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La persistance des sciences sociales coloniales en Afrique

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par Jean Barnabé MILALA LUNGALA
Université de Kinshasa RDC - Doctorat 2009
  

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Le débat constructiviste en histoire : Yves Valentin Mudimbe vs Jan Vansina

Jan Vansina a longtemps travaillé sur l'histoire et l'anthropologie en Afrique Centrale, spécialement en République Démocratique du Congo. Vansina est un africaniste d'origine belge installé depuis de nombreuses années à Wisconsin aux Etats-Unis. Yves Valentin Mudimbe est un universitaire congolais de renom naturalisé américain, dont le domaine de recherche actuel se trouve être l'Histoire des sciences Humaines. A propos de ce dernier Vansina dit ceci : « A ces lecteurs qui, jusqu'à présent n'avaient pas prêté attention à la philosophie de l'histoire, Mudimbe parut d'un seul coup démolir le fondement d'une science « objective » de l'histoire en général et du matérialisme historique, en particulier. En réalité, il ne contestait pas la possibilité d'atteindre l'objectivité mais simplement dénonçait les partis pris des sciences sociales et humaines. Plusieurs historiens de l'Afrique découvrirent soudainement, pour la première fois, que l'histoire n'est pas une « science » et que « la vérité » absolue n'existe pas (Vansina, 1994 :219) ».320(*)

Jan Vansina caractérise le constructivisme en histoire par cinq traits fondamentaux qui sont selon ses analyses, à divers degrés, présents dans l'ouvrage de Mudimbe : Le constructivisme en histoire affirme d'abord que toute conscience historique est un produit idéologique du présent et reflète les relations de pouvoir au présent : le « passé n'existe pas ». Secundo : Il soutient que même s'il existait, le passé ne peut pas être connu, parce que ses traces immédiates (textes écrits, données archéologiques) sont interprétés et, ainsi « inventées » par les lecteurs actuels (« déconstruction »). Tertio : il insiste sur le fait que l'objectivité n'est pas seulement impossible à atteindre mais qu'il est inutile de s'efforcer de l'atteindre, car l'interprétation subjective d'un acteur donné est ce qui importe le plus dans l'historiographie. Quarto : il n'y a pas de démarcation véritable entre fait et fiction. Enfin, il est hypocrite de rechercher un consensus parce que c'est une tentative d'imposer le point de vue relatif d'un individu ou d'une oligarchie à tous les autres.321(*)

Nous allons nous référer à titre d'exemple à la critique actuelle de Jan Vansina contre le postmodernisme d'Yves Valentin Mudimbe ; ce dernier n'hésite pas à affirmer que « l'histoire est une légende, une invention du présent. Elle est à la fois une mémoire et une réflexion de notre présent. M. Bloch et Fernand Braudel disent la même chose quand ils présentent l'histoire comme une tentative d'établir une relation entre un cadre conceptuel, un modèle net, les rythmes multiples du passé ».322(*) Mudimbe partagerait le credo postmoderniste qui dit qu'il n'existe pas de discours strictement objectif à propos d'une société, du passé et du présent.

Aux yeux de Mamadou Diouf, à propos du passé colonial, il faut « sortir des controverses entre Jan Vansina et Y.V.Mudimbe et les autres sur la période la plus déterminante de l'Afrique. La période précoloniale, pour le premier, permet de reconstruire une histoire autonome de l'Afrique avec des techniques, des objets, des voix et des territoires qui échappent au cadre historique européen, tout en produisant un discours historique qui respecte les règles de l'écriture historique ; la période coloniale, pour le second, révèle l'Afrique à elle-même et au monde. Ce qui importe donc pour ce dernier et pour d'autres, ce sont les textes à la marge desquels l'Afrique est inscrite. »323(*) Mamadou Diouf pense que « cette controverse ne prend en compte que les transactions pour lesquelles la présence de l'Europe devient un facteur organisateur. Ni les transactions arabes, sahariennes, de la côte orientale/swahili de l'Afrique, avec les multiples cultures échangées entre les îles et les rives de l'océan Indien, ni la difficulté d'identifier tous les échanges entre les colonies et les métropoles ne sont prises en compte ».324(*)

Bernard Mouralis souligne « La réflexion que Mudimbe a menée, antérieurement ou parallèlement, sur le discours tenu à propos de l'Afrique par les sciences humaines ».325(*)  Après avoir montré comment Mudimbe subvertit Foucault et Lévi-Strauss pour les mettre au service de son projet humaniste et adapter ses problématiques au contexte américain , surtout celui des Black (African) Studies et des théories postcoloniales , B. Mouralis  s'attache « à analyser la manière dont le sujet postcolonial , en l'occurrence Mudimbe , s'inscrit dans son milieu archéologique et existentiel pour faire l'objet d'un procès de dé/construction ,c'est-à-dire à la fois de démontage de l'ordre colonial et de construction d'un nouvel être -au -monde postimpérialiste et postnational ».326(*)

Aujourd'hui, des chercheurs  attirent l'attention sur les traditions et les structures de pensée française et en particulier sur la façon dont elles se sont adaptées au soutien du colonialisme et de l'empire. Plus particulièrement Valentin Yves Mudimbe, Chris Miller et Gary Wilder ont suggéré de nouvelles méthodes pour évaluer les défis intellectuels ; ils « montrent de façon convaincante que la vision française de l'Afrique /autre est étroitement liée aux conceptions que les Français ont d'eux-mêmes. (... ) Mudimbe en particulier souligne les difficultés que cette tradition a posées aux penseurs africains francophones et à leurs efforts pour se libérer des structures françaises de pensée coloniale et modernistes. »327(*) Il faut « un vaste programme du devenir du continent africain et de celui de la Diaspora, programme correspondant à ce que Mudimbe appelle l'invention de l'Afrique, et qui consiste à élaborer un discours total pour parler de l'Afrique à partir du point de vue africain. »328(*)

Disons que le point de vue de Mudimbe ressort d'un grand débat sur le thème : « comment sortir de la bibliothèque coloniale ». Aujourd'hui c'est un des enjeux, affirme Mudimbe, « le passé (colonial) paraît encore dédoubler efficacement le présent zaïrois (congolais). Comment le clôturer ? Sous quel mode le nier à tout jamais ou le figer en éclats brillants sur un mur de musée ? Ou encore, pour quelles raisons et à quelles conditions vivre avec lui, en le rendant muet certes, mais tout en tirant les vérités utiles pour la domination de l'avenir qui s'annonce tumultueux ? Voilà les questions essentielles de la culture et de la science zaïroise aujourd'hui. Elles pourraient expliquer l'impudeur de leur projets, la naïveté de leurs tentatives et positivement banale : quelle expérience entreprendre pour cesser d'être le « fils »de son « père  »et à quel prix vivre sa propre histoire et devenir maître de son destin ».329(*)

L'enjeu pour aujourd'hui, ce que nous devons construire des discours ou des institutions sur d'autres conceptions et sur des expériences socio- culturelles traditionnelles ou présentes.  Aussi faut-il d'abord trouver cette culture. Une des questions essentielles est la suivante : où trouve-t-on cette culture (congolaise, alors) zaïroise ? « La bibliothèque ethnologique belge » est, paradoxalement, devenue le miroir culturel par excellence, dit Y-V Mudimbe. Elle parait être la régulatrice majeure, non seulement des quêtes sur le passé, mais aussi des compréhensions, sur la société actuelle. Des Zaïrois Bakongos récitent aujourd'hui leur culture traditionnelle en fonction des Etudes Bakongos de Van Wing ou des traces discrètes des apostilles de l'italien Luca de Caltanissetta qui remontent à la deuxième moitié du XVII e siècle (voir l'édition établie par F.Bontinck, Diaire congolais, Louvain -Paris, 1970) ; les Luba, (...) lorsqu'il est question de leur culture, reconduisent aujourd'hui des prescriptions herméneutiques subrepticement apostillées par RR.P.P. Coble et Van Caeneghem. Il n'est pas jusqu'aux initiés potentiels Songye qui ne conçoivent et ne disent la grande voie initiatique de « Bukishi » qu'au travers des lumières et souillures nommées par un ancien colonial dans l'Esotérisme des Noirs dévoilé ».330(*)

La problématique spécifique, corollaire à la reconstruction théorique de la construction d'une nouvelle réalité sociale en Afrique, s'articule ici d'un point de vue de la connaissance symbolique (sémiotique). Pour Mudimbe, la culture congolaise « parait se réduire à un genre de connaissance. (Pourtant),il pourrait y avoir quelque paradoxe à le dire : c'est probablement à partir de cette forme de connaissance que « le musée zaïrois » s'ouvre et que le regard peut ,au détour d'une allée ,se figer face à la beauté des Arts au pays du fleuve Zaïre (voir : J.Cornet :L'Art de l'Afrique Noire au pays du Fleuve Zaïre, Bruxelles,1972 et Badi-Banga Ne-Mwine, Contribution à l'Etude historique de l'Art plastique Zaïrois des Beaux-arts )et, éventuellement à propos d'un symbole ,trouver le fil d'un récit foudroyant de l'expérience et de l'histoire des mille et une tribus du Zaïre »331(*).

Au demeurant,« la culture zaïroise ,poursuit Mudimbe, peut aussi être désignée comme étant la transcendance de l'école, en un sens plus précis encore :d'abord parce que l'école coloniale hier, celle de l'indépendance aujourd'hui, délivrent mots, méthodes et pouvoirs conceptuels qui permettent à des Zaïrois(congolais aujourd'hui) ,- à l'instar de ce qu'ont fait Buakassa T.K.M. ,pour les Kongos, Mulago pour les Bashi , Mwabila pour les travailleurs de Lubumbashi et Tshiamalenga pour les Balubas - de construire des langages ou des institutions sur des expériences socio -culturelles traditionnelles ou présentes ».332(*)

La question de l'apprentissage et celle de l'évolution sociale sont liées, et les deux questions peuvent être posées dans les termes de Mudimbe comme devant être le dépassement d'« une philosophie de l'éducation parfaitement enfermée dans les figures et facticités d'une politique d'acculturation et de ses symboles sociaux : ce sont des acculturés bien sélectionnés qui ont fait et se désignent pour le pouvoir ; ils incarnent au Zaïre (République Démocratique du Congo) la « culture ». La question centrale de changement au Congo se ramène encore à l'exigence de l'inculturation.

« Il s'agirait, pour nous Africains, dit Mudimbe, d'investir la science, en commençant par les sciences humaines et sociales, et de saisir les tensions, de re-analyser pour notre compte les appuis contingents et les lieux d'énonciation, de savoir quel nouveau sens et quelle voie proposer à nos quêtes pour que nos discours nous justifient comme existences singulières engagées dans une histoire, elle aussi singulière. En somme, il nous faudrait nous défaire de l'odeur d'un Père abusif : l'odeur d'un Ordre, d'une région essentielle, particulière à une culture, mais qui se donne et se vit paradoxalement comme fondamentale à toute l'humanité. Et par rapport à cette culture, afin de nous accomplir, nous mettre en état d'excommunication majeure, prendre la parole et produire différemment ».333(*) Ce que nous essayons de faire avec l'Ordre de Kheper.

* 320 KASEREKA KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe et la ré -invention de l'Afrique poétique et politique de la décolonisation des sciences humaines, 2 è édition, Netlibrary ,Rodopi, Amsterdam ;New York,2006, p.336.

* 321Ibidem, p.217.

* 322 KASEREKA KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe et la ré -invention de l'Afrique poétique et politique de la décolonisation des sciences humaines, 2 è édition, Netlibrary ,Rodopi, 2006,Amsterdam ;New York,,p.336.

* 323 MAMADOU DIOUF, L'historiographie indienne en débat : colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales, Karthala, Amsterdam, 1999, p.29.

* 324Ibidem, p.29.

* 325 Bernard MOURALIS, Y .V.Mudimbe ou le discours, l'écart et l'écriture, Présence africaine, 198, p.104.

* 326KASEREKA KAVWAHIREHI, Y .V . Mudimbe, p.24.

* 327 Janet VAILLANT, Abdou DIOUF, Vie de Léopold Sédar Senghor, Karthala, Paris, 2006, p.18.

* 328Présence francophone : revue internationale de langue et de littérature, Université de Sherbrooke, Centre d'étude des littératures d'expression française, 2003, p.49.

* 329 Jules VANDERLINDER (Dir.), Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP, Bruxelles, 1980, p.392.

* 330Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », dans Jacques VANDERLINDEN (Dir.), Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP, Bruxelles, 1980, p.390.

* 331Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », art.cit., p.398.

* 332Yves Valentin MUDIMBE, «  La culture congolaise », art.cit., p.395.

* 333 Yves Valentin MUDIMBE, L'autre face du royaume, Lausanne, Éditions L'Âge d'homme, 1973, p.35 ; Justin KALULU BISANSWA,  « V. Y. Mudimbe. Réflexion sur les sciences humaines et sociales en Afrique », Cahiers d'études africaines, 160,2000 ; http://etudesafricaines.revues.org/document45.html

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera