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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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III/ Bilan : existe-t-il une créativité « de surface » ?

En parallèle de ces reconsidérations profondes sur la nature même de la production musicale, il existait également une créativité dite « de surface » passant par l'élaboration esthétique. Objet d'accaparation auprès de la jeunesse anglaise (v. fin du Chapitre 5), le disque est aussi le véhicule symbolique de toute une esthétique dite « pop », que l'artiste Richard Hamilton définit en 1960 en caractérisant ce qui était populaire dans l'image des médias :

« Populaire (pour un public de masse) ; éphémère (solution à court terme) ; remplaçable (facilement oubliable) ; pas cher ; produit en série ; jeune (destiné à la jeunesse) ; spirituel, sexy, à trucs (gimmicky) ; brillant (glamorous) ; grandes affaires (big business). »

Le disque dépasse donc son statut de simple invention technique pour devenir désormais le support privilégié d'une oeuvre globale (le son comme nous venons de le voir à l'instant, mais aussi textes et images). Alors que le mot pop ne s'appliquait au début des années soixante qu'au Pop Art et à la musique de variétés populaires destinée à la masse, la définition d'Hamilton laisse percevoir quatre champs d'utilisation325, dont trois ont déjà été entrevus de façon implicite dans les précédents chapitres : le champ commercial (les chansons pop de l'avant-1966, on l'a vu, sont souvent éphémères, vite oubliées car remplacées par une autre chanson après avoir été en tête des hit-parades, bon marché à travers le support du 45-tours, produite en série à des millions d'exemplaires et liées aux multinationales du disque comme EMI), le champ médiatique (la chanson dispose le plus souvent d'une audience de masse, grâce à la radio, la télévision ; elle sert de raccourci journalistique en rapport avec la jeunesse, la musique, les vêtements et est véhiculée par des chanteurs jeunes, sexy et glamour), et enfin le champ sociologique (dans l'étude d'une subculture adolescente et la révolte contre la nature élitiste et traditionnelle de la « haute culture »).

Le quatrième champ, le champ artistique, reste à approfondir car il intervient surtout à partir du milieu des années soixante, à un moment où les Beatles, après s'être cantonné à la popular music, donnent naissance à la pop music. Les différences essentielles tiennent en grande partie, comme le montre George Melly326, au processus créatif, plus ou moins inconscient dans le premier cas, réfléchi et délibéré dans le deuxième : « L'anti-

325 LEMONNIER, Bertrand, L'Angleterre des Beatles : une histoire culturelle des années soixante, Paris, Éditions Kimé, 1995, pp. 234-235.

326 Cf. MELLY, George, Revolt into style : the Pop Arts (1970).

intellectualisme du pop est une caractéristique valable pour les années 1960-1965, mais qui apparaît contradictoire avec les évolutions ultérieures : engagement des intellectuels reconnus dans le mouvement pop, prétentions littéraires, artistiques, musicales des pop stars. »327 À l'élaboration de disques de plus en plus complexes et travaillés par le biais de nouvelles directions artistiques, viennent en effet se rajouter tout un panel d'artifices visuels enrobant le produit fini et son impact.

Cette logique créative ne date pas des années soixante puisqu'elle rappelle l'idée de l'étiquetage du disque, en vogue dès que celui-ci fut inventé, ou encore, dans une perspective plus actuelle, les enjeux liés à la présentation audiovisuelle et au clip musical. Économiquement parlant, il faut aussi préciser qu'un groupe qui arrivait à présenter dans son ensemble une image originale et une bonne représentation sur scène avait plus de chances de décrocher un contrat. Les pochettes de disques deviennent la première forme d'innovation graphique censée refléter un univers en cohérence avec le contenu. Ainsi, si la pochette de Revolver, conçue par un ami à Paul McCartney, Klaus Voorman, fait part d'une certaine avant-garde artistique, celle de Sgt. Pepper, conçue par le peintre Peter Blake, artiste majeur du Pop Art, est à l'image de la nouvelle orientation du groupe : les quatre musiciens, habillés en membre d'une fanfare psychédélique, côtoient une galerie de personnages symboles de la culture populaire : Marylin Monroe, Bob Dylan, Oscar Wilde, Marlon Brandon, Muhammed Ali et d'autres. Dans le sillon de l'album, les Rolling Stones parodient la pochette sur leur album Their Satanic Majesties Request, utilisant en outre une « pochette interactive », avec un effet de 3D (l'image holographique est inventée au début de la décennie)328. En 1968, Storm Thorgerson et Aubrey Powell fondent l'agence graphique Hipgnosis afin de réaliser des pochettes basées sur les techniques photographiques dont ils explorent le potentiel narratif, en s'attirant des groupes désireux de prolonger certains concepts de leur musique. Enfin, au même titre que les pochettes, les affiches de concert, et les concerts eux-mêmes, deviennent eux aussi des

327 Idem, p. 236.

328 Néanmoins, le mauvais accueil réservé au disque amène le groupe à quitter l'univers psychédélique qu'il avait entrepris en concevant l'album. Les Rolling Stones en reviennent à leurs racines blues-rock, retrouvant par là même un goût pour la provocation que l'on retrouve sur des albums comme Beggars Banquet ou encore Sticky Fingers.

manifestes de la mouvance psychédélique contre les codes établis par la société329. Selon Aymeric Leroy, la prédilection très précoce du groupe londonien Pink Floyd pour le multimédia est à mettre sur le compte d'une volonté de détourner l'attention de ses déficiences techniques en développant autant que possible une forme de spectaculaire extra-musical, tant visuel que sonore, sur un terrain d'action qui n'a jusqu'ici était abordé par quiconque : premier groupe à disposer de son propre light-show, il témoigne par l'intermédiaire de ses membres, Roger Waters et Nick Mason, des anciens élèves en école d'architecture, d'une volonté de scénariser la musique au travers un emballage de plus en plus envahissant mais qui en parallèle forgera la réputation du groupe330.

Par conséquent, l'exceptionnelle période créative qui s'ouvre en Grande-Bretagne à partir de 1966 obligea à remettre au goût du jour la « liste » de Richard Hamilton : on en trouve en 1970 une nouvelle définition sous la plume de Richard Neville, un Australien qui fonde à Londres le journal underground Oz, et publie Play Power, dans lequel on y trouve une approche rénovée de la culture pop, mais identique dans ses fondements :

« Vivant ,
· excitant ,
· distrayant ,
· éphémère ,
· disponible ,
· fusionnel ,
· incontrôlable ,
· latéral (aux marges) ,
· organique ,
· populaire.
»

Si les références explicites à la culture de masse et au capitalisme marchand se sont atténuées par rapport à Hamilton, signe que la musique populaire ne se définissait plus forcément selon les critères de la « facilité », les deux termes clés y sont populaire et latéral, venant confirmer le sens d'une culture « post-1966 » qui n'emprunte plus systématiquement les sentiers battus, tout en gardant sa spontanéité originelle331. Le « populaire » renvoi à l'idée d'un renouvellement de la musique en référence à une société constamment en changement. Quant à la référence au « latéral », il marque et met en avant explicitement tout l'apport musical et artistique qu'ont eu entre temps l'underground et la vague contre-culturelle, déjà évoqués auparavant, sur le rock anglais.

Ces remarques effectuées sont nécessaires pour notre approche de la notion de créativité car elle se centre sur l'environnement culturel comme élément constitutif du processus créatif.

329 La plupart des affiches sont dessinées pour l'UFO. Le collectif Hapshash and the Coloured Coat - composé du duo d'artistes Michael English et Nigel Waymouth - en réalise la majorité. Les deux graphistes fondent l'agence Osiris Visions afin d'imprimer les posters. À leurs côtés travaillent Mike McInnerney, Greg Irons et surtout Martin Sharp qui oeuvre pour le magazine Oz, dont il réalise la plupart des visuels. RUFFAT, Guillaume, ARCHAMBAUD, Cyrille, LE BAIL, op. cit., pp. 46-47.

330 LEROY, Aymeric, op. cit., p. 20.

331 LEMONNIER, Bertrand, op. cit., pp. 236-237.

Les études dans ce domaine menées par Mihaly Csikszentmihalyi 332 sont parfaitement adaptées à notre sujet et nous offrent des réflexions intéressantes. Le psychologue hongrois parle de « domaines » pour qualifiés tous ces systèmes culturels et symboliques spécifiques que sont la musique, la technologie, la religion, etc. La nouveauté qui émerge de l'un de ces domaines peut être reconnue à sa juste valeur parce qu'elle dispose d'un rapport thématique avec ce qui est déjà connu. Ceux qui n'ont pas accès au « domaine » en question ne sont donc pas en mesure d'y apporter une contribution créative. Pour que l'acte d'une personne soit considéré comme étant « créatif », il faut aussi d'une part que la personne dispose d' « antécédents personnels », et d'autre part que celle-ci puise dans ce que Csikszentmihalyi dénomme le « champ social », afin de pouvoir offrir une alternative au sein d'un domaine particulier. Ce champ social va permettre d'imposer les conditions nécessaires à l'acceptation, ou au contraire au rejet des actes créatifs.

Figure 20

D'après TSCHMUCK, Peter, Creativity and innovation in the music industry, Dordrecht, Springer, 2006, p. 197.

Pour prendre un exemple concret, la seconde moitié des années soixante dans le domaine musical s'est ainsi largement imprégnée d'un champ social transformé par la culture pop, définie comme nous l'avons vu par Hamilton puis par Neville. Dans ces conditions, irriguées en outre par les désillusions du gouvernement Wilson alors que son ministre des affaires économiques George Brown disait lui-même vouloir « lancer le pays sur la route du

332Cf. CSIKSZENTMIHALYI, Mihaly, Creativity : flow and the psychology of discovery and invention (1997).

progrès »333, mais par un bilan nettement plus heureux grâce une série de législation libérale dans le domaine des moeurs et de la culture, les Beatles et ceux qui leur ont succédé participent d'une émulation créative qui, sans la présence et la reconnaissance de leur environnement contextuel, n'aurait probablement pas pu voir le jour.

Cette théorie, si elle n'est pas sans défauts, rappelle également le rôle clé de la « motivation intrinsèque » des artistes et de la prise d'initiative dans le développement de la créativité (antécédents personnels). Dans la lignée de Csikszentmihalyi, Teresa Amabile334 propose également trois composantes essentielles comme influençant la mise en oeuvre de l'innovation : la motivation intrinsèque de la personne, ses compétences et la pensée créative. Si Amabile ne propose que deux niveaux d'analyse que sont l'individu (les artistes) et l'organisation (les firmes), le modèle de Woodman, Sawyer et Griffin335 le complète et montre que l'idée de créativité résulte de l'interaction entre différents domaines sociaux : « Ils prennent des caractéristiques individuelles (aptitudes cognitives, personnalité, motivation intrinsèque, connaissances) qui interagissent avec des caractéristiques de groupe (normes, cohésion, taille, rôles, tâche, diversité, techniques de résolution des problèmes), qui elles-mêmes interagissent avec des caractéristiques organisationnelles (culture, ressources, récompenses, stratégie, structure, technologie). » 336 Cette mosaïque complexe de caractéristiques individuelles, groupales et organisationnelles créée le contexte, la situation créative dans laquelle joue les comportements individuels et groupaux et qui donneront naissance au produit créatif (l'innovation). Après avoir analysé de façon précise l'influence du milieu social et les motivations intrinsèques des artistes que l'on retrouvent au niveau de la conception des disques, le chapitre suivant sera consacré à l'organisation des firmes, bousculée par cette relance de la créativité musicale.

Conclusion du chapitre :

Face à ces multiples transformations, il reste difficile de définir la culture de l'époque, entre ceux notamment qui y voient une culture « globale » née de la conjonction de la société

333 La situation se détériore alors dans tous les secteurs économiques (500 000 demandeurs d'emplois à la fin de l'année 1966, soit + 65% depuis 1965.

334 Cf. AMABILE, Teresa, « A model of creativity and innovation in organizations » (1988).

335 Cf. WOODMAN, R. W., SAWYER, J. E., GRIFFIN, R. W., « Toward a theory of organizational creativity » (1993).

336 VIALA, Céline, PEREZ, Marie, « La créativité organisationnelle au travers de l'intrapreneuriat : proposition d'un nouveau modèle », AIMS, Luxembourg, 2010, p. 6.

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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années

Beatles : une trajectoire d'innovation globale ?

technologique et médiatique d'abondance, avec le désir de rapprochement entre les niveaux de culture et la naissance d'un way of life original, et ceux qui préfèrent distinguer une multitude de subcultures (youth culture, underground culture, street culture, etc.), dont le point commun peut - éventuellement - être la musique.

On peut cependant y distinguer une trajectoire globale, celle où on passe du vedettariat pop à des bouleversements créatifs. Au sein des mutations du dispositif créatif, si la partition n'est pas abandonnée (elle reste nécessaire à l'écriture des mélodies), elle vient néanmoins se placer à un autre moment de la chaîne de traitement du son, à une position nouvelle au sein du réseau technique. Dès lors, la création passe par l'intermédiaire de la technologie et devient le matériau de base à partir duquel le travail s'organisait, dans un esprit d'autonomie le plus total et ce afin de promouvoir le domaine de la composition (et non plus seulement de la réinterprétation ou du covering) comme moyen d'accès à la « haute culture ». Ce paradigme devient ni plus ni moins le nouveau modèle à partir duquel on conçoit la musique337, et dont on retrouve des traces jusque dans nos sociétés actuelles (par exemple, le home studio, où un PC est équipé d'une carte son et d'un logiciel d'acquisition et de montage, permet de modéliser un studio dans quelques mètres carrés).

337 Cf. RIBAC, François, « La circulation et l'usage des supports enregistrés dans les musiques populaires en Ile-de-France », Paris, Programme interministériel « Culture et Territoires », DMDTS, DRAC Ile-de-France, Conseil général de Seine-Saint-Denis, 2007.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote