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Mourir au Burundi: gestion de la mort et pratiques d'enterrement (de la période pré- coloniale à  nos jours )

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par Emmanuel NIBIZI
Université du Burundi - Licence en histoire 2005
  

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CHAPITRE I. LA SOCIETE BURUNDAISE FACE A LA MORT

INTRODUCTION

Depuis toujours, les Burundais, comme d'autres peuples du monde sont menacés à chaque instant par l'idée de la mort. Bien qu'ils soient spectateurs de cette scène macabre qui est la mort, les hommes ne s'y habituent pas. L'être humain est perplexe et inquiet de devoir mourir un jour. Pendant fort longtemps, l'arrêt cardiaque quoique souvent ignoré par les Burundais, a été conçu par ces derniers comme le seul signe de la mort. En effet, la cessation des battements du coeur et de la circulation sanguine impliquait automatiquement la mort de celui qui en présentait les signes. Auparavant, le doute n'existait pas. La personne dont le pouls n'était pas prévisible, pendant une période même relativement brève, était destinée à une mort inévitable. Les pleureuses commençaient leur travail tandis que les hommes se dépêchaient à l'évacuation du mourant. Avec l'apparition de nouvelles techniques et technologies de réanimation ainsi que le développement de la médecine de transplantation ou de la science en général, l'arrêt des fonctions cardiaques, au moins pour une période limitée, n'entraîne plus nécessairement la mort. Cette réalité évidente dans les pays développés ne concerne pas largement nos pays pauvres où une grande partie de la population recourent toujours à la médecine traditionnelle pour se soigner.

Vouloir comprendre l'attitude de la société burundaise face à la mort revient à notre avis à se rendre compte de la complexité de la notion même de la mort car d'une part, comme le dit un logicien autrichien, Wittgenstein (1889-1951), "la mort n'est pas un événement de la vie, [elle] ne peut pas être vécue "13 pour en parler avec assurance et les définitions varient selon les cultures et les époques, d'autre part.

13. W. Ludwig, Tractatus logico-philosophicus, p.84 in www.dicocitations.com/resultat.php?id=4651

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I. Définitions et conception de la mort

I.1. Définitions

Selon le Dictionnaire Larousse, la mort est une cessation définitive de la vie14. La mort se définirait comme la cessation irréversible de la vie et constituerait donc un changement complet de l'état d'un être vivant et la perte de ses caractéristiques essentielles.

Selon les spécialistes, pour un être vivant, la mort intervient à plusieurs niveaux ou phases: c'est d'abord la mort somatique considérée comme celle de l'organisme en tant qu'ensemble intégré. Elle précède habituellement la mort des organes, des cellules et de leurs composants. La mort somatique serait marquée par l'arrêt du battement cardiaque, de la respiration, des mouvements, des réflexes et de l'activité cérébrale. Les mêmes spécialistes reconnaissent que le moment précis de cette mort est parfois difficile à déterminer parce que des états transitoires comme le coma, l'évanouissement et la transe lui ressemblent beaucoup.

Aujourd'hui, la science médicale permet de distinguer ces moments de la fin de la vie. Plusieurs études ont montré qu'après la mort somatique, se produisent plusieurs modifications qui peuvent être utilisées pour déterminer l'heure et les circonstances du décès. Par exemple, le refroidissement du corps (algor mortis), dépend surtout de la température de l'environnement immédiat. On sait aussi que la raideur cadavérique (rigor mortis), due au raidissement des muscles du squelette, s'installe de cinq à dix heures après le décès, mais disparaît trois ou quatre jours plus tard. Concernant la lividité cadavérique (livor mortis), une coloration bleue rougeâtre qui apparaît dans la partie inférieure du corps, elle résulte de la stase sanguine. La coagulation du sang commence peu de temps après la mort, de même que l'autolyse ou la mort des cellules. La décomposition qui s'ensuit, serait causée par l'action d'enzymes et de bactéries.

En somme, les organes meurent à des vitesses différentes. Alors que les neurones du cerveau ne survivraient que cinq minutes à la mort somatique, la durée de survie des cellules cardiaques est estimée à environ quinze minutes et celles du foie en moyenne trente minutes. C'est la raison pour laquelle des organes peuvent être prélevés sur un corps récemment décédé et greffés chez une personne vivante.15

'4. Dictionnaire français, Editions françaises Inc, Paris, 1995, p.413

'5. M.A. DESCAMPS, Les Définitions de la mort, in http://www.europsy.org/ceemi/defmort.html.

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On constate après tout qu'il n'y a pas de définitions incontestables de la mort. Ainsi, celles que des chercheurs utilisent actuellement changent du jour au lendemain. Selon Marc Alain Descamps (professeur de psychologie, président du Centre d'Etude des Expériences de Mort Imminente), on peut distinguer des définitions scientifiques, qui portent sur le moment de la mort et des définitions philosophiques, qui portent sur sa nature16.

Parmi les définitions philosophiques, les unes sont matérialistes et les autres sont spiritualistes. Les médecins ne peuvent que déterminer l'instant de la mort. Dire ce qu'elle est, est une option philosophique, qui ne relève pas de la science. Ainsi donc, les matérialistes définissent la mort comme: "l'état dont on ne revient pas"; il s'agit de la définition philosophique la plus répandue. Lorsque quelqu'un revient à la vie après avoir été déclaré mort, le médecin se désavoue et reconnaît s'être trompé dans son certificat de décès, puisqu'il sait, par sa conviction philosophique, que ce n'est pas possible.

Terrorisés par la mort religieuse, avec son alternative entre l'éternité de jouissance du Ciel ou les souffrances sans fin de l'Enfer, les philosophes matérialistes du dix-huitième siècle, scientistes du dix-neuvième siècle, marxistes du vingtième siècle ont inventé, créé, puis diffusé obligatoirement une nouvelle définition de la mort. C'est "la fin de tout, du corps et du principe de conscience"17. Ils ont préféré inventer une mort qui serait la fin de tout. La mort, pour eux serait la disparition du principe pensant (âme, mémoire ou conscience,...), l'anéantissement total, après il n'y aurait plus rien. C'est la mort matérialiste ou la mort- anéantissement. On passe donc à la théorie de la fin d'une vie dénuée de sens.

Selon Descamps, une telle croyance, indûment diffusée au nom de la science (aucune preuve scientifique n'existe à ce sujet), va avec le monde matérialiste que nous subissons: l'acharnement thérapeutique (emploi de tous les moyens pour maintenir en vie un malade), la vieillesse/catastrophe, les mouroirs/dépotoirs, la désespérance et la nausée sartrienne.18

16. M.A. DESCAMPS, op.cit.

17. Ibid.

18. Ibid

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Les Spiritualistes quant à eux, définissent la mort comme « l'absence de corps physique et l'impossibilité de communiquer avec ceux qui ont un corps physique ou de chair.»19

En effet, dans son témoignage, Diane Chauvelot, médecin psychanalyste, a montré en 1995 que pendant ses 47 jours de coma, son esprit fonctionnait et enregistrait inconsciemment ses perceptions. Les morts seraient « au milieu des vivants».20 Et ceci est expérimenté dans de nombreuses circonstances (opérations, accidents, chutes, noyades, extases, transes, sorties du corps ...).

La mort peut-être aussi, d'après le même courant, « le changement et l'oubli ». Cette conception de la mort semble jouer sur un sophisme simple: si la vraie mort est dans le changement et l'oubli, alors elle est de tous les instants et n'est pas séparable de la vie. On peut en déduire que la condition humaine, qui est incluse dans le temps, fait que nous mourons et renaissons à chaque instant. On commence par être un nouveau-né, qui disparaît pour laisser la place à un nourrisson, puis à un bébé, enfant, adolescent, jeune, adulte, personne âgée , ...21

Au point de vue religieux, la mort se définit comme la séparation de l'âme et du corps: " Que la poussière rentre (...) et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné". 22

Comme la définition de la mort reste d'une grande complexité, cela ne fait qu'accroître le doute en ce qui concerne l'identification d'un mort. De crainte d'enterrer un mort-vivant, on avait adopté quelques précautions. En Occident, par exemple, on peut retenir : un rappel par trois fois, à haute voix, du nom du défunt présumé, les coutumes de la toilette, de l'exposition du corps, du deuil dont le bruit pouvait réveiller le mort-vivant, l'habitude de laisser le visage découvert, etc. C'étaient des méthodes pragmatiques qui étaient utilisées pour vérifier si le présumé mort l'était réellement ou s'il s'agissait d'un coma profond. C'est la stimulation nociceptive, c'est-à-dire faire très mal, dans les comas profonds qui induit normalement une réaction, mais si le sujet est bien mort, il n'y a aucune réaction (classiquement, on croquait le gros orteil, d'où l'expression de croque-mort). Les veilles funéraires jouaient aussi un rôle dans la

19. Ibid.

20. M.A. DESCAMPS, op.cit.

21. Ibid.

22. Alliance Biblique Universelle, La Bible, Ecclésiaste XII, 7

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certitude de la mort: la famille rassemblée pour prier restait auprès du mort plusieurs heures et pouvait donc éventuellement détecter des signes de vie. 23

Le code de droit canon de 1917 est explicite à ce sujet:

"On n'enterrera aucun corps surtout si la mort a été soudaine, sans avoir attendu un certain intervalle de temps, suffisant pour dissiper tout doute autour de la réalité de la mort".24

Au Burundi, selon une enquête menée en Mairie de Bujumbura, pour éviter d'enterrer des personnes encore vivantes, certaines précautions étaient prises par les Barundi. Ces derniers vérifiaient la température du corps, l'orientation des yeux et la position du corps (articulation des bras et des jambes,...) car chez une personne morte, il n'y a plus d'articulation et du mouvement du corps. Les membres de la famille qui alitent un malade, vérifiaient aussi l'existence de battement du coeur. Un autre grand signe que les anciens observaient est la présence des matières fécales qu'un moribond présente dès qu'il coupe son dernier souffle. Cette matière peut passer soit par la bouche soit par l'anus. C'est pourquoi, au lit d'un malade devait rester une ou deux personnes âgées et sages pour veiller à tous ces signes et lui apporter ainsi des soins dont avait besoin une personne morte dignement: l'aider à garder une position normale.25

Quant aux autorités administrative et médicale, elles posent des conditions pour l'approbation de la mort. Il faut disposer des documents attestant réellement le décès.

23. C.RAMBAUD, La personne décédée et la définition légale de la mort in http://72.14.209.104/search? (...) infodoc.inserm.fr/ethique/cours.nsf/ (...) l+y+a+la+mort&hl=fr&gl=bi&ct=clnk&cd= 9infodoc.inserm.fr/ethique/cours.nsf/ (...) il+y+a+la+mort&hl=fr&gl=bi&ct=clnk&cd=9

24. A.A.SAMI, Les Cimetières, normes et pratiques chez les Musulmans et leur implication en Suisse, L'Harmattan, Paris, 2001, pp.67-68.

25. Témoignage de Me Nzobandora A., en Mairie de Bujumbura, août 2005.

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I.1.1. DOCUMENTS DE LA MORT

Un tel sujet paraît banal. Pourtant, dans les sociétés à écriture, après la mort, les membres du disparu sont officiellement appelés à fournir des documents. Ces derniers ont pour but de lever les équivoques sur une mort effective et permettre d'identifier sa nature s'il s'agit ou pas d'une mort violente. Ces papiers sont le procès verbal du constat de la mort, l'acte de décès et le permis d'inhumer.

Seul le médecin est habilité à remplir le certificat de décès. Il s'agit souvent du médecin d'état civil dans certaines villes, ou tout simplement le médecin appelé au chevet du malade ou sur les lieux de découverte d'un corps.

Sur le certificat, il précise le caractère réel, le constat de la mort ainsi que les causes du décès.26

Au Burundi, l'acte de décès officialise le jour d'ouverture des procédures de succession.27 Il est dressé dans les quinze jours, sur déclaration de deux témoins faite à l'officier de l'état civil du lieu du dernier domicile du défunt. L'acte de décès mentionne en outre la date et le lieu du décès, les noms, prénoms, profession et domicile du défunt ainsi que ses père, mère et conjoint. Il précède en principe, le permis d'inhumation qui doit être délivré 24h après l'acte de décès.

Encore au Burundi, bien que la loi recommande que l'enterrement soit sur exhibition d'un permis d'inhumation délivré par un officier d'état civil, rares sont les familles qui respectent la règle. On remarque que les personnes qui déclarent les décès visent des avantages comme l'obtention des frais d'inhumation auprès des employeurs de disparus, les frais de l'I.N.S.S (Institut National de la Sécurité Sociale), les retraits de l'argent se trouvant sur des comptes,...Les causes à ces manquements seraient que notre pays n'a plus de cimetières officiellement reconnus car sinon là où ils existent, il y a un gardien qui veille sur les enterrements anarchiques.28

En somme, même si on est tenu de déclarer le décès, les officiers de l'état-civil fustigent le manque de volonté de la population qui ne fait pas enregistrer les décès.

26. Généralement, l'original du procès verbal est conservé dans le dossier médical du patient, un double est remis au Directeur d'établissement et un double est conservé par le ou les médecins ayant fait le constat. Enfin, l'établissement de procès-verbal et la délivrance du certificat de décès doivent se faire de façon concomitante.

27. Décret-loi n°1/024 du 28 avril 1993 portant Réforme du Code des Personnes et de la famille, art.41 et 42.

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Des retards de déclaration seraient actuellement nombreux surtout en Mairie de Bujumbura. A titre illustratif, on citera des décès de 1972 dont les déclarations viennent d'être faites en 2005. Les intéressés ne sont que des veufs et des orphelins qui veulent entre autres l'exonération des impôts, bénéficier des frais d'assurance car leurs parents s'étaient fait assurer dans des compagnies d'assurance. Selon une enquête effectuée au service de l'état-civil en Mairie de Bujumbura, et on l'a déjà dit, ceux qui font des déclarations de décès veulent des documents administratifs leur permettant de bénéficier de certains droits naguère détenus par le disparu. C'est notamment le droit d'hériter et les droits fiscaux.

Après ce tour d'horizon sur les définitions aussi scientifiques que philosophiques, nous pouvons maintenant nous poser la vraie question de l'attitude des Burundais face à la mort.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius