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Les cas du divorce en droit comparé

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par Mina ADEL ZAHER
Université Jean Moulin Lyon 3 - Droit international privé et comparé  0000
  

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UNIVERSITÉ JEAN MOULIN LYON 3
Faculté de droit

Master 2 ( recherche )

DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ ET COMPARÉ

LES CAS DE DIVORCE

En droit comparé

Droit français / Droit égyptien

Mina ADEL ZAHER

Sous la direction de Monsieur le Doyen

Hugues FULCHIRON

Année universitaire

2006 - 2007

2

Remerciments

Premièrement, je remercie mon directeur de mémoire, le doyen Hugues FULCHIRON qui a dirigé mon travail durant cette année universitaire. Encore je lui remercie pour tous ses conseils qui m'ont été utiles. De même, je remercie le directeur de ce Master, Monsieur le professeur Cyril NOURISSAT pour ses conseils et ses encouragements durant l'année.

- Sans leur encouragement continu, ce travail n'aurait jamais vu le jour.

Je remercie tous les professeurs de la faculté de droit de l'université de Lyon 3, qui m'ont enseigné cette année dans ce Master.

Parmi les professeurs égyptiens qui m'ont aidé par un grand nombre de documents importants et utiles à mon travail en arabe et en français, je remercie Monsieur le doyen Hossam ELEHWANY pour tous les documents précieux qu'il m'a fourni, notamment, les décisions du tribunal administratif qui ne sont pas accessibles à tout le monde.

Je n'oublie pas de remercier Monsieur Sami Awad ALDEEB de me diriger vers son site internet qui est plein de documents importants.

Pour que je n'oublie personne, je remercie toute personne qui m'a conseillé ou qui m'a aidé à l'accomplissement de ce travail.

Lyon, France 13 Juillet 2007

3

SOMMAIRE

Introduction

Titre I : Un système influencé par la religion face à un système laïc

Chapitre I : Genèse de deux systèmes de racines différentes

Section I : L'Égypte, un pays religieux depuis l'ère pharaonique

Section II : La France, du catholicisme à la laïcisation

Chapitre II : Le choix entre l'unité et le pluralisme

Section I : Plusieurs législations de statut personnel en droit égyptien

Section II : Une loi française unique avec une pluralité des cas de divorce

Titre II : Une influence croissante des droits fondamentaux sur les cas de divorce

Chapitre I : Répudiation et droits fondamentaux

Section I : En quoi la répudiation porte atteinte aux droits fondamentaux ?

Section II : Le rejet de la répudiation pour sa contrariété au principe d'égalité

Chapitre II : Un contexte spécifique des droits fondamentaux

Section I : Une lecture originale du principe d'égalité

Section II : La neutralisation de la répudiation

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Avant-propos

Les cas de divorce ont un rôle très important en droit comparé. En effet, les cas de divorce sont, en réalité, le reflet d'un patrimoine culturel et historique considérable.

Les cas de divorce forment aussi le résumé de l'évolution d'une société. Il convient ici de mentionner que les cas de divorce sont des moyens ( parmi d'autres ) de mettre fin au contrat de mariage, ce qui prouve l'existence d'une relation forte entre le mariage et le divorce. Il est très clair que la manière avec laquelle on traite le mariage influe directement sur les cas de divorce et réciproquement.

Si, par exemple, le lien conjugal est considéré comme un lien indissoluble comme la conception catholique du mariage, les cas de divorce ne peuvent pas exister. D'autres questions doivent être posées: est-ce que le mariage est considéré comme un contrat ou plutôt comme une institution? ; Est-il laïc ou religieux ? Le principe d'égalité est-il pris en compte ou pas ? etc...

C'est donc à ce stade qu'apparaissent les cas de divorce qui expliquent comment le mariage est traité dans chaque système juridique.

L'idée essentielle qu'il faut retenir est que la manière avec laquelle on comprend le mariage, explique l'existence des cas de divorce qui mettent fin à ce mariage.

La comparaison entre le système français et le système égyptien est assez originale, mais compliquée : originale, à cause de la ressemblance et les points communs qui apparaissent entre deux systèmes différents, les cas de divorce sont un exemple concret de ces points communs ; mais compliquée, à cause de la divergence historique et culturelle qui influe sur les cas de divorce.

« Le divorce divise un couple ; la question du divorce peut diviser une
nation. La nécessité du compromis est une des nombreuses leçons que le
Code civil de 1804 peut encore donner au législateur de notre temps. »1

5

1 CARBONNIER, « La question du divorce », Mémoire à consulter, D., 1975, chron. 115, P. 122.

6

Introduction

On ne peut pas parler d'un divorce s'il n'y a pas eu un mariage avant. L'idée du mariage a évolué selon les siècles, mais elle garde toujours son contenu principal. « À cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu'un. »2. L'idée du mariage est donc de lier deux époux qui vivront ensemble le reste de leur vie.

Mais, pour des raisons personnelles, sociales ou économiques, ce lien pourrait être menacé d'une rupture. Cette menace de rupture provient d'un malentendu entre les époux. Il est vrai que cette menace pourrait se réaliser. On parle ici donc d'une dissolution du mariage, et plus clairement d'un divorce. On voit ici la relation entre le mariage et le divorce. Effectivement, il existe des cas où le divorce peut être demandé ou prononcé. Il est évidemment impossible de répondre à la question des cas de divorce sans répondre à la question de la nature du mariage. Selon que l'on assigne le mariage une nature contractuelle ou institutionnelle, la question du divorce se pose différemment. En outre, la nature religieuse du mariage ( comme en droit égyptien ), même dans les législations laïcisées ( comme en droit français ), du fait du poids de l'histoire, fait du principe du divorce une question politique3. La question revient à savoir si on veut élargir ou restreindre le domaine du divorce. Chaque système juridique a essayé de répondre à cette question d'une manière différente de l'autre. En revanche, cette réponse figure toujours dans les cas de divorce qui peuvent restreindre ou élargir le domaine du divorce. Par exemple, selon certains auteurs4, il existe « un droit au divorce », plus concrètement, celui qui veut mettre fin au contrat de mariage aurait le droit de rompre le lien conjugal, même s'il n'y a pas de faute à reprocher à son conjoint et même si celui-ci s'y oppose5. Il appartient donc au législateur de choisir les cas de divorce qui lui paraissent convenables. Ce choix qui n'est pas neutre. Selon que l'on est plus ou moins favorable à la liberté dans ce domaine, on retiendra tel ou tel cas. Ce choix ne se limite ni à la nature du divorce ( divorce remède, divorce sanction ou divorce constat d'échec ) ni aux formalités suivies ( divorce administratif ou judiciaire ). Mais ce choix s'étend à

2 Marc 10 : 7, 8.

3 J. HAUSER et Ph. D. SAINT-HILAIRE, Cas de divorce - Généralités, JurisClasseur Civil Code, Art. 229, Fasc. unique, P.4

4 ibid.

5 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, Defrénois, 2e éd., 2004, P. 213

7

déterminer les situations dans lesquelles le divorce pourrait être demandé ou prononcé. Il s'agit de cas ou des causes de divorce.

Certes, les deux termes n'ont pas la même signification. La cause de divorce signifie que pour obtenir le divorce, il faut prouver un élément susceptible de provoquer une réaction de cause à effet. Cette cause peut être objective ou subjective, c'est-à-dire elle peut être, soit une infraction aux obligations du mariage, selon la définition classique de la faute, soit purement objective6. L'expression de cas de divorce est plus neutre. Elle évoque plutôt un simple classement procédural, une sorte de nomenclature de cas d'ouverture7. Il s'agit d'un choix entre deux termes qui n'ont pas la même signification, et chaque système juridique fait son choix. Par exemple, le droit français a remplacé les « causes de divorce » par des « cas de divorce »8. En droit égyptien, chaque législation confessionnelle a fait son choix séparément. Par exemple, la législation des Coptes orthodoxes de 1938, qui a été beaucoup influencé par le Code civil français à cette époque, a mis en place des causes de divorce ( asbab al talak ). La loi n° 100 de 1985, relative au statut personnel des musulmans, n'a pas précisé son choix d'une manière expresse. En revanche, une autre classification, qui est considérée plus utile, a été mise en place. Cette classification fait la distinction entre le divorce par répudiation (el talak ) et le divorce judiciaire ( el tatlik ).

La question posée pour les causes et les cas pourrait même être posée pour la notion de « divorce ». Effectivement, en droit français, le divorce est la « rupture du lien conjugal prononcée par un jugement, soit sur la requête conjointe des époux ( divorce par consentement mutuel ), soit en raison de l'absence de communauté de vie ( divorce-remède ), soit en raison de la faute commise par l'un des conjoints ( divorce-

sanction) »9. En droit français, il s'agit d'une dissolution du mariage prononcée par le juge. En revanche, dans la législation musulmane de statut personnel en Égypte, le divorce pourrait être prononcé par le mari ( en cas de répudiation ) ou par le juge (comme en droit français). Le droit égyptien admet donc le divorce judiciaire ( tatlik ), et la répudiation ( talak ).

6 J. HAUSER et Ph. D. SAINT-HILAIRE, op. cit., P.9

7 ibid., P.10

8 Art. 229 Cciv.

9 S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, 13e éd., 2001, Dalloz, P.210

8

Malgré la différence qui existe entre le droit français et le droit musulman, la répudiation n'est pas loin du divorce. Effectivement, le « Titre III » de la réforme marocaine de 2004 parle du « Divorce sous contrôle judiciaire ( talaq ) ». Le terme arabe a été gardé, pourtant, le terme « répudiation » a été remplacé par le terme

« divorce ». Pour mieux comprendre la position du droit marocain, le « Titre IV » de la même réforme parle du divorce judiciaire ( tatlik ) et le « Titre V » concerne le divorce par consentement mutuel ou moyennant compensation ( khol' ). Ainsi, la réforme marocaine a voulu faire du mot « divorce » un terme général pour désigner la

répudiation et le khol'. À l'inverse, en droit français, la séparation de corps ne peut pas être considérée comme un « divorce ». Il s'agit d'un « simple relâchement du lien conjugal, consistant essentiellement dans la dispense du devoir de cohabitation ... »10. Il ne s'agit pas d'une dissolution du mariage11. En revanche, la séparation de corps pourrait être convertie en divorce12.

On remarque ici que le droit français et le droit égyptien ne sont pas identiques. En d'autres termes, ils n'ont pas fait le même choix. Il y a plusieurs critères de comparaison qui permettent de voir de prêt comment fonctionne chaque système. Le système français consacre la pluralité de cas de divorce avec une seule loi. Le système égyptien consacre la pluralité des lois selon la religion commune des époux. En réalité, cette dernière pluralité est à l'origine de plusieurs problèmes en Égypte. C'est là que le droit comparé intervient pour trouver d'autres solutions prises par d'autres systèmes, notamment la solution française qui consacre l'idée selon laquelle il n'existe qu'une seule loi de statut personnel pour tous les individus quelle que soit la religion. L'existence de cette loi unique en France oblige le mari musulman qui veut répudier sa femme de retourner dans son pays d'origine et répudier sa femme en application de la loi de son pays d'origine, puis il demande la reconnaissance en France de l'acte ou du jugement de répudiation. Certes, la reconnaissance de la répudiation en France pose un problème depuis quelques années, surtout après les arrêts de la Cour de cassation de 2004 qui considèrent que la répudiation unilatérale n'est pas conforme à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et ses

10 ibid., P. 507

11 Art. 299 Cciv.

12 Art. 306 et 307 Cciv.

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protocoles. On voit que même en droit international privé français, la question du droit comparé se pose pour que le juge français étudie comment le droit étranger conçoit les droits fondamentaux en l'intégrant dans son contexte spécifique d'une part et en fonction des cas de l'espèce d'autre part. Le juge français devra donc étudier ce contexte pour découvrir ce que le droit étranger apporte comme garanties pour respecter les droits fondamentaux.

Il s'agit donc de deux problèmes essentiels : le premier problème est celui de la laïcité du droit français et le caractère religieux du droit égyptien. Le second problème est relatif aux droits fondamentaux. Chacun de ces deux systèmes a une conception spécifique des droits fondamentaux. Ces deux problèmes ont influence non négligeable sur las cas de divorce en général. Premièrement, il s'agit de la question du choix entre la religion, et la laïcité et l'influence de ce choix sur les cas de divorce ( I ) ; ensuite, l'influence des droits fondamentaux sur les cas de divorce ( II ).

10

Titre I : Un système influencé par la religion face à un système laïc

C'est l'évolution historique ( Chapitre I ) qui explique la raison pour laquelle il existe une loi unique de statut personnel en France et une pluralité des législations confessionnelles en Égypte ( Chapitre II ).

Chapitre I : Genèse de deux systèmes de racines différentes

Certes, les racines sont différentes. Le droit égyptien est un droit qui a été influencé par la religion ( section I ). En revanche, le droit français se dirige vers la laïcisation ( Section II ).

Section I : L'Égypte, un pays religieux depuis l'ère pharaonique

Contrairement au droit français, le droit égyptien est considéré comme un droit religieux ou qui tient compte de la religion dans certaines matières comme le statut personnel et ceci a un effet direct sur les cas de divorce. C'est normal, on ne peut pas négliger le rôle de la religion dans les pays orientaux et surtout l'Égypte qui contient les deux universités religieuses les plus importantes dans la région: la Faculté cléricale et al Azhar.

La relation entre la religion et l'Égypte est très ancienne. Cette relation commence à partir de l'étude de la mythologie égyptienne, il ne faut pas oublier qu'Alexandre le Grand, pour prendre le pouvoir en Égypte en 332 avant J.C., se proclamait comme un Pharaon à Memphis en déclarant qu'il est le descendant du dieu Amon.

Cette relation historique qui existait entre la religion et l'Égypte, se renforçait au cours des siècles. L'empire Ottoman en a pris conscience. Au départ, l'Empire Ottoman soutenait le principe selon lequel les Chrétiens et les Juifs ont le droit de se soumettre à leurs propres juges appliquant des lois différentes de celles en vigueur chez les musulmans. Ce principe n'est pas propre à l'Empire Ottoman, ce n'est qu'une application de l'un des principes du droit musulman qui distingue entre les musulmans et les

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dhimmis ( gens du livre ) ce sont les Chrétiens et les Juifs de la région qui, en vertu d'un pacte appelé pacte de zimma, obtiennent la liberté à exercer leur propre religion, en contrepartie, ils doivent verser le tribut ( djiziya ) 13.

Avant 1975, période appelée par M. ELEHWANY, l'anarchie judiciaire parce que plusieurs juridictions ont été mises en place ce qui créait à l'époque un conflit de juridictions interne entre les tribunaux chariés pour les musulmans, les juridictions confessionnelles pour les non-musulmans, et les juridictions consulaires capitulaires pour les étrangers.

En effet, les tanzimat du 3 novembre 1839 proclamés par le Sultan Abdel Mejid garantissait la liberté de culte et aussi le principe d'égalité entre les musulmans et les non-musulmans. Le khatt el Hamayouni14 était le texte qui définissait le statut des non-musulmans qui vivaient dans l'Empire Ottoman15.

Ensuite, plusieurs réformes ont eu lieu après la création des tribunaux mixtes institués par Nobar Pacha ( Premier ministre durant le règne du Khédive Ismaïl ) en 1875. Ces tribunaux étaient compétents pour trancher les litiges entre les Égyptiens et les étrangers d'une part, et entre étrangers de différentes nationalités d'autre part, à cette date, les juridictions étaient unifiées. Enfin, la loi n° 462 du 21 septembre 1955, qui a supprimé les tribunaux chariés et les tribunaux confessionnels, a transmis leur compétence aux juridictions nationales sans toucher aux lois qu'elles appliquaient.

Il ne faut pas oublier que ces différentes lois ne régissent que le statut personnel des Chrétiens et des Juifs, puisque ce sont les seules religions reconnues par l'État. Là, la question demeure compliquée, car il n'y a pas une seule loi pour tous les Chrétiens en Égypte ( de même pour les Juifs ), chaque communauté et chaque confession a son propre corps de règles qui régit le statut personnel de ses fidèles. Mais il faut souligner

13 A. HISHAM, L'appréhension judiciaire des questions familiales dans un système multi-confessionnel, S.I., 1992, P.38, s

14 Rendu à la suite du congrès de Paris en 1856.

15 S. A. ALDEEB, « Rôle de la religion dans l'harmonisation du droit des pays arabes », R.I.D.C. 2-2007, P.271, s.

12

que les Coptes16 forment la majorité des non-musulmans puisqu'ils forment la population originaire de l'Égypte. En outre, la majorité des Coptes sont orthodoxes qui est une Église non-chalcédonienne qui est soumise au Pape Chenouda III17.

* Les communautés juives reconnues en Égypte sont : les Karaïtes, et les Rabbinistes.

* Pour les Chrétiens :

- La communauté Orthodoxe, ils se subdivisent en quatre confessions: les coptes (d'origine égyptienne), les Grecs, les Arméniens, et les Syriaques

- La communauté Catholique: ( sept confessions ) : les Coptes, les Romains, les Arméniens, les Syriaques, les Maronites, les Chaldéens, les Latins.

- La communauté Protestante est considérée comme une seule communauté par décret du 1er mars 1902, ce qui signifie que les confessions protestantes n'ont pas de personnalité juridique reconnue par l'État.

Ce sont les seules confessions reconnues par le droit égyptien. Chacune de ces confessions a son propre droit de statut personnel ce qui crée une sorte de conflit de lois interne.

On peut déduire de cette liste que la religion chrétienne et la religion juive sont considérées par le droit musulman comme des religions célestes. Les autres religions (considérées comme non-célestes) ou les athées ne sont pas reconnus par l'État, par conséquent, aucune loi spécifique pour le statut personnel existe pour eux, ce qui rend le droit musulman applicable dans ce cas puisqu'il forme le droit commun en matière de statut personnel.

Ce qui rend le droit musulman un droit original en matière de statut personnel, ce n'est pas qu'il est un droit religieux. On a vu que le droit français a été au départ une

16 Déformation arabe du mot grec aiguptios, égyptien. Font remonter leur Église à St Marc. Langue liturgique: dérivée de la langue parlée à l'époque pharaonique, mais écrite en caractères grecs. Église patriarcale distincte des patriarcats copte-catholique et grec-orthodoxe d'Alexandrie. V. http://www.quid.fr

17 Pape d'Alexandrie et patriarche de la prédication de saint Marc ( Patriarche d'Alexandrie et de toute l'Afrique).

13

application stricte de la religion à travers l'idée du mariage indissoluble, en revanche, l'originalité du droit musulman provient de l'idée d'intégration des législations non-musulmanes pour qu'elles s'appliquent aux ressortissants non-musulmans.

La liberté des non-musulmans de se soumettre à leur propre droit est un principe reconnu en droit musulman. Ce principe a été intégré en droit égyptien. La diversité religieuse se manifeste sur le plan juridique par la diversité de la règle juridique applicable d'après la religion des intéressés.

Ce principe établi par le droit musulman n'est pas sans limites. En effet, les législations des non-musulmans sont applicables si trois conditions sont réunies18:

1- L'unicité des parties au litige non seulement en communauté, mais aussi en confession. En effet, il ne suffit pas par exemple que les parties soient orthodoxes, mais il faut encore qu'elles soient syriaques par exemple.

2- L'existence d'une juridiction communautaire reconnue par l'État avant la loi n°462 de 1955 jouissant d'un privilège juridictionnel sur ses membres.

3- La conformité de la règle applicable avec l'ordre public égyptien.

Section II : La France, du catholicisme à la laïcisation

Le système juridique français laïc contient des règles de droit indépendantes de toute religion. La religion n'est même pas prise en compte dans un système laïc. Cette idée est difficilement comprise par les ressortissants d'États religieux qui se trouvent en face d'une loi non conforme à aucune religion d'une manière qu'elle s'est séparée de toute influence religieuse.

En revanche, il ne faut pas négliger le rôle et l'importance de la religion dans la tradition française ( qui est une tradition catholique ), mais il ne faut pas négliger non plus le rôle du droit romain.

18 article 6 de la loi n° 462 de 1955, cet article a été remplacé par l'article 3 de la loi n° 1 de l'an 2000

14

À l'époque de l'Empire romain, ( à partir de 27 av. J. - C. ), les cas de divorce volontaires étaient très nombreux. Ils pouvaient être répartis en deux catégories : - Le divortium ( divorce ) par consentement mutuel

- La repudiatio qui est un divorce par volonté unilatérale.

On voit qu'à cette période, le mariage était caractérisé par un consensualisme absolu. Ceci influa directement sur les cas de divorce qui ont un caractère consensuel, par conséquent, le divorce était extrajudiciaire.

Ensuite, en 542 apr. J. - C., l'empereur Justinien a interdit le divorce par simple consentement mutuel, et il a établi une liste des cas de divorce bien précis qui autorisaient la répudiation ( comme l'adultère, l'attentat à la vie d'un époux, la présence des relations illicites entretenues par le mari au domicile conjugal, la réduction en esclavage, l'absence qui fait présumer le décès d'un époux, ... ). Après l'effondrement de l'Empire romain, l'Église catholique a commencé petit à petit, à imposer son propre droit. À l'époque du Moyen-Âge, l'Église a mis en place la théorie du mariage-sacrement et a affirmé le principe de l'indissolubilité du mariage. Mais, l'indissolubilité du mariage a été critiquée surtout par l'Humanisme et la Réforme. En effet, LUTHER reconnaissait quatre cas de divorce ( l'adultère, l'impuissance, le refus du devoir conjugal, et l'absence prolongée du mari laissant sa femme sans ressources ). Quant à CALVIN, il n'admettait le divorce qu'en cas d'adultère et l'abandon du domicile conjugal.

Au XVIIIe siècle, les philosophes n'étaient pas d'accord sur la question. Par exemple, Voltaire, Diderot, et Montesquieu étaient contre l'indissolubilité depuis 1770, en revanche, d'autres philosophes comme Rousseau et Pothier étaient pour l'indissolubilité.

Ensuite, le droit français a évolué pour admettre le divorce par la loi du 20 septembre 1792. Cette loi a mis en place trois cas de divorce principaux : le divorce par simple consentement mutuel sans aucune intervention du juge, le divorce à la demande d'un époux ( ou divorce sur simple allégation d'incompatibilité d'humeur ), et le divorce pour des causes prévues dans la loi. Napoléon, dans son code, a suivi la même démarche, mais, le divorce a été exceptionnellement admis et dans des cas très limités.

15

Plus concrètement, le Code civil a rejeté le divorce pour incompatibilité d'humeur, il a gardé le divorce par consentement mutuel mais la procédure a été alourdie ( le divorce ne peut être invoqué ni dans les deux premières années du mariage, ni après vingt ans de mariage ), en outre le Code civil a réduit à trois les causes légales du divorce, ce sont : l'adultère de la femme, l'entretien d'une concubine, il a imposé le prononcé du divorce par le tribunal qui vérifiait les allégations du demandeur d'une manière contradictoire. Un retour à la suppression du divorce a eu lieu par le biais de la loi du 8 mai 1816, date à laquelle le Catholicisme était la religion de l'État a été suivie par une loi du 27 juillet 1884 qui a été largement interprétée en faveur du divorce ( par exemple, l'adultère du mari a été considéré comme une cause du divorce ). A partir du XXe les lois sur le divorce deviennent de plus en plus libérales. Il ne faut pas oublier que le 8 juillet 1938, la collection copte du statut personnel a été élaborée par le Conseil général copte19, les membres de ce conseil se sont inspirés du droit français à cette époque. Il faut préciser aussi que ces règles sont contestées par les hommes de l'Église copte orthodoxe puisque les cas de divorce qu'elles contiennent ne sont pas conformes aux instructions de la Bible.

Le 2 avril 1941, prise par le gouvernement de Vichy, cette loi a voulu diminuer le nombre du divorce en France, elle a commencé à mettre en place des restrictions comme l'interdiction de divorcer dans les trois ans qui suivent le mariage. Cette loi qui était une tentative, ayant pour objet la limitation du domaine du divorce, a échoué à cause de son inefficacité. En effet, une ordonnance a abrogé l'indissolubilité triennale prévue par la loi de Vichy, cette ordonnance date du 12 avril 1945.

Le 17 juillet 1975, une loi révolutionnaire a été mise en place pour libéraliser le divorce en donnant au juge un pouvoir d'appréciation. Les délais prévus en cas de cessation de la vie commune étaient très longs, il faut attendre six ans de séparation pour demander le divorce.

Enfin, par la loi du 26 mai 2004, la libération du divorce a été confirmée, les délais sont réduits à deux ans de séparation pour demander le divorce pour altération

19 Aucun homme religieux était membre de ce conseil.

16

définitive du lien conjugal. Le pouvoir d'appréciation du juge a été largement limité dans la nouvelle loi.

Il ne faut pas oublier que cette loi reflète réellement la laïcité du système juridique français qui s'est détaché de toute religion, et même de l'ancienne tradition catholique.

Il paraît très clairement que cette loi n'a pas été influencée par aucune religion, c'est l'affirmation de laïcité, un droit général, laïc, uniforme, mais, ne satisfait aucune religion.

Chapitre II : Le choix entre l'unité et le pluralisme

C'est un choix très difficile à faire. Le droit égyptien a fait le choix de la pluralité de législations ( Section I ). Tandis que le droit français a consacré l'idée selon laquelle on a une loi unique avec une pluralité des cas de divorce ( Section II ).

Section I : Plusieurs législations de statut personnel en droit égyptien

Le fait que le droit musulman garantisse aux d'himmis l'application de leur droits religieux en matière de statut personnel peut subir quelques exceptions. En d'autres termes, ce principe n'est pas absolu. Le principe selon lequel il faut appliquer aux non-musulmans leur propre loi, ne constitue pas une règle interprétative.

Ceci peut paraître assez délicat, surtout pour des questions concernant les cas de divorce comme la répudiation ou le khul'. De même, il ne faut surtout pas oublier que le divorce est un effet direct de la façon avec laquelle le mariage est conçu. Pour les Coptes orthodoxes, par exemple, le mariage est purement religieux. La cérémonie religieuse organisée par un prêtre est une condition de validité du mariage. En effet, l'article 15 de la collection de 1938 régissant les questions du statut personnel pour les coptes orthodoxes énonce que « le mariage est un sacrement, prouvé par un contrat qui lie un homme et une femme par un lien solennel, conformément aux rites de l'Église copte orthodoxe, et ayant pour objectif la formation d'une nouvelle famille ». Cette définition

17

du mariage a pour conséquence l'existence des cas de divorce qui se dirigeront dans cette voie. En d'autres termes, étant donné que le mariage est considéré comme un lien sacré, l'un ou les époux ne peut ( ou peuvent ) mettre fin au mariage soit par accord mutuel, soit par la volonté unilatérale d'un seul époux.

On peut donc comprendre que dans une situation où les époux sont unis en communauté et en confession ( par exemple, chacun des époux est grec orthodoxe ), la législation religieuse s'applique en principe. C'est une application du principe selon lequel le juge va juger « en fonction de ce qu'ils croient »20. Le principe est que cette législation ne sera pas choquante pour les époux, pour la simple raison qu'elle est normalement fondée sur les principes de leur propre religion. Un respect général de la religion est mis en place en matière de statut personnel.

Pourtant, la question n'est pas si idéale que l'on peut imaginer. Ce système de multitude de législation a quand même des inconvénients en droit égyptien qui empêche parfois d'atteindre l'objectif voulu par le droit musulman.

Malgré tous les avantages qu'apporte le système multiconfessionnel égyptien. Il contient quand même quelques inconvénients. On pourrait dire que ce système ne fonctionne pas en Égypte avec toute sa pertinence. Pourrait être considéré comme très bonne solution, le fait qu'on applique aux époux le droit relatif à leur religion en ce qui concerne les cas de divorce. En revanche, et contrairement au droit français, il n'y a pas de droit dont le contenu est libéré de toute influence religieuse.

On pourrait dire que le droit français est un droit « neutre ». En droit égyptien, il n' y a pas de droit neutre pour qu'il forme « le droit commun » qui sera applicable si les conditions requises pour l'application de la législation confessionnelle ne sont pas remplies.

Par conséquent, il fallait trouver un droit religieux qui sera le droit commun pour les cas de divorce, et puisque la religion de l'État est l'islam et les principes du droit

20 Principe affirmé par le droit musulman.

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musulman sont une source principale de législation, alors le droit musulman sera considéré comme le droit commun pour les cas de divorce.

On peut très bien imaginer une situation dans laquelle les cas de divorce prévus dans le droit musulman s'appliquent aux époux lorsque l'un des époux est copte orthodoxe et l'autre époux est grec orthodoxe. On voit ici très clairement une difficulté qui apparaît : c'est que le droit musulman s'applique à deux chrétiens orthodoxes, en effet, ils ont la même communauté, mais ils n'ont pas la même confession. Ceci est évident, puisque la loi égyptienne exige pour l'application de la législation confessionnelle que les époux aient la même communauté et la même confession, ces deux conditions sont cumulatives.

On comprend donc maintenant pourquoi ce système multiconfessionnel peut parfois être en face de quelques difficultés, comme l'application du droit musulman au non-musulmans, la conformité de la législation confessionnelle au droit religieux ( de l'institution religieuse ), et enfin une question: l'unification de ces législations résoudra-t-elle ces problèmes ?

§ 1- L'application du droit musulman aux non-musulmans

Le fait d'appliquer le droit musulman aux non-musulmans n'est pas nouvelle. En effet, le droit musulman s'applique aux non-musulmans dans plusieurs domaines autres que les cas de divorce. L'article deux de la constitution égyptienne dispose que les principes du droit musulman sont une source principale de législation. Mais il ne faut pas comprendre que le fait d'appliquer le droit musulman au non-musulmans est considéré comme un non-respect des non-musulmans, au contraire, puisque c'est le droit musulman lui-même qui garantit aux non-musulmans l'application de leur propre législation, en fonction de ce qu'ils croient.

Quant aux cas de divorce, l'intervention du droit musulman pour s'appliquer au non-musulmans peut avoir lieu dans trois situations :

A-

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La législation confessionnelle ne contient aucune disposition religieuse concernant certaines matières.

B- La non-conformité des législations confessionnelles à l'ordre public.

C- Si les époux non-musulmans ne sont pas unis en communauté et en confession.

A- La législation confessionnelle ne contient aucune disposition religieuse.

Le droit musulman intervient parfois pour traiter des domaines qui ne sont pas traités par le droit de la religion non-musulmane. Un exemple de cela : la Bible ne contient aucune disposition qui traite le droit de la succession. Ceci est conforme à la parole du Christ : « Jésus lui répondit : qui m'a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? »21. En revanche, le droit musulman traite en détail le domaine de la succession en précisant la part de chaque héritier. En outre, l'Égypte a été soumise au droit romain pendant la période qui précédait l'islam, ce qui prouve que la matière de la succession peut être régie par n'importe quel droit, puisque le droit de la religion chrétienne ne contient aucune disposition concernant cette matière. En effet, l'article 875 du Code civil égyptien dispose dans son premier alinéa que « la détermination des héritiers et de leurs parts héréditaires et la dévolution des biens successoraux sont régies par les règles du droit musulman et les lois qui les concernent ».

Ceci a pour objectif d'unifier le droit autant que possible surtout pour les matières qui ne sont pas organisées par les autres religions. De même, le droit égyptien a unifié le droit pour tous les Égyptiens en matière de testament.

Le législateur égyptien essaye d'unifier le droit pour tous les Égyptiens en ce qui concerne les matières qui ne sont pas organisées par les législations confessionnelles, ce qui signifie que le législateur égyptien veut arriver petit à petit à la méthode suivie par le droit français qui est un droit unique pour tout le monde.

Quant aux cas de divorce, il est impossible d'unifier puisque chaque législation confessionnelle prévoit des cas de divorce différents. Cette différence n'est pas seulement entre la religion chrétienne et la religion juive, mais cette différence existe

21 Luc 12, 14

20

aussi entre les communautés et les confessions. Par exemple: la législation catholique ne prévoit aucun cas de divorce, le mariage est une relation qui dure toute la vie. En revanche, la législation copte orthodoxe prévoit quelques cas de divorce. Le droit musulman, ajoute des cas de divorce qui ne sont pas prévus dans d'autres religions. L'unification de toutes ces législations sera très difficile, on ne peut pas satisfaire toutes les religions, sauf si on regroupe les cas de divorce communs et ensuite, on attribue à chaque religion les dispositions spécifiques qui la caractérise.

L'application du droit musulman dans les autres hypothèse n'est pas très choquante puisque la législation confessionnelle n'organise pas certaines matières donc il n'y aura pas de contradictions directes entre le droit musulman et la législation confessionnelle en ce qui concerne ces matières là.

Parfois, le droit musulman s'applique à certaines matières même si la législation confessionnelle l'a organisée. Ceci peut avoir lieu si les dispositions de la législation confessionnelle qui traitent cette matière sont contraires à l'Ordre public.

B-La non-conformité des législations confessionnelles à l'ordre public.

C'est l'article 6 de la loi n° 462 de 1955 qui dispose que: « Quant aux litiges de statut personnel des Égyptiens non-musulmans, unis en communauté et en confession, et qui ont des juridictions communautaires organisées au moment de la promulgation de cette loi, les sentences seront prononcées selon leur propre loi, en conformité cependant à l'Ordre public. »

On voit ici que cette hypothèse ressemble à la conformité à l'ordre public international en matière de droit international privé ( article 28 du Code civil égyptien ).

Mais le problème ici est plus délicat. Dans cette situation, on n'est pas en face de deux lois de deux États différents, mais par contre, on est en face d'un conflit ( assez original ) entre deux lois internes qui émanent donc du même État.

21

Là, plusieurs questions peuvent être posées : comment peut-on imaginer qu'une législation, dite interne, d'un État, ( c'est-à-dire qui n'est pas une loi d'un autre État ) soit contraire à l'ordre public de ce même État ? La réponse est simple. Il ne faut pas oublier que les législations confessionnelles n'émanent pas du parlement, mais elles émanent des autorités religieuses ou leurs représentants, et il est totalement évident, qu'en élaborant son droit de statut personnel ( et plus précisément les cas de divorce ) les autorités religieuses vont intégrer les cas de divorce prévus dans leur religion. En d'autres termes, on peut toujours imaginer que certaines dispositions prévues dans une législation confessionnelle pour les cas de divorce ne soient pas conformes à l'ordre public.

Alors, quelle est la solution?

On peut imaginer la situation suivante : un droit religieux contient des règles qui ne sont pas conformes à l'ordre public ! La situation s'aggrave lorsque ces règles sont transposées par l'autorité religieuse compétente dans la législation confessionnelle qui sera normalement appliquée par les tribunaux.

La question qui se pose à ce stade est la suivante : les dispositions qui sont contraires à l'ordre public s'appliquent ou non ? La réponse est évidemment non. La question se posera donc pour les règles qui remplaceront ces dispositions contraires à l'ordre public. A ce moment là, c'est le droit commun en matière de statut personnel qui s'applique qui est le droit musulman.

En d'autres termes, si les règles contenues dans la législation confessionnelle ne sont pas conformes à l'ordre public, le droit musulman s'applique et remplace ces dispositions non-conformes à l'ordre public22.

1- L'étendue de l'ordre public

La question de l'étendue de l'ordre public a longtemps été discutée. L'ordre public peut être limité aux dispositions du droit musulman, il peut aussi être très large et laïc sans tenir compte d'une religion spécifique.

22 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », Édition universitaire, Le Caire, 2002 ( en arabe ), P. 160 - 163

22

La cour de cassation a tranché ce débat par un arrêt du 17/1/1979, en donnant une solution intermédiaire et satisfaisante de l'étendue de l'ordre public. Dans cet arrêt, la cour de cassation égyptienne a défini pour la première fois, la notion d'ordre public en précisant23 « qu'il contient les règles qui ont pour objet l'intérêt général de l'État ... l'idée de l'ordre public est basée sur une doctrine laïque et générale à laquelle croit toute la société ... mais cela n'empêche pas que l'ordre public pourrait être lié à la religion lorsque la croyance est bien liée au système juridique et social, ce qui signifie que ces règles concernent tous les citoyens, musulmans et non-musulmans, quelle que soit leur religion, il est impossible de diviser ou de partager l'idée de l'ordre public et rendre une partie de ses règles limitée aux chrétiens, et une autre partie spécifique pour les musulmans, il n'est pas possible d'imaginer que le critère de l'ordre public soit personnel ou communautaire, l'ordre public doit avoir, en revanche, un critère objectif et conforme avec ce que la majorité la plus générale des individus croit. »

On peut déduire de cette jurisprudence que la cour de cassation égyptienne a pris un critère intermédiaire pour évaluer l'ordre public. D'une part, l'ordre public est considéré pour la Cour comme ayant un caractère laïc et général, mais en même temps, il doit être conforme à la croyance de la majorité des individus, donc, avec le droit musulman.

Monsieur le Doyen H.ELEHWANY déduit de cet arrêt que l'ordre public est fondé sur la laïcité et avec une idée de l'islam.

2- Les conséquences

L'ordre public ici est donc considéré comme laïc dans le sens où il s'applique à tous les individus quelle que soit leur religion. Mais, en ce qui concerne le contenu, l'ordre public est basé sur une idée de l'islam ce qui signifie que les règles impératives du

23 ibid. P. 173

23

droit musulman sont intégrées dans l'ordre public, de même, les droits des musulmans ne doivent pas être restreints par l'application d'un autre droit24.

Mais comment le contenu d'une législation confessionnelle soit contraire à l'ordre public?

Parmi la jurisprudence de la cour de cassation égyptienne : La norme juive sur le lévirat, prévue par Deutéronome 25:5-10 et reprise par l'article 36 du Code d'Ibn-Sham'oun, la source des Juifs Rabbinites en matière de statut personnel énonce que : « La femme dont le mari meurt sans laisser d'enfants, est considérée comme femme du frère ou de l'oncle paternel du mari défunt, de jure, si ce dernier en a. Elle ne peut se marier avec un autre, tant qu'il est vivant, sauf s'il refuse de la prendre... ». Cette règle a été considérée comme contraire à l'ordre public, puisqu'elle met en cause le droit au mariage et la liberté de mariage25. De même pour l'article 3 alinéa b de la collection des Grecs orthodoxes qui considère l'existence de trois mariages précédents comme un empêchement absolu pour en contracter un quatrième26.

Un autre exemple : Parmi les cas de divorce prévus dans la collection de 1938 des Coptes orthodoxes, le changement de religion. L'article 51 prévoit que « Si l'un des époux renie la religion chrétienne et son retour à la religion s'avère impossible, le divorce sera possible à la demande de l'autre époux. » 27.

Cet article ne peut pas être appliqué pour les raisons suivantes:

1- Si l'époux se convertit au judaïsme, les époux dans ce cas n'auront pas la même religion ce qui signifie que c'est le droit musulman qui s'applique étant donné qu'il est le droit commun en matière de statut personnel28.

2- Si l'époux se convertit à l'islam, il y a deux hypothèses:

- Soit c'est la femme qui se convertit à l'Islam, dans ce cas, si le mari refuse de se convertir lui aussi à l'islam, ils seront séparés29.

24 Par exemple, le droit pour un homme musulman d'épouser une femme kitabiya ( du livre ) ne peut pas être restreint par une législation confessionnelle puisque ce droit est d'ordre public, V. ibid., P.181

25 ibid., P. 187, s

26 V. le site de S. ALDEEB http://www.sami-aldeeb.com/

27 Législations du statut personnel des non-musulmans, Al amiriya, 3e éd., 1998 (en arabe).

28 V. infra 3e condition, page suivante

29 En droit musulman, la femme musulmane ne peut pas épouser un homme non-musulman, mais, un homme musulman peut épouser une femme chrétienne ou juive ( kitabiya ).

24

- Soit c'est le mari qui s'est converti à l'Islam, dans ce cas, le divorce (prévu à l'article 51) ne pourra pas avoir lieu, puisque cet article pourrait être considéré comme contraire à l'ordre public parce qu'il restreint le droit du mari musulman qui peut, selon le droit musulman, épouser une femme chrétienne30.

Le droit musulman s'applique aussi aux non-musulmans même si les législations confessionnelles régissent tout le statut personnel et leurs dispositions ne sont pas contraires à l'ordre public. C'est le cas où les époux non-musulmans ne sont pas unis en communauté et en confession.

C- Les époux non-musulmans ne sont pas unis en communauté et en confession.

L'article six de la loi n° 462 de 1955 dispose que « Quant aux litiges de statut personnel des Égyptiens non-musulmans, unis en communauté et en confession, et qui ont des juridictions communautaires organisées au moment de la promulgation de cette loi, les sentences seront prononcées selon leur propre loi, en conformité cependant à l'Ordre public. ». En d'autres termes, la loi égyptienne prévoit que c'est le droit musulman qui s'applique lorsque les époux ne sont pas unis en communauté et en confession. C'est une solution très originale apportée par le droit égyptien, elle provient du principe d'égalité entre époux. Si un époux est juif et l'autre est chrétien, on ne favorise ni l'un ni l'autre puisque c'est un autre droit qui sera appliqué pour les cas de divorce. Mais le problème est que le droit qui sera appliqué à la place de la législation confessionnelle est lui aussi un droit religieux qui prévoit des cas de divorce différents de ceux qui sont prévus dans les législations confessionnelles de chacun des époux (comme pour deux époux, l'un est protestant et l'autre est orthodoxe). De même, les cas de divorce ne seront pas prévisibles puisque l'époux peut se convertir à une autre religion ( ou à une autre communauté ou une autre confession ) à tout moment, et donc, on ne pourra pas savoir à l'avance quelle sera la religion des époux et par conséquent les cas de divorce possibles le jour du procès.

30 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit., P.449.

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1- L'originalité du principe provient du problème de la très grande diversité

Le problème provient de la diversité des législations confessionnelles, non pas seulement pour chaque communauté ( Orthodoxe, Catholique, Protestante ) mais aussi pour chaque confession ( Copte orthodoxe et Copte catholique... ). Il est vrai qu'une partie de la doctrine égyptienne31 considère toutes les religions autre que l'Islam comme une seule communauté. Mais ceci n'est pas le cas pour les législations confessionnelles. Chaque confession a sa propre législation ce qui fait que si les époux ne sont pas unis en communauté et en confession, on sera en face d'un conflit de lois interne.

Mais la question se pose pour le moment où on tient compte de la religion des

époux.

* Il y a certainement, plusieurs solutions possibles :

- Première possibilité : c'est de retenir le jour de la conclusion du mariage comme date à laquelle on tient compte de la religion des époux. Ceci signifie que toute autre conversion ultérieure n'aura aucun effet sur la loi applicable, et par conséquent, sur les cas de divorce.

Ce serait un bon critère, il favoriserait la prévisibilité juridique. En d'autres termes, les époux savent déjà depuis la conclusion du mariage quels sont les cas de divorce disponibles et selon quelle législation, puisqu'on retient la religion au moment de la conclusion du mariage. Ceci va créer une sorte de stabilité juridique.

En outre, ce critère garantit la sécurité juridique et il empêche les fraudes à la loi.

Mais, en revanche, il ne faut pas oublier que le fait de retenir ce critère mettra en cause les droits acquis des individus. Par exemple : si après quelques semaines du mariage, un des époux se convertit à une autre communauté ou une autre confession, et après une dizaine d'années de mariage, les époux ne sont pas unis en communauté et en

31 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit., P.180

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confession et l'époux, qui s'est convertit a été complètement détaché de sa religion d'origine, se trouve en face des cas de divorce prévus dans la législation de sa religion au moment du mariage et non pas sa religion au moment du litige, ce qui pourrait être assez choquant.

De même, ce critère ne respecte pas la liberté de religion et ses effets. Il ne suffit pas que l'époux ait la possibilité de changer sa communauté ou sa confession, mais aussi, il doit bénéficier des effets résultant de sa conversion.

En plus, ce critère peut aller contre l'idéologie de la loi de 1955. Cette loi a pour objectif d'appliquer la législation confessionnelle aux non-musulmans unis en communauté et en confession. On pourrait imaginer la situation suivante :

Si les époux n'étaient pas unis en communauté et en confession au moment de la conclusion du mariage, mais, après le mariage, ils deviennent unis en communauté et en confession. Dans cette hypothèse, il serait préférable d'appliquer la législation confessionnelle commune des époux au lieu d'appliquer le droit musulman qui devient un droit très loin du litige, et son application sera sans intérêt, car les époux, au moment du divorce sont unis en communauté et en confession, ce qui implique le choix de l'un des cas de divorce prévus dans la législation confessionnelle commune des époux.

- Deuxième possibilité : C'est de retenir le changement de religion à tout moment de la procédure jusqu'au moment où le jugement est prononcé.

Ce critère garantit bien la liberté de religion, les effets de la conversion auront lieu immédiatement. En revanche, c'est le critère qui écarte le plus la prévisibilité du droit. On ne saura pas quels sont les cas de divorce possibles et en vertu de quelle loi même en cours de l'instance! De même, ce critère favorise la fraude au maximum. L'époux défendeur pourrait se convertir vers une autre communauté ou une autre confession que l'autre époux pour choisir frauduleusement la loi applicable ( soit qui favorise ou empêche le divorce ). Ces manoeuvres peuvent aussi allonger la durée du procès ce qui met en cause le principe selon lequel les parties doivent être jugées en un délai raisonnable.

27

- Troisième possibilité : C'est de retenir la religion des époux au moment du dépôt de l'acte introductif d'instance, ce qui signifie que tout changement qui aura lieu au cours de l'instance ne prend aucun effet sur les cas de divorce. En d'autres termes, toute conversion ne sera prise en compte que si elle précède l'acte introductif d'instance.

Ce critère, d'une part, diminue les cas de fraude devant le juge, et d'une autre part, garantit la liberté religieuse.

En revanche, ce critère ne garantit pas la prévisibilité du droit. Les époux lors du mariage, ne savent pas quels sont les cas de divorce possibles ou quel est le droit applicable pour les cas de divorce. Un changement de communauté ou de confession peut avoir lieu au cours du mariage, donc on ne peut pas savoir à l'avance quel droit sera applicable.

Ces deux derniers critères ont été retenus par le droit égyptien. Le deuxième critère a été retenu pour la conversion à l'islam, et le troisième critère a été retenu pour la conversion à une autre religion que l'islam.

En effet, l'article 7 de la loi n° 462 de 1955 prévoit que : « le changement de communauté ou de confession d'une des parties pendant le déroulement de l'instance n'influe pas sur l'application du paragraphe deux du précédent article à moins que le changement ne s'opère en faveur de l'islam; dans ce dernier cas, la disposition du paragraphe premier du précédent article s'applique ».

On déduit de cet article que l'unité en communauté et en confession doit être appréciée au moment de l'action en justice. C'est le critère mis en place par le législateur égyptien qui a voulu fixer un moment clair et précis, même s'il met en cause la prévisibilité du droit. D'une façon plus concrète, au moment du mariage, les époux ne savent pas quels sont les cas de divorce qui pourront être utilisés pour mettre fin à ce lien. Le Doyen Hossam ELEHWANY trouve que « le législateur a adopté la pire des solutions, c'est celle qui ouvre la voie à la fraude à la loi. Il suffit qu'une partie au litige sente que l'autre a l'intention d'intenter un procès pour qu'elle se presse de changer de

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communauté, soit pour être unie avec l'autre en communauté et en confession, soit pour faire cesser l'unité »32.

Monsieur S. ALDEEB considère que « Cet article signifie qu'un conjoint peut à tout moment se convertir à l'islam pour se voir appliquer les normes musulmanes, alors que le changement à une autre religion que l'islam ne peut être pris en considération que si la conversion a lieu avant l'action en justice »33.

En effet, l'article 17 de la même loi prévoit deux hypothèses :

a- La conversion à toute religion autre que l'islam.

Dans ce cas, la loi prévoit que le moment où la religion des époux est tenue en compte, est le jour de l'acte introductif d'instance. Mais ce critère n'est pas le seul qui a été pris en compte par le droit égyptien.

b- La conversion à l'islam.

Dans cette hypothèse, la loi égyptienne n'a pas utilisé le même critère, c'est une exception (« ... à moins que le changement ne s'opère en faveur de l'islam ... »). Dans cette situation, la conversion produit ses effets quel que soit le moment où elle s'effectue, ce qui signifie que même si la conversion à l'islam avait lieu au cours du procès, cette conversion aurait un effet sur la loi applicable, par conséquent, c'est le droit musulman qui sera applicable pour les cas de divorce.

La question se pose donc pour la raison pour laquelle le législateur égyptien a mis en place cette exception pour la conversion à l'islam. Le Doyen ELEHWANY explique en disant que : « cette exception repose sur le principe de la suprématie de l'islam, un musulman ne pourrait être soumis à une autre loi que celle islamique, quel que soit le moment où s'est réalisé le changement ... »34. Ceci signifie que le législateur égyptien considère que le droit musulman est supérieur aux autres droits ce qui lui donne

32 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, Puf, 2001, P. 598

33 V. supra le site de S. ALDEEB, Statut personnel en Égypte.

34 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, op. cit., P. 599

29

un privilège de s'appliquer à tout moment même après l'acte introductif d'instance pour influer sur les cas de divorce. Mais la jurisprudence explique cette exception par le fait que la conversion à l'islam ne peut pas être un simple moyen de fraude35, puisque la conversion à l'islam n'a pas les mêmes effets que la conversion à une autre confession de la même religion autre que l'islam. La personne qui se convertit à l'islam ne peut pas l'abandonner ultérieurement ( apostasier ), elle ne peut même pas retourner à sa religion d'origine; dans ces deux cas la personne sera considérée comme un apostat. Ce dernier a un statut très difficile dans la société musulmane en général. Par exemple, il ne peut pas hériter de sa famille, en plus il doit être séparé de sa femme si cette dernière est musulmane36. L'époux va devoir donc réfléchir avant de se convertir à l'islam. Il ne peut pas se convertir juste pour frauder car il sait bien qu'il ne pourra pas retourner à sa religion d'origine, contrairement à la conversion aux autres religions. C'est pour cela qu'on peut supposer que l'époux qui se convertit à l'islam au cours du procès n'est pas un moyen de fraude, donc, il n'y a aucun risque d'apprécier la religion même au cours du procès.

De même cette exception est conforme au principe selon lequel seul le droit musulman s'applique aux musulmans. Ceci signifie par conséquent, qu'une loi confessionnelle ne peut ne pas s'appliquer pour les cas de divorce d'un époux musulman. Ce dernier doit bénéficier de cette conversion d'une manière immédiate.

C'est de cette manière que la loi égyptienne a retenu un critère particulier pour la conversion à l'islam qui prend effet à tout moment, même au cours de la procédure.

Après avoir examiné les cas de divorce où le droit musulman s'applique aux non-musulmans, il est temps de savoir quels sont les cas où cette application est atténuée ou limitée pour les cas de divorce.

2 - Les aménagements à l'application de droit musulman aux non-musulmans

La doctrine égyptienne s'est posée la question de savoir si les règles du droit musulman s'appliquent aux non-musulmans comme s'ils étaient des époux musulmans

35 C.Cass. 30/3/1966, Le Caire

36 S. A. ALDEEB, « Rôle de la religion dans l'harmonisation du droit des pays arabes », R.I.D.C. 2-2007, P. 259, s.

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ou bien la religion des époux non-musulmans est prise en compte en appliquant le droit musulman pour les cas de divorce ? 37

La cour de cassation égyptienne affirme toujours que les règles de droit musulman applicables aux non-musulmans sont les mêmes règles matérielles que celles qui s'appliquent aux musulmans.38

En revanche, cette règle affirmée par la Cour de cassation égyptienne a une exception. Le droit musulman ne s'applique pas si ses dispositions heurtent les droits fondamentaux de la religion des époux. La jurisprudence considère que dans chaque religion il y a des principes fondamentaux qui sont essentiels. En plus, on ne peut pas déroger à ces principes, par conséquent, les règles du droit musulman qui vont à l'encontre de ces principes fondamentaux seront écartées. Le droit égyptien a voulu garder un certain respect aux autres religions.

* Mais quel est le contenu de ces principes fondamentaux ?

La Cour de cassation égyptienne estime que ces principes sont ceux qui constituent l'essence de la religion. C'est la cour qui fixe ces principes à la lumière des situations en l'espèce. Ceci peut paraître étrange ! Les principes fondamentaux devraient normalement être définis à l'avance par les autorités religieuses et non pas par la Cour. De même, la Cour n'a pas crée une liste des principes fondamentaux, mais, elle examine à chaque espèce ( au cas par cas ) si la règle en cause est un principe fondamental ou pas. Par exemple, la Cour d'appel du Caire a décidé que le mari chrétien avait le droit de contracter un mariage polygamique, puisque c'est le droit musulman qui est applicable aux musulmans qui régit le mariage de non-musulmans qui ne sont pas unis en communauté et en confession. Ceci montre bien comment l'époux non-musulman est traité comme étant un musulman sans tenir compte de la spécificité religieuse des parties.

37 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit., P.219

38 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, op. cit., P. 602

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Heureusement, la Cour de cassation a cassé cette décision de la Cour d'appel du Caire. Il s'agit d'un arrêt de principe du 17 janvier 1979 par lequel, la Cour de cassation a affirmé que la polygamie se heurte aux principes fondamentaux du christianisme puisque le mariage chrétien se caractérise par la monogamie.

En effet, le Christianisme depuis son origine jusqu'à nos jours, sous ses différentes confessions, ne reconnaît pas la polygamie. Le Doyen ELEHWANY a raison lorsqu'il dit : « Permettre un deuxième mariage est une atteinte à la religion chrétienne et à sa morale ; par conséquent la polygamie doit être éliminée dans les rapports entre non-musulmans, et ceci constitue une exception aux règles du droit musulman applicables aux non-musulmans. »39

Mais, il faut en plus répondre à une autre question concernant les principes fondamentaux du Christianisme. La question qui se posera sera la suivante : est-ce que l'existence des cas de divorce ou leur absence dans une législation confessionnelle est considéré comme un principe fondamental lié à la religion ?

Plus concrètement, deux situations peuvent faire l'objet de très grandes discussions. La première situation concerne la législation catholique qui ne connaît pas le divorce. La seconde situation concerne les autres législations qui contiennent des cas de divorce très limités. La question à laquelle il faut répondre maintenant est ce que ces deux situations forment-elles des principes fondamentaux ou non ?

a-Le degré d'incompatibilité entre la législation catholique et le divorce

Il faut souligner que la législation catholique ne prévoit aucun cas de divorce, car selon le droit de l'Église catholique le divorce est considéré comme un lien indissoluble. La question qui s'impose donc à ce stade est : est-ce que les cas de divorce du droit musulman peuvent-ils être utilisés pour divorcer deux époux qui ne sont pas unis en communauté et en confession dont l'un d'eux est catholique ? En d'autres termes, les cas de divorce du droit musulman heurtent-ils les principes fondamentaux du droit de l'Église catholique ?

39 ibid. P. 604

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En effet, l'article 99 alinéa 7 du décret loi n° 78 de 1931 dispose que : « L'action en divorce intentée par un conjoint n'est recevable que si la loi de chacun des deux conjoints admet le divorce. ». La note explicative dit : « Les tribunaux charis, en vertu de l'article 280 de la loi sur les procédures des tribunaux musulmans, admettaient le divorce d'un non-musulman avec sa femme non-musulmane lorsque l'un des deux conjoints intentait une action contre l'autre. Ceci mettait en difficulté les communautés qui ne reconnaissent pas le divorce. »

Évidemment, ce sont les Catholiques qui sont visés par ces dispositions, ceci a été clairement affirmé par la Cour de cassation égyptienne dans un arrêt du 14 février 1968. Par conséquent, le mari copte catholique ne peut ni demander le divorce ni répudier sa femme grecque catholique, car leurs législations n'admettent pas le divorce.

Mais la question se pose aussi si un seul des époux est catholique ? Le divorce peut-il être admis ?

L'article 99/7 est très clair sur ce point. Il dit que le divorce n'est recevable que si la loi de chacun des époux admet le divorce. Alors la réponse à la question précédente est certainement « non ». Il suffit qu'un seul époux soit catholique pour limiter l'application du droit musulman, et par conséquent écarter les cas de divorce prévus par le droit musulman. Effectivement, si la femme catholique est divorcée par le tribunal, elle ne pourra pas célébrer un autre mariage selon les rites catholiques en raison des législations que sa communauté applique, restant ainsi liée par l'ancien mariage ... 40

Il faut donc préciser à ce stade que le décret loi n° 78 de 1931 a été abrogé par la loi n° 1 de l'an 2000. L'article 99/7 a été donc remplacé par un article 17 alinéa 3 dans la nouvelle loi de 2000. Ce nouvel article dispose que : « Est non recevable la demande en divorce entre des époux unis en communauté et en confession sauf si leurs législations l'admettent ».

On voit immédiatement que la formulation du nouvel article est assez ambiguë, parce que cet article concerne les époux unis en communauté et en confession, et il est

40 ibid. P. 603

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évident que dans ce cas c'est la législation confessionnelle des époux qui s'applique. Par conséquent, si cette législation n'admet pas le divorce, la demande en divorce sera irrecevable41. Plus concrètement, cela signifie que deux époux catholiques de la même confession ne peuvent pas divorcer. Mais la question se pose pour le cas dans lequel les époux sont des non-musulmans qui ne sont pas unis en communauté et en confession mais un des époux est catholique, le divorce est-il possible ?

Le nouvel article de la loi de 2000 n'a pas donné une réponse à cette question puisqu'il ne concerne que les époux unis en communauté et en confession. Une partie de la doctrine42 considère que la nouvelle loi de 2000 avec son article 17 alinéa 3, limite l'ancien article puisque la demande n'est recevable que si les époux sont unis en communauté et en confession.

En revanche, une autre partie de la doctrine43 considère que le divorce heurte un principe fondamental de la communauté catholique ce qui a pour conséquence d'écarter les cas de divorce du droit musulman.

Comme l'admission du divorce en droit musulman se heurte avec les principes fondamentaux de la communauté catholique, les cas de divorce du droit musulman peuvent aussi heurter les principes fondamentaux des autres communautés.

b- Une compatibilité assez contestée entre la répudiation et les autres législations chrétiennes

Pour les autres communautés autre que la communauté catholique, le divorce existe, mais c'est un divorce judiciaire. Dans ce cas le divorce ne heurte pas les principes fondamentaux des communautés non-catholiques, mais la question se pose pour la répudiation. Il s'avérait choquant que le mari chrétien ( mais pas catholique ) répudie sa

41 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit., P.245, s

42 F. ABDEL REHIM, En bref sur le statut personnel des Égyptiens non-musulmans, El mansoura, 2e éd. 2000, P. 28

43 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit., P. 238 - 242

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femme qui diffère en communauté et en confession étant donné que c'est le droit musulman qui sera applicable.

Il faut juste remarquer que la répudiation unilatérale n'est pas un cas de divorce admis par les législations confessionnelles chrétiennes. Par exemple, le législateur copte orthodoxe a prévu dans la collection de 1938 plusieurs cas de divorce, mais ils sont tous des cas de divorce judiciaire qui nécessitent une demande en justice pour prononcer le divorce. En outre ce sont des cas de divorce prévus pour le mari comme pour la femme ce qui signifie que l'homme n'a pas de privilège44.

Mais, malgré tout cela, la Cour de cassation égyptienne a déclaré que la répudiation unilatérale ne heurte pas les principes fondamentaux des communautés non-catholiques45.

La majorité de la doctrine égyptienne conteste la position de la Cour de cassation en disant que la répudiation unilatérale porte atteinte aux principes fondamentaux des législations chrétiennes qui admettent le divorce et qui le limitent à des cas très précis46.

Ce mouvement de la doctrine, trouve aussi que la répudiation unilatérale doit être cadrée par des règles qui empêchent que le mari abuse de son droit pour répudier, et le fait de permettre au mari chrétien de répudier augmentera le nombre de divorce.

De même, la position de la cour de cassation favorise la fraude à la loi puisque le mari, pour divorcer, au lieu de passer par le divorce judiciaire qui peut durer des années devant les tribunaux pour avoir un jugement de divorce, il suffit de se convertir (formellement) à une autre communauté ou une autre confession ( autre que le Catholicisme ) pour que le droit musulman soit applicable et par conséquent, ce mari pourra répudier unilatéralement sa femme.

44 Pour chaque cas de divorce prévu aux articles 50 à 58 de la collection de 1938 des Coptes orthodoxes, le législateur ( en rédigeant le texte ) mentionne les termes « ... un des époux ... » sans distinguer le mari de la femme.

45 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, op. cit., P. 604

46 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit., P. 251, s

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La situation actuelle se complique encore plus avec le khol' musulman crée par la même loi de 2000. On doit donc se poser la question de savoir si le khol' s'applique lors de l'application du droit musulman aux non-musulmans qui ne sont pas unis en communauté et en confession. Il est vrai que la Cour de cassation égyptienne considère que la répudiation unilatérale ne doit pas être écartée des dispositions du droit musulman applicable aux non-musulmans. Mais est-ce que le khol' sera traité de la même manière pour garantir une forme d'égalité entre l'homme et la femme pour les non-musulmans, sachant que le khol' est un divorce judiciaire ? ( c'est-à-dire moins choquant que la répudiation ). En effet, la jurisprudence du premier degré et l'Église copte orthodoxe, considèrent que ce cas de divorce ne peut pas être appliqué aux Coptes parce que le khol' ne figure pas dans la religion chrétienne47.

§2- La non conformité de la législation confessionnelle au droit religieux

Il s'agit d'un problème assez ancien ( A ), mais l'Église copte avait une position très déterminante sur la question ( B ).

A- Un problème assez ancien

Les cas de divorce pour les Coptes orthodoxes figurent dans la collection de 1938, celle-ci a été élaborée par le Conseil communautaire général copte48. L'objectif de sa création était de s'occuper des wakfs, des écoles et des imprimeries coptes, il s'occupe également de l'administration financière et il était considéré comme la juridiction compétente pour trancher les litiges entre les coptes orthodoxes en matière de statut personnel. Mais cette dernière compétence a été supprimée par la loi n° 462 de 1955 qui a supprimé les tribunaux chariés et les conseils généraux pour transmettre leurs compétences judiciaires aux tribunaux Étatiques. Mais, malgré la promulgation de cette loi, ces conseils n'ont pas disparu.

Ce Conseil est formé des hommes laïcs qui gèrent les affaires de l'Église copte avec l'État. La doctrine en Égypte considère que ce conseil est le seul organe compétent

47 V. AL-Ahram Hebdo du 20/3/2002, n° 393, L'Égypte en bref.

48 Conseil crée par un décret du Khédive Ismaïl le 13 mars 1883.

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pour mettre en place les règlements qui doivent être homologués par le gouvernement49. En effet, sa création a eu lieu à la suite de la déclaration du Pape Cyril V par laquelle, le Pape d'Alexandrie annonce que le Patriarcat s'occupe des affaires religieuses, un autre organe devait être crée pour administrer les affaires financières de l'Église. Ce qui prouve qu'il n'est pas considéré comme législateur50.

Malgré cela, le Conseil communautaire général copte avait voulu réformer la législation du statut personnel des Coptes orthodoxes en élaborant un texte le 8 mai 1938, celui ci est entré en vigueur le premier juillet 1938.

Il faut remarquer que cette collection n'a été approuvée ni par le gouvernement égyptien ni par le parlement, ce qui signifie qu'elle n'a pas la force d'une loi. En outre, ce conseil n'était pas compétent pour légiférer. Par conséquent, cette collection n'avait aucun caractère coercitif. En revanche, cette collection est considérée actuellement comme ayant une force coutumière.

Mais quelle est donc l'institution considérée comme compétente pour organiser le statut personnel des coptes orthodoxes ?

En effet, le saint Synode est l'institution suprême qui s'occupe de tout ce qui concerne les Coptes orthodoxes. C'est la raison pour laquelle la collection de 1938 n'a pas été approuvée par l'État. Par contre, si cette collection était élaborée par le saint Synode, et non pas par le Conseil communautaire général copte, elle aurait eu une force de loi et non pas coutumière51.

Pour les Catholiques, la situation est plus simple, par ce que les règles du statut personnel ont été intégrées dans un texte appelé « la volonté apostolique pour le système du mariage pour les Églises orientales ». Ce texte a été approuvé par le Pape du Vatican lui-même. Ensuite, ce texte a été traduit à l'arabe à Beyrouth.

Contrairement à la situation des Catholiques, le Pape d'Alexandrie n'était ( et n'est toujours ) pas d'accord sur le contenu de la collection de 1938 et en particulier sur

49 H. ELEHWANY, « Les effets juridiques des décrets papaux dans les matières de statut personnel des Coptes orthodoxes », revue de l'administration des sentences du gouvernement n° 1/25 P. 14, s (en arabe)

50 ibid.

51 ibid. P. 26

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les cas de divorce. En effet, cette collection contient une dizaine de cas de divorce. Les autorités religieuses trouvent que huit de ces 10 cas ne sont pas conformes à la Bible. C'est ce qu'a affirmé le saint Synode le 21 mai 1945 pour contester la multiplicité des cas de divorce figurant dans la collection de 1938, il a affirmé par décret que l'adultère est le seul cas de divorce reconnu par l'Église copte. Mais étant donné que ce décret n'a pas été bien publié par l'Église, la collection de 1938, par le fait de son application par les tribunaux, a eu la force coutumière. Par conséquent, le décret du saint Synode n'a pas pu être appliqué52. Mais en revanche, on peut déduire de tout ce qui précède que le juge étatique applique la collection de 1938, et bien entendu, les cas de divorce qu'elle prévoit.

* En réalité, la collection de 1938 contient 10 causes de divorce, ce sont :

1- L'adultère

2- L'abandon du christianisme

3- L'absence pendant cinq ans consécutifs

4- La condamnation d'un conjoint à cinq ans ou plus de travaux forcés

5- La folie ou la maladie infectieuse

6- Les sévices

7- L'impuissance

8- La mauvaise conduite

9- La maltraitance suivie d'une séparation de trois ans consécutifs

10- Le monachisme.

Le problème de la contrariété entre la collection de 1938 appliquée par les tribunaux et le droit de l'Église n'est pas nouveau. En effet, l'Église ne reconnaît que deux cas de divorce, ce sont : l'adultère et le changement de la religion. Ces deux cas sont les deux premiers cas de divorce prévus dans la collection de 1938 et ce sont les seuls cas de divorce mentionnés dans la Bible53.

52 ibid. P. 30

53 V. MATTHIEU 5,32 ; MATTHIEU 19,9 ; MARC 10,11 ; LUC 16,18 ; et 1 CORINTHIENS 7,15

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B - Une position très déterminante de l'Église

Puisque le Pape Chenouda III, Pape d'Alexandrie et Patriarche de la prédication de saint Marc, estime que cette collection, établie par des personnes influencées par la pensée laïque, violent l'Évangile, il refuse de reconnaître les divorces prononcés par les tribunaux en vertu de cette collection. En outre, deux décrets papaux ont été mis en place par le Pape :

- Le premier décret papal est le décret n° 7 du 18 novembre 1971. C'est un décret par lequel l'Église ne reconnaît pas le divorce sauf pour l'adultère. Pour les autres cas de divorce, le mariage existe toujours. En d'autres termes, le pape Chenouda III a interdit au Conseil clérical de permettre le remariage des Coptes orthodoxes divorcés par les tribunaux égyptiens pour une autre raison que l'adultère.

- Le second décret papal a interdit le mariage de l'époux divorcé. Pour comprendre ce décret il faut distinguer entre deux situations :

- Si le divorce est prononcé à cause de l'adultère, l'époux qui l'a commis ne peut pas se remarier. C'est une personne à laquelle l'Église ne fait pas confiance pour créer une famille. En revanche, l'époux innocent peut se remarier.

- Si le divorce est prononcé pour une autre raison que l'adultère, chacun des époux ne peut pas se remarier car ils sont considérés comme toujours mariés selon le droit de l'Église copte.

Cette position signifie que si les époux ont obtenu un jugement de divorce pour une autre cause que l'adultère, les prêtres de l'Église copte ne pourront pas célébrer un nouveau mariage car ils sont toujours mariés au regard de l'Église copte. Dans ce cas là, ces divorcés ( judiciairement ) ne peuvent pas donc se remarier devant l'Église copte orthodoxe. Ceci oblige des coptes, soit de rester sans mariage, soit de changer de religion avant ou après le divorce. Or, l'Église copte orthodoxe refuse de reconnaître tout mariage de ses fidèles qui n'est pas célébré par elle. Ce qui crée un conflit entre les coptes divorcés et leur Église. Les parties concernées demandent au Pape Chenouda III

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de revenir sur sa position, mais il refuse de le faire et interdit au Conseil clérical d'autoriser de tels remariages54.

La situation actuellement devient plus compliquée lorsqu'il y a un procès au tribunal entre l'Église et les époux.

Un procès récent a rouvert le débat sur la question après quelques années de

calme :

Un époux a obtenu un jugement de divorce pour une cause autre que l'adultère et il s'est adressé à l'autorité compétente de l'Église pour obtenir un « permis de mariage » pour se remarier, mais, étant donné que la cause du divorce n'était pas l'adultère, l'autorité religieuse a refusé d'attribuer le « permis de mariage » à cette personne. Il s'est adressé donc au tribunal. Le 14/3/2006, le tribunal de la jurisprudence administrative a rendu un jugement qui a choqué l'Église copte et il a fait l'objet d'un très grand débat sur la question. En l'espèce, le tribunal a annulé l'arrêté qui refuse l'attribution du permis du mariage à cet époux. Ceci signifie tacitement obliger l'Église à reconnaître les cas de divorce figurant dans la collection de 1938.

* Les arguments selon lesquels le tribunal s'est fondé étaient :

1- Le tribunal a commencé à poser des principes constitutionnels relatifs aux droits personnels et à la famille en précisant que : « ... toutes les constitutions égyptiennes depuis la constitution de 1923 ont mis en évidence le principe d'égalité et ont garanti son application pour tous les citoyens comme étant une base de la justice, de la liberté, et de la paix sociale, et l'objectif de ce principe est de protéger les droits des citoyens et leurs libertés de toute forme de discrimination...selon l'article neuf de la constitution, la famille est la base de la société et elle est fondée sur la religion, les moeurs, et la citoyenneté ... le mariage l'entrée naturelle nécessaire à sa formation, en outre, le mariage fait partie des droits personnels... »

2- Ensuite, le tribunal explique la spécificité du mariage copte en disant que : « ... la législation chrétienne attribue au mariage un système spécifique propre qui se

54 S. A. ALDEEB, Statut personnel en Égypte, Fribourg, Suisse, Éditions universitaires, 2006, P. 21

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formalise par des cérémonies religieuses organisées par l'un des prêtres de l'église et il se fonde sur l'idée selon laquelle le mariage est une relation éternelle comme l'a précisé l'Évangile de saint MATTHIEU .
· « Les pharisiens lui répliquent .
· « Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit la remise d'un acte de divorce avant la séparation ? ». Jésus leur répond .
· « C'est en raison de votre endurcissement que Moïse vous a concédé de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n'en était pas ainsi. Or je vous le dis .
· si quelqu'un renvoie sa femme - sauf en cas d'union illégitime - pour épouser une autre, il est

adultère. » Ses disciples lui disent .
· « Si telle est la situation de l'homme par rapport à sa femme, il n'y a pas intérêt à se marier. » Il leur répondit .
· « Ce n'est pas tout le monde qui peut comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l'a révélée. » Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ,
· il y en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ,
· il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des cieux. Celui qui peut comprendre, qu'il comprenne ! ».
( MATTHIEU 19, 712)... ».

3- Le tribunal fait ensuite référence à la collection de 1938 qui forme en réalité la législation confessionnelle des Coptes orthodoxes en matière de statut personnel : « ... la collection de statut personnel des Coptes orthodoxes selon lesquelles les époux ont la possibilité de saisir la juridiction compétente pour demander le divorce ... cette législation énonce les effets du divorce, parmi ces effets, le droit à chacun des époux - à la suite d'un jugement de divorce - de se marier avec une autre personne sauf si le jugement lui-même empêche l'un ou les époux de se remarier ( article 69 de la collection ), cette règle rassure à chacun des époux divorcés de se remarier selon les rites religieux... »

4- C'est ainsi que le tribunal a voulu exercer une pression sur l'Église pour admettre ce genre de divorce ( et par conséquent, célébrer un deuxième mariage d'un époux divorcé pour une cause autre que l'adultère ) au nom de la liberté de mariage reconnue par la Constitution et par l'Évangile : « ... le tribunal dans ce domaine, confirme que le mariage est un des droits sacrés de la législation chrétienne et un des sacrements de l'Église, de même, le droit au mariage est considéré comme un droit personnel du citoyen chrétien, surtout, lorsqu'un jugement de divorce est prononcé mettant ainsi fin au lien entre les époux, ce

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jugement, par son autorité et ses effets, ouvre la porte de l'Église devant le citoyen chrétien qui demande l'exercice de l'un de ses droits personnels... »

C'est par ces moyens que le tribunal a annulé l'arrêté du Conseil clérical ayant pour objet le refus d'attribution du permis de mariage à ces époux.

Le Pape Chenouda III a expliqué le point de vue de l'Église dans une conférence de presse. Il a refusé complètement d'obtempérer à cette décision en déclarant qu'il ne s'inféode qu'à la source principale du Christianisme qui est la Bible et à sa conscience. Il a dit que : « Le tribunal est compétent pour prononcer le divorce. En revanche, il n'est pas compétent pour marier. La question du mariage relève de la compétence de l'Église. L'Église respecte les instructions de l'Évangile en ce qui concerne le mariage et le divorce. Comme la Bible l'a annoncé, le divorce n'est possible qu'en cas d'adultère ou de changement de religion. Pour tous les autres cas, il n'est possible ni de divorcer, ni de délivrer une déclaration ou un permis reconnaissant le deuxième mariage... En ce qui concerne l'idée selon laquelle l'Église est tenue des jugements de la juridiction administrative, en réalité l'Église n'est tenue que par sa conscience et par les instructions de l'Évangile. Ceci apparaît même très clairement dans le droit musulman qui dispose que le juge doit juger entre les non-musulmans en fonction de ce qu'ils croient et comme l'expliquent leurs législations religieuses. Pour ces raisons, l'Église refusera d'attribuer aucun permis de mariage après le divorce, sauf si le divorce est fondé sur les instructions de l'Évangile...

Quant à la collection de 1938 que les tribunaux appliquent a été profondément contestée par les hommes religieux. J'ai transmis à l'État un nouveau règlement de statut personnel sur lequel a signé tous les archevêques chrétiens en Égypte. On peut attribuer le permis de mariage conformément à ce nouveau projet selon lequel, le divorce n'est admis qu'en cas d'adultère ou en cas de changement de religion, sauf pour les Catholiques qui n'admettent pas du tout le divorce et il est remplacé par la séparation de corps. Par le biais de ce nouveau projet, les tribunaux vont juger conformément à notre législation et conformément à ce qu'on croit, mais actuellement, les jugements ne sont pas conformes à notre droit ... ».

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En ce qui concerne les fondements sur lesquels s'est fondé le tribunal et principalement la liberté de mariage qui a une valeur constitutionnelle, le Pape Chenouda III dit : « ... Ces individus peuvent se remarier, mais pas à travers l'Église parce que sa conscience n'accepte pas ce mariage. Et comme la constitution consacre le droit au citoyen à être marié, de même, la constitution consacre à l'Église le droit d'appliquer sa législation et son droit...».

Nabil Louka BIBAWI, un auteur copte, soutient la position ferme du Pape Chenouda et estime même que l'application par les tribunaux étatiques des deux collections citées en matière de divorce violent la constitution qui dit que l'Islam est la religion de l'État et le droit musulman est la source principale du droit. Or, le Coran garantit la liberté religieuse aux communautés chrétiennes et exige qu'ils soient soumis à leurs législations religieuses, et principalement l'Évangile. Selon BIBAWI, les tribunaux doivent se conformer non pas à la collections citée, mais à l'Évangile et, donc, à la position du Pape Chenouda III. Pour sortir de ce dilemme, BIBAWI propose l'adoption par le Parlement égyptien du projet de code de statut personnel susmentionné55.

Ce projet donne satisfaction au Pape, qui a contribué à son élaboration, ainsi qu'à ceux qui veulent divorcer devant les tribunaux et se remarier devant l'Église. En effet, bien que n'allant pas aussi loin que la collection de 1938, ce projet admet le divorce pour cause d'abandon du Christianisme (art. 113), d'adultère (art. 114) et certains actes d'infidélité mentionnés dans l'article 11556.

§3-Solution proposée: l'unification des législations confessionnelles

Malgré la pluralité des problèmes qui sont causées par le système égyptien actuel, une seule solution a été proposée pour rendre le système égyptien multiconfessionnel plus efficace.

55 N. L. BIBAWI, La non constitutionnalité des lois de statut personnel applicables aux Égyptiens, Le Caire, 2004. p. 101-129 ( en arabe )

56 S. A. ALDEEB, Statut personnel en Égypte, op. cit., P. 20

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La doctrine égyptienne n'est pas la seule à retenir cette idée, mais aussi d'autres institutions, comme les institutions religieuses ont commencé à réaliser d'une manière concrète cette solution.

A - La doctrine encourage la démarche

Une très grande majorité de la doctrine égyptienne trouve que la seule solution pour résoudre tous les problèmes en matière de statut personnel en général c'est d'unifier ou de codifier les règles relatives au statut personnel pour tous les Égyptiens.

- Premièrement, le Doyen ELEHWANY insiste sur la nécessité d'unification. Mais selon lui, cette unification doit être une unification par étapes et non pas une unification directe. On ne peut pas passer d'un système à un autre sans passer par des étapes intermédiaires. En effet, le Doyen ELEHWANY trouve que le système égyptien doit passer d'au moins deux étapes pour arriver à l'unification : « Dans une première étape, les efforts devront être déployés pour promulguer une loi de famille unifiée pour les non-musulmans. Plusieurs projets ont été élaborés par le ministère de la justice, avec la collaboration de l'Église copte, mais aucun n'a vu le jour...une fois cette étape achevée, la deuxième doit être la promulgation d'une loi unifiant le droit de famille pour tous les Égyptiens : musulmans et non-musulmans, une loi unique, mais comportant des dispositions distinctes selon qu'il s'agit de musulmans ou de non-musulmans pour les questions à caractère religieux comme la polygamie. »57. Il est très clair ici que le Doyen ELEHWANY a suivi la position d'EL-SANHOURY qui a expliqué l'importance d'une loi unique mais à dispositions distinctes selon qu'il s'agit de musulmans ou de non-musulmans, pour les questions à caractère religieux58.

- Par opposition à ce point de vue, un autre professeur, Monsieur FARAG a dit, lors du Séminaire copte catholique organisé au Caire : « Notre conviction personnelle est que, si l'on veut réellement unifier les dispositions de statut personnel, on doit entreprendre une unification générale. Il ne s'agit pas en effet d'élaborer un code particulier aux non-musulmans, à côté d'un autre code particulier aux musulmans. Tous les Égyptiens devraient avoir le même code qui serait vraiment civil c'est-à-dire, fondé non pas sur des dispositions spécifiquement religieuses qu'elles soient musulmanes,

57 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, op. cit., P. 605

58 A. - H., ABDEL-HAMID: Le Droit international privé, 2ème édition, Le Caire 1927, vol. I, p. 141-142.

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chrétiennes ou judaïques, mais sur un ensemble de valeurs familiales communes que la société égyptienne contemporaine serait décidée à promouvoir dans un esprit de large tolérance »59.

- Monsieur ALDEEB est du même point de vue que Monsieur FARAG60. Mais l'unification pour lui n'est qu'un souhait qui ne semble pas être réalisable.

- Quant à Nabil Louka BIBAWI, il voit le problème de plus près puisqu'il est un juriste copte. Il est complètement d'accord avec la position de l'Église. Il trouve donc que la solution la plus adaptée sera d'unifier le droit de statut personnel des Chrétiens61.

B - Les institutions tentent de concrétiser cette idée d'unification 1 - Le Parlement

Le législateur égyptien avait à l'esprit l'unification des législations de statut personnel. Après la déclaration de l'union entre l'Égypte et la Syrie, c'est-à-dire en février 1958, deux commissions ont été crées pour établir deux projets de statut personnel, le premier organisera le statut personnel pour les musulmans, l'autre sera spécifique aux non-musulmans. Ce travail a été repris comme base des deux projets actuellement aux archives du Ministère de la Justice.

Le premier est intitulé Projet de droit de famille. La commission de ce projet était composée uniquement de musulmans.

Ce projet se compose de 476 articles et couvre les matières suivantes:

- Partie I. Le mariage: conclusion du mariage, fin du mariage, parenté;

- Partie II. La tutelle : tutelle sur la personne, tutelle sur les biens;

59 T. FARAG, Les règles de statut personnel des Égyptiens non-musulmans, Imprimerie universitaire, Alexandrie, 3e édition, 1969, P. 219

60 S. A. ALDEEB, L'impact de la religion sur l'ordre juridique : cas de l'Egypte : non-musulmans en pays d'Islam, Fribourg, Suisse, Éditions universitaires, 1979, P. 122

61 S. A. ALDEEB, Statut personnel en Égypte, op. cit., P. 21

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- Partie III. Succession testamentaire;

- Partie IV. Succession ab intestat;

- Partie V. Dispositions générales.

Ce projet avait pour but de codifier les normes du droit musulman en se basant sur des opinions de légistes appartenant à différentes écoles, sunnites et non-sunnites. Malgré la prétention de ses auteurs, ce projet est très en retard sur l'esprit législatif moderne62.

Quant au deuxième projet est intitulé « Dispositions régissant le mariage des non-musulmans ». Il se compose de 70 articles et couvre les matières suivantes : Les fiançailles ( chap. I ) ; conditions du mariage ( chap. II ) ; empêchements au mariage (chap. III) ; nullité du mariage ( chap. IV ) ; effets du mariage ( chap. V ) ; fin du mariage (chap. VI ) ; séparation des époux ( chap. VII ) ; dispositions finales. Sachant que le projet se limite aux matières susmentionnées. Quant aux autres matières du droit de famille, les non-musulmans sont soumis aux dispositions du premier projet qui est relatif aux règles du statut personnel applicables aux musulmans. Il fallait savoir que la commission du deuxième projet était composée à moitié de membres chrétiens et à moitié de membres musulmans63.

Quant à la promulgation de ces deux projets, l'ancien président Sadate a dit aux professeurs de droit français qui ont visité l'Égypte à cette époque que la loi de statut personnel sera promulguée à la fin de l'année 1975. C'est ce qu'a rapporté Al-Ahram le 15 janvier 1975. Malgré cela ces deux projets n'ont pas encore vu le jour.

2 - Des solutions importantes proposées par les Églises

À côté des projets préparés par l'État, il existe aussi un projet de code de statut personnel des non-musulmans en 197864. Il a été élaboré par toutes les communautés

62 S. A. ALDEEB, L'impact de la religion sur l'ordre juridique : cas de l'Egypte : non-musulmans en pays d'Islam, op. cit., P. 118, s

63 ibid. P. 121

64 V. une traduction française du projet : S. ALDEEB et C. FRANCIS : « Un code de statut personnel en Égypte: Projet commun aux chrétiens » : Praxis juridique et religion, 6.1.1989, p. 92-110 ( http://www.sami-aldeeb.com).

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chrétiennes d'Égypte qui sont : les Orthodoxes, les Catholiques, et les Protestants. Il est à noter que les adventistes et les témoins de Jéhovah sont exclus parce qu'ils ne sont pas reconnus en Égypte (art. 24 et 113). Ce projet a prévu cependant des dispositions particulières pour les Catholiques (art. 111). On notera en outre que les dispositions de la communauté qui a célébré le mariage restent applicables dans les domaines non prévus par le projet (art 143). Le Pape Chenouda III, chef religieux de la plus importante communauté chrétienne d'Égypte, a présenté ce projet au gouvernement pour son adoption et sa promulgation. Ce qui n'a jamais été fait. Au mois de février 1988, le Pape Chenouda III a déclaré qu'il est fier d'avoir pu réunir toutes les communautés chrétiennes autour d'un projet unique65.

N. L. BIBAWI, a indiqué qu'en 2004, le Pape Chenouda III avait remis un projet de loi de statut personnel pour les non-musulmans au Ministre de la Justice lors de sa visite à la Cathédrale de Saint-Marc au Caire à Abbassiya en 1999, lui demandant de le soumettre au parlement pour son adoption. Mais pour des raisons inconnues, cela n'a pas eu lieu, malgré la promesse du Ministre66.

Ce projet n'est pas seulement utile parce qu'il unifiera toutes les législations confessionnelles existantes, mais c'était une occasion d'exprimer la volonté de l'Église copte dans la nouvelle législation unique en aménageant les cas de divorce pour les Coptes orthodoxes. Le projet est donc conforme au droit de l'Église : « Article 115 : Tout acte d'infidélité conjugale est considéré en soi comme adultère, notamment dans les cas suivants:

1. le départ de l'épouse avec un inconnu autre que ses parents ou des membres de sa famille, à l'insu de son mari, sans son autorisation et sans nécessité;

2. la présence de lettres de l'un des époux à une personne étrangère, prouvant l'existence d'une relation coupable entre eux;

3. la présence d'un étranger avec l'épouse au domicile conjugal dans une situation douteuse;

65 S. A. ALDEEB, Statut personnel en Égypte, op. cit., P. 21

66 ibid. P. 23

4.

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l'incitation de l'épouse par l'époux à commettre l'adultère et la débauche;

5. la conception durant une période où l'époux se trouvait dans l'impossibilité - absence ou maladie - d'avoir des rapports avec elle;

6. la perversion sexuelle. »

Il est vrai que le fait de regrouper toutes ces législations confessionnelles en une seule loi votée par le parlement aura beaucoup d'avantages :

- Premièrement, la notion de conflit de lois « interne » disparaîtra, puisqu'on sera en face d'une seule loi. Certes, elle contient des dispositions spécifiques à chaque religion (comme la séparation de corps pour les Catholiques) mais toutes ces dispositions se trouvent rassemblées dans un seul texte.

- Deuxièmement, l'unification permettra de concilier entre les droits religieux différents tout en gardant leurs spécificités, ce qui signifie qu'il y aura des dispositions particulières qui ne concernent qu'une confession spécifique. Par exemple, la limitation des cas de divorce à l'adultère pour les Coptes orthodoxes.

- Troisièmement, éviter toute contrariété à l'Ordre public et aux principes fondamentaux des religions non-musulmanes.

- Quatrièmement, l'unification sera une très bonne occasion de reformuler les dispositions qui ne sont pas conformes au droit religieux.

- Cinquièmement, l'unification garantira le respect des droits fondamentaux comme le principe d'égalité et la liberté religieuse.

On a vu donc ici que la plupart des Égyptiens souhaitent un jour d'avoir un droit unique de statut personnel ( soit d'une manière absolue soit pour les non-musulmans ). Ceci signifie que le droit égyptien a tendance à se diriger vers l'unification67 qui est un système appliqué dans beaucoup de pays dans le monde et notamment en France où l'unification du droit est marquée par la codification des règles de statut personnel à l'intérieur du Code civil.

67 Dans le même sens, V. S. A. ALDEEB, « Rôle de la religion dans l'harmonisation du droit des pays arabes », op. cit., P. 271-273

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Section II : Une loi française unique avec une pluralité des cas de divorce

Le droit français a évité tous les problèmes déjà cités pour le droit égyptien. La plupart de ces problèmes avaient pour origine la pluralité des législations confessionnelles qui régissent le statut personnel en Égypte. Or, le droit français a codifié les cas de divorce dans le Code civil, ce qui fait que le droit français est un droit unique applicable à tout le monde. Il a même dépassé le voeu des Égyptiens, puisque la doctrine égyptienne souhaite avoir un droit unique en Égypte, mais qui contient des dispositions spécifiques pour chaque religion lorsqu'il y a des différences entre les religions.

Quant au droit français qui est considéré comme un droit laïc ne tient compte d'aucune religion. De même le droit français ne contient aucune disposition spécifique à une religion quelconque. Tous les cas de divorce prévus par le droit français concernent tout le monde. Le système français est donc un système libéral : il tend à assurer le respect des convictions religieuses sans se lier à un étroit confessionnalisme. Sa faiblesse est qu'il n'assure qu'imparfaitement ce respect, parce qu'à l'état pur, la notion du divorce catholique impliquerait que l'indissolubilité du mariage fût ( selon CARBONNIER ) indéfiniment préservée68.

Par rapport au système égyptien, le système français pourrait dans son ensemble nous donner une meilleure solution, mais parfois choquante. La doctrine égyptienne considère qu'en France, la loi unique qui régit le statut personnel pour tous les citoyens, même si elle est intégrée dans le Code civil pour la donner un caractère laïc, cette loi est influencée par la religion de la population69. Par conséquent, le Code civil français s'applique à tous les Français même s'ils sont musulmans. Ceci signifie que l'époux musulman sera soumis à des règles qui sont largement influencées par le christianisme70. Mais, en revanche, cette influence diminue de plus en plus. On pourrait déduire de cela que le droit français voudrait établir une sorte d'égalité absolue entre tous les individus quelle que soit leur appartenance religieuse. De même, le législateur français voudrait libérer le droit de la famille de toute influence religieuse, ce qui rendra le contenu du droit de la famille plus cohérent avec la laïcité de l'État.

68 CARBONNIER, Droit civil, 2/ la famille, l'enfant et le couple, PUF, 20e édition, P. 634

69 C. BONTEMS,(dir), Mariage - Mariages, op. cit., P. 599

70 H. ELEHWANY, L'explication des principes de statut personnel des égyptiens chrétiens, op. cit., P.80

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§1- La pluralité des cas de divorce, un choix bien voulu

Pour revenir sur la notion d'unité ou de pluralité. Il est vrai que le droit français est un droit unique dans le sens où il existe une seule loi ( c'est celle qui figure dans le Code civil ) qui s'applique aux époux quelle que soit leur religion71 ( c'est-à-dire qu'il n'y a pas de conflits de lois internes ).

En revanche, la notion de diversité ou de pluralité peut être vue sous un autre angle. On peut aussi examiner la diversité non pas des législations qui régissent les cas de divorce, mais, la pluralité des cas de divorce qui figurent tous dans une loi unique. Il est tout à fait possible de trouver plusieurs cas de divorce dans une seule législation qui ont pour but respecter la pluralité des pensées ( religieuses ou non ) qui se trouvent en France. On a un droit unique certes, mais un droit qui respecte la diversité des individus. En effet, la loi propose plusieurs types de divorce, elle laisse une large marge d'initiative aux époux qui ont décidé de se séparer72. Par conséquent, les époux ne seront pas gênés par l'existence d'un droit unique puisque ce dernier renferme une pluralité des cas de divorce. Les époux ( ou l'un d'eux ) peuvent donc choisir le cas de divorce qui ( lui ou ) leur convient.

La pluralité des cas de divorce qui existe en droit français n'est pas évidente. En effet, une proposition ancienne a été faite pour avoir un cas de divorce unique. La question s'est posée avant la réforme de 1975.

Avant la réforme de 1975, l'Association nationale des avocats a élaboré un projet de loi sur la question ( appelé projet CHAUMIÉ ) par lequel elle consacrait un seul cas de divorce, c'est le divorce constat d'échec73. En d'autres termes, pour Monsieur CHAUMIÉ, il n'existe qu'un seul cas de divorce c'est « l'état de désunion irrémédiable des époux » : le juge devra chercher si les époux peuvent être considérés comme définitivement désunis, sans devoir déterminer l'imputabilité de cette désunion. Ce projet rejetait l'idée d'un divorce pour consentement mutuel. Lorsqu'il s'agit d'une

71 Par opposition au droit égyptien qui contient plusieurs législations et une seule sera applicable.

72 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, Lyon 1994, P. 158

73 J. MASSIP, La réforme du divorce, Répertoire du notariat Defrénois, 1976, P. 26, s

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requête conjointe, les époux doivent énoncer les faits sur lesquels ils se fondent pour demander le divorce et le juge, à son tour, doit vérifier si la désunion des époux est bien irrémédiable. De même, la simple faute ou la responsabilité d'un époux n'est pas suffisante pour divorcer. L'échec du mariage est la seule condition dans laquelle le divorce peut être prononcé. C'est un cas objectif de divorce.

Mais ce cas unique de divorce a été contesté par la doctrine. Par exemple CARBONNIER dit : « Les faits d'adultère, d'excès, des sévices, d'injures, de condamnation, ne sont bien souvent que des symptômes, les signes de la désunion n'est elle-même que l'effet d'une cause première qui demeure cachée : la fin de l'amour conjugal, la lassitude, l'incompatibilité d'humeur. Ce qui donne l'illusion de la cause objective, c'est que les causes réelles du divorce ne sont pas apparents et s'avèrent difficiles à démêler. Il est cependant des cas où ce sont bien les manquements aux devoirs conjugaux qui sont la cause de désunion et où la rupture du mariage se pose clairement en termes de responsabilité. »74. En outre, Monsieur J. MASSIP trouve que « le concept de désunion irrémédiable est nécessairement vague et laisse, en conséquence, au juge un très large pouvoir d'appréciation, qui pourrait donner naissance à une jurisprudence très diversifiée, selon les convictions personnelles du juge. »75

De même, Monsieur MASSIP trouve que le simple divorce faillite ouvrirait trop largement les portes du divorce puisque le juge serait tenu de le prononcer sans aucune condition quant à la durée de la désunion, dès qu'il constaterait que le caractère profond de celle-ci76.

À cause de ces contestations, ces critiques et ces inconvénients relatifs à un seul cas de divorce, le législateur en 1975 a retenu la pluralité des cas de divorce.

En effet, la loi du 11/7/1975 a prévu trois cas de divorce différents, ce sont :

1- Le divorce pour consentement mutuel qui se subdivise à son tour en deux cas : - Le divorce sur demande conjointe des époux

- Le divorce demandé par l'un des époux et accepté par l `autre

74 CARBONNIER, « La question du divorce, mémoire à consulter », D.1975, chr. XX, P. 117

75 J. MASSIP, La réforme du divorce, op. cit., P. 36

76 ibid. P.37, s

2-

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Le divorce pour rupture de la vie commune

3- Le divorce pour faute77

Quant à la réforme de 2004, le législateur n'a pas voulu revenir sur le principe du pluralisme des cas de divorce. Cette réforme a maintenu le divorce pour faute, mais elle a transformé le divorce sur demande acceptée en divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage, en outre, elle a profondément modifié le divorce pour rupture de la vie commune et elle l'a transformé en divorce pour altération définitive du lien conjugal78.

§2- Un doute sur l'influence de la religion sur la désunion en droit français

Pour savoir s'il existe toujours une influence de la tradition catholique ou pas. Il faut retourner vers le mariage lui-même et la manière avec laquelle la société française conçoit l'idée du mariage.

En réalité, le mariage en droit français est jusqu'à présent considéré comme un lien indissoluble malgré la pluralité des cas de divorce qui existent en droit français. Mais l'idée est que la tradition catholique influe sur le droit français par la conclusion du mariage, et plus précisément, sur l'objectif voulu par le mariage. Il est vrai qu'en France, le mariage est toujours considéré comme un lien indissoluble.79 C'est pour cette raison que le divorce ( contrairement à la séparation de corps ) n'était admis ni par l'Église ni par le droit canon. Normalement, lors du mariage, les époux ne pensent pas qu'un jour ils souhaiteront être divorcés puisque l'idée de l'indissolubilité est toujours associée au mariage. Mais actuellement, cette influence est en baisse, surtout avec un divorce par consentement mutuel où les époux sont d'accord, non pas sur le principe de divorce, mais sur toutes les conséquences et les effets du divorce. Mais est-ce que ceci signifie qu'on favorise l'idée selon laquelle le divorce est devenu un outil non négligeable en droit français de la famille ?

77 ibid. P. 40

78 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, la famille, op. cit., P.239

79 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, la famille, op. cit., P.64

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La réponse à cette question dépend de plusieurs données philosophiques, sociologiques et idéologiques, de l'importance qu'on rattache aux valeurs individuelles ou collectives ou, plus essentiellement, de la signification que l'on donne au mariage ( contrat ou institution ).

Ici, la doctrine se divise en deux :

La première partie considère que le mariage est un lien perpétuel, et condamne le divorce au nom de la défense de l'institution familiale. À l'intérieur du même courant de pensée, existe toujours l'idée selon laquelle l'étendue du consentement conjugal change de degré et de nature selon que le mariage est un lien indissoluble ou que le divorce est un remède exceptionnel à une situation particulière qu'on peut appeler « un mal nécessaire »80

Toujours dans la même logique, des auteurs81 trouvent que la possibilité du divorce doit dépendre de l'appartenance confessionnelle des époux. Selon cette logique, le couple aurait le soin de choisir, lors de la célébration du mariage entre un mariage dissoluble ou indissoluble82. Mais il ne faut pas oublier que cette dernière idée n'est plus possible actuellement à cause de la laïcisation de l'État et des lois. L'objection tirée de la religion contre le divorce est affaiblie d'une manière très importante.

En revanche, la seconde partie de la doctrine trouve que, surtout après l'affaiblissement de la non admission du divorce pour des raisons religieuses, le divorce doit être plus libéral et plus large et il ne doit pas se limiter à un divorce constat d'échec, mais, en ouvrant la porte à de nouveaux cas de divorce pour permettre aux époux de choisir librement le cas qui leur est favorable.83

80 ibid. P.240

81 L. MAZEAUD, « Solution au problème du divorce », D. 1945, P.11

82 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op. cit. P.157, s

83 ibid. P. 160

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Mais l'idée qui demeure essentielle est, et comme le dit Monsieur le Doyen H. FULCHIRON : « Les définitions du mariage et du divorce ont d'étroites relations : celle du mariage commande celle du divorce... »84 et inversement.

Le droit français se caractérise d'avoir une pluralité des cas de divorce, mais bien définis, ce qui fait que les cas de divorce sont prévus à l'avance dans la loi. Il est vrai que les époux ne peuvent savoir quel est le cas de divorce qui sera la cause de leur divorce ( surtout qu'au moment du mariage, l'idée est qu'il est conclu comme un lien indissoluble ) mais ils savent malgré cela que si le droit français est applicable au lien quelles seront les causes de divorces possibles.

Malgré la pluralité des cas de divorce qui se trouvent actuellement en droit français, la question se pose toujours pour l'influence de la tradition catholique sur le droit français de la famille surtout pour la séparation de corps ( A ). En revanche cette pluralité a tendance à rapprocher le droit français du droit égyptien ce qui facilite la comparaison entre les deux droits ( B ).

A - La séparation de corps, une trace de la tradition catholique

Malgré la laïcité du droit français, ce dernier garde toujours des traces du catholicisme. Ceci ne peut pas être compris comme un inconvénient; au contraire, puisque la loi, même si elle est laïque, s'applique parfois à des époux qui, eux sont de religion catholique. Le droit français maintient toujours la séparation de corps.

La séparation de corps est le relâchement du lien conjugal prononcé par le juge. Sans dissoudre le mariage, elle supprime la communauté d'existence entre les époux85. La séparation de corps a pour origine le droit canonique, elle est en effet compatible avec les positions de l'Église catholique sur l'indissolubilité du mariage puisqu'elle laisse subsister le lien matrimonial. La question qui s'est posée en 1975 est de savoir s'il convient de supprimer l'institution de la séparation de corps pour ne laisser subsister que le divorce avec la pluralité de ses cas. Certains l'avaient pensé à l'époque, par exemple

84 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit., P. 240

85 H., L. et J. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, TOME I, 3e volume, la famille, Montchrestien, 7e édition par L. LEVENEUR, P. 802

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le projet CHAUMIÉ86 avait supprimé la séparation de corps. En revanche, le projet de loi du gouvernement a maintenu la séparation de corps et l'éventualité de sa suppression n'a même pas été évoquée au Parlement. L'argument essentiel que l'on peut faire valoir en faveur du maintien de la séparation de corps est que beaucoup de Français souhaitent, en raison de leurs convictions religieuses, que la séparation de corps soit conservée. J. MASSIP dit qu'il n'y a aucune raison de priver les époux de cette faculté à laquelle ils veulent recourir : « Une loi qui se veut libérale doit respecter le pluralisme de

l'opinion »87. La séparation de corps est une trace très importante du catholicisme en droit français, mais elle a légèrement perdu son appartenance religieuse par son intégration dans un droit laïc. Ceci signifie que la séparation de corps n'est pas limitée aux Catholiques, mais, même les non-catholiques peuvent choisir ce type de désunion s'ils trouvent que ce système leur est favorable.

En effet, CARBONNIER trouve que la séparation de corps « ... est offerte aux Catholiques, parce qu'elle est compatible avec leurs convictions, comme un succédané du divorce, mais purement facultatif, et d'ailleurs ouvert aussi bien aux non-catholiques ce qui rend superflue toute recherche d'appartenance » religieuse88.

Si on examine les chiffres, on trouve d'une part que les zones de plus grande fréquence se rencontrent dans l'Ouest, le Massif central, en corrélation avec la pratique religieuse89. D'autre part, on trouve qu'en 1974, 3300 séparations de corps ont été prononcées ; 2964 en 1978 ; 3920 en 1982 ; 4570 en 1986 ; 4840 en 1988 ; et 3926 en 1990. En 1996, il y a eu 9296 demandes pour séparation de corps ; et en 2000, 7808 demandes.

Comme ces chiffres le montrent, l'importance pratique de la séparation de corps ne peut pas être négligeable. Toutefois, au regard des chiffres relatifs au divorce, la séparation de corps est relativement faible et va même en diminuant : pour 100 nouvelles désunions ( soit par divorce, soit par séparation de corps ), on trouve 20 séparations de corps face à 80 désunions par divorce sur la période 1890 à 1904 ; sur la période 1962 à

86 Le projet de l'Association nationale des Avocats

87 J. MASSIP, La réforme du divorce, op. cit. P.267, s

88 CARBONNIER, Droit civil, op. cit. P. 634

89 ibid., P. 633

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1968, on trouve 12 séparations de corps face à 88 désunions pour divorce ; et actuellement, 4 séparations de corps face à 96 désunions par divorce90.

Cette grande différence qui se trouve entre la proportion entre le nombre des divorces et le nombre des séparations de corps est due à la possibilité de convertir la séparation de corps en divorce. En effet, la loi du 11/7/1975 prévoyait qu'il faut et il suffit qu'un délai de trois ans se soit écoulé depuis le prononcé de la séparation de corps pour que la conversion puisse être demandée. La conversion est de plein droit, c'est-à-dire, qu'elle est obligatoire pour le juge91. Il ne faut pas oublier que le délai de trois ans a été réduit à deux ans par la nouvelle loi de 200492.

Comme on a vu pour la séparation de corps, il existe même des cas de divorce qui ont une tendance à se rapprocher à ceux qui existent en droit égyptien et notamment, la répudiation.

B-La répudiation, une influence partielle sur les cas de divorce français

La répudiation est un moyen par lequel, un époux peut mettre fin au contrat de mariage à tout moment. La répudiation existait en droit romain et existe toujours en droit musulman93.

Il est vrai que la répudiation musulmane est très choquante en droit français actuel à cause de l'atteinte au principe d'égalité entre époux. Le droit français a tendance à se rapprocher d'une répudiation, mais, d'une manière plus égalitaire car elle est permise pour chacun des époux et non pas réservée uniquement au mari. Par conséquent, on ne peut pas dire que le divorce pour altération définitive du lien conjugal est une vraie répudiation parce qu'il ne possède pas toutes les caractéristiques et toutes les spécificités de la répudiation.

90 V. H., L. et J. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, op. cit . , P. 802 ; et P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit. P. 344

91 J. MASSIP, La réforme du divorce, op. cit., P. 276

92 C.civ. Art. 306

93 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit. P. 229

1- 56

La volonté unilatérale de mettre fin au lien conjugal

À la suite de la révolution française, les révolutionnaires ont crée un divorce pour incompatibilité d'humeur, ensuite, ce type de divorce a été supprimé par les rédacteurs du Code civil. En 2004, le divorce pour rupture de la vie commune a été transformé en divorce pour altération définitive du lien conjugal. Là aussi, le système français commence à se rapprocher un peu de la répudiation.

En effet, l'article 237 du Code civil précise que : « le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque le lien conjugal est définitivement altéré. ». L'idée donc est qu'un époux peut unilatéralement mettre fin au lien conjugal sans que l'autre époux n'ait commis une faute ni donné son accord. Ceci signifie que le divorce pour altération définitive du lien conjugal se rapproche de la répudiation dans la mesure où un seul des époux pourrait mettre fin unilatéralement au lien conjugal.

Une autre remarque : dans les cas de divorce pour faute c'est la partie innocente qui demande le divorce. Mais ici, la situation est différente parce qu'il n'y a pas de fautes commises par l'autre époux pour divorcer. Ceci signifie que la volonté joue un rôle non négligeable. De même pour la répudiation qui se base sur la volonté sans l'existence de fautes à l'égard de l'autre époux.

Mais, malgré tout cela, on peut quand même dire que ce cas de divorce ne présente pas une vraie répudiation. On pourrait donc dire que le divorce pour altération définitive du lien conjugal n'est pas une répudiation mais un cas de divorce semblable à une répudiation.

2- Le divorce pour altération définitive du lien conjugal n'est pas une vraie répudiation

En principe, l'époux qui veut répudier en droit égyptien, n'est pas lié d'aucune condition particulière, ce qui signifie, en d'autres termes, que la simple volonté de répudier suffit pour mettre fin au lien conjugal.

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En droit français, il existe une condition supplémentaire et qui est essentielle : les époux doivent être séparés pendant deux ans lors de l'assignation en divorce. On a donc ici une condition de délai qui s'ajoute à la volonté.

Même avant la réforme de 2004, le divorce pour rupture de la vie commune supposait que deux éléments essentiels doivent être réunis : le premier élément est un élément matériel qui est la séparation de fait. Cet élément s'ajoute donc à un second élément qui est l'élément intentionnel qui représente la volonté de mettre fin à la vie commune94. Dans la répudiation musulmane, le premier élément n'est pas une condition pour répudier.

En outre, la loi, avant la réforme de 2004 prévoyait un délai de six ans, ce qui signifie que la séparation est un élément essentiel pour le divorce pour rupture de la vie commune. Ce n'est pas le cas pour la répudiation ; cette dernière n'est liée d'aucun délai. En d'autres termes, le mari, en principe, peut à tout moment répudier sa femme, c'est la différence avec le divorce pour rupture de la vie commune. En effet, si on parle de « répudiation » en droit français, il faut faire très attention au terme car il s'agit d'une répudiation encadrée, tempérée, égalitaire, et, en quelque sorte, moralisée95.

Il peut nous paraître étrange que le système français aurait tendance à se s'inspirer légèrement du cas de divorce le plus contesté actuellement par la jurisprudence française à cause des atteintes aux droits fondamentaux ce qui signifie que la jurisprudence tient compte des droits fondamentaux pour évaluer les cas de divorce qui émanent d'un système juridique étranger et qu'elle doit reconnaître en France ce qui montre l'importance de l'influence des droits fondamentaux sur les cas de divorce.

94 ibid. P. 279

95 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit. P.277

58

Titre II : Une influence croissante des droits fondamentaux sur les cas de divorce

Si on trouve dans les règles de droit un lien et une influence réciproque, malgré quelques différences importantes. La jurisprudence peut mettre en évidence ces différences par le biais des droits fondamentaux. Ces différences permettent de dire que le droit égyptien pourrait contenir des dispositions qui sont inconciliables avec les droits fondamentaux respectés par la jurisprudence française. Cela ne signifie pas que le système juridique égyptien ne respecte pas ou respecte moins les droits fondamentaux. Mais, le système égyptien a une certaine conception des droits fondamentaux qui sont inscrits dans la constitution et qui sont interprétés d'une manière relativement différente à celles du droit français. Cette différence est due à l'évolution historique et juridique de chacun des deux systèmes. Cette différence explique bien pourquoi la jurisprudence française n'admet pas l'idée de la répudiation au nom des droits fondamentaux (Chapitre I ). Mais la situation n'est pas aussi pessimiste que l'on peut croire. Si on regarde à la situation dans son contexte on trouvera que la situation n'est pas très choquante et pourra même aboutir au même résultat pour le respect des droits fondamentaux ( Chapitre II ).

Chapitre I : Répudiation et droits fondamentaux

Il ne faut pas oublier que la répudiation n'est pas le seul cas de divorce qui existe en droit égyptien. Le divorce judiciaire existe aussi en droit égyptien, et plus

précisément, en droit musulman. En d'autres termes, il y a des cas où le juge intervient de façon plus efficace pour prononcer le divorce.

En effet, il existe deux types des causes de divorce :

1 - Les causes de divorce spéciales ( à comparer avec les causes de divorce générales ) constituées par certains faits précis que l'un des conjoints reproche à l'autre et qui déterminent le juge à prononcer le divorce.

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2 - Les causes de divorce générales fondées sur le préjudice « el darar » que fait subir l'un des époux à la continuation de la vie commune96.

Pour déterminer la nature du préjudice, il est presque impossible de dresser une limite exhaustive des motifs ou des causes de dissolution du mariage. Mais, parmi les causes objectives de divorce, on peut trouver par exemple : l'impuissance du mari, le non-paiement de la dot, le défaut d'entretien, l'emprisonnement ou l'absence prolongée d'un époux, l'apostasie...97.

Maintenant, on voit très bien pourquoi la répudiation est le cas de divorce en droit musulman qui est toujours à l'origine des problèmes, contrairement aux autres cas de divorce judiciaire qui sont des cas de divorce classiques et qui peuvent exister dans n'importe quel système juridique. La répudiation demeure donc le cas de divorce qui viole les droits fondamentaux énoncés dans la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales et ses protocoles. Mais il faut savoir d'abord, en quoi la répudiation pourrait-elle porter atteinte aux droits fondamentaux ( Section I ), puis la position de la jurisprudence française en droit international privé sur la reconnaissance des répudiations étrangères ( Section II ).

Section I : En quoi la répudiation porte atteinte aux droits fondamentaux ?

C'est la « répudiation prononcée par la volonté unilatérale du mari ». Avant d'entrer dans le détail, cette formule d'un point de vue français, viole les droits fondamentaux. Mais il ne suffit pas de condamner un système par la simple lecture de l'intitulé du cas du divorce. Il faut, en revanche, connaître le système de la répudiation en entier pour savoir si la répudiation porte atteinte aux droits fondamentaux ou pas. Les auteurs ont beaucoup approfondi sur la question ( paragraphe 1 ). De même, la jurisprudence française a examiné la situation à plusieurs reprises ( paragraphe 2 ).

96 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op. cit. P.46

97 ibid. P.47

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§1- Une philosophie très remarquable de la répudiation.

D'après Monsieur Hassan FERKH, « le divorce ou, plus exactement, la répudiation est l'un des sujets les plus développés dans le Coran »98. Le même auteur ajoute dans sa thèse99 qu' « en fait, le mari dispose, en droit classique, d'un droit arbitraire de prononcer la répudiation, c'est-à-dire que seul le mari [...] a la faculté de mettre fin au mariage. Le consentement de l'épouse n'est jamais requis et le juge n'a pas à intervenir » 100.

La question qui se pose automatiquement à ce stade est : pourquoi seul le mari a-t-il la possibilité de répudier, tandis que la femme n'a pas le même privilège ? La même question a été posée par Monsieur Mohamed Abdel Mon'eim HABACHI, professeur de droit musulman à la faculté de droit au Caire, et à laquelle il a répondu.

Monsieur HABACHI estime qu'il y a trois possibilités envisageables pour prononcer une répudiation unilatérale101 :

- La première possibilité selon Monsieur HABACHI est d'attribuer ce privilège à la femme. Mais, Monsieur HABACHI estime que dans cette situation, la vie conjugale sera fortement perturbée, parce que la femme a des caractères spécifiques qui lui rendent « plus sentimentale »102. Ceci signifie que la femme s'émotionne plus que l'homme et par conséquent, elle sera facilement influencée par des évènements extérieurs, ce qui augmentera le nombre de divorce. Et puisque le droit musulman considère que le plus exécrable des actes licites pour Dieu, est le divorce103, et la répudiation exercée par la femme augmentera beaucoup le nombre de divorce dans la société.

98 ibid. P. 16

99 ibid. P. 47

100 Y. LINANT DE BELLEFONDS, Traité du droit musulman comparé, T.2, Mouton, 1965, P. 315

101 M. A. HABACHI, la séparation des époux, les droits des enfants et des proches dans le « fiqh » islamique, dar el nasr, 2004, le Caire, ( en arabe ), P.15-18

102 Dans le même sens, Y. LINANT DE BELLEFONDS, op. cit., P.316

103 ibid. P. 14

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En outre, « la situation de la répudiation est une des situations difficiles, et le fait de prendre la décision de répudier a besoin d'une révision et d'une étude de ses effets de tous les côtés, et c'est l'homme qui pourra prendre une telle décision si difficile. »104.

- La deuxième possibilité, est de soumettre le pouvoir de répudier au juge. Monsieur HABACHI trouve que c'est une solution inadmissible puisque le juge « n'est pas partie au lien conjugal »105. Il ajoute que la relation entre époux, en droit musulman, est basée sur l'amour et la pitié. En outre, cette relation est entourée de plusieurs phénomènes de fidélité et de communauté. Monsieur HABACHI ensuite se pose la question : comment alors permettre au juge qui est un tiers à cette relation de répudier sans aucune cause légitime et sans faute de la part des époux ?106 Il est vrai que Monsieur HABACHI reconnaît l'intervention du juge dans le divorce judiciaire, mais il n'a pas intérêt à répudier.

- La troisième possibilité, est d'attribuer ce privilège de répudiation au mari, et c'est, selon Monsieur HABACHI, la meilleure solution. C'est d'ailleurs la solution prise par le droit musulman, à condition que le mari n'abuse pas de son droit de répudier107, ce qui signifie, en d'autres termes, que le mari ( s'il répudie ) doit répudier conformément au droit musulman qui garantie l'égalité et la justice et qui favorise la continuité du mariage si cela est possible.

Effectivement, la répudiation est déconseillée par le Coran et la sunna du Prophète. En revanche, elle est restée toujours d'un usage fréquent108. Monsieur Hassan FERKH trouve que, dans la pratique, les Arabes musulmans ont dépassé les termes de l'autorisation religieuse. Il explique : « Pour se débarrasser rapidement et définitivement de leurs épouses, des hommes ont eu alors recours à des répudiation par trois, au lieu, pour obtenir ce résultat, d'attendre les effets de trois répudiations successives »109. En outre, il est fréquent qu'un mari recourre à la répudiation de sa femme par mandat110. Il faut mentionner aussi que « la quasi-unanimité des légistes des quatre écoles du droit

104 ibid. P. 16

105 ibid.

106 ibid.

107 ibid. P. 18

108 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op. cit. P.47

109 ibid. P. 48

110 ibid., et M. A. HABACHI, op. cit., P. 59

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musulman ont admis la répudiation ajournée à l'arrivée du terme, certain ou incertain, et elle est subordonnée à l'arrivée d'une condition, que celle ci soit casuelle, dépendant du seul hasard ou potestative.»111. Mais il ne faut pas oublier que la loi égyptienne n° 25 de 1929, qui régit le statut personnel des Musulmans, a encadré ces genres de répudiation en ajoutant quelques limites112.

La présence de tous ces cas, non pas de « divorce », mais, de « répudiation », explique l'augmentation du nombre de divorce. Le problème n'est pas resté au plan interne, mais il a dépassé les frontières pour arriver à la jurisprudence française qui devait se prononcer sur la répudiation et sa reconnaissance au sein du système juridique français.

§ 2 - Une évolution hésitante

C'est à cause de l'expansion coloniale que la France a pu découvrir d'autres systèmes juridiques. C'est même avant. À la campagne d'Égypte, la France s'est ouverte à un nouveau monde dont elle a voulu découvrir. C'était le premier juillet 1798 lorsque Napoléon a débarqué à Alexandrie. Après sa victoire à la seconde bataille d'Aboukir, Napoléon était impressionné par la religion musulmane113. Ceci signifie que la France a commencé à découvrir de très prêt la culture arabe et le droit musulman, à partir de la campagne d'Égypte. C'est à ce moment là que la répudiation a commencé à apparaître face au système juridique français. En revanche, la compréhension de la répudiation musulmane n'a pas été limitée par la campagne d'Égypte. Les pays du Maghreb ont joué un rôle très important pour transmettre l'idée de la répudiation musulmane au système français.

Mais la question qui se pose une fois que le système français a saisi ce nouveau cas de divorce ; quelle est la position de la jurisprudence française face à la répudiation ? La réponse à cette question n'est pas facile, la position de la jurisprudence française est

111 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op.

cit. P.48 ; Voir aussi, Y. LINANT DE BELLEFONDS, Traité du droit musulman comparé, op. cit., P.384

112 Loi n° 25 de 1929, art. 1 - 4

113 V. http://www.insecula.com/article/F0009818.html

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extrêmement fluctuante. Pendant vingt ans, la première Chambre civile de la Cour de cassation française a opéré cinq revirements114.

Au départ, la Cour de cassation française accueillait les répudiations prononcées à l'étranger lorsque l'épouse a pu faire valoir des droits et que l'instance lui avait permis de présenter ses prétentions et moyens de défense115. En outre, à partir de 1983, la Cour de cassation française s'est montrée extrêmement bienveillante à l'égard des répudiations en invoquant l'effet atténué de l'Ordre public116. Ensuite, la Cour de cassation a commencé à contrôler la répudiation et s'assurer de l'absence de fraude. Un arrêt du 6 juin 1990 a précisé que si les répudiations prononcées à l'étranger produisent effet en France, ce n'est qu'à la condition quelles n'avaient pas été obtenues par fraude117.

Mais, cette position de la Cour de cassation de reconnaître la répudiation n'a pas duré longtemps. À partir de 1994, la première Chambre civile de la Cour de cassation a commencé à rappeler l'article cinq du protocole n°7 Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, signé le 22 novembre 1984 et entré en vigueur le premier novembre 1988. La Cour de cassation a affirmé son hostilité au fait de laisser produire effet en France de la répudiation118. Mais, une décision du 5 janvier 1999 a effectué un retour en arrière. La première Chambre civile de la Cour de cassation a énoncé dans cet arrêt que les répudiations peuvent produire effet sur le territoire français dès lors que la partie défenderesse a été légalement citée ou représentée.

Au début de ce millénaire, la première Chambre civile de la Cour de cassation n'a pas toujours fait référence au protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales. Le 3/7/ 2001, dans un arrêt relatif à l'exequatur d'un jugement de répudiation algérienne, la cour a décidé que

114 P. HILT, Le couple et la convention européenne des droits de l'Homme, Presses universitaires d'AIX MARSEILLE, éd. 2004, P. 246.

115 Cass. 1ère Civ. 18 décembre 1979, Dahar I : Rev. Crit. DIP 1981, P.597.

116 Cass. 1ère Civ. 3 novembre 1983, Rhobi : Rev. Crit. DIP 1984, P.325, note I. FADLALLAH.

117 D. 1990, somm., P. 263

118 Cass. 1ère Civ. 1/6/1994, D. 1995, P. 263, note MASSIP ; Cass. 1ère Civ., 31/1/1995, Bull. civ., I, n°58, P.42 ; Cass. 1ère Civ. 19/12/1995, JCP G 1996, IV, P.356 ; Cass. 1ère Civ. 11/3/1997, D., 1997, jurisp., P.400.

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« la conception française de l'ordre public international ne s'oppose pas à la reconnaissance en France d'un divorce étranger par répudiation unilatérale par le mari dès lors que le choix du tribunal par celui-ci n'avait pas été frauduleux, que la répudiation avait ouvert une procédure à la faveur de laquelle chaque partie avait fait valoir ses prétentions et ses défenses ... »

Puis elle ajoute « .. le jugement algérien, passé en force de chose jugée et susceptible d'exécution, avait garanti des avantages financiers à l'épouse en condamnant le mari à lui payer des dommages-intérêts pour divorce abusif, une pension de retraite légale et une pension alimentaire d'abandon... »119. En d'autres termes, la Cour de cassation a affirmé d'une façon très claire que la conception d'ordre public international ne fait pas obstacle à la reconnaissance en France d'une répudiation unilatérale prononcée par un juge étranger dès lors que le choix du tribunal n'a pas été frauduleux, que les droits de la défense avaient été respectés et que l'épouse avait bénéficié de compensations pécuniaires. On voit bien que la Cour de cassation n'a pas fondé sa décision sur la Convention européenne des droits de l'Homme, mais elle a utilisé les critères traditionnels pour reconnaître la répudiation, notamment le respect des droits de la défense et le procès équitable120.

Dans un arrêt du 12 mars 2002, la Cour de cassation « confirme le retrait du droit européen des droits de l'Homme, mais elle considère que l'acquisition de la nationalité française par le mari constitue un lien étroit avec la France devant conduire à l'éviction de la loi étrangère »121. La question qui se pose donc est : est-ce que la Cour de cassation a tendance à utiliser l'ordre public de proximité comme un moyen supplémentaire pour ne pas admettre la répudiation musulmane ? En revanche, Monsieur FARGE dit que « la décision ne, toutefois, pas être comprise comme la consécration d'une nouvelle politique jurisprudentielle fondée sur l'ordre public de proximité qui permettrait d'encadrer, sans le rejeter par principe, la répudiation islamique »122, mais ce qui paraît très clair dans cet arrêt est que la première Chambre civile de la Cour de

119 Cass. 1ère Civ., 3/7/2001, Juris-Data n° 2001-010453

120 M.-C. MEYZEAUD-GARAUD, RJPF, 2001, N° 11, P.16

121 M. FARGE, « La répudiation musulmane : le glas de l'ordre public fondé sur le principe d'égalité des

sexes », Dr. famille, 2002, n° 7 - 8, P. 13

122 ibid.

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cassation s'est fondée sur l'ordre public français en matière internationale avec les exigences minimales d'ordre public procédural et d'ordre public alimentaire.

Cette position prise par la Cour de cassation a été beaucoup critiquée par plusieurs auteurs123. Ils considèrent que la répudiation devrait être rejetée comme étant contraire au principe d'égalité entre époux. Ce principe est garanti par la Convention européenne des droits de l'Homme et ses protocoles.

À la suite de ces critiques, la Cour de cassation a changé de position dans une série d'arrêts en 2004, en refusant de reconnaître la répudiation musulmane à cause de sa contradiction au principe d'égalité énoncé à l'article 5 du protocole n° 7 du 22/11/1984 additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme. Cette nouvelle position a ouvert le débat sur la question du principe reconnu par la Convention européenne des droits de l'Homme et la contrariété de la répudiation à ce principe.

Section II : Le rejet de la répudiation pour sa contrariété au principe d'égalité

Si avant 2004, une répudiation pourrait facilement être reconnue en France grâce à l'effet atténué de l'ordre public. À partir de 2004, la Cour de cassation a changé son fondement pour intégrer la Convention européenne des droits de l'Homme et ses protocoles, et par conséquent, la répudiation sera contraire au principe d'égalité entre époux. Ceci a mené à la non-reconnaissance de la répudiation en France. Deux questions se posent donc à ce stade : la position de la Cour de cassation est-elle la meilleure ? (§1), et quels sont les risques possibles et les dangers si la Cour de cassation poursuit l'utilisation de cette démarche ? ( §2 ).

§1- Le respect des droits fondamentaux et de la CEDH.

À partir des arrêts de 2004, la première Chambre civile de la Cour de cassation française se réfère au principe d'égalité, pas seulement comme un principe faisant partie

123 ibid. ; M.-C. MEYZEAUD-GARAUD, op. cit.

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de l'ordre public français en matière internationale, mais comme un droit fondamental à portée universelle garanti par la Convention européenne des droits de l'Homme.

Effectivement, la Convention européenne des droits de l'Homme est une convention internationale, et le fait que le juge français se réfère à un texte international est différent d'une simple référence à l'ordre public français en matière internationale qui a un caractère nationaliste. Le principe d'égalité homme / femme n'est pas seulement un principe français, mais, c'est un principe qui a une vision internationale qui paraît même plus forte, puisqu'il est respecté par plusieurs États, ce qui donne l'impression que les principes et les droits reconnus par la Convention européenne des droits de l'Homme auraient une nature universelle. En effet, cette idée peut être admise dans la mesure où les principes reconnus par la Convention européenne des droits de l'Homme figurent dans d'autres textes internationaux ( qui regroupent un plus grand nombre d'États ) qui, eux, ont une valeur universelle comme la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. En outre, on peut très bien dire que si l'Égypte n'a pas signé la Convention européenne des droits de l'Homme, puisqu'elle n'est pas membre du Conseil de l'Europe, mais, en revanche, l'Égypte est un membre de l'ONU. Mais la question qui se pose donc est : est-ce que la force obligatoire de la Convention européenne des droits de l'Homme en France est équivalente à celle de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en Égypte ? En d'autres termes, peut-on invoquer la Déclaration universelle des droits de l'Homme devant le juge national comme on fait pour la Convention européenne des droits de l'Homme ?

On a donc un problème relatif au caractère contraignant et impératif du texte international. Par conséquent, on pourrait même dire que les droits fondamentaux reconnus dans les textes internationaux n'ont pas tous, la même valeur juridique.

En revanche, on peut regarder au problème d'un autre angle autre que celui du caractère des textes. On peut dire que les droits fondamentaux sont des droits relatifs à l'Homme en tant qu'être humain quel que soit son sexe, sa nationalité, sa race ou sa religion. On a donc d'après ce point de vue, un ensemble de droits relatifs à l'Homme qui s'appliquent à tout le monde sans aucune discrimination. C'est pour cela que le juge français refuse d'admettre la répudiation au profit du principe d'égalité qui concerne tout

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les individus quel que soit son sexe ou sa nationalité. En outre, si on approfondit dans cette réflexion, on peut même dire que ces droits forment un patrimoine commun pour tous les États qu'ils doivent respecter, d'où vient le caractère universel. Mais cette idée est tout à fait abstraite. Pourrait-on nier les différentes lectures des droits fondamentaux qui existent dans chaque système juridique ? Et même si on admet le caractère universel des droits fondamentaux, pourquoi la Cour de cassation conserve l'ordre public de proximité lorsqu'elle raisonne en fonction d'un principe universel ?!! En effet, la Cour de cassation dans l'arrêt du 17 février 2004 n° 01-11.549 affirme que : « ...dès lors que, comme en l'espèce les époux étaient domiciliés sur le territoire français... »124. Dans un autre arrêt de la même date, la Cour de cassation a dit : « ...sinon même les deux époux étaient domiciliés sur le territoire français ...»125. Le Doyen H. FULCHIRON trouve que « raisonner en termes de proximité pourrait laisser penser que la répudiation n'est pas contraire à l'ordre public pourvu que des français ou des étrangers résidant en France ne soient pas en cause, ce qui serait pour le moins étrange compte tenu du fondement général et apparemment absolu de la condamnation. »126. En outre, et comme le dit Monsieur J. SAGOT-DUVAUROUX, l'utilisation du principe de proximité peut entraîner une incertitude. En effet, il dit que : « L'intrusion de ce principe dans le droit de la compétence indirecte est d'ailleurs assez paradoxale puisqu'elle avait initialement pour finalité de faciliter la circulation des jugements étrangers sur lesquels les parties avaient pu fonder leurs prévisions. Pourtant l'incertitude s'est déplacée au niveau de l'appréciation du degré de proximité au litige avec le juge étranger ou même le juge français. »127.

Ainsi, on voit bien que la nouvelle position de la Cour de cassation française n'apporte pas la solution la plus pertinente au problème de reconnaissance de la répudiation musulmane au sein du système juridique français, cette solution peut être à l'origine de plusieurs problèmes.

§ 2 - Les risques et les dangers de cette démarche

124 Juris-Data n° 2004-022373

125 Juris-Data n° 2004-022374

126 H. FULCHIRON, JCP, G, n°36, 1e /9/2004, P.1486

127 J. SAGOT-DUVAUROUX, « La régularité internationale d'un divorce musulman », D. 2006, n°16

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Il est clair que le fait de se référer aux droits fondamentaux n'est pas une solution parfaite. Il est vrai que le fait de se référer à un droit qui a une vocation universelle libère le juge du nationalisme juridique pour reconnaître les jugements étrangers, mais, il ne faut pas oublier que l'utilisation des droits fondamentaux avec leur force et leur dynamisme peut éventuellement aboutir à des résultats qui n'ont pas été voulus dès le départ. Effectivement, l'objectif voulu est d'avoir une coordination entre les systèmes juridiques.

Le fait de raisonner en fonction de droits fondamentaux ne permet pas d'avoir une conciliation entre les différents systèmes juridiques. Il faut aussi examiner la situation en l'espèce pour vérifier la contrariété du droit étranger aux droits fondamentaux sur la question posée. Si la jurisprudence française continue à suivre le raisonnement selon lequel elle considère que la répudiation est contraire au principe d'égalité hommes / femmes, aucune répudiation musulmane sera reconnue. Il faut donc se référer au système juridique étranger et voir comment il conçoit le principe d'égalité et voir aussi comment le principe d'égalité entre époux est compris dans ce système.

En effet, la solution du problème n'est pas d'imposer une lecture spécifique des droits fondamentaux ou de prévaloir une lecture sur une autre. Mais, l'idée est d'essayer de respecter le contenu des droits fondamentaux en fonction des faits de l'espèce en tenant compte de la spécificité du système juridique auquel les parties appartiennent pour aboutir à un respect raisonnable du principe d'égalité.

Donc, effectivement, la démarche de la Cour de cassation française de 2004 pourrait causer des problèmes pour les parties elles mêmes ( A ), mais aussi, cette démarche condamnera la répudiation sur un fondement abstrait ( B ).

A- Une démarche qui n'est pas très équitable

En effet, une application rigide et absolue du principe d'égalité peut aboutir à des résultats inopportuns et parfois injustes ! Le fait de rejeter une institution sans se référer

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aux faits de l'espèce peut créer une mal entente entre le système français et égyptien. Le Doyen Hugues FULCHIRON critique cette démarche qui a été suivie par la Cour de cassation en 2004 et il dit : ... la Cour de cassation prononce une condamnation que l'on persistera à juger inopportune128. Mais la question qui se pose à ce stade est : d'où vient l'inopportunité ? Ou en d'autres termes, pourquoi cette démarche pourrait-elle aboutir à des résultats inopportuns ?

En réalité, il existe plusieurs raisons pour lesquelles cette démarche pourrait être inéquitable :

1- On commence d'abord par l'examen de la situation des parties. Le rejet de la répudiation musulmane bénéficie-t-il aux parties ? La question peut se poser autrement, le rejet de la répudiation peut-il avoir des conséquences qui ne sont pas voulues par les parties ?

Évidemment, il s'agit ici de la continuité de l'état des personnes. La non-reconnaissance en France de la répudiation algérienne, marocaine ou égyptienne, aura pour conséquence la continuité du lien conjugal alors que dans le pays émetteur de l'acte de répudiation, les époux ne sont plus mariés. Or, le principe de continuité des situations juridiques tend à assurer la permanence du statut des individus et la sécurité juridique dans les relations internationales129.

Sans doute, le rejet de la répudiation engendre une discontinuité radicale dans l'état des personnes130. Le Doyen H. FULCHIRON trouve que les époux divorcés par répudiation dans leur pays ( en Égypte par exemple ) seront considérés comme étant mariés en France131.

La question se pose aussi pour le remariage. La France ne reconnaîtra pas un mariage polygamique célébré sur son territoire ( puisqu'elle trouve que le premier mariage est toujours valable ). On va se trouver donc face à un cercle vicieux de non-

128 H. FULCHIRON, JCP, G, n°36, op. cit. P. 1481

129 M.- L. NIBOYET, « Regard français sur la reconnaissance en France des répudiations musulmanes », R.I.D.C. 1-2006, P.27, s

130 H. FULCHIRON, JCP, G, n°36, op. cit. P. 1481

131 ibid.

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reconnaissance qui pourrait même aboutir à un conflit de civilisations132. Il est certainement vrai que les parties souhaitent avoir une continuité de leur statut. Normalement, le principe de continuité des situations juridiques tend à assurer la permanence du statut des individus et la sécurité juridique dans les relations internationales. En ce qui concerne la continuité du statut, il s'agit ici, et comme l'indique Madame Marie-Laure NIBOYET qui parle d'un respect des situations qui ont été acquises à l'étranger et qui ont produit leurs effets alors qu'elles ne présentaient aucun point de contact avec l'ordre juridique du for. Madame NIBOYET nous donne un exemple sur l'Algérie en disant que : la situation est comparable à celle dans laquelle la répudiation a été prononcée en Algérie, et la demande de reconnaissance est formée en France alors que le mari est venu ensuite résider en France tandis que l'épouse répudiée est resetée au pays. Dans ce cas, la répudiation et ses premiers effets se sont réalisés à l'étranger et l'on ne va pas bouleverser cette situation acquise133.

Certes, le bouleversement de la situation juridique de ces époux peut exister si on raisonne d'une manière dogmatique. Il est vrai que la répudiation en soi est considérée comme une institution inégalitaire selon la conception occidentale des droits fondamentaux, mais elle ne sera inégalitaire que si on l'isole de toute circonstance pratique. Le raisonnement strict en droits fondamentaux pourra même aboutir à des conséquences inopportunes. Le Doyen, Monsieur Hugues FULCHIRON constate aussi cette difficulté en disant que : « pour les particuliers, le rejet des normes étrangères « inégalitaires » entraîne une discontinuité radicale dans l'état des personnes : divorcés ( par répudiation ) dans leurs pays, les intéressés seront considérés comme toujours mariés en France. »134. Cette situation est très gênante, surtout pour les particuliers qui sont de nationalité égyptienne et résident en France. On pourrait même avoir des conséquences inattendues : la femme peut dans un État demander des dommages et intérêts pour répudiation abusive et en même temps, elle peut demander, dans un autre État, une contribution aux charges de mariage.

132 ibid.

133 M.-L. NIBOYET, « Regard français sur la reconnaissance en France des répudiations musulmanes », op. cit, P.43

134 H. FULCHIRON, « Ne répudiez point... », R.I.D.C. 1-2006, P. 7

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Ceci montre bien comment un système juridique pourrait, au nom des droits fondamentaux, conduire à des confusions extrêmes dans le statut des personnes dues au cloisonnement des systèmes juridiques. Mais, il ne faut pas oublier que les premiers perdants sont les parties qui subissent une discontinuité de leur statut. Mademoiselle Léna GANNAGÉ trouve que les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales sont loin d'être partagées par tous. Elle propose donc de limiter leur application dans l'ordre international de manière à ne pas compromettre la continuité du régime des situations juridiques135.

2- On peut imaginer en Égypte que, dans plusieurs cas, la femme soit d'accord avec le mari pour répudier. Il faut même dire que parfois, au lieu que l'épouse saisisse le juge pour divorcer, une procédure qui va durer longtemps, elle demande à son mari de la répudier. Il est donc difficile dans ces cas de dire qu'il y a une atteinte au principe d'égalité entre époux. Il faut donc se référer à la situation de la femme et voir si sa situation est inégalitaire ou non. En commentant un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 10 janvier 2005, M. J. SAGOT-BUVAUROUX dit ( à propos d'un mariage égyptien suivi d'un divorce au Liban ) que : « Le divorce prononcé au Liban l'était par consentement mutuel. Il ne s'agissait donc pas d'un Talak, véritable répudiation unilatérale qui heurte nos conceptions fondamentales et la Convention européenne des droits de l'Homme »136. Ici, la Cour d'appel a examiné la situation particulière de la femme. Si elle consent à la répudiation unilatérale du mari, il n'y a aucune atteinte au principe d'égalité.

Il y a des cas où la femme ne s'oppose pas à la répudiation, mais, en plus, c'est elle qui invoque l'acte de répudiation devant les juridictions françaises pour pouvoir se remarier en France. Est-ce que dans ce cas, la répudiation sera rejetée au nom du respect des droits fondamentaux alors qu'en même temps on met en cause le droit à cette femme de se remarier ? On peut quand même reconnaître que l'épouse n'est pas toujours d'accord sur la répudiation avec toutes ses conséquences. Il se peut que la femme accepte la répudiation, mais en revanche, elle conteste les conséquences pécuniaires.

135 L. GANNAGÉ, « Regard du Proche-Orient sur les répudiations », R.I.D.C. 1-2006, P.73, s.

136 J. SAGOT-DUVAUROUX, « La régularité internationale d'un divorce musulman », op. cit.

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Dans cette situation, il est clair que la femme ne conteste que le montant de l'indemnité, et c'est souvent le cas en Égypte. Dans certains cas, les époux sont d'accord sur le principe de répudiation, mais, ils ne sont pas d'accord sur les conséquences de cette répudiation. Cette situation est comparable au divorce accepté en droit français avant et après la réforme de 2004. L'article 233 du Code civil après la réforme dispose que : « Le divorce peut être demandé par l'un ou l'autre des époux ou par les deux lorsqu'ils acceptent le principe de la rupture du mariage... ». L'objectif du législateur français était, selon le Doyen FULCHIRON et Monsieur MALAURIE, de créer un divorce pour les époux qui, d'accord sur le principe du divorce, ne voulaient ou ne pouvaient s'entendre sur le règlement de ses conséquences137. On peut avoir une situation pareille en droit égyptien : les époux sont d'accord sur le principe de la répudiation, mais, ils ne sont pas d'accord sur les conséquences. Dans ce cas, la femme, résidente en France, saisit le juge français pour contester le montant des indemnités et des autres conséquences pécuniaires nées de la répudiation. Est-ce qu'on peut imaginer que le juge français refuse de reconnaître la répudiation pour sa contrariété au principe d'égalité, dans ce cas, la femme sera obligée de recommencer la procédure du divorce en France et selon le droit français pour obtenir les indemnités voulues ? En effet, Madame NIBOYET répond en disant : « Si c'est dans son intérêt, la femme doit toujours pouvoir obtenir la reconnaissance de la répudiation. »138.

On peut évoquer aussi la situation où la femme renonce au principe d'égalité entre époux. Elle ne demande pas au mari de lui répudier, mais elle renonce au principe d'égalité sous la forme d'un acquiescement à la répudiation. On peut aussi imaginer l'existence d'une répudiation « convenue » c'est-à-dire, que les époux se sont mis d'accord, pas seulement sur le principe de mettre fin au lien conjugal, mais aussi, sur toutes les conséquences qui concernent le divorce.

On peut comparer ce type de répudiation au divorce pour consentement mutuel puisque, dans les deux situations, et comme l'indique l'article 230 du Code civil français : « Les époux s'entendent sur la rupture du mariage et ses effets. ». Là aussi, on ne peut pas imaginer que la répudiation sera inégalitaire. La répudiation, dans ce cas,

137 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit. P. 273

138 M.-L. NIBOYET, op. cit.

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n'est qu'un moyen pour simplifier la procédure au lieu de passer des mois, voire des années devant le juge pour aboutir au même résultat.

Il faut donc examiner la situation des époux en l'espèce et juger au cas par cas le caractère inégalitaire139 de l'institution et prendre en compte certains éléments essentiels comme l'acquiescement ou l'accord de la femme, ou si c'est la femme qui demande la reconnaissance de la répudiation au juge français.

En revanche, l'examen de la situation des parties n'est pas suffisant pour suivre une démarche pragmatique. Mais, il faut, en plus, examiner le système juridique qui a intégré la répudiation d'une manière globale. Ainsi, on va bien comprendre quelle est la lecture du principe d'égalité dans le système juridique étranger. Il est de même vrai que le raisonnement selon les droits fondamentaux en tant que droits universels aboutira à des solutions très théoriques sans tenir compte de la spécificité du système juridique concerné, c'est donc une démarche abstraite.

B - Une démarche abstraite

C'est une démarche qui consiste à rejeter la répudiation en tant qu'une institution « inégalitaire » sans se référer au système juridique qui l'a intégré pour voir s'il a attribué à la femme des moyens équivalents à la répudiation pour rendre la situation plus égalitaire. On a ici l'exemple de la jurisprudence tunisienne qui rejette la répudiation égyptienne pour sa contrariété à l'ordre public international de la Tunisie sans examiner l'intégralité du contexte du droit égyptien en matière de divorce et sans examiner non plus l'acquiescement de la femme à cette répudiation. En ce qui concerne la jurisprudence française, le fait de raisonner en fonction des droits fondamentaux pourrait conduire à des solutions de même nature. Dire que la répudiation est contraire au principe d'égalité ( quelles que soient les garanties apportées par le droit étranger pour équilibrer la situation et les compensations attribuées à la femme en cas de répudiation abusive ) peut paraître assez inopportun. M.-L. NIBOYET nous donne une solution assez cohérente. Elle propose de procéder à une véritable appréciation in concreto des circonstances de la répudiation, en plus, et ce qui est plus important pour accomplir les

139 selon la conception du juge français

74

missions du droit international privé, obliger les juges français à contrôler les systèmes juridiques étrangers dans sa totalité140.

* Mais, quel est le contenu de cette appréciation in concreto de la répudiation ?

En effet, L. GANNAGÉ nous apporte la réponse en disant qu'il s'agit de la question de l'applicabilité des droits de l'Homme dans les relations avec les systèmes juridiques qui relèvent de traditions différentes qui se trouve posée. Et plus clairement, elle précise que « c'est donc l'opposition des droits fondamentaux au respect des identités culturelles qui est au coeur de la controverse. »141. Il est vrai que Mademoiselle GANNAGÉ se réfère aussi à une très grande spécialité du droit égyptien qui est « le pluralisme des statuts personnels » par lequel chaque communauté religieuse a la possibilité de faire application de son propre droit de la famille142. C'est un point qui doit être, selon L. GANNAGÉ, pris en compte pour comprendre le système juridique étranger, et plus précisément, le système juridique égyptien. Pour la répudiation, il s'agit de comprendre la tradition différente et la lecture spécifique des droits fondamentaux. Par exemple, l'article 2 de la Constitution égyptienne dispose que « L'islam est la religion de l'État... », et que « ...les principes de la loi islamique constituent la source principale de la législation. »143. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner que la Haute Cour égyptienne a affirmé le 14 août 1994 qu' « interdire à un homme d'avoir plusieurs épouses serait contraire à « un principe absolu » de la loi islamique ». On pourrait donc avoir une position pareille en ce qui concerne la répudiation. L'idée principale, selon le même auteur, est de combattre l'absolutisme des droits de l'Homme dans les relations internationales pour ne pas entraver la coordination harmonieuse des ordres

juridiques144.

Là une question très importante s'impose qui est : comment la jurisprudence française se fonde-t-elle sur la Convention européenne des droits de l'Homme pour rejeter la répudiation et elle ne suit pas le même raisonnement suivi par la Cour européenne des droits de l'Homme qui se caractérise par l'examen des cas de l'espèce et par la vérification au cas par cas du respect des droits fondamentaux ?

140 ibid.

141 L. GANNAGÉ, « Regard du Proche-Orient sur les répudiations », op. cit.

142 ibid.

143 ibid.

144 ibid

75

Si on considère que la Convention européenne des droits de l'Homme contient des principes fondamentaux, il faut aussi suivre la méthode in concreto suivie par la Cour européenne des droits de l'Homme pour arriver à des solutions équitables. La question se pose aussi non pas pour le texte de la Convention européenne des droits de l'Homme, mais aussi pour le respect de la méthode suivie par la Cour européenne des droits de l'Homme. En outre, L. GANNAGÉ trouve que les dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme sont loin d'être partagées par tous. Elle ajoute que le premier Président de la Cour de cassation a dénoncé la conception universaliste des droits fondamentaux en faisant observer « qu'imposer à l'encontre de jugements venus d'ailleurs des valeurs perçues comme impératives, suppose, en effet, qu'elles aient une égale vocation à s'appliquer dans toutes les traditions juridiques. La légitimité d'une position assez absolutiste est discutable. Elle revient à postuler l'universalité des droits de l'Homme, à s'opposer au relativisme culturel, à refuser toute concession à la diversité. Les droits de l'Homme affirmés par la Convention européenne des droits de l'Homme ne sont que l'expression d'une certaine culture régionale et n'ont pas de vocation à faire systématiquement obstacle à toute reconnaissance de situations acquises sous l'empire d'une loi ou par le truchement d'un jugement provenant d'une culture profondément différente. »145

Il faut donc tenir compte de la spécificité du système juridique étranger en général et comprendre son idée du respect du principe d'égalité. Mais, en revanche, il ne faut pas être très optimiste. L'utilisation de l'appréciation in concreto ne peut sauver la reconnaissance de la répudiation que si les circonstances de l'espèce faisaient apparaître que la femme avait consenti à la répudiation. Selon Madame NIBOYET, seul le consentement de la femme pourrait compenser l'inégalité originale de la répudiation146. Il ne faut pas non plus oublier que la démarche pragmatique essaye de concilier d'une manière effective entre deux objectifs : Le premier est le respect du principe d'égalité, mais le second est essayer de reconnaître la répudiation lorsque la situation des parties montre qu'il n'y a aucune atteinte aux droits fondamentaux. De même, il faut tenir compte des conventions bilatérales comme la convention franco-algérienne et la

145 ibid. P. 111

146 M.-L. NIBOYET, R.I.D.C., op. cit.

76

convention franco-marocaine et l'utiliser comme un outil de conciliation et d'harmonisation entre les systèmes juridiques et non pas un outil de rejet.

D'une manière générale, la solution est, d'une part s'ouvrir sur les systèmes juridiques étrangers pour savoir comment ils fonctionnent, et d'autre part, d'approfondir dans le droit étranger pour comprendre le contexte d'une telle ou telle institution. Sans doute, cette démarche incitera les États de tradition musulmane à réformer leur droit pour aboutir à une harmonisation voire une cohérence entre les systèmes juridiques occidentaux et les systèmes juridiques des États qui ont une tradition musulmane.

Chapitre II : Un contexte spécifique des droits fondamentaux

Une question préliminaire doit être posée : le système juridique égyptien respecte-t- il le principe d'égalité hommes / femmes ?

L'essentiel n'est pas de répondre à cette question par oui ou par non. En revanche, l'essentiel est de savoir si le système juridique égyptien tend à respecter le principe d'égalité ou il ne le reconnaît pas. Effectivement, la constitution égyptienne dans son article 11 prévoit que : « L'État assure à la femme les moyens de concilier ses devoirs envers la famille avec son travail dans la société, son égalité dans les domaines politiques, sociaux, culturels, et économiques, sans préjudice des dispositions de la loi islamique ». On peut déduire de la présence de cet article de la Constitution égyptienne que le principe d'égalité n'est pas oublié, mais ensuite, tout dépend de l'interprétation des « dispositions de la loi islamique » qui encadrent le principe d'égalité. Ceci signifie donc, que le principe d'égalité en droit égyptien est un principe encadré. Ce n'est pas un principe absolu.

Outre l'interprétation du contenu du principe d'égalité, la question se pose pour l'application de ce principe dans la législation musulmane en droit de la famille égyptien. En d'autres termes, comment le système juridique égyptien intègre-t-il le principe d'égalité dans la loi du statut personnel ?

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Le juge français, pour comprendre le contexte du système juridique égyptien, doit d'abord avoir une idée sur les traditions sociales et la définition du principe d'égalité dans le système juridique ( Section I ), mais aussi, il doit examiner le contenu de la loi égyptienne pour voir comment le droit égyptien respecte le principe d'égalité en attribuant à la femme quelques privilèges qui neutraliseront le caractère inégalitaire de la répudiation ( Section II ).

Section I : Une lecture originale du principe d'égalité

Certes, le système juridique égyptien, voire la société égyptienne ( en la comparant avec la lecture française d'égalité ) a une conception spécifique du principe d'égalité. En droit français, le contenu ou l'interprétation du principe d'égalité n'est pas le même que l'interprétation égyptienne. Le principe d'égalité, n'a pas le même dynamisme en droit français qu'en droit égyptien. Il ne faut pas oublier que le principe d'égalité est encadré par la religion. C'est la constitution égyptienne qui le montre dans son article 11. Le principe d'égalité hommes / femmes est respecté, sans préjudice des dispositions de la loi islamique. Il y a donc deux remarques importantes à développer à cet égard :

1- Le principe d'égalité hommes / femmes émane de la religion ou en d'autres termes, c'est la religion qui le définit, ce qui signifie que la lecture spécifique du principe d'égalité en droit égyptien se trouve dans la religion. Il ne faut pas nier que l'Islam ait amélioré la situation de la femme. L'Islam a rendu les conditions de la femme meilleures qu'elles ne l'étaient avant lui. De même, le droit musulman contient des règles selon lesquelles les femmes ont autant de droits que de devoirs envers leurs maris147.

2- Certes, selon l'article 2 de la constitution, l'Égypte est un État musulman, mais l'Islam reconnaît et respecte la religion chrétienne. Cela signifie que le principe d'égalité en droit égyptien tient compte aussi de l'égalité selon la religion chrétienne. En France, la tradition catholique était différente du contexte actuel de l'égalité en droit français laïc. Saint Paul dit aux hommes : « Vous, les hommes, aimez votre femme à l'exemple du

147 M. AGI (dir.), Islam & droits de l'Homme, Librairie des libertés, 1984, P. 36

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Christ : il a aimé l'Église, il s'est livré pour elle »148, « C'est comme cela que le mari doit aimer sa femme : comme son corps »149, « Et vous les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec elles »150 et aux femmes, il dit : « Vous les femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c'est ce qui convient »151. On voit bien ici que l'idée d'égalité entre époux n'est pas une identité de droits et de devoirs, mais, il s'agit d'une égalité en termes de spécificité et de complémentarité.

La question se pose donc ici sur les conséquences pratiques de cette appréciation de l'égalité. En droit musulman, il s'agit de créer un équilibre entre la répudiation et d'autres moyens permettant à la femme de divorcer, voire même de répudier.

Il faut donc, pour comprendre le contexte spécifique de l'égalité en droit égyptien, examiner l'idée de spécificité complémentarité ( § 1 ), puis l'idée de la puissance maritale ( § 2 ).

§1 - La spécificité complémentarité des statuts de chaque époux

Monsieur Ihsan Hamid AL-MAFREGY explique cette « spécificité, complémentarité » d'une manière très originale. Il dit au départ que le problème d'égalité entre l'homme et la femme se pose en Islam sur le plan du droit et du devoir de chacun des deux sexes. Il est tranché non en fonction d'un droit et d'un devoir abstraits, mais en fonction de la vocation et de la nature de l'homme et de la femme. Car tout droit, pour être légitime doit trouver son fondement dans la nature humaine elle-même152. Son idée est que l'égalité hommes / femmes ne peut pas être absolue vu la différence entre les deux sexes. Selon AL-MAFREGY, « L'islam considère que l'idée de droit a essentiellement pour but de sauvegarder intacts les intérêts naturels de l'homme et de la femme. Toute loi, donnant droit de faire ou avoir une chose, qui ne se révèle pas conforme aux exigences de l'état de nature est une loi injuste. »153. Puis, il

148 Éphésiens 5, 25

149 Éphésiens 5, 28

150 Colossiens 3, 19

151 Colossiens 3, 18

152 M. AGI (dir.), Islam & droits de l'Homme, Librairie des libertés, op. cit., P. 38

153 ibid.

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ajoute que l'Islam distingue deux sortes de droits : celui de l'homme et celui de la femme, et que c'est une distinction qui se justifie dans le Coran du fait que la femme n'est pas, quant à sa structure physique et psychophysiologique, identique à l'homme. Monsieur AL-MAFREGY ne s'arrête pas à expliquer cette version de l'égalité d'une manière théorique, en revanche, il explique d'une manière pratique son point de vue en disant que « D'un côté, c'est l'homme qui se charge normalement des travaux hors du domicile. La nature de l'être humain veut que la femme soit désignée, au premier chef, pour s'occuper de l'éducation des enfants et de la direction du foyer. D'un autre côté, ce sont les caractères biologiques qui sont fort différents chez les deux sexes. Ces différences ont des influences non négligeables sur la formation de la personnalité et l'état psychologique de chacun. C'est-à-dire que l'homme et la femme sont deux êtres complémentaires, ayant chacun une fonction qui leur est spécifique. »154. Le droit musulman se fonde donc sur ces éléments pour accorder à l'homme des droits différents de ceux qui sont accordés à la femme. D'où, l'idée d'égalité en termes d'identité de droits et de devoirs, consacrée actuellement par le droit français, est étrangère au système juridique égyptien. On pourrait donc imaginer que la différence en droits et en devoirs est due à la différence de nature physique et psychologique entre les deux sexes.

En ce qui concerne le mariage, les droits et les devoirs ne sont pas les mêmes pour chacun des époux. Le mari a des droits qui sont différents de ceux de la femme, et pareille pour les devoirs. On pourrait croire dès la première constatation que c'est une inégalité, mais, en réalité, la question pourrait être comprise autrement. Chaque époux a ses propres droits et chacun est lié par ses propres devoirs. Cette idée nous emmène à une complémentarité, mais aussi à une spécificité.

Mais, puisque les droits et les devoirs de l'homme ne sont pas les mêmes que les droits et les devoirs de la femme, en appliquant le principe d'égalité en termes spécificité complémentarité, on examine donc les droits et les devoirs relatifs au mari ( A ), puis les droits et les devoirs relatifs à la femme ( B ).

154 ibid.

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A - Le mari : autant de droits que de devoirs

Certes, le mari a beaucoup de privilèges en le comparant à la femme, mais il ne faut pas oublier que l'homme a, en contrepartie, beaucoup d'obligations. Le mari peut, en droit musulman, répudier sa femme unilatéralement. Mais, en revanche, il est lié par plusieurs obligations : il doit cohabiter sa femme, il est lié par la dot, il doit aussi subvenir à l'entretien de sa femme ( el nafaka )155. Cette dernière obligation est très importante. En aucun cas le mari ne peut exiger que sa femme participe aux charges du ménage156. Quant au mari, il a une situation prépondérante ; par conséquent, il est juste, selon MILLIOT et BLANC que le mari ait toutes les charges157.

En effet, l'article 1 de la loi n° 25 de 1920 qui a été modifiée par la loi n°100 de 1985 impose cette obligation au mari quelle que soit la situation financière se la femme, et quelle que soit sa religion. D'après certains auteurs, les frais d'entretien comprennent :

1- La nourriture, « si au cours du mariage la santé de la femme se modifie ou si elle est enceinte ou si elle nourrit, elle peut exiger un supplément de nourriture ». Le mari est tenu de cette obligation même si l'épouse a un appétit extraordinaire.

2- Les frais d'entretien comprennent aussi le logement. De même, l'ameublement est, en principe, à la charge du mari et « doit être en accord avec sa situation et le rang social de la femme »158.

3- Le vêtement aussi est compris dans les frais d'entretien. Ce devoir modifie selon le rang social des époux.

En droit égyptien, dans le même article précité, la loi dispose que les frais d'entretien comporte la nourriture, le vêtement, le logement, les frais médicaux, et d'autres éléments que la loi exige. Cela signifie que la loi égyptienne ne se limite pas à ces éléments, mais elle s'ouvre pour intégrer tous les nouveaux éléments qui pourraient

155 Y. LINANT DE BELLEFONDS, Traité du droit musulman comparé, op. cit., P. 202, s.

156 L.MILLIOT et F.P. BLANC, Introduction à l'étude du droit musulman, 2e éd., 1987, Sirey, P.326

157 ibid.

158 ibid., P.329

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être considérés comme essentiels. En effet, des auteurs trouvent que les frais d'entretien comprennent les « accessoires ». Le mari, selon ces auteurs, doit fournir à sa femme « le cosmétique, la pommade, le kohl, les parfums, l'huile, le henné, les objets nécessaires à l'entretien de la chevelure, etc... »159.

En ce qui concerne l'entretien, il ne s'agit pas d'un choix pour le mari, mais d'un devoir, d'une obligation. La sanction du non-respect de cette obligation se concrétise par le droit pour la femme de réclamer la dissolution du mariage, à moins qu'elle ne préfère recourir à des mesures d'exécution forcée sur les biens du mari, s'il en possède160. Le droit égyptien attribue à l'obligation d'entretien une importance particulière ; elle figure dans l'article premier de la législation musulmane en matière de statut personnel. En outre, l'article 16 de la loi du 10 mars 1929 ( dite loi n° 25 de 1929 ) fixe la nafaka « en fonction de la situation de fortune de mari » quelle que soit la situation de l'épouse.

La loi égyptienne accorde une grande importance à cette obligation. Elle considère que les frais relatifs à l'entretien forment une dette. Par conséquent, la femme a un privilège sur tous les biens du mari qui lui donne une certaine priorité par rapport aux autres créanciers161. La femme aura un privilège financier très important. Il ne faut pas nier que c'est une obligation assez lourde pour le mari de supporter toutes ces dépenses relatives à l'entretien de l'épouse. On pourrait dire que c'est cette obligation importante qui attribue au mari ( en contrepartie ) le droit de répudiation. En d'autres termes, puisque c'est le mari qui soutient la famille financièrement, c'est lui qui pourra discrétionnairement et unilatéralement mettre fin au mariage. En droit copte orthodoxe, la répudiation n'existe pas, pourtant, l'article 146 de la législation de 1938 dispose que le mari est lié par l'obligation d'entretien envers sa femme dès lors que le contrat de mariage est valable. Mais, l'article 151 impose l'obligation d'entretien à la femme aussi, si le mari est insolvable et si elle est capable financièrement, de supporter cette obligation d'entretien. Cette solution paraît assez logique en la comparant à la solution du droit musulman parce que le mari, en droit copte orthodoxe, ne bénéficie pas d'un privilège aussi important que la répudiation. Par conséquent, l'obligation d'entretien est atténuée. Ici, le principe d'égalité en termes de spécificité complémentarité est relativisé.

159 ibid.

160 ibid.

161 Art. 1er al. 9 de la loi n° 25 de 1929

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Quant au droit français, l'obligation d'entretien ne concerne généralement que l'enfant162. Parmi les obligations qui naissent du mariage dans le Code civil : l'article 203 qui dispose que : « Les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l'obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants ». En droit musulman, la femme doit accomplir des devoirs spécifiques, ce qui est cohérent avec la notion d'égalité spécificité complémentarité.

B - L'épouse : des droits et des devoirs spécifiques

L'épouse bénéficie de plusieurs droits comme la dot et la nafaka. Mais elle est liée aussi par des devoirs comme l'habitation au domicile conjugal, l'obéissance du mari et notamment, le devoir de fidélité.

Certes, la fidélité découle du mariage163. Le rattachement de la fidélité au mariage semble échapper à toute application pratique pour l'homme à cause de la polygamie164. Monsieur FERKH trouve que la législation musulmane n'a voulu faire de la fidélité une obligation pour l'homme marié. Il doit simplement éviter les femmes débauchées ou courtisanes. D'autres auteurs trouvent que le mari n'est pas tenu du devoir de fidélité165. À l'inverse, la fidélité de l'épouse vis-à-vis de son mari est absolue. Les conséquences de l'infidélité de la femme sont désastreuses166.

En droit français, l'article 212 du Code civil indique que le devoir de fidélité est un devoir mutuel pour les époux. On a toujours l'idée d'identité de droits et de devoirs en droit français.

En ce qui concerne le droit musulman, il faut remarquer que les droits et les devoirs cités ici ne sont que des exemples des droits et des devoirs spécifiques pour

162 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit. P. 663, s

163 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op. cit. P.77

164 ibid.

165 L.MILLIOT et F. P. BLANC, Introduction à l'étude du droit musulman, op. cit., P.339

166 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op.

cit.

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chaque époux. La citation de ces exemples ici a pour objet de montrer la divergence entre les droits et les devoirs réciproques de chaque époux. Ces droits et devoirs sont très larges et pourront même faire l'objet d'un sujet indépendant.

Quant au droit international privé français, les juges français, pour reconnaître la répudiation, devront aussi prendre en compte l'idée de puissance maritale qui existe dans les sociétés orientales en général.

§ 2 - Une puissance maritale originale

La puissance maritale, selon Monsieur FERKH est la situation dans laquelle la femme est sous la dépendance de son mari ou que les femmes sont soumises à leur mari comme à un maître. Cette puissance maritale existait dans l'ancien droit français167. En droit musulman classique, Monsieur FERKH trouve que c'est « un monopole marital ». Effectivement, il dit : « Le principe du monopole marital a un sens particulier en droit musulman. Il implique spécialement une autorité sur la personne de la femme. En ce sens, le monopole n'est pas commandé, dans la théorie musulmane, par la nécessité de l'unité de direction qu'exige tout groupe ou tout foyer, mais bien par la supériorité des hommes sur les femmes dans tous les domaines »168. Puis, il ajoute : « Dans la théorie de droit classique, les légistes musulmans tirent toutes les conséquences possibles du principe de la supériorité masculine ; pour eux, l'autorité du mari comporte, non seulement le pouvoir de fixer le domicile conjugal et de prendre les décisions concernant le ménage, mais elle s'étend à la personne physique de la femme, sans que l'on puisse vraiment dessiner les limites de cette autorité, et sans que l'épouse soit en position de se plaindre des abus commis par son mari »169. Il est sans doute clair que la position de Monsieur FERKH est trop exagérée. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque préislamique, la situation de la femme était très difficile. Avant l'Islam, lors du décès du mari, la femme passait à son héritier le plus proche, lequel avait le droit de la prendre pour épouse ou de la marier à quelqu'un d'autre170.

167 ibid., P. 67

168 ibid., P.68

169 ibid.

170 L.MILLIOT et F.P. BLANC, Introduction à l'étude du droit musulman, op. cit., P.317

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Actuellement, la personnalité juridique de la femme est distincte est indépendante de celle de son mari. L'épouse garde son nom ( et pas celui de son mari ), le mariage ne la frappe pas d'incapacité. Elle a un patrimoine propre. Certains auteurs affirment que le mariage musulman n'emporte entre les conjoints aucune communauté de biens, même meubles171. En outre, la femme conserve la gestion de son patrimoine, même pendant le mariage ; ce qui signifie que le mariage ne lui rend pas incapable. Si la femme était en tutelle avant le mariage, c'est le tuteur, et non le mari qui gèrera son patrimoine pendant le mariage.

En comparant cette situation avec la position du droit français actuel, on trouve que pour les pays de tradition musulmane, il appartient au mari de fixer le domicile conjugal, de préparer, et d'appeler la femme à le rejoindre. Cette situation implique que la femme doit rejoindre son mari172. En revanche, l'article 215 du Code civil français dispose dans son 2e alinéa que : « la résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord », ce qui signifie qu'en droit français, un accord est nécessaire. La puissance maritale se concrétise en droit musulman par le contrôle exercé par le mari des sorties de sa femme, ce qui signifie que le mari pourrait interdire de sortir sans sa permission il pourrait aussi ( selon Monsieur FERKH ) « lui interdire de recevoir chez elle des gens qui ne lui sont pas apparentés »173.

En comparant le droit français avec le droit des États de tradition musulmane, Monsieur Hassan FERKH trouve que pour les Français ( à l'époque où la tradition catholique était dominante en France ) « vu l'impossibilité du divorce et du remariage ... La puissance maritale est sans doute mal supportée par les femmes, mais ni le contexte religieux de l'époque, ni la situation matérielle ne permettent à ces dernières de sortir du mariage »174. En revanche, la situation des époux musulmans est très différente car Monsieur FERKH considère que la répudiation ou la dissolution du mariage en général, allège beaucoup l'intensité des conflits conjugaux175. Malgré cela, le même

171 ibid.

172 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en droit musulman et sa pluralité en droit français, op.

cit. P.68

173 ibid.

174 ibid., P. 79

175 V. ibid.

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auteur trouve que la situation de la femme française est plus favorable que la femme musulmane car selon lui, « le droit canonique n'a jamais mis l'accent sur l'enfermement et la claustration des femmes dans les foyers »176. On voit ici que le principe d'indissolubilité du mariage, influencé par la tradition catholique, a rencontré des difficultés dans sa mise en oeuvre. Ce principe n'est plus respecté en droit français. En revanche, la législation des Catholiques égyptiens respecte toujours ce principe. On voit bien donc que la puissance maritale existe dans les sociétés arabes, mais elle existait aussi dans l'ancien droit français.

En effet, à partir du XIIIe siècle, la France ( pays de coutumes et pays de droit écrit ) connaissait une puissance maritale assez forte177. Pendant cette période, le mari était, en droit français, le chef de la maison et il devait agir en conséquence, sans l'intervention de quiconque. En outre, l'obéissance de la femme à son mari impliquait un droit de correction178. Même pendant la période du Christianisme, la puissance maritale a toujours existé. Selon l'Église catholique, le mari est considéré comme le chef de la famille et l'épouse doit l'obéir179. Effectivement, il n'est pas étonnant que l'Église catholique consacre l'idée de la puissance maritale en France. On pourrait justifier sa position par des versets de la Bible relatifs à l'organisation de la famille et à la puissance maritale180.

Heureusement, on voit ici que, dans l'histoire du droit français et du droit égyptien, il existe un point où les deux droits étaient d'accord sur la puissance maritale qui est actuellement très contestée. Mais malheureusement, cette cohérence et cette coordination n'existe plus actuellement. Il ne faut pas donc oublier que le droit français avait un jour, la même conception d'égalité que le droit égyptien. Présentement, la seule différence qui existe entre les deux droits est que le droit français ait subi plusieurs réformes pour arriver à la conception actuelle du principe d'égalité.

Effectivement, en droit français actuel, la notion d'identité de droits et de devoirs est bien établie. Les textes du Code civil le montrent très bien. Par exemple, l'article 212

176 ibid.

177 ibid., P. 67

178 ibid.

179 Pour plus de détails sur la puissance maritale dans l'ancien droit français, V. H. FERKH, ibid., P.66, s

180 Par exemple : V. dans la Bible, ( Éphésiens 5, 23 ), et ( 1Timothée 2, 12 et 13 )

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dispose que « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours,

assistance. » ; l'article 213 dispose que : « Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. » ; de même l'alinéa 2 de l'article 215 dispose que : « La résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord. ».

Les États arabes n'ont pas suivi le même rythme que celui du droit français181. En revanche, certains États arabes ont pu atteindre le rythme français comme la Tunisie et le Maroc, sachant que le dernier a essayé d'établir une nouvelle conception de l'égalité tout en gardant la répudiation. En ce qui concerne l'Égypte, la conception de l'égalité n'a pas beaucoup évolué. En revanche, une réforme a été mise en place en 2000 pour ouvrir à la femme une nouvelle voie de divorce, tout en gardant la même conception d'égalité.

On voit donc que l'harmonisation entre le droit français et égyptien qui existait à l'époque de l'ancien droit français n'existe plus maintenant. Pour rétablir cette harmonie, il faut qu'il y ait des réformes. Chacun des États a sa méthode pour réformer. Cette méthode peut changer selon les circonstances politiques, sociales et religieuses de chaque pays. Le droit égyptien a voulu rétablir l'égalité entre époux en ajoutant des cas de divorce nouveaux. La répudiation n'a pas été supprimée ; voyons même l'expérience marocaine. La nouvelle réforme marocaine n'a pas pu supprimer la répudiation. La solution proposée par le droit égyptien est d'attribuer à la femme un droit qui ressemble à la répudiation pour arriver enfin à une équivalence ou un équilibre entre les droits et les devoirs accordés à chacun des époux.

Section II : La neutralisation de la répudiation

Les cas de divorce jouent un rôle très important dans n'importe quelle réforme en droit de la famille pour neutraliser la répudiation en créant de nouveaux cas de divorce propres à la femme, pour arriver enfin à un équilibre avec la répudiation accordé au mari.

Le terme « répudiation » n'est plus utilisé par la réforme marocaine il s'agit actuellement dans « le Titre III » de la loi marocaine d'un divorce sous contrôle

181 V.,Y. LINANT DE BELLEFONDS, Traité du droit musulman comparé, op. cit., P. 286-302

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judiciaire ( talak ). L'article 78 de cette loi dispose que : « le divorce sous contrôle judiciaire est la dissolution du pacte de mariage requise par l'époux ou par l'épouse selon les conditions propres à chacun d'eux sous le contrôle de la justice et conformément aux dispositions du présent code. ». On ne peut pas nier que cette réforme est considérée comme révolutionnaire : On ne voit généralement que des droits et des devoirs réciproques. Les droits et les devoirs spécifiques à chaque époux disparaissent. En outre, l'article 4 de la loi marocaine pose le principe de codirection de la famille182. On voit aussi que la nouvelle loi marocaine essaye de créer un équilibre avec la répudiation en accordant des privilèges à la femme. L'article 89 dispose que « si l'époux consent le droit d'option au divorce à l'époux, celle-ci peut l'exercer en saisissant le tribunal... ». Cet article parle d'un droit d'option inscrit dans le contrat de mariage. La réforme marocaine, sous « un Titre V », intègre le divorce par consentement mutuel ou moyennant compensation ( khol' ). Quant au divorce par consentement mutuel, il s'agit d'une nouveauté apportée par la réforme. Sous le même Titre, la réforme marocaine met en place le divorce par khol'.

En ce qui concerne la réforme égyptienne, on trouve que le droit égyptien a intégré le khol' qui ajoute à la femme un nouveau cas de divorce plus libéral et qui se rapproche de la répudiation ( §1 ), mais encore, le droit égyptien admet la possibilité pour la femme d'intégrer au contrat de mariage une clause lui autorisant de se répudier (§ 2).

§1 - La répudiation judiciaire moyennant compensation

Avant d'expliquer comment le khol' apporte-t-il un équilibre par rapport à la répudiation ( B ), il faut d'abord comprendre quel est le régime du khol' ( A ).

A-Une notion très originale

182 H. FULCHIRON, JCP, G, n°36, 1e /9/2004, op. cit.

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En ce qui concerne la répudiation moyennant compensation, les dispositions prévues dans le Coran ont fait l'objet de deux interprétations183 :

- La première interprétation consiste à dire que le khol' est une forme de répudiation convenue ou d'un divorce convenu, ce qui pourrait correspondre, en droit français, à un divorce par consentement mutuel demandé par l'épouse. La femme qui sent qu'elle est personnellement gênée sans qu'elle ait des griefs assez sérieux contre son mari, elle pourra demander à son époux de consentir à la rupture du lien conjugal ; en contrepartie, elle lui offrira une compensation. Elle abandonne la partie non encore payée de la dot, elle lui restitue celle déjà versée et rend les dons qu'il lui avait offerts. Il s'agit d'une rançon de liberté. Ce qui caractérise cette interprétation est que le consentement du mari est nécessaire de manière à ce que si le mari refuse, le khol' ne pourra pas être prononcé.

- La seconde interprétation consacre l'idée selon laquelle la femme décide de mettre fin au lien conjugal sans l'accord du mari. En contrepartie, elle doit renoncer à tous ses droits pécuniaires. Le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation.

La réforme égyptienne a retenu la seconde interprétation. En effet, l'article 20 de la loi n° 1/2000 du 29 janvier 2000 dispose que : « si les deux époux ne s'accordent pas sur le divorce, la femme peut avoir recours au tribunal demandant la dissolution du mariage moyennant compensation et renonçant à tous ces droits pécuniaires et légaux, le juge prononcera alors le divorce. ». On peut déduire de cet article que le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation. Le Doyen Hossam ELEHWANY trouve que c'est la raison pour laquelle on peut estimer que la dissolution du mariage a lieu par la volonté unilatérale de la femme. Mais, cette dernière doit, d'une part, déclarer qu'elle refuse la vie conjugale avec son mari, qu'elle déteste la vie avec lui, et d'autre part, renoncer à tous ses droits pécuniaires conférés par la loi184.

Le droit français ne contient pas de dispositions pareilles. Le droit français, par le biais du divorce pour altération définitive du lien conjugal, suppose une séparation

183 H. ELEHWAHY, Les nouvelles législations égyptiennes en matière de statut personnel,(communiqué par l'auteur), P.9, s.

184 H. ELEHWANY, Les nouvelles tendances en droit égyptien vers la parité entre les époux, Rapport, 10 juin 2005, P. 6

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pendant une certaine durée. Mais on ne trouve pas en droit français un droit spécifique attribué à la femme pour divorcer. La question qui se pose donc est : pourquoi le système français qui est un système de pluralité de cas de divorce n'a pas intégré un cas de divorce ressemblant au khol' ? La réponse est très simple, en effet, il y a plusieurs raisons pour lesquelles le khol' n'existe pas en droit français. D'une part, la répudiation moyennant compensation représente l'équilibre apporté par le droit égyptien pour créer un équilibre avec la répudiation unilatérale prononcée par le mari et puisque la répudiation n'existe pas en droit français, ce dernier n'a pas besoin d'intégrer le divorce moyennant compensation. D'autre part, le khol' est un cas de divorce propre à l'épouse, c'est-à-dire, il ne concerne pas le mari, ce dernier a le privilège de la répudiation que la femme n'a pas en principe. Le droit français, quant à lui, consacre l'idée d'identité de droits et de devoirs, ce qui signifie que les époux ont les mêmes possibilités pour divorcer, ils disposent des mêmes cas de divorce, par conséquent, le khol' n'est pas convenable en droit français. À l'inverse, en droit égyptien, le divorce moyennant compensation a apporté une innovation importante. Le khol' est actuellement un cas de divorce qui équilibre la situation des époux en droit égyptien.

Le divorce moyennant compensation est un nouveau cas de divorce en droit égyptien. Malgré la perte des droits pécuniaires, le khol' donne un privilège à la femme. Le droit égyptien a donc ajouté un nouveau moyen pour essayer d'établir une égalité basée sur la spécificité et la complémentarité.

B - L'amélioration de la situation de l'épouse

En étudiant le contexte égyptien, on trouve que la répudiation, qui est un cas de divorce ( parmi d'autres ), pour les musulmans n'est pas considérée, au regard du droit français, comme égalitaire. Mais, si on la compare à d'autres privilèges attribués à la femme, la situation sera différente. Le Doyen ELEHWANY dit : « C'est ainsi que l'égalité entre les époux se réalise en matière de dissolution. Mais la femme doit, d'une part, déclarer qu'elle refuse la vie conjugale avec son mari, qu'elle déteste la vie avec lui et qu'elle craint de ne pas observer les lois de Dieu. Elle doit, d'autre part, céder tous ses droits pécuniaires conférés par la loi à la femme divorcée, et doit restituer la dot. La

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cession concerne uniquement les droits pécuniaires de la femme et non ceux des enfants. La femme a le droit de la garde des enfants. »185. On voit donc ici que la cession des droits pécuniaires ne concerne que les droits de la femme. Par conséquent, les enfants auront, selon la loi, une pension alimentaire qui sera versée par le mari.

Dès la première lecture, on peut imaginer que le divorce moyennant compensation n'est pas toujours suffisant pour rétablir l'égalité entre époux. D'une manière très superficielle, on aperçoit d'une part, que la femme perd tous ses droits financiers, d'autre part, le divorce moyennant compensation ( contrairement à la répudiation ) est un divorce judiciaire qui est prononcé par le juge. On pourrait donc croire que le divorce moyennant compensation n'est pas suffisant pour créer un équilibre avec la répudiation. Monsieur le Doyen Hugues FULCHIRON parle des réformes égyptiennes comme étant « des tentatives timides »186 pour rétablir l'égalité entre époux.

La question nécessite une étude plus approfondie de la réforme égyptienne. Le droit égyptien procède à deux rénovations principales : la première concerne les droits pécuniaires de la femme et la seconde concerne les garanties procédurales.

1-Les droits pécuniaires

Certes, la femme qui demande le divorce moyennant compensation doit renoncer à ses droits pécuniaires. Mais, si on imagine que la femme garde tous ces droits. Sa situation sera plus favorable à celle de l'homme puisque ce dernier est tenu, en cas de répudiation, d'indemniser la femme en cas de répudiation abusive. En outre, il doit payer la nafaka à la femme selon l'article 2 de la loi 25 de 1920. Si l'homme a l'obligation de payer certaines sommes à la femme répudiée unilatéralement par lui. La femme aussi, en rachetant sa liberté, doit payer une somme d'argent en contrepartie. Les autres droits de la femme, ne seront pas atteints. La femme peut ainsi obtenir la garde de ses enfants et obtenir une pension alimentaire de la part de son ex-époux pour l'entretien de leurs

185 H. ELEHWANY, Les nouvelles tendances en droit égyptien vers la parité entre les époux, op. cit., P.5

186 H. FULCHIRON, « Ne répudiez point... », op. cit., P. 22

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enfants187. Le divorce moyennant compensation n'est pas seulement possible en cas de l'acceptation du mari. La femme peut demander le khol' devant le tribunal, même si le mari le refuse.

On voit ici que la femme a aussi le pouvoir de décider d'être séparée de son mari ( comme le mari en cas de la répudiation ). Elle peut demander le divorce sans le justifier. Il lui suffit de déclarer qu'elle ne souhaite plus être mariée à son époux188. On pourrait donc imaginer l'existence d'un « khol' abusif ». En outre, le juge ne peut pas s'opposer à la volonté de la femme de demander le divorce moyennant compensation. En revanche, la nouvelle loi a mis en place plusieurs garanties procédurales pour équilibrer la situation entre les époux.

2- Les garanties procédurales

Avant la réforme de 2000, le juge, d'une part, n'intervenait pas dans la procédure qui se découlait devant le ma'zoun189 ; et d'autre part, l'accord du mari était toujours requis. Si le mari accepte de répudier son épouse moyennant contrepartie financière, tous deux se rendent chez le ma'zoun pour enregistrer le divorce. Le Doyen ELEHWANY explique en détail comment la réforme égyptienne de 2000 a offert beaucoup de garanties procédurales : « Le juge ne peut prononcer le divorce qu'après l'échec des bons offices par les médiateurs des deux parties, dans le délai maximum de trois mois. La répudiation moyennant compensation est toujours irrévocable. »190.

Pour expliquer son point de vue sur la question, le doyen H. ELEHWANY a fait une comparaison entre la répudiation prononcée par le mari et celle demandée par la femme, elle se résume dans les points suivants :

187 N. BERNARD-MAUGIRON, « Quelques développements récents dans le droit du statut personnel en Égypte », R.I.D.C. 2-2004, P. 354, s.

188 ibid., P. 361

189 Fonctionnaire préposé aux affaires de statut personnel nommé par l'État. Un arrêté du ministre de la Justice de janvier 1955 réglemente le statut du ma'zoun et organise sa protection.

190 H. ELEHWANY, Les nouvelles tendances en droit égyptien vers la parité entre les époux, op. cit., P.6

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- Le contrôle judiciaire de la répudiation prononcée par le mari se réalise à posteriori alors que celui demandée par la femme se réalise a priori, mais le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation.

- La réparation du dommage subi par la femme en cas de répudiation prononcée par l'homme est soumise aux règles de l'abus du droit. Le pouvoir d'appréciation appartient au juge. La compensation en cas du Khol' est décidée d'avance car il s'agit d'une condition requise pour l'acceptation de la demande.

- Les droits de la femme en cas de répudiation abusive sont : le don de consolation et le droit à la réparation du dommage résultant de la répudiation abusive. Les droits du mari en cas du Khol' se manifestent en la renonciation de la femme à la dot et à la pension alimentaire : elle doit, de même, restituer les dons offerts par son mari.

Le mari ne peut se défendre dans l'action de répudiation moyennant compensation. En effet, la femme ne lui reproche rien, c'est elle qui le déteste. Le mari ne peut démentir cette haine en prouvant l'amour de sa femme à son égard. Aucune voie de recours n'est admise, le jugement est irrévocable. En effet, l'irrévocabilité de la décision s'explique par deux considérations : d'une part, le divorce a pour base la haine de la part de la femme. L'amour et la haine ne doivent pas faire l'objet d'une discussion devant les tribunaux : « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point ». D'autre part, la preuve de la haine ou de l'amour porte atteinte à l'intimité de la vie privée des époux.

La présence de toutes ces garanties tente de rendre les droits et les devoirs, entre les époux, équivalents. Mais on voit bien qu'ils ne sont pas identiques. On ne peut pas nier l'importance de la réforme égyptienne de 2000 qui est considérée comme une réforme novatrice. En effet, on pourrait considérer que le système égyptien a commencé à rétablir l'égalité et la rendre plus efficace. La renonciation de la femme à ses droits pécuniaires n'a pas empêché les femmes de demander le divorce moyennant compensation. C'est le prix de la séparation. Ces sommes pourront donc indemniser le mari qui n'a commis aucune faute en cas du khol' abusif.

Sur le plan pratique, le nombre de requêtes présentées aux tribunaux pour demander le divorce moyennant compensation s'élève à une moyenne de 1200 requêtes

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par an191. Ce chiffre montre bien qu'en pratique, les femmes profitent bien de ce cas de divorce pour divorcer par leur simple volonté unilatérale et sans le consentement du mari. On a vu donc ici que, pour faciliter l'obtention ( par la femme ) de la rupture du lien conjugal, le législateur égyptien a fait ainsi appel à la notion du khol' que connaissait le droit musulman et qui bénéficiait de la légitimité du droit musulman. Ensuite, le législateur égyptien l'a aménagé pour l'adapter aux besoins de la société égyptienne contemporaine. Le législateur égyptien a eu l'occasion dans le cas du khol' à faire avancer le droit à partir de données traditionnelles192.

On voit donc que le divorce moyennant compensation a permis à l'épouse de divorcer sachant qu'elle perdra ses droits pécuniaires. La question qui se posera à ce stade est : la femme pourrait-elle répudier exactement comme l'homme sans recourir au juge ? En effet, on trouve en droit égyptien, comme en droit marocain, la femme peut répudier par volonté unilatérale. En droit marocain, il s'agit d'une répudiation résultant du droit d'option laissée à la femme ( el tamlik ).

§2- La clause autorisant la femme de se répudier

L'article 89 de la réforme marocaine de 2004 dispose que « Si l'époux consent le droit d'option au divorce à l'épouse, celle-ci peut l'exercer en saisissant le tribunal... ». De même, en droit égyptien, la femme peut stipuler dans le contrat de mariage qu'elle est déléguée pour exercer le droit à la répudiation sur le même pied d'égalité que son mari. Si elle prononce la répudiation, elle la prononce par sa qualité de représentant du mari : c'est le mari qui autorise la femme à prononcer la répudiation à sa place, à titre de représentant du mari et d'après les conditions requises dans l'acte du mariage. Cette répudiation est révocable, exactement comment la répudiation prononcée par le mari, car la femme l'exerce à titre de représentant. Les époux peuvent s'accorder sur cette délégation pendant la vie conjugale, c'est-à-dire que cet accord peut être conclu au moment du mariage ou après le mariage193.

191 V. Site internet, http://www.amanjordan.org/a-news/wmview.php?ArtID=4967 ( en arabe )

192 N. BERNARD-MAUGIRON, op. cit., P.364

193 H. ELEHWANY, Les nouvelles tendances en droit égyptien vers la parité entre les époux, op. cit., P.5

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D'après la décision du ministre de la justice N. 1727 de l'année 2000, le ma'zoun doit informer les époux qu'ils ont le droit de stipuler les conditions spéciales dans l'acte du mariage. L'article 33 précise que la règle générale est la validité de toute stipulation accordant des droits dépassant les droits établis juridiquement ou à travers le droit musulman, et sans préjudice au droit du tiers. Le ma'zoun doit insérer les stipulations à l'acte du mariage. L'article 33/6 de la décision ministérielle précise que la clause stipulant l'accord de déléguer la femme pour prononcer la répudiation est une clause valable194. En septembre 2000, un nouveau formulaire de contrat de mariage a été mis en place pour réserver un emplacement spécial qui est utilisé pour le rajout de conditions. Cette réforme aura tendance à constituer une grande avancée dans la protection des droits de la femme.

Il s'agit donc ici d'une clause conventionnelle par laquelle la femme aura la possibilité de répudier son mari. Dans ce cas, el `esma ( le pouvoir de répudier ) est dans les mains de la femme comme pour le mari. Par la stipulation de cette clause au contrat de mariage, la femme sera, en pratique, égale à l'homme en ce qui concerne la répudiation puisqu'elle pourra répudier son mari sans perdre ses droits pécuniaires. Cette solution est donc beaucoup plus favorable que le divorce moyennant compensation. La question qui se pose ici concerne l'utilisation pratique de ce cas de divorce.

Certes, la question se pose pour l'usage de ce moyen utile à la femme. On aurait pu même dire que si toutes les femmes stipulent dans leur contrat de mariage cette clause, la question d'inégalité posée par la jurisprudence française ( pour la reconnaissance de la répudiation ) ne se posera pas. De même, les autres cas de divorce (judiciaire) ne seront plus utiles puisque la femme pourra répudier son mari directement par simple volonté unilatérale.

Mais la vérité est que cette clause ne figure pas dans tous les contrats de mariage. C'est la femme qui doit demander de stipuler ce genre de clause dans le contrat de mariage, et puisqu'il s'agit d'un contrat, le consentement du mari est nécessaire. Par conséquent, la question qui se pose est : est-ce que le futur-mari sera d'accord à la stipulation de cette clause ? Une autre question plus pratique : est-ce que toutes les

194 ibid.

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femmes musulmanes égyptiennes qui se marieront, demanderont la stipulation de cette clause au contrat de mariage ?

Effectivement, la difficulté provient de la nature du mariage en général d'une part, et de la volonté des parties d'autre part. Il est difficile de penser que la femme, en rédigeant le contrat de mariage, s'occupe de la question du divorce. Les futurs époux ne penseront pas, au jour de la conclusion du mariage, que leur futur lien conjugal subirait une rupture par divorce ou par répudiation. Lors de la conclusion du contrat de mariage, la volonté d'être marié prime sur toute autre idée de séparation ultérieure. L'objectif du mariage est de créer une famille et de garder à vie le lien conjugal. On pourrait donc en déduire que la femme ne pense pas au moment de la conclusion du contrat de mariage au divorce ou à la répudiation voire à la séparation en général. Au moment de la conclusion du contrat de mariage, la femme ne veut ni répudier ni être répudiée.

En revanche, on ne peut pas en déduire que cette situation réduise l'importance de ce cas de divorce. On ne peut pas nier l'importance d'une clause, si elle figure dans le contrat de mariage, permet à la femme de se répudier unilatéralement comme le mari.

En pratique, il y a beaucoup de femmes qui stipulent cette clause au contrat de mariage. Une statistique195 affirme que 50000 femmes en Égypte ont la possibilité de se répudier par l'intégration d'une clause leur permettant ceci au contrat de mariage. C'est un nombre qui met en évidence la volonté de l'épouse de garder son droit de répudier comme une application du principe d'égalité entre époux comme il est compris en droit français ce qui nous emmène à avoir un droit égyptien qui se rapproche de la conception française de l'égalité. Dans ce cas, on voit que chacun des époux bénéficie du même droit, ce qui prouve que le contexte spécifique en droit égyptien commence à s'améliorer pour ré aboutir à une harmonisation entre le système juridique français et le système juridique égyptien concernant le divorce et ses cas.

Certes, une étude approfondie du contexte du droit étranger permet de découvrir beaucoup de moyens qui ont pour objet d'atténuer le caractère abusif ou inégalitaire de la répudiation. La femme pourra stipuler une clause lui permettant de se répudier, à

195 Publiée au site Internet : http://www.amanjordan.org/a-news/wmview.php?ArtID=4967 ( en arabe )

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défaut de cette clause ou d'un accord ultérieur, l'épouse pourra demander le khol' au juge.

Il est vrai que le droit égyptien n'a pas atteint le dynamisme de la réforme marocaine sur la question, mais on voit que l'étendue des réformes de statut personnel en général dépend du contexte politique, social, religieux, et juridique de chaque pays. Mais on ne peut pas non plus nier l'importance de la réforme égyptienne qui encouragerait peut être le législateur égyptien à garantir les droits fondamentaux d'une manière plus efficace par le biais de nouvelles réformes futures. Ces réformes pourront inciter la jurisprudence française à reconnaître la répudiation égyptienne. On aura donc à ce moment là, une coordination plus forte entre le système français et le système égyptien, et un renforcement d'une harmonie qui a toujours existé entre les deux droits.

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101

TABLE DES MATIÈRES

Remerciements 2

Sommaire 3

Avant-propos 4

Introduction 6

Titre I : Un système influencé par la religion face à un système laïc 10

Chapitre I : Genèse de deux systèmes de racines différentes 10

Section I : L'Égypte, un pays religieux depuis l'ère pharaonique 10

Section II : La France, du catholicisme à la laïcisation 13

Chapitre II : Le choix entre l'unité et le pluralisme 16

Section I : Plusieurs législations de statut personnel en droit égyptien 16

§ 1- L'application du droit musulman aux non-musulmans 18

A- La législation confessionnelle ne contient aucune disposition religieuse 19

B- La non-conformité des législations confessionnelles à l'ordre public. 20

1- L'étendue de l'ordre public 21

2- Les conséquences 22

C- Les époux non-musulmans ne sont pas unis en communauté et en confession 24

1- L'originalité du principe provient du problème de la très grande diversité 25

2- Les aménagements à l'application de droit musulman aux non-musulmans 29

a-Le degré d'incompatibilité entre la législation catholique et le divorce 31

b- Une compatibilité assez contestée entre les autres législations chrétiennes et la

répudiation islamique 33

§2- La non conformité de la législation confessionnelle au droit religieux 35

A- Un problème assez ancien 35

B- Une position très déterminante de l'Église 38

§3- Solution proposée : L'unification des législations confessionnelles 42

A- La doctrine encourage la démarche 43

B- Les institutions tentent de concrétiser cette idée d'unification 44

1 - Le Parlement 44

2- Des solutions importantes proposées par les Églises 45

102

Section II: Une loi française unique avec une pluralité des cas de divorce 48

§1- La pluralité des cas de divorce, un choix bien voulu 49

§2- Un doute sur l'influence de la religion sur la désunion en droit français 51

A- La séparation de corps, une trace de la tradition catholique 53

B- La répudiation, une influence partielle sur les cas de divorce français 55

1- La volonté unilatérale de mettre fin au lien conjugal 55

2-Le divorce pour altération définitive du lien conjugal n'est pas une vraie répudiation56

Titre II: Une influence croissante des droits fondamentaux sur les cas de divorce 58

Chapitre I : Répudiation et droits fondamentaux 58

Section I : En quoi la répudiation porte atteinte aux droits fondamentaux ? 59

§1- Une philosophie très remarquable de la répudiation. 60

§2- Une évolution hésitante 62

Section II : Le rejet de la répudiation pour sa contrariété au principe d'égalité 65

§1- Le respect des droits fondamentaux et de la CEDH 65

§2 - Les risques et les dangers de cette démarche 67

A- Une démarche qui n'est pas très équitable 68

B- Une démarche abstraite 73

Chapitre II : Un contexte spécifique des droits fondamentaux 76

Section I : Une lecture originale du principe d'égalité 77

§1 - La spécificité complémentarité des statuts de chaque époux 78

A- Le mari : autant de droits que de devoirs 80

B- L'épouse : des droits et des devoirs spécifiques 82

§2- Une puissance maritale originale 83

Section II : La neutralisation de la répudiation 86

§1 - La répudiation judiciaire moyennant compensation 87

A- Une notion très originale 87

B- L'amélioration de la situation de l'épouse 89

1- Les droits pécuniaires 90

2- Les garanties procédurales 91

§2- La clause autorisant la femme de se répudier 93

Bibliographie 97

Table des matières 101






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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo