l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants contraste, à maints égards, avec les résultats obtenus par l'action de la communauté internationale, en guise de réponse à la défaillance étatique. De l'Irak à l'Afghanistan en passant par Haïti, la République démocratique du Congo, la Somalie, etc. aucun projet de reconstruction de ces Etats défaillants n'a abouti à de réels progrès en matière de démocratie, de sécurité, ou de développement socio-économique. Bien au contraire, certains grands avocats de la reconstruction étatique considèrent même que cette dernière n'a fait que détruire

261 Voir la fiche technique descriptive de l'initiative PPTE, disponible sur http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/hipcf.htm (Consulté le 31 juillet 2012)

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

davantage les capacités des institutions étatiques plutôt que de les reconstruire262. Plusieurs estimations vont jusqu'à prévoir une reprise de 20 à 50 pour cent des conflits dans les cinq années qui suivent un cessez-le-feu et ceci, en dépit de la mise en place d'une mission internationale de consolidation de la paix et de reconstruction des Etats263. Un tel constat d'échec quant à la réponse apportée par la communauté internationale à la défaillance étatique, s'avère de nature à remettre en cause le rôle même du concept d'Etats défaillants en droit international.

262 FUKUYAMA F. cité par CHANDLER D., « Comment le State-bulding affaiblit les Etats », in (Re-) construire les Etats, nouvelle frontière de l'ingérence, Alternatives Sud, op. cit. p. 45

263 SHURKE A. and SAMSET I., «What's in a figure? Estimating Recurrence of civil War», in International Peacekeeping, vol. 14, n° 2, 2007, pp. 195 - 203, 1, disponible sur http://www.cmi.no/publications/file/?2599=whats-in-a-figure (Consulté le 01 août 2012); Voir aussi COLLIER P. and HOEFFLER A., «On the incidence of civil war in Africa», in Journal of Conflict Resolution, vol. 46, n°1, 2002, pp. 13 - 28, disponible sur http://www.jstor.org/stable/3176237 (Consulté le 01 août 2012)

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Chapitre 2 : L'État défaillant, un concept à dépasser

Si la réalité du phénomène que décrit le concept d'Etats défaillants ne fait l'objet d'aucun doute dans les milieux politiques et universitaires, son opérationnalisation est la cible de nombreuses critiques, en raison des faiblesses qui caractérisent son élaboration. La première faiblesse et sans doute la plus marquante qu'on peut attribuer au concept d'Etats défaillants est l'absence de définition précise de son objet, à savoir les Etats défaillants eux-mêmes. Cette absence de définition entraîne des difficultés quant au choix d'un régime juridique unique qui serait applicable aux États en situation de défaillance. Par conséquent, l'évaluation de défaillance étatique et la détermination des politiques spécifiques à leur appliquer ne pourront se réaliser que sur la base de variables et de jugements subjectifs. De ce fait, il ne paraît pas erroné d'affirmer que l'opérationnalisation du concept s'effectue sans risque d'instrumentalisation de la part des Etats « forts » ou « réussis » qui développent des actions en vue de remédier à la défaillance des autres Etats. Dans ce contexte, le concept d'Etats défaillants a souvent été considéré comme un moyen de domination par les idées264 pour justifier les interventions de la communauté internationale dans les Etats catalogués comme défaillants. Ainsi, la défaillance étatique ne serait qu'un prétexte au service des Etats forts qui vient légitimer leurs actions dans d'autres Etats dans la poursuite d'une politique ne servant que leurs propres objectifs.

La seconde faiblesse mise en cause par l'analyse de la crise de l'État sous le prisme du concept d'Etats défaillants, réside dans la dimension « fourre - tout » de ce dernier. En effet, le manque de critères définissant avec précision la réalité de l'État défaillant entraîne une confusion dans l'analyse des causes et des spécificités de chaque défaillance étatique. Sous l'appellation Etats défaillants sont souvent regroupés des Etats ayant des différences au niveau des problématiques et des contextes de défaillance. Ce faisant, le concept d'Etats défaillants ne constitue pas une grille efficace dans le traitement des causes de la défaillance étatique.

Enfin, l'une des plus grandes faiblesses du concept d'Etats défaillants réside dans le précepte qu'il préconise comme solution à la défaillance étatique. En effet, le concept d'Etats défaillants et tous les autres concepts qui découlent de son opérationnalisation ne recommandent que la seule reconstruction de l'État comme remède à sa défaillance. Comme le souligne Charles T. CALL, « (...) state strengthening is the medecine for the malady of state failure (...) »265. Autrement dit, même dans le traitement de la défaillance étatique, le concept d'Etats défaillants n'envisage que des solutions de renforcement de l'État en tant qu'institution, ignorant ainsi les autres dimensions de la crise de l'État dont le traitement pourrait permettre de remédier intégralement au problème de la défaillance étatique. Au-delà de la menace à la paix et à la sécurité internationales, le phénomène des Etats défaillants traduit surtout la maltraitance des individus. Avant de constituer une menace pour les autres

264 CHAPAUX V., Dominer par les idées : Etude de la notion de failed state, op. cit.

265 CALL T. C., «The fallacy of the failed state», in Third World Quaterly, vol. 29, n°8, 2008, pp. 1491 - 1507, 1496.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Etats, l'État défaillant se révèle être tout d'abord une menace pour les personnes vivant en son sein. Il serait très réducteur de se focaliser exclusivement sur l'État, sa sécurité et d'ignorer la dimension humaine du problème que représente l'État défaillant.

Au vu de ces constats, il est patent que le concept d'États défaillants a montré ses limites dans l'analyse de la crise de l'État. C'est pourquoi, il doit lui être substitué une autre grille d'analyse, plus neutre et plus globale de la réalité de la crise de l'État. Dans ce contexte, le concept de la sécurité humaine peut se révéler un substitut au concept d'Etats défaillants : il faudrait passer de la sécurité de l'État à la sécurité de l'individu afin de remédier à la défaillance étatique (Section II). Il importe de changer de référent dans l'analyse de la crise de l'État en raison des limites déjà mentionnées dans l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants. En dehors des limites intrinsèques au concept d'Etats défaillants lui-même, son opérationnalisation a mis au jour une autre limite, plus fondamentale celle-là, qui démontre l'urgence à dépasser le concept d'Etats défaillants. En effet, dans de nombreuses hypothèses, le concept d'Etats défaillants est apparu comme un prétexte utilisé pour justifier une intervention internationale dont les conséquences n'ont fait que fragiliser davantage l'État qualifié de défaillant. L'étude du cas de l'Afghanistan, avant et après l'invasion américaine au lendemain du 11/09, en raison de la prétendue défaillance de l'État afghan, permet de s'en convaincre (Section I).

Section 1 : Comment fragiliser un État sous prétexte de sa défaillance : étude de cas de

l'Afghanistan

Pour mettre en lumière les dérives de l'opérationnalisation du concept d'Etats défaillants, nous nous intéresserons dans cette partie à l'utilisation qui en a été faite au sujet de la crise en Afghanistan. Le choix de ce pays trouve sa justification dans le fait qu'au lendemain des attentats du 11/09, l'Afghanistan a été présenté comme l'État défaillant par excellence qui a manqué à ses obligations nationales et internationales et est devenu la base arrière d'Al-Quaida. C'est pourquoi, la défaillance de l'État Afghan pouvait justifier une intervention internationale armée pour détruire les bases du réseau terroriste en Afghanistan et reconstruire ensuite un État fort, capable d'assurer le contrôle de son territoire et d'aider la communauté internationale dans la lutte contre le terrorisme. Il s'agissait en effet de la justification donnée par les Etats-Unis et ses alliés dans leur entreprise de guerre contre la terreur. Mais en analysant le discours de ces mêmes acteurs, quelques années avant l'invasion américaine d'octobre 2001, on peut constater que l'Afghanistan ne constituait pas véritablement un État défaillant (Paragraphe 1). Les attentats du 11/09 vont radicalement faire évoluer la perception de l'Afghanistan et, arguant de sa défaillance qui a rendu possible lesdits attentats, les Etats-Unis et ses alliés de l'OTAN vont y mener une intervention armée qui au bout du compte n'a fait que fragiliser davantage la situation de ce pays (Paragraphe 2).

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Paragraphe 1 : L'Afghanistan vu par la communauté internationale avant les

attentats du 11/09

D'entrée de jeu, il nous semble indispensable de préciser que notre démonstration ne cherche pas à prouver que l'Afghanistan était un État « fort » avant l'invasion des troupes de l'OTAN en octobre 2001. Les développements qui vont suivre tenteront, dans la mesure du possible, de démontrer les conséquences de l'utilisation du concept d'Etats défaillants dans le cadre de l'Afghanistan. La principale conséquence de cette utilisation en a été l'amplification de la fragilisation du pays qui se trouvait déjà dans une situation très problématique, bien avant l'intervention de l'OTAN en 2001. Mais en dépit de cette situation, la communauté internationale n'avait pas recouru au concept d'États défaillants pour envisager la crise de l'Afghanistan.

En effet, depuis le départ des troupes soviétiques en 1989, s'est développée en Afghanistan une véritable guerre civile opposant les différents mouvements rebelles dans leur lutte pour le pouvoir. Cette guerre civile va prendre une nouvelle ampleur après la chute du régime Najibullah en 1992. Les différentes factions rebelles, longtemps unies dans la lutte contre leur ennemi commun - le régime de Mohamed Najibullah, mis en place et soutenu par l'Union soviétique - vont se diviser ; avec pour effet l'intensité de la guerre dans la période allant de 1992 à 1995. C'est dans cette situation de désordre généralisé que va émerger le mouvement Taliban qui se présente comme la seule force capable de mettre un terme à la guerre civile, devenue quasiment chronique dans le pays depuis la fin des années 1970266. Fondant leur légitimité sur l'islam traditionnel, encore fortement appliqué dans le pays, les Talibans vont peu à peu prendre le contrôle de la quasi-totalité du territoire jusqu'à la capitale Kaboul au début des années 2000267. Très vite, les Talibans changent de statut : ils passent du statut de mouvement à celui de gouvernement déterminé à instaurer un État islamique en Afghanistan. Cependant, le gouvernement Taliban, prônant le fondamentalisme religieux ne sera pas reconnu par l'ensemble de la communauté internationale. Seuls le Pakistan, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis décideront de reconnaître le gouvernement Taliban268. Le reste de la communauté internationale sous l'influence des Etats-Unis et de l'Union Européenne n'accordent de légitimité qu'au gouvernement militairement représenté par le Front Uni du commandant Massoud qui ne contrôlait plus que la partie Nord-Est du pays, depuis la prise du pouvoir par les Talibans en 1996.

Ainsi, depuis le début des années 1990 jusqu'à 2001, la crise politique en Afghanistan n'apparaissait que comme une crise « classique » à l'instar de celle de nombreux autres pays. Il s'agissait d'une lutte pour le pouvoir opposant au sein d'un même État deux factions, soutenues chacune par des acteurs de la société internationale. Une crise « classique » qui,

266 DOMBROWSKY P. et PIEMAS S., Géopolitique du nouvel Afghanistan, Paris, Ed. Ellipses, 2005, p. 21.

267 YUNG J., « Afghanistan : les Talibans », Publication de la Division des Affaires Politiques du Parlement Canadien, 5 décembre 2007, disponible sur http://www.parl.gc.ca/content/LOP/ResearchPublications/prb0727-f.htm#TOP (Consulté le 02 août 2012).

268 RUBIN M., « Who is responsible for the Taliban ? », in Middle East Review of International Affairs, Vol. 6, n° 1, March 2002, disponible sur http://meria.idc.ac.il/journal/2002/issue1/mrubin.pdf (Consulté le 2 août 2012).

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comme toutes les autres, a fait l'objet de tentative de résolution pacifique par la communauté internationale. Les Nations Unies, par la voie de leur envoyé spécial dans le pays, M. Lakhdar Brahimi ont proposé la mise en place d'un gouvernement non exclusivement taliban mais largement représentatif de tous les groupes ethniques et religieux du pays269. Alors même que ces efforts de résolution de crise n'ont pas été couronnés de succès, il n'a pourtant jamais été question, dans les différents forums de négociation, de considérer l'Afghanistan comme un État défaillant. L'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, dans son rapport sur La situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité, n'envisage pas l'Afghanistan comme un État défaillant et incapable de se gérer. Il se contente juste de décrire l'Afghanistan comme un État en proie à une guerre civile, opposant les Talibans aux éléments du commandant Massoud270. Au sein même du conseil de sécurité, les débats sur les moyens de mettre un terme à la guerre civile en Afghanistan n'envisageaient pas ce dernier comme un État défaillant. Pour le représentant de la Malaisie par exemple, il était impératif d'éviter de traiter l'Afghanistan comme un État défaillant afin d'encourager les efforts entrepris au plan national en faveur de la paix et de la réconciliation : « If Afghanistan was to continue as a sovereign State and not be reduced, eventually, to the fate of a "failed State", characterized by endless infighting and contending for power and positions among its leaders, it was imperative that its proud people seize the opportunity now to steer a clear course towards national reconciliation and unity »271. On peut aussi apprendre de ce débat qu'aucune intervention extérieure n'était envisagée. Les participants au débat sur la situation en Afghanistan, lors de la 3705e séance du conseil de sécurité, ont réaffirmé leur volonté de ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures de l'Afghanistan qui, de l'avis du représentant du Pakistan, n'était pas un État défaillant mais un État engagé depuis de nombreuses années dans une simple guerre civile272. Les membres du conseil de sécurité n'envisageaient que des moyens pacifiques, notamment le dialogue entre les Talibans et le Front Uni, afin de favoriser la résolution de la crise.

Définitivement, la communauté internationale ne considérait pas l'Afghanistan comme un État défaillant ayant perdu le contrôle sur son territoire ou dont les institutions seraient en ruine. Bien au contraire, pour les Etats-Unis, c'est en raison du contrôle exercé sur le pays par le régime des talibans et dans une certaine mesure par le groupe Al-Quaida lui-même que leur intervention d'octobre 2001 devenait légitime. Cette idée peut être corroborée par la lettre adressée par le représentant des Etats-Unis auprès de l'ONU en date du 7 octobre 2001 : « The attacks on 11 September 2001 and the ongoing threat to the United States and its nationals posed by the Al-Qaeda organization have been made possible by the decision of the

269 A/53/695 - S/1998/1109, Rapport du secrétaire général sur la situation en Afghanistan et ses conséquences

pour la paix et la sécurité internationale, 23 novembre 1998, p. 9.

270 Id.

271 SC/6718 (Press Release), « Security council hears calls for end to outside interference in Afghanistan, with access for humanitarian aid», 27 august 1999 (Malaysia's intervention)

272 S/PV.3705, La situation en Afghanistan, 16 octobre 1996, p. 35

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Taliban regime to allow the parts of Afghanistan that it controls to be used by this organization as a base of operation »273.

La qualification d'État défaillant appliquée à l'Afghanistan ne se fera que postérieurement à l'intervention américaine d'octobre 2001. Cette appellation viendra justifier l'intervention déjà engagée et surtout légitimer la poursuite de l'action de reconstruction de l'État afghan qui représente désormais une menace pour la sécurité des autres Etats. Cette évolution dans le discours de la communauté internationale est caractéristique des risques d'instrumentalisation que comporte le concept d'Etats défaillants.

Paragraphe 2 : La qualification de l'Afghanistan après les invasions d'octobre 2001

En représailles aux attentats du 11/09, le Président Bush lançait le 7 octobre 2001 l'opération « Enduring freedom » ou (liberté immuable) dont les objectifs militaires incluaient la destruction des camps d'entrainement et des infrastructures terroristes en Afghanistan, la capture des leaders d'Al-Quaida, et la cessation des activités terroristes dans le pays274. Cette action militaire, dont la légalité internationale a été fortement contestée275, marque un tournant dans la perception de l'Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés dans leur entreprise de guerre contre le terrorisme. Si, quelques années auparavant, l'Afghanistan ne connaissait qu'une « simple guerre civile »276 dont la solution ne pouvait être que politique, après les attentats du 11/09 dont les Etats-Unis ont imputé la responsabilité au régime Taliban, l'argumentaire de la communauté a évolué et elle envisage à présent l'Afghanistan comme un État défaillant. Désormais l'Afghanistan doit être considéré comme un État défaillant qui a démontré son incapacité à gérer son territoire ; et qui a rendu possible le développement du terrorisme dans le pays et les attentats du 11/09. La défaillance de l'Afghanistan justifie alors l'attaque du 7 octobre 2001, attaque qui doit se poursuivre pour empêcher que le terrorisme ne s'y développe à nouveau.

La modification fondamentale du message pré-11/09 au moyen du recours à l'argumentaire de l'État défaillant visait les deux objectifs qui se dégagent du discours des artisans de la guerre contre le terrorisme en Afghanistan. Le concept d'États défaillants va servir non seulement à justifier la poursuite de la guerre en Afghanistan mais essentiellement

273 S/2001/946, Letter dated from 7 october 2001 from the Permanent Representative of the United States of America to the United Nations addressed to the President of the Security Council.

274 The White House, Office of the Press Secretary, Statement by the president Bush, October 7, 2001, «(...) On my orders, the United States military has begun strikes against al Qaeda terrorist training camps and military installations of the Taliban regime in Afghanistan. These carefully targeted actions are designed to disrupt the use of Afghanistan as a terrorist base of operations, and to attack the military capability of the Taliban regime.» disponible sur http://www.globalsecurity.org/military/library/news/2001/10/mil-011007-usia01.htm (Consulté le 3 août 2012)

275 CORTEN O. et DUBUISSON F., « Opération « liberté immuable » : une extension abusive du concept de légitime défense », RGDIP, 2002 - 1, p. 92

276 S/PV. 3705, op. cit., p. 35

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le recrutement d'autres Etats pour soutenir l'effort de guerre aux côtés des Etats-Unis. L'Afghanistan représentant désormais une menace pour tous les Etats en raison de sa défaillance, chacun doit prendre des dispositions pour éviter d'en être la prochaine. Et pour ce faire, il faudrait envoyer des troupes pour soutenir la guerre pour la « juste cause »277 déjà engagée par les Etats-Unis.

L'application du concept d'Etats défaillants va permettre également aux acteurs de la guerre en Afghanistan de mener une campagne de récolte de fonds afin de soutenir non seulement l'action militaire mais aussi de reconstruire le pays après la guerre. Cette idée a été défendue par Hasmy AGAM, le représentant de la Malaisie auprès du conseil de sécurité qui soulignait que « (...) Afghanistan would not be abandoned once the immediate military and security objectives of the United States led international coalition had been achieved. Learning from past lessons, every effort should be made to ensure that Afghanistan would not be left as a «failed state» to be ruled by various warlords, which would provide fertile breeding ground for the kind of terrorism that had shaken the world on 11 September »278. Dans la même veine, l'ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan va également utiliser le spectre de l'État défaillant pour inciter les membres des Nations Unies à coopérer à l'action militaire et puis à la reconstruction de l'Afghanistan279.

L'exemple afghan illustre l'utilisation du concept d'Etats défaillants qu'en ont fait les Etats-Unis et leurs alliés pour justifier leur intervention militaire. On peut constater ainsi toute la relativité de ce concept qui a servi à justifier une politique partisane des Etats-Unis et de leurs alliés dans leur entreprise de guerre contre le terrorisme. Dans le cas de l'Afghanistan, l'application du concept d'Etats défaillants n'aura servi qu'à servir les intérêts nationaux et la volonté politique des acteurs de la communauté internationale. En cela, l'intervention des forces de la coalition n'a contribué qu'à fragiliser davantage la situation politique, sécuritaire et économique de l'Afghanistan. Depuis l'Accord de Bonn de 2001280 et le Pacte pour l'Afghanistan de 2006281, toutes les solutions proposées par la communauté internationale pour sécuriser et reconstruire l'Afghanistan n'ont pas véritablement connu de succès. Mise à part une réussite contrastée de la transition institutionnelle ayant débouché sur les élections démocratiques de janvier 2004 avec la victoire du président Hamid Karzaï, l'intervention de la coalition n'aura fait que favoriser la complète désintégration de la situation sécuritaire, économique et sociale du pays. Alors que l'on s'approche de 2014, année durant laquelle étaient prévus le retrait complet des troupes de la coalition et le transfert des

277 Statement by President Bush, October 7, 2001, op. cit.

278 GA/10002, UN Press Release, « International Community must Maintain Commitment to Afghanistan, Say

speakers in General Assembly », 20 décembre 2001, disponible sur
http://www.un.org/News/Press/docs/2001/GA10002.doc.htm (Consulté le 03 août 2012)

279 SG/T/2345, UN Press Release, « Activities of Secretary General in China, 13 - 16 October», October 16, 2002, disponible sur http://www.un.org/News/Press/docs/2002/sgt2345.doc.htm (Consulté le 3 août 2012)

280 Accord définissant les arrangements provisoires applicables en Afghanistan en attendant le rétablissement d'institutions étatiques permanentes, signé à Bonn le 5 décembre 2001, disponible sur http://www.geopolitis.net/LES%20DOCUMENTS/ACCORD%20SUR%20L'AFGHANISTAN.pdf (Consulté le 3 août 2012).

281 S/2006/90, Faire fond sur le succès, Pacte sur l'Afghanistan, annexé à la lettre datée du 9 février 2006 adressée au président du conseil de sécurité par le représentant permanent de l'Afghanistan auprès de l'ONU, 9 février 2006.

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compétences aux autorités afghanes, le constat établi par le secrétaire général en 2006 selon lequel le tiers du territoire est encore « le théâtre d'une violente insurrection »282 peut encore se vérifier aujourd'hui. La détérioration du climat sécuritaire ajoutée à la lenteur de la reconstruction et à la difficulté qu'éprouve l'administration centrale à imposer son autorité sur toute l'étendue du territoire sont autant d'éléments qui peuvent témoigner de l'échec de l'intervention militaire menée par les Etats-Unis et ses alliés au nom de la prétendue défaillance de l'État afghan. Sur le plan économique, en dépit de l'aide de la communauté internationale, le secrétaire général de l'ONU rapporte que l'Afghanistan continue de connaître des difficultés économiques et de développement quasi insurmontables283. Sur le plan social et humanitaire, la situation du pays s'est encore dégradée davantage. Depuis la chute du régime des Talibans et l'invasion des troupes de l'OTAN, le nombre des victimes de la guerre civile a quadruplé284.

L'étude de l'application du concept d'Etats défaillants dans le cadre de l'Afghanistan illustre de quelle manière ce concept peut être instrumentalisé et entraîner des conséquences politiques. On a pu constater, à travers les précédents développements, qu'avant l'invasion d'octobre 2001, l'Afghanistan n'était pas vraiment un État défaillant car les Talibans contrôlaient plus de 90% du territoire national ; ce qui est un pourcentage plus élevé que pour nombre de gouvernements reconnus dans le monde. A travers les initiatives diplomatiques menées par l'ONU, l'issue de la guerre civile pouvait être prévisible. Mais pour des intérêts de défense nationale, les Etats-Unis et leurs alliés de l'OTAN ont réussi à faire passer l'Afghanistan pour un État défaillant, afin de légitimer leur intervention militaire d'octobre 2001. Hormis le risque d'instrumentalisation politique que comporte le concept d'Etats défaillants, le bilan de son opérationnalisation souligne encore davantage que les limites de la logique sécuritaire de la crise en Afghanistan - sous-jacente au concept d'Etats défaillants lui-même - semblent avoir été atteintes. Au-delà de la sécurité de l'État, il faudrait envisager une approche plus globale prenant en compte aussi la sécurité des individus. Autrement dit, passer de la sécurité de l'État à la sécurité de l'individu.

Section 2 : De la sécurité de l'État à la sécurité de l'individu

A travers les différentes variantes de son opérationnalisation, le concept d'Etats défaillants ne débouche que sur des solutions axées autour de l'État en tant qu'institution dont la stabilité et le renforcement des capacités sécuritaires sont indispensables au maintien de la paix et de la sécurité internationales. C'est dans cette optique que les efforts de reconstruction des Etats défaillants se concentrent prioritairement sur des mesures visant le renforcement des

282 A/61/326, Rapport du secrétaire général présenté au conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales, 11 septembre 2006, § 76.

283 A/60/224, Rapport du secrétaire général présenté au conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales, 12 août 2005, §50.

284 Voir « Afghanistan : les violences ont quadruplé en 2006 », Le Monde, 13 novembre 2006 ; Voir aussi « Afghan conflict deaths quadruple », BBC News, 13 novembre 2006.

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forces militaires et de police nationale afin de lutter efficacement contre le développement du terrorisme et de la criminalité internationales dont on accuse habituellement les Etats défaillants d'en faire le lit. Ce faisant, le concept d'Etats défaillants n'aborde la question de la crise de l'État qu'à travers les conséquences qui peuvent en découler : les nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales. Une telle approche a largement montré ses limites car, dans la recherche des réponses à la défaillance étatique, le traitement des conséquences immédiates de ce problème est tout aussi important que celui de ses causes profondes. Aborder la question de la défaillance étatique par les causes obligera à prendre en compte la situation des individus dont le comportement participe à la désintégration de l'État et, partant, au développement des nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales.

Ainsi, pour lutter efficacement contre le phénomène de la défaillance étatique, il importe de ne pas se focaliser exclusivement sur la sécurité de l'État. Il faudrait prendre le problème à la racine et, dans cette optique, assurer la sécurité des individus peut contribuer efficacement au renforcement de la sécurité de l'État et, in fine, la sécurité internationale. Cette approche a été développée par un autre concept ayant vu le jour au début des années 1990 et qui veut recentrer la question de la sécurité, et en particulier la sécurité internationale, sur l'Homme en tant qu'être humain. Il s'agit du concept de la sécurité humaine apparu pour la première fois dans le Rapport mondial sur le développement humain produit par le PNUD en 1994, dont la première phrase résume à la perfection la doctrine de ce concept : « Le monde ne vivra jamais en paix tant que les gens ne connaîtront pas la sécurité dans leur vie quotidienne »285. Le concept de la sécurité humaine développe ainsi une approche globale de la sécurité internationale conciliant la sécurité des Etats avec la sécurité des individus (Paragraphe 1). Sous cet aspect, la sécurité humaine peut apparaître à la fois critique et complémentaire du concept d'Etats défaillants qui ne développait qu'une vision linéaire de la sécurité internationale axée sur l'État. En conformité avec l'évolution de la société internationale qui a vu accroître la place de l'individu en son sein, la sécurité humaine réalise, ainsi, une extension de la sécurité collective à travers des mécanismes novateurs qui concourent efficacement au maintien de la paix et de la sécurité internationale (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'approche des Etats défaillants par la sécurité humaine : une

approche globale de la sécurité internationale

Dans une logique d'extension de la conception traditionnelle de la sécurité internationale, l'approche des Etats défaillants par la sécurité humaine permet à la fois de prendre en compte les menaces qui découlent de la défaillance de l'État en tant qu'institution mais aussi celles qui pèsent sur ses composantes, à savoir les individus. Il s'agit donc d'une approche qui englobe les causes et les conséquences de la défaillance étatique. Les causes de défaillance étatique se traduisent par des facteurs qui mettent en cause la sécurité humaine : pauvreté, sous-développement, maladies pandémiques, violation des droits de l'homme, etc.

285 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, Paris, Economica, 1994, p. 1

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C'est alors l'incapacité de l'État à assurer la sécurité humaine, dans son acception la plus large, qui le rend vulnérable dans la lutte contre le développement des nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales. Par un cheminement inverse à la logique du concept d'Etats défaillants, le concept de la sécurité humaine aborde la question de la défaillance étatique à travers ses causes profondes afin de contribuer efficacement à la maîtrise de ses conséquences dommageables pour la sécurité internationale. L'approche des Etats défaillants par la sécurité humaine prend ainsi en compte la sécurité de l'État (renforcement de la capacité fonctionnelle de l'État, contrôle de l'intégrité territoriale, autorité effective, etc.) et celle des individus (sécurité alimentaire, sanitaire, éducation, respect des droits et libertés fondamentales, etc.). Cette vision globale de la sécurité internationale émane des deux volets qui ressortent de la foultitude des définitions de cette notion. On apprend du précédent secrétaire général de l'ONU dans son rapport intitulé « Dans une plus grande liberté : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous » que la sécurité humaine doit concourir non seulement à libérer l'Homme de la peur (ou « freedom from fear ») mais encore à le libérer du besoin (ou « freedom from want »)286.

Dans sa première acception, « freedom from fear », la sécurité humaine se rapproche de la logique du concept d'Etats défaillants qui envisage la sécurité internationale à travers le renforcement des capacités de l'État. Sous cet angle, le concept de la sécurité humaine n'ignore pas le rôle fondamental de l'État dans le maintien de la sécurité en son sein et, par ricochet, dans la préservation de la sécurité internationale. D'après le contrat social qui le lie à sa population, l'État demeure, de ce fait, l'acteur le plus légitime pour assurer la sécurité au niveau national et international. Ainsi, pour libérer l'Homme de la peur, la sécurité humaine mais aussi le concept d'Etats défaillants militent pour un renforcement des rôles et des responsabilités de l'État. A ce titre, la volonté de reconstruction des Etats, développée par le concept d'Etats défaillants, se justifie aisément au vu des nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationale auxquelles doivent faire face les Etats de nos jours. De manière plus pratique, cette version de la sécurité humaine a été au coeur de la campagne pour l'interdiction des mines anti-personnel et des sous-munitions287, l'action internationale contre la prolifération et l'utilisation abusive des armes légères et de petit calibre et surtout la création de la Cour Pénale Internationale288.

Cependant, selon l'approche de la sécurité humaine, la reconstruction des capacités de l'État ne suffit pas à elle seule à assurer la sécurité internationale. La sécurité humaine introduit donc, dans l'analyse de la défaillance étatique, une dimension humaine qui n'a été que très accessoirement envisagée dans la logique du concept d'Etats défaillants. De cette

286 A/59/2005, Rapport du secrétaire général, « Dans une plus grande liberté : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous », 24 mars 2005, §§ 25 - 73 , §§ 74 - 126 ; Voir aussi TAVERNIER P., « La sécurité humaine et la souveraineté des Etats », in KHERAD R. (Sous la direction de), La sécurité humaine : Théorie(s) et Pratique(s), Paris, A. Pedone, 2010, pp. 39 - 50, 41.

287 Lancée en 1992 par six organisations internationales non gouvernementales, les activités de ladite campagne ont abouti à la conclusion en décembre 1997 à Ottawa du traité d'interdiction des Mines et la Convention sur les armes à sous-munitions ouverte à la signature depuis le 3 décembre 2008 à Oslo, Voir le site de la campagne : http://www.icbl.org

288 Pour de plus amples développements, voir KRAUSE K., « Sécurité Humaine » in CHETAIL V., Lexique de la consolidation de la paix, op. cit., pp. 507 - 522.

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façon, la sécurité humaine replace l'homme au coeur de l'analyse des menaces à la sécurité internationale puisque si ces menaces sont reconnues comme telles, c'est parce qu'elles affecteront en fin de compte l'individu. La sécurité humaine rend ainsi indissociable la sécurité des Etats et celle des individus et confirme, par la même occasion, la place de plus en plus prépondérante de l'individu sur la scène internationale. Cette vision de la sécurité humaine confirme aussi, d'une certaine manière, l'analyse presque prophétique faite par N. POLITIS en 1927 lorsqu'il estimait qu' « en constatant les résistances d'une partie de la doctrine à reconnaître à l'individu la qualité de sujet du droit international et celles de la pratique à lui accorder la faculté d'agir en justice, on en arrive à la conclusion que le droit international est dans une période de transition : s'il n'est plus exclusivement le droit des Etats, il n'est pas encore complètement le droit des hommes. (...) »289. Dans cette perspective, en raison de la place qu'occupe désormais l'individu dans la société internationale, les menaces à sa sécurité, en tant que personne physique, peuvent désormais être considérées comme sources d'insécurité internationale. Ces menaces sont essentiellement liées au sous-développement et peuvent renvoyer aux problèmes de chômage, au non-respect des droits et libertés fondamentales, au développement des maladies, etc.

Dans ce contexte, pour assurer la sécurité internationale, l'approche des Etats défaillants par la sécurité humaine consiste aussi - et c'est en effet la seconde version de la sécurité humaine - à répondre aux besoins humains des individus en termes économiques, sanitaires, alimentaires, sociaux et environnementaux : il s'agit de permettre aux individus de « vivre à l'abri du besoin » ou encore « freedom from want ». Cette version de la sécurité humaine découle de la formulation originale du concept de la sécurité humaine, définie par le rapport du PNUD de 1994290. Dans cette version, la sécurité humaine englobe donc des menaces liées directement au bien-être des individus mais qui peuvent aussi compromettre la sécurité des Etats et en provoquer la défaillance. C'est pourquoi, à la suite du rapport du PNUD de 1994, l'ancien secrétaire général des Nations Unies considère que pour permettre aux individus de vivre à l'abri du besoin, il importe de s'attaquer à la pauvreté, aux maladies infectieuses mortelles, à la dégradation de l'environnement, facteurs qui tous peuvent générer des conséquences également catastrophiques telles que la violence civile, le crime organisé, le terrorisme et les armes de destruction massive291.

C'est donc à travers cette dialectique sécurité des Etats/sécurité des individus que se manifeste la dimension globale du concept de la sécurité humaine. Sous l'angle de la sécurité humaine, la défaillance étatique autant que les problèmes liés aux conditions de vie des individus peuvent saper la paix et la sécurité internationales. Dans ce contexte, l'État et les différentes politiques visant sa reconstruction doivent être considérés comme de simples instruments permettant d'assurer la sécurité des individus qui conditionne en retour la sécurité internationale. En concentrant l'analyse de la sécurité internationale sur les menaces liées à la sécurité des individus, la sécurité humaine consacre ainsi une évolution de la conception traditionnelle de la sécurité collective. Ce faisant, contrairement au concept d'Etats défaillants

289 POLITIS N. cité par SIERPINSKI B., « La sécurité collective confrontée à la sécurité humaine », in KHERAD R. op. cit., pp. 51 - 64, 64.

290 Rapport sur le développement humain, op. cit.

291 A/59/2005, Rapport du secrétaire général, op. cit., §78

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qui abordait la question de la sécurité internationale à travers une approche unidimensionnelle centrée sur l'Etat, le concept de sécurité humaine peut renforcer l'efficacité de la sécurité collective.

Paragraphe 2 : La sécurité humaine, extension de la sécurité collective

Cette extension de la sécurité collective doit être perçue comme une résultante de l'approche globale du concept de la sécurité humaine. En intégrant les menaces qui pèsent sur les individus dans l'analyse de la sécurité internationale, le concept de sécurité humaine opère par la même occasion une extension du cadre traditionnel de la sécurité collective. Ainsi, contrairement au concept d'Etats défaillants, la sécurité humaine permet de mieux garantir l'effectivité du mécanisme de la sécurité collective en élargissant l'éventail des menaces potentielles à la paix et à la sécurité internationales et en précisant les moyens de lutter efficacement contre celles-ci.

Le débat sur la nécessité de repenser la sécurité collective292 s'est posé avec acuité au début des années 1990 lorsqu'au travers des massacres de Srebrenica et du génocide rwandais, la communauté internationale s'est rendu compte que les menaces à la paix et à la sécurité internationale provenaient davantage de situations internes aux Etats. L'ancien secrétaire général de l'ONU avait alors constitué un groupe composé de personnalités de haut niveau dont la mission était d'appréhender les nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales. Le rapport293 de ce groupe d'étude dégageait l'idée selon laquelle la conception de la sécurité collective, issue de la charte de l'ONU, se révèle aujourd'hui insuffisante pour appréhender les nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales, d'où la nécessité de repenser une sécurité collective plus globale permettant de trouver des moyens pour les maîtriser. La sécurité humaine à travers sa double dimension (« freedom from fear » et « freedom from want »)294 offre ainsi un cadre d'analyse élargi de ces nouvelles menaces à la paix et à la sécurité internationales et peut permettre de mieux garantir la sécurité collective aujourd'hui.

Cette évolution, ou, plus exactement, extension de la sécurité collective implique alors la reformulation du cadre institutionnel et normatif de l'ONU et particulièrement du conseil de sécurité, organe détenant la responsabilité principale de la garantie de la sécurité collective295. Pour ce qui est du cadre institutionnel de la sécurité collective, il faut dire que la

292 S.F.D.I., Les métamorphoses de la sécurité collective : droit, pratique et enjeux stratégiques, Paris, A. Pedone, 2005, p. 280 ; Voir aussi DAILLIER P., « La nécessité de la réactualisation du système de la sécurité collective », in KHERAD R. (Sous la direction de), Les implications de la guerre en Irak : colloque international : mercredi 12 mai 2004 et jeudi 13 mai 2004, Paris, A. Pedone, , p. 248.

293 A/59/565, Rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, 2 décembre 2004.

294 Voir supra §1, p. 80

295 Article 24, §1 de la Charte de l'ONU.

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réforme du conseil de sécurité a toujours fait débat à l'ONU entre les Etats296 - généralement issus des pays en développement - qui militent pour un élargissement des membres dudit conseil et des Etats - les anciens victorieux de la seconde guerre mondiale - qui ne voient pas l'opportunité d'une telle réforme. Mais dans le contexte de l'extension de la sécurité collective, une telle réforme se révèle indispensable afin d'assurer l'effectivité de la sécurité humaine. Le groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement s'est penché sur la question et propose dans la quatrième partie de son rapport des pistes pour la réforme du cadre institutionnel de la sécurité collective297. Le groupe propose l'élargissement des membres du conseil de sécurité à 24 membres, soit la création de neuf nouveaux sièges. Il propose ensuite deux formules d'élargissement du nombre des membres du conseil. Selon la formule A, le groupe propose la création de six sièges permanents sans droit de veto et de trois nouveaux sièges non permanents avec un mandat de deux ans. Avec la formule B, le groupe ne propose pas la création de nouveaux sièges permanents mais la création d'une nouvelle catégorie de sièges avec mandat renouvelable de quatre ans soit huit sièges et un dernier avec un mandat non renouvelable de deux ans. Par ailleurs, le groupe rappelle aussi les principes298 qui doivent guider la réforme du conseil de sécurité notamment le principe de répartition géographique afin de rendre plus démocratique le conseil de sécurité. Ces propositions, reprises pas l'ancien secrétaire général dans son rapport « Dans une plus grande liberté : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous »299, ont été soumises aux Etats lors du sommet mondial de 2005. Finalement, faute de consensus entre les Etats, elles ne seront qu'évoquées dans le document final300 du sommet mondial dont la principale réforme institutionnelle a consisté en la dissolution du conseil de tutelle.

Au-delà de ce blocage politique, il faudrait ajouter que la réforme du conseil de sécurité est toujours souhaitable afin de permettre à cet organe de relever les défis de plus en plus importants de la sécurité collective.

Cependant, sur le plan normatif, on peut remarquer une nette évolution des mécanismes de la sécurité collective confirmant ainsi la dynamique d'extension de la sécurité collective opérée par le concept de la sécurité humaine. Cette évolution se manifeste par l'introduction du concept de la sécurité humaine dans le droit positif de l'ONU. En dehors de la pratique et du discours des Etats au sein de l'ONU qui font état de l'acception implicite ou explicite du concept de la sécurité humaine, cette introduction dans le droit positif de l'ONU s'est opérée à travers les résolutions du conseil de sécurité visant à assurer la protection des civils dans les conflits armés. Dans ce contexte, on pourrait considérer que la prise en compte de la sécurité humaine par le conseil de sécurité remonte à ses résolutions consacrant la violation massive des droits de l'homme et du droit international humanitaire au

296 Voir TAVERNIER P., « Soixante ans après : la réforme du conseil de sécurité des Nations Unies est - elle

possible ? », in Actualité et Droit International, août 2005, disponible sur
http://www.ridi.org/adi/articles/2005/200508tav.pdf (Consulté le 8 août 2012)

297 A/59/565, op. cit., §§ 249 - 260

298 Ibid., §249

299 A/59/2005, Rapport du secrétaire général, op. cit., § 77.

300 A/60/L.1, Document final du sommet mondial de 2005, 20 septembre 2005

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Rwanda et en Somalie comme une menace à la paix et à la sécurité internationales. Cependant le caractère exceptionnel des situations somalienne et rwandaise ne permettent pas d'affirmer effectivement cette extension du cadre normatif de la sécurité collective. Cette consécration s'effectuera à travers la résolution 1296 (2000) du conseil de sécurité sur la protection des civils en période de conflit armé. Dans cette résolution, de manière quasi législative et sans référence à une situation donnée, le conseil de sécurité consacre la violation systématique, flagrante et généralisée du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits de l'homme comme une menace à la paix et à la sécurité humaine301. Par déduction, on peut aussi affirmer que la violation de la sécurité humaine - qui consiste en période de paix à assurer l'effectivité des droits de l'homme au sens large - peut être constitutive de menace à la paix et à la sécurité internationales. Ainsi, l'extension de la sécurité collective se traduit par le fait que, désormais, les mécanismes du chapitre VII peuvent être mis en oeuvre par le conseil de sécurité en face d'une menace à la paix et à la sécurité internationales dans sa conception classique mais aussi dans les situations de menace à la sécurité humaine. Par ailleurs, l'action militaire en vertu du chapitre VII serait à exclure car son utilisation serait contreproductive dans le maintien de la sécurité humaine. Ainsi, de tous les mécanismes de maintien de la paix contenus dans la charte de l'ONU et redéfinis par le rapport Brahimi, la diplomatie préventive apparaît comme le moyen le plus efficace pour garantir la sécurité collective par le biais de la sécurité humaine302. Tandis que le concept d'Etats défaillants s'intéressait au traitement des crises déjà ouvertes, la sécurité humaine accorde une place importante à la prévention basée sur des engagements à long terme afin mieux garantir la sécurité collective.

Au vu de toutes ces réflexions, le concept de la sécurité humaine paraît plus fédérateur et plus efficace dans l'analyse de la crise de l'État que ne l'est le concept d'Etats défaillants. S'il fallait envisager de dépasser le concept d'Etats défaillants, la sécurité humaine constituerait un parfait substitut dans l'analyse de la défaillance étatique et dans la résolution de ce problème auquel est confronté l'État aujourd'hui.

301 S/RES/1296 (2000), 19 avril 2000, §5.

302 Voir MESTRE C., « La sécurité humaine et la prévention des conflits », in KHERAD R., La sécurité humaine : théorie(s) et pratique(s), op. cit., pp. 179 - 191.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Conclusion Générale

De l'étude du concept d'Etats défaillants en droit international, quelques constats se dégagent et méritent d'être énoncés avant une prospection des lacunes qu'il soulève et qui doivent être résolues afin de le rendre à même de poser moins de difficultés qu'il n'en résout.

D'un point de vue théorique, on peut retenir que l'échec et les piétinements de l'État dans de nombreux endroits du monde, depuis ces dernières années, ont alimenté les recherches dans plusieurs disciplines du droit dans le but d'appréhender la crise que traverse l'État. Ces recherches ont culminé au moment de l'accession des anciens territoires colonisés à l'indépendance et de la chute du bloc communiste ; deux évènements majeurs ayant engendré la naissance de nombreux Etats inaptes à assumer les fonctions liées à la qualité d'Etat. De ce fait, la décolonisation et la décommunisation ont favorisé l'essor des théories explicatives de l'effondrement de l'Etat sur la scène internationale. De toutes ces théories, nous avions retenu, dans la cadre de ce mémoire, celle de l'Etat défaillant qui est plus à même d'emporter de véritables conséquences juridiques. Au terme de cette recherche, on peut retenir que l'Etat défaillant est celui qui est incapable de reproduire durablement et de manière effective les conditions de sa propre existence. En d'autres termes, un Etat ne peut plus assurer la sécurité et qui n'a plus aucun contrôle sur son territoire et ses frontières, qui n'est pas capable de satisfaire les besoins, en termes de service public, de sa propre population. L'accumulation de toutes ces lacunes a fait de l'Etat défaillant, surtout au lendemain des attentats du 11/09, l'une des plus importantes sources d'instabilité de la société internationale en raison des liens entre la situation de défaillance et le développement de nouvelles menaces pour la paix et la sécurité internationales.

En outre, on peut également retenir qu'au-delà de son aspect analytique se manifestant par la simple explication de la crise de l'Etat, le concept d'Etat défaillant apparaît aussi comme un concept opérationnel qui intéresse tous les acteurs appelés à agir pour limiter ou remédier aux situations de défaillance des Etats. Sous son angle opérationnel, le concept d'Etats défaillants a favorisé l'émergence d'une nouvelle forme d'ingérence au secours des Etats défaillants en vue d'oeuvrer pour leur reconstruction. Cette intervention internationale, aux fondements juridiques novateurs, est perçue comme la réponse de la communauté internationale en réponse à la défaillance étatique. Le state-bulding, à travers ses fonctions polymorphes, vise le rétablissement de l'autorité de l'État pour limiter au mieux les effets de sa défaillance. Mais le state-bulding est surtout un vecteur du prosélytisme démocratique développé par les Etats occidentaux, depuis la fin de guerre froide, et qui perçoit les régimes démocratiques, respectueux des droits de l'Homme, comme seuls gages de stabilité et de sécurité tant nationales qu'internationales.

Toutefois, ce projet ambitieux d'ingénierie étatique se heurte aux difficiles réalités du terrain et, sur tous les théâtres où le state-bulding a été expérimenté, son bilan n'a jamais été à la hauteur des résultats attendus de sa mise en oeuvre.

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Cet échec du state-bulding, déclinaison du versant opérationnel du concept d'Etats défaillants, traduit en filigrane les limites du concept d'Etats défaillants lui-même. Ces limites résident en premier lieu dans l'absence de définition communément admise par l'ensemble des acteurs concernés par la le problème de la défaillance étatique. En effet, la signification du concept d'Etats défaillants est construite par les efforts isolés d'institutions ou d'individus. Cette absence de définition unique du concept d'Etats défaillants rend compte de sa relativité et fait que dans son opérationnalisation, le concept d'Etats défaillants se prête à toutes les manipulations et instrumentalisations possibles. Ainsi, l'exemple afghan a permis de démontrer que le concept d'Etats défaillants a servi de paravent pour mieux justifier et cautionner l'agenda sécuritaire de l'après 11 septembre au sein de l'ONU et d'autres Etats occidentaux.

Sur le plan de la technique juridique, l'absence de définition précise du concept d'Etats défaillants a posé également de nombreux écueils notamment en ce qui concerne la détermination du régime juridique applicable aux Etats jugés défaillants.

Au vu de toutes ces lacunes, la catégorisation des Etats, sur des critères fonctionnels, ne présente aucune grande utilité théorique et pratique. La configuration actuelle de la société internationale a rendu les débiteurs de fonctions de plus en plus accrues. De ce fait, dans une conception maximaliste, on peut considérer que tout Etat est structurellement défaillant. Le climat généralisé de crise dans lequel est actuellement plongée la société internationale témoigne du fait que tous les Etats présentent à divers degrés des défaillances en termes de régulation économique, de développement, d'environnement, de droits de l'homme ou de droit humanitaire.

Ainsi, pour poursuivre efficacement les objectifs du concept d'Etats défaillants, il importe de développer plutôt une approche capacitaire des Etats. Cette dernière n'est qu'en partie développée par le concept d'Etats défaillants dans l'analyse de la crise de l'Etat. Il importe alors de dépasser la dimension unilinéaire du concept d'Etats défaillants, axée sur la seule sécurité des Etats, au profit d'une autre élaboration conceptuelle ; celle de la sécurité humaine notamment qui apparaît plus opérationnelle en raison de sa dimension globale et de sa relative neutralité idéologique. En outre, la sécurité humaine a l'avantage de promouvoir la prévention de l'effondrement des Etats à travers une analyse des variables d'arrière plan qui sont à l'origine de la défaillance étatique afin de lutter efficacement contre les conséquences qui peuvent en résulter au regard de l'impératif maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Au demeurant, il faudrait retenir que quand bien même le concept d'Etats défaillants traduit un malaise de la forme d'organisation politique et sociale qu'est l'Etat, le remède à cette pathologie doit nécessairement être recherché dans le perfectionnement de l'institution étatique qui, de ce fait, a encore de beaux jours devant elle.

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S/2005/596, Vingt-sixième rapport du secrétaire général sur la Mission des Nations Unies en Sierra Leone, 20 septembre 2005

S/2006/60, Rapport secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti, 2 février 2006

S/23445 du 20 janvier 1992

S/PRST/1999/21, Déclaration du président du Conseil de sécurité, 8 juillet 1999

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S/RES/1545 (2004) du 21 mai 2004.

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Annexes

Annexe 1 : Représentation cartographique des Etats défaillants

100

Source : Failed States Index 2012

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Annexe 2 : Classement des Etats défaillants

Source : Failed States Index 2012

101

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Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Table des matières

Dédicace 1

Remerciements 2

Liste des sigles et abréviations 3

Sommaire 4

Introduction Générale 6

Première partie : Les enjeux théoriques du concept d'Etats défaillants en droit international 12

Chapitre 1 : Vers la naissance d'un consensus international autour du concept d'Etats défaillants 13

Section 1 : La genèse du concept d'Etats défaillants 14

Paragraphe 1 : L'après seconde guerre mondiale et l'affirmation du principe d'autodétermination des peuples 14

A. Le contexte de la décolonisation 16

B. La décommunisation 19

Paragraphe 2 : les lendemains du 11 septembre 2001 22

A. Le concept d'États défaillants dans la politique étrangère internationale 22

B. Le lien entre la défaillance étatique et les nouvelles menaces à la sécurité internationale 24

Section 2 : L'évolution du concept d'Etats défaillants 26

Paragraphe 1 : Le concept d'Etats défaillants dans l'élaboration de la politique nationale de défense et de sécurité des Etats

occidentaux 26

A. L'U.S. National Security Strategy et les Etats défaillants 27

B. Les Etats défaillants dans le discours sécuritaire de l'Union Européenne 28

Paragraphe 2 : L'approche développementaliste des Etats défaillants 30

A. L'approche des institutions financières internationales 30

B. Vers des critères d'identification des Etats défaillants 32

Chapitre 2 : Le régime juridique des Etats défaillants en droit international 34

Section 1 : Un régime juridique statutaire non diversifié 34

Paragraphe 1 : La capacité d'action internationale de l'État défaillant 35

A. La capacité de s'engager de l'État défaillant 35

B. L'ineffectivité du droit de légation de l'État défaillant 37

Paragraphe 2 : la protection de la qualité d'État de l'État défaillant 39

A. Une personnalité juridique internationale protégée 39

B. Une souveraineté de jure protégée 41

Section 2 : L'applicabilité du droit international par les Etats défaillants : un régime à inventer 42

Paragraphe 1 : L'État défaillant face à ses obligations internationales 43

A. L'exécution des obligations conventionnelles par les Etats défaillants 43

103

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

B. L'exécution des obligations découlant du droit international humanitaire et du droit international des droits

de l'homme 44

Paragraphe 2 : Les règles régissant les violations des obligations internationales 47

A. L'attribution d'un fait internationalement illicite à l'État défaillant 47

B. La défaillance étatique, une circonstance excluant l'illicéité ? 49

Partie 2 : L'État défaillant, un concept opératoire en droit international 50

Chapitre 1 : L'intervention internationale, réponse à la défaillance étatique 52

Section 1 : L'introduction des pratiques de consolidation de la paix au sein des mandats des opérations de paix 53

Paragraphe 1 : Les fondements substantiels des opérations de consolidation de la paix 54

A. La reconstruction des Etats à travers une paix structurelle 54

B. La reconstruction des Etats au moyen d'une action structurante 56

Paragraphe 2 : Le cadre juridique de la pratique de la consolidation de la paix 58

A. Les chapitres VI et VII de la Charte de l'O.N.U. 58

B. L'émergence d'un foncement d'origine coutumière de la pratique de

consolidation de la paix 60

Section 2 : Le cadre opérationnel de la reconstruction des Etats défaillants 63

Paragraphe 1 : Le volet sécuritaire de la reconstruction des Etats 64

A. Les opérations de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens

combattants 64

B. La restructuration des forces de l'ordre 66

Paragraphe 2 : Les volets politique, économique et social de la reconstruction des Etats

défaillants 68

A. La reconstruction politique des Etats défaillants 68

B. La reconstruction des infrastructures sociales et économiques des Etats

défaillants 71

Chapitre 2 : L'État défaillant, un concept à dépasser 74

Section 1 : Comment fragiliser un État sous prétexte de sa défaillance : étude de cas de

l'Afghanistan 75

Paragraphe 1 : L'Afghanistan vu par la communauté internationale avant les attentats

du 11/09 76

Paragraphe 2 : La qualification de l'Afghanistan après les invasions d'octobre 2001 78

Section 2 : De la sécurité de l'État à la sécurité de l'individu 80

Paragraphe 1 : L'approche des Etats défaillants par la sécurité humaine : une

approche globale de la sécurité internationale 81

Paragraphe 2 : La sécurité humaine, extension de la sécurité collective 84

Conclusion Générale 87

104

Réflexions sur le concept d'Etats défaillants en droit international

Bibliographie 89

Annexes 100

Table des matières 101






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld