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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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CHAPITRE 9 : INNOVATION ESTHÉTIQUE ET ENJEUX COMMERCIAUX : UNE OPPOSITION PERTINENTE AU TOURNANT DES ANNÉES 1970 ?

Avant de commencer ce dernier chapitre, on peut partir de la considération suivante : la culture pop/rock apparaît souvent comme un concept vide, car trop souvent liée à la mode et aux impératifs commerciaux. En effet, ces mouvements musicaux, on l'a vu, n'existeraient pas sans l'aide active des médias, presse, radio et télévision qui assurent leur visibilité. De même, selon les critères du colloque de Princeton (1961)371, on peut considérer que les disques « pop », par leurs coutes durées de vie, appartiennent au « niveau médiocre », incéré entre un « niveau supérieur » (cohérent, sérieux, riche d'un acquis millénaire, accessible à une minorité cultivée), et un « niveau brutal », à l'élaboration élémentaire. Ces deux derniers niveaux concernent donc la culture de masse. Beaucoup de groupes des années soixante, dans le sillage des Beatles, ont cherché à se libérer des conventions en élaborant des disques de plus en plus complexes et se réappropriant d'autres éléments venus de sphères musicales différentes dans un souci d'innovation constante. Assurément, les grandes maisons de disque, qui à la fin des années soixante sont parvenues à rationaliser le marché des indépendants, ont naturellement cherché à promouvoir ce marché. Les bouleversements furent réels, décloisonnant les essais de classification élaborés par le colloque de Princeton. Néanmoins, tout n'était pas aussi simple et les années soixante-dix furent originales à plus d'un titre.

I/ L'augmentation des coûts de la production et l'homogénéisation du marché

371 LEMONNIER, Bertrand, Culture et société en Angleterre de 1939 à nos jours, Paris, Belin, coll. « Histoire Sup », 1997, p. 240.

Notre précédent chapitre s'achevait sur une accentuation de la polarisation des rôles qui aboutit à la reprise de contrôle des majors sur les indépendants, mettant fin à la fragmentation du marché du disque en Grande-Bretagne.

A/ Pourquoi la star est elle indispensable au marché ?

D'une manière générale, l'homogénéisation et la stabilisation du marché qui interviennent à la fin de l'année 1969 ont permis la concentration sur un petit nombre de grandes stars. Les innovations musicales et technologiques des groupes des années soixante constituèrent autant d'incertitudes pour les majors, qui ont préféré attendre que la demande se stabilise et que les nouvelles normes stylistiques s'installent pour se réapproprier les productions musicales qu'elles laissèrent un temps aux indépendants. Avec le recul, ces décisions sont purement stratégiques ; pour que les majors puissent alimenter leur puissance économique dans une période où le marché est incertain et stable, il fallait soit attendre une stabilisation des tendances musicales, en se focalisant sur une énorme surproduction de disques où il est nettement plus rentable de produire beaucoup d'échecs pour chaque réussite et de « couvrir » tous les styles possibles, soit orienter la consommation en finançant le placardage publicitaire d'un artiste donné, et ce après que les indépendants aient pu combler une brèche sur le marché. En cas de succès, elles engendrent des gains « purs » puisque la reproduction déjà imprimée ne coûte presque rien. Dans tous les cas, l'impact final doit être mesurable à échelle internationale tellement les firmes sont ancrées sur le marché. La star, source majeure des bénéfices, est donc économiquement indispensable pour organiser un marché potentiellement chaotique tel qu'il a pu l'être en Grande-Bretagne avant le début des seventies. Cette intervention des majors après le dur travail de défrichage des indépendants peut s'associer à une forme de pillage et, ajouté à leur emprise sur la distribution et leur tendance à uniformiser les ventes afin d'accroître les profits comme nous l'avons montré auparavant, peut contribuer à créer un ressentiment chez certains producteurs et artistes372.

Or, depuis le début, on remarque que les majors ont un pied d'avance sur leurs concurrents : alors que l'apparition du 33-tours et surtout sa prééminence à partir de 1968, que l'enregistrement à 16 puis 24 pistes ainsi que la radio FM ont établi une nouvelle qualité technique et un coût de base de la production qui était hors de portée des petites maisons373,

372 LEBRUN, Barbara, « Majors et labels indépendants : France, Grande-Bretagne, 1960-2000 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2006/4, n° 92, p. 36.

373 BUXTON, David, Le rock : star-système et société de consommation, Grenoble, La pensée sauvage, 1985, p. 141.

les majors, quant à elle, n'avaient aucun mal à consolider leur domination car elles seulement disposaient des ressources en capital. S'il y avait un plus grand bénéfice dans le marché du microsillon, il y avait également de plus grands coûts de base : en 1970 aux États-Unis, il fallait 2000 dollars pour produire un 45-tours, mais 10 000 pour un 33-tours. Quatre ans plus tard, les développements technologiques ont augmenté ce chiffre à 50 000 dollars même pour une production modeste, et ceci en dehors des coûts d'emballage, de distribution et de promotion374. Cette hausse des coûts, en parallèle d'une musique qui se réduit à un niveau purement fonctionnel, détachée de sa portée symbolique et/ou sociale, avait pour résultat une nette baisse dans l'enregistrement d'artistes inconnus ou innovateurs : économiquement, il y avait trop à perdre, surtout face à un marché stable et rationalisé de valeurs sûres, car seule une infime proportion d'artistes peut vendre autant de disques. Alors qu'en pleine Beatlemania, les 33-tours des Beatles se vendaient dans les dix millions d'unités, au début des années soixante-dix, les disques vendus à un million étaient extrêmement rares375 !

Le progrès strictement électronique contribua lui aussi à l'augmentation des coûts. Le mixage final d'un disque, par exemple, devenait une opération difficile à mettre en oeuvre à cause de l'apparition de la table de mixage multipiste, nécessaire pour les pistes stéréophoniques. Pour des raisons d'efficacité, chaque musicien enregistré indépendamment sur une piste différente, parfois les uns à la suite des autres et sans que les musiciens même se rencontrent376. Le postulat fondateur de la musique pop/rock qui demandait à ce que tout le monde joue en même temps afin de garder une certaine forme d'énergie et d'« excitation » est de plus en plus bafoué par les techniques de studio. La possibilité pour un groupe de percer par ses seules représentations scéniques devenait de plus en plus mince. On comprend mieux pourquoi une grande partie de l'histoire des musiques populaires est transcendée par des débats permanents entre tradition et technologie. Pour en comprendre le difficile cheminement, il faut dès lors revenir quelques années en arrière.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard