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Quel est l'impact de la précarité sur la famille et sur l'enfant?

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par Romain CORDIER
Haute Ecole en Hainaut de Tournai - Educateur Spécialisé 2015
  

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III. IMPACT GLOBAL SUR LE CORPS SOCIAL :

Comme je viens de l'expliquer, la pauvreté et la précarité des familles engendrent des difficultés à plusieurs niveaux, et englobent dans la plupart des cas la totalité de la sphère sociale : l'emploi, le logement, l'exclusion, la santé, l'éducation, la stabilité du foyer familial en général, etc. Il est important de retenir que chacune de ces problématiques sont intimement liées, et que l'une entraine l'autre, et inversement.

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1. QUI SONT LES FAMILLES CONCERNEES ?

Avant de poursuivre le développement, il est nécessaire de faire un point rapide sur les types de familles concernées. Comme j'ai pu le dire auparavant, j'ai réalisé un questionnaire aux parents et aux enfants, afin de récolter un grand nombre d'informations importantes pour mon Travail de Fin d'Etudes. Les familles dont je vais parler ici, sont toutes issues d'un milieu précaire situé dans le quartier du Quai d'Antoing à Tournai. Je mettrai en parallèle de la théorie, les données recensées via les questionnaires.

i. Les familles monoparentales en première ligne :

De toutes les recherches effectuées sur le thème de la précarité des familles, je peux tirer une conclusion : les familles monoparentales sont les plus fragilisées. Ce constat s'explique simplement par le fait que ces parents seuls n'ont, de fait, qu'un salaire pour survivre, mais aussi moins de temps à consacrer à leur emploi, puisque l'éducation des enfants monopolise la quasi-totalité de leur temps libre. Bien que les Allocations Familiales existent, les fins de mois sont toujours difficiles à vivre, et les revenus d'aide ne permettent souvent que de payer les soins médicaux des enfants, ou de se permettre un « extra » en termes d'alimentation.

Selon l'Entretien de la Petite Enfance 2011, réalisé par Dominique VERSINI4, ancienne défenseure des enfants : « (...) les familles monoparentales, en augmentation, sont particulièrement vulnérable. 32,6 % des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, 85 % de ces familles sont des mères qui élèvent seules leurs enfants ».

Une réalité que j'ai pu constater sur le terrain, puisque sur les 10 parents interrogés, 8 sont des mères, dont 6 sont des mères seules. Les 2 dernières sont pour l'une, en union libre depuis au moins un an, et pour l'autre, mariée. Les deux hommes restant sont un père seul, et

4 VERSINI Dominique, Entretien de la Petite Enfance, 2011.

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un beau-père en union libre depuis au moins un an. Sur les 6 mères seules, 2 ont un emploi rémunéré régulier, les 4 autres n'en n'ont pas actuellement, ou n'en n'ont même jamais eu, et 4 ont plus de deux enfants à charge.

ii. Les familles nucléaires s'en sortent mieux :

Qu'elles soient liées par un contrat de mariage, ou en union libre, ces familles ont moins de difficultés à affronter le quotidien. Cela va de pair avec l'opportunité de pouvoir combiner deux salaires, ou encore de parvenir à diviser les tâches élémentaires : par exemple, l'un s'occupe des enfants, l'autre s'occupe de l'emploi. Une division ancestrale certes, mais qui permet d'assumer plus paisiblement la garde des enfants, qui peut s'avérer parfois couteuse (à mettre en parallèle avec la pénurie de places en crèches et pouponnières).

Dans ce sens, parmi les 10 parents interrogés, 5 ont un emploi, et de ces cinq, 3 sont des familles nucléaires, et ont toutes un niveau d'étude plus élevé que les autres parents.

2. CHOMAGE ET EXCLUSION SOCIALE :

Dans notre société occidentale développée, le travail a acquis une valeur sociale indéniable. Il est devenu une nécessité, car on ne travaille pas quand on veut, mais on doit travailler pour se nourrir, avoir un logement, payer l'éducation de ses enfants, etc.

De plus, il n'est pas seulement un moyen nécessaire pour vivre, il permet aussi d'avoir une identité, des liens avec le groupe socialisant secondaire, c'est-à-dire l'ensemble des personnes ne faisant pas parties du cercle familial. Il permet ainsi de

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s'inscrire dans la société et d'y trouver sa place. Avoir un emploi est aussi un facteur important de limitation du risque de pauvreté, ce qui signifie inéluctablement que ne pas en avoir, place la personne concernée dans un état de précarité, où le lendemain est toujours incertain.

Comment donc joindre les deux bouts lorsqu'au sein d'une famille, aucun des deux parents n'a d'emploi ? Et quand bien même un des deux parents travaille, cela reste encore insuffisant pour viser une autonomie financière totale et assurer paisiblement l'avenir de sa progéniture.

i. Sur le terrain :

Si l'on prend en plus en considération les faibles niveaux d'études des parents qui ne permettent pas d'occuper des emplois à forte rémunération, ni à temps complet, la spirale précarisante devient alors infernale. D'ailleurs, sur les 10 parents interrogés, 2 n'ont aucun diplôme et ont arrêté leurs études à la 5ème année Primaire, 6 ont obtenu le diplôme de secondaire inférieur, 1 est diplômé en couture et le dernier en boulangerie-pâtisserie.

Au travers du questionnaire que j'ai réalisé, j'ai pu constater que sur les 10 parents interrogés, 4 n'ont jamais occupés d'emploi rémunéré régulier, 1 n'a actuellement pas d'emploi rémunéré, et 5 ont un emploi rémunéré régulier. Sur les 5 parents qui n'ont pas d'emploi, 4 sont bénéficiaires du RIS, et 1 est bénéficiaire du chômage, et du Revenu d'Insertion Sociale (R.I.S.). La réalité du terrain est là, en dehors des données officielles, les familles vivent pour la plupart, bien en dessous du seuil de pauvreté, avec comme seul revenu, une aide externe. Et ce n'est certainement pas la tendance économique de ces dernières années qui inversera la courbe du chômage. Au vu de l'explosion des Contrats à Durées Déterminées, la stabilité de l'emploi est de plus en plus mise à mal. Ces changements économiques entraînent un sentiment grandissant d'insécurité, et dans bien des cas, une augmentation du degré de pauvreté.

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Lors des entretiens que j'ai pu avoir avec eux après qu'ils aient complété le questionnaire, beaucoup m'ont fait part de leur peur de ne pas trouver de travail, se rappelant avec nostalgie l'époque où ils étaient à l'école, et où ils avaient un cercle d'amis bien plus important qu'aujourd'hui. Ce qui m'amène à évoquer le phénomène d'exclusion sociale, provoqué par la situation de chômage de longue durée.

ii. Le phénomène d'exclusion sociale par le travail :

C'est à partir de la crise énergétique et pétrolière des années 70, qui entraîna une transformation radicale du monde du travail dans l'Europe Occidentale (passant de 50 000 à 600 000 chômeurs en Belgique), que le chômage s'est installé de façon permanente et structurelle dans la société, c'est-à-dire qu'il fait, à présent, partie intégrante de la structure sociale du pays. Et être au chômage aujourd'hui, signifie n'avoir de relations sociales qu'avec la sphère familiale et avoisinante au domicile conjugal. Bon nombre de personnes sans emploi ne sont ainsi plus intégrées socialement, une intégration sociale qui se fait d'ailleurs à deux niveaux :

4 au niveau de l'ensemble de la société : c'est la cohésion sociale, c'est-à-dire la modalité du lien qui existe entre les membres d'une société. Elle s'oppose au concept d'anomie (nomos = valeurs, et a- sens privatif, c'est donc l'absence de valeurs) d'Emile DURKHEIM5. Ce concept désigne une société qui n'intègre pas ces individus car il n'y a pas assez de règles, de normes, de valeurs ou parce qu'elles changent trop vite. Ainsi, lors de périodes de crises ou de changements, l'intégration sociale ne fonctionne pas.

4 Au niveau individuel : c'est la socialisation, l'individu est intégré et socialisé. Cela s'oppose à l'exclusion sociale, c'est-à-dire au processus par lequel un individu occupe progressivement une position socialement reconnue comme extérieure. Ce n'est pas un

5 DURKHEIM Émile, De la division du travail social, 1893.

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état mais un processus progressif dans le temps, comme par exemple l'accumulation de situations de précarité par exemple.

L'exclusion sociale par le travail dont je parle ici est donc marquée par une extériorité, où la personne est perçue comme différente, mais aussi comme inférieure. La perte d'emploi affecte donc l'intégration de l'individu dans la société de manière nuancé. C'est ainsi que Dominique SCHNAPPER6 le décrit suivant 3 types de rapport au chômage :

4 le chômage total : qui est la perte du statut social, un repli sur soi et une rupture du principe de solidarité (honte d'eux-mêmes et honteux d'être au chômage).

4 Le chômage inversé : où la personne au chômage s'investie dans des activités autres que le travail (le milieu associatif, le bénévolat, etc). Ici, l'exclusion n'est pas vraiment vécue.

4 Le chômage différé : c'est lorsque la personne passe un temps complet à chercher du travail en gardant le même rythme qu'auparavant (se lever à la même heure, s'habiller de la même manière, etc). La personne essaie de résister à la perte du statut de travailleur.

iii. L'intériorisation de la situation d'exclusion :

Cette exclusion, provoquée par le chômage, induit inévitablement que la personne exclue soit reconnue comme telle par ses pairs, mais cela passe aussi par l'acceptation personnelle de cette situation perçue comme dégradante. L'approche de Serge PAUGAM7 illustre très bien cette prise de conscience stigmatisante en analysant les processus d'exclusion au travers de ce qu'il appelle « l'étiquetage » :

" (...) les exclus s'inscrivent dans un processus de disqualification sociale à partir du moment où ils admettent d'être désignés comme pauvres par des institutions officielles et leurs représentants (travailleurs sociaux, élus, etc..), la dépendance vis à vis des services d'actions

6 SCHNAPPER Dominique, L'épreuve du chômage, 1981.

7 PAUGAM Serge, La disqualification sociale: essai sur la nouvelle pauvreté, 1991.

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sociales et les intérêts réciproques des travailleurs sociaux qui désignent, et des assistés qui sont désignés ".

3. LA SANTE, EN GENERAL :

Comme je viens de l'expliquer plus haut, les familles aux situations économiques difficiles, ont souvent perdu le soutien de leur entourage immédiat et parfois se sentent plus généralement « exclues » que les autres. C'est ainsi que l'on retrouve un taux de morbidité important, et de nombreux problèmes de santé chez cette population. Et sur l'ensemble de l'échelle sociale, un constat général peut être fait, toutes pathologies confondues : la mortalité est plus élevée en bas qu'en haut de l'échelle, et la quasi-totalité des maladies y sont plus fréquentes chez les populations en situation de pauvreté que chez celles qui sont plus aisées.

Et s'il n'existe pas de « pathologie des pauvres », il y a cependant des risques bien plus grands de contracter des maladies physiques et psychologiques, de souffrir d'un manque d'hygiène, d'avoir une plus grande propension d'adopter des conduites à risques, ou encore d'avoir des difficultés à se nourrir convenablement lorsque l'on bénéficie d'un bas revenu. Autant de problèmes qui compliquent davantage le quotidien de ces personnes. Et dans le sens de l'engrenage de la précarité : plus elles sont fragilisées, plus elles ont du mal à se soigner, plus elles ont du mal à retrouver un emploi, et donc une place dans la société.

i. Des difficultés d'accès aux soins :

Il est évident que les personnes les plus pauvres ont plus de mal à accéder aux soins médicaux que les plus riches, bien que le système de santé en Belgique soit relativement

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efficace. Cela s'explique notamment par les faibles revenus des ménages, largement amputés par la déduction des impôts, des assurances, des loyers, des transports et autres dépenses essentielles à la vie dans notre société, et qui ne laissent pour ces familles que quelques euros par jour, souvent utilisés pour se nourrir.

C'est ainsi que le rapport annuel 2013 de la Mutualité Chrétienne, basé sur une enquête en ligne de 21 900 personnes en situation de pauvreté, fait un état des lieux alarmant des inégalités sociales en matière de santé. En effet, cette étude met en lumière les chiffres suivants : 43 % des personnes interrogés doivent reporter des soins pour des raisons financières, il s'agit essentiellement de personnes en invalidité (31 %), au chômage (28 %) et des isolés avec enfants (23 %).

On voit donc ici qu'il existe une réelle difficulté pour les familles pauvres d'accéder à des soins médicaux sans devoir se « serrer la ceinture », et ce, notamment auprès des spécialistes. En effet, c'est une dépense qui est plus souvent reportée que le loyer, surtout dans les familles nombreuses ou monoparentales. Au détriment, malheureusement, de soins dentaires, entraînant des maladies de l'appareil digestif : 11 % des plus pauvres souffrent de caries contre 6 % du reste de la population, de consultations de contrôle chez le médecin généraliste : 20,8 % des personnes de moins de 50 ans ayant un bas revenu n'ont pas consulté de médecin au cours de l'année 2007, contre 12% pour le reste de la population. Et encore plus alarmant, les personnes les plus pauvres sont également moins bien couvertes : 22 % d'entre elles n'ont pas de complémentaire santé contre 7 % du reste de la population.8

ii. Des consommations d'alcool, de tabac et autres drogues :

Les personnes touchées par la pauvreté rencontrent notamment un plus grand risque de contracter des maladies cardio-vasculaires et pulmonaires, et ce, à cause d'une plus grande

8 DE SAINT POL Thibaut, La santé des plus pauvres, division des conditions de vie des ménages, Insee, octobre 2007.

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consommation de tabac, d'alcool, et parfois de drogues, souvent engendrée par le stress et le désir d'oublier la situation dans laquelle elles se trouvent.

Dans ce sens, j'ai pu observer dans mon lieu de stage, des familles souvent confrontées aux problèmes de la drogue, et notamment des drogues dures. En effet, lors d'une activité manuelle avec les plus jeunes, l'un d'eux, alors âgé de 7 ans, m'a fait une déclaration assez marquante : « J'suis défoncé, j'ai trop pris de coke ! » m'a-t-il dit. J'ai immédiatement questionné mon éducateur référent, qui m'a fait comprendre que les parents de ce dernier étaient cocaïnomanes depuis un certain temps, et qu'il était possible que les enfants les aient déjà aperçus en pleine prise.

J'ai aussi pu remarquer sur le terrain, de nombreux parents venant chercher leurs enfants dans des états d'ébriétés manifestes, ou encore avec les yeux vitreux et des comportements suspects, témoignant d'une prise de drogue évidente, sans que nous puissions véritablement intervenir. D'ailleurs, dans le questionnaire que j'ai adressé aux enfants, je leur ai donné la phrase suivante : « A la maison, il m'arrive parfois d'entendre parler de drogue », et il se trouve que 3 enfants sur 16 m'ont répondu qu'ils étaient d'accord, soit 18,7% des répondants.

iii. Une santé mentale fragilisée :

Outre les problèmes de santé physiques et les consommations de tabac, d'alcool et de drogues, s'ajoutent souvent des troubles psychologiques relevant plus souvent du « mal-être » que de la maladie mentale. On retrouve par exemple de nombreux cas de dépressions et de tendances suicidaires, notamment induites par une situation de stress généralisé, inévitablement provoqué par la spirale de la précarité et de l'exclusion sociale qui en découle.

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Le sentiment d'infériorité, ou encore de bouc-émissaire, est aussi très souvent mentionné dans les recherches sur le sujet, tout comme le fait que ces personnes ressentent leur vie comme un échec, et éprouvent une certaine honte de vivre dans le besoin.

iv. Le problème de la négligence alimentaire : la malnutrition :

J'ai aussi pu constater au travers de mes recherches, que le thème de l'alimentation est de plus en plus souvent mentionné, et est même devenu un enjeu national, notamment depuis l'arrivée du « 5 fruits et légumes par jour ». Il n'est pas ici question d'une sous-nutrition, mais plutôt d'une malnutrition provoquée par plusieurs facteurs :

- un manque d'équipement culinaire, de connaissances, et de temps, engendrent un repli systématique vers les plats de types « préparés » ou « livrés »,

- des difficultés économiques rendant impossible l'achat d'aliments sains, entraînant des excès et des carences dans plusieurs domaines. En effet, les difficultés socio-économiques des familles les poussent de plus en plus à se tourner vers des aliments de type « hard discount », souvent très riches en protéines, et de très mauvaise qualité en termes d'apport vitaminique,

- une déstructuration du lien social lors de la prise des repas dans la famille, provoquée par la désynchronisation des rythmes de vie. C'est-à-dire que le moment du repas n'est jamais le même pour tous les membres de la famille : « (...) à l'irrégularité des rythmes de sommeil correspond l'irrégularité des horaires et sauts de repas ; à l'isolement engendré par la désorganisation de la cellule familiale répond la solitude et le désintérêt vis-à-vis des repas, etc. L'alimentation n'assume plus son rôle structurant, mais suit et renforce les contraintes sociales et familiales rencontrées par les individus. »9

9 Enquête CORELA, 2005.

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Et en effet, 62,5% des enfants interrogés admettent qu'ils ne mangent jamais à la même heure le matin, le midi et le soir.

L'ensemble de ces facteurs engendrent bien souvent une malnutrition, qui elle-même, engendre l'obésité. Il est d'ailleurs important de noter que le risque d'obésité est cinq fois plus élevé en cas de précarité économique, sociale ou psychoaffective. Cette malnutrition conduit également à diverses carences qui augmentent le risque de maladies cardio-vasculaires, de cancers, d'anémie, ou d'ostéoporose. L'obésité est également deux à trois fois plus présente chez les personnes à faible niveau d'éducation.10

Ce premier volet, essentiellement basé sur ce que j'ai voulu nommer « Précarité et pauvreté, la spirale infernale », illustre de façon non exhaustive, l'étroitesse des liens qui unissent la totalité des difficultés que peuvent rencontrer les familles, et l'engrenage qui en découle lorsqu'elles se trouvent dans une situation de précarité.

Ainsi, le chômage de longue durée peut donc influer sur l'état de pauvreté, et conduire le plus souvent, à une exclusion sociale, qui empêche alors la personne de reprendre sa place dans la société. L'état de pauvreté peut aussi engendrer des problèmes de santé physique et/ou mentale, qui, à leurs tours, pourraient priver la personne de trouver un emploi, et ainsi de suite. Tous les schémas sont possibles, et aucun n'est réellement fixé. Il n'existe que des familles en difficultés, souvent en rupture avec les services d'aide sociale, et qui, tant bien que mal, tentent de sortir du gouffre qui les englouti.

Mais comment en sont-elles arrivées là ? Est-ce simplement par manque d'éducation ? D'argent ? De volonté ? N'ont-elles pas subi la situation de leurs ascendants ?

10 CAVAILLET F., DARMON N., LHUISSIER A., REGNIER F., L'alimentation des populations défavorisées en France. 2005.

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C. LA FAMILLE COMME PREMIER LIEU

D'APPRENTISSAGE :

S'il est un lieu particulier où l'enfant doit pouvoir établir les bases de tout apprentissage, c'est, avant l'école, le foyer familial. Idéalement, et selon les différents textes de protection des droits de l'enfant, les parents ont pour responsabilité première l'éducation et la protection de leur progéniture. Ils doivent veiller à l'épanouissement personnel de ces derniers, en instaurant un climat familial de bonheur, d'amour et de compréhension mutuelle au sein de la famille : « c'est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l'enfant qu'incombe au premier chef la responsabilité d'assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l'enfant ». 11

La place de l'enfant dans le noyau familial est donc perçue comme centrale aux yeux des autorités publiques et étatiques. Les parents sont tenus d'éduquer leurs enfants selon les meilleures dispositions possibles, puisque ce sont eux qui transmettent les premières règles sociales, qui favorisent le processus de socialisation, et qui posent le ciment de ce qui sera plus tard, l'identité personnelle de l'enfant.

Mais comment donc éduquer convenablement un enfant lorsque sa propre situation est synonyme d'instabilité et de fragilité ? Comment parvenir à assumer pleinement son rôle d'éducateur/protecteur au sein d'une société qui met de plus en plus l'accent sur le devoir de « réussite sociale » ? Comment faire face à la pression des images de familles « parfaites » et soudées, envoyées en flux continu par les médias ? Quelle est réellement la vision du rôle parental au sein de notre société, et au sein des familles concernées ?

11 Convention Internationale des Droits de l'Enfant Article 27.2, ONU, 20 novembre 1989.

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I. RAPPEL HISTORIQUE DE LA PLACE DE L'ENFANT DANS LA CELLULE FAMILIALE :

Sans vouloir m'attarder sur une anthropologie de la sociologie de la famille, je vais rappeler brièvement les évolutions qu'elle a subies au fil des époques, et notamment la place de l'enfant dans le foyer familial. Dans un souci de synthétisation, je n'évoquerai que les évolutions de la famille dite, occidentale.

Si l'on remonte à l'étymologie du terme « enfant » dans sa racine latine, on trouve : infans, -antis, qui ne parle pas. On voit ici une conception bien archaïque de la place de l'enfant dans la société de l'époque : il n'avait alors que le droit de se taire. Ainsi, les Gaulois avaient même le droit de vie ou de mort sur les enfants, et les Romains pouvaient, à leur guise, accepter ou refuser un enfant dès sa naissance. C'est le concept de « Puissance Paternelle ». L'enfant était donc plus considéré comme une main d'oeuvre supplémentaire et comme l'assurance d'une descendance de la lignée, que comme le fruit tangible d'un amour partagé entre deux êtres. Rappelons qu'à cette époque, la vision du couple n'était soumise à aucune règle, et que l'adoption de fait ou la polygamie, étaient monnaies courantes, et que la femme était mariée à un homme sans consentement, choisi au préalable par le père.

Il faudra attendre les avancées révolutionnaires de l'Eglise au XVème Siècle pour voir apparaître les prémices de ce qui sera plus tard, la famille nucléaire. En mettant l'accent sur le consentement mutuel des époux, l'Eglise donnera alors plus d'intimité au couple, leur laissant ainsi le soin de désirer un enfant ou non. C'est à partir de là que ce dernier prendra peu à peu une place à part entière dans le foyer familial.

Mais ce n'est qu'à l'époque des Lumières et de la Révolution Française, notamment avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, adoptée le 26 août 1789, que l'enfant va être reconnu comme ayant des droits. Bien que celle-ci ne vise pas particulièrement le statut de l'enfant, elle mentionne toutefois dans son introduction que cette déclaration est : « (...) constamment présente à tous les membres du corps social, (...) »12.

12 Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, Introduction, 1789.

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Mais, compte tenu du niveau de vie difficile, les deux parents devaient travailler, et l'enfant était souvent déjà travailleur dès l'âge de 10 ans, selon les dispositions légales de l'époque. Ce n'est qu'un siècle plus tard, en 1887, que Jules Ferry, en rendant l'école gratuite, laïque, et surtout obligatoire de 6 à 13 ans, que ce statut d'enfant travailleur va peu à peu changer.

Puis les années passent, et la société occidentale est plongée dans la révolution industrielle, les moeurs changent rapidement, la famille prend définitivement le rôle de fonction affective à mesure que l'état prend du pouvoir sur celle-ci (sécurité sociale, obligation scolaire, etc). Arrivent les Trente Glorieuses, qui laissent planer un climat social stable et prospère. Le niveau de vie augmente, et l'un des deux parents peut alors quitter son emploi, donnant libre court à la division des rôles parentaux : le père autoritaire et travailleur, et la mère affective et au foyer, ayant pour seules activités, les tâches ménagères, l'administration des soins, et la garde de l'enfant. Les avancée de la médecine vont dans le même sens : contraception généralisée, baisse de la mortalité infantile, hausse de la qualité des soins pré et postnataux, etc. C'est l'avènement de l'enfant « contrôlé ».

On voit alors apparaître la Déclaration de Genève, le 26 septembre 1924, qui stipule que : « L'enfant doit être mis en mesure de se développer d'une façon normale, matériellement et spirituellement.», Celle-ci est revisitée, et passe de cinq à dix principes avec la Déclaration des Droits de l'Enfant du 20 Novembre 1959. L'enfant devient peu à peu un sujet à part entière, possédant des compétences réelles d'un point de vue cognitif, social et affectif.

Mais l'arrivée des premiers chocs pétroliers provoque une crise économique et sociale sans précédent, qui va alors changer profondément le modèle familial en occident. Le niveau de vie ne monte plus, on doit joindre les deux bouts, et la crise renforce ce que les mouvements féministes revendiquaient : les femmes retournent travailler. Parallèlement, l'âge du mariage augmente, on voit de plus en plus de divorces, et les familles monoparentales explosent. A mesure que la société évolue, les formes de couples changent et se diversifient : familles éclatées, recomposées, complexes, homoparentales, etc.

L'Homme décide enfin de protéger entièrement la condition de l'enfant, et de lui accorder des droits inaliénables en rédigeant et en adoptant la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, le 20 novembre 1989, il y a un peu plus de vingt-cinq ans seulement.

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Aujourd'hui, l'enfant est au coeur des préoccupations des sociétés et des familles. Il est devenu l'un des axes de référence de la famille contemporaine. En effet, « une nouvelle conception plus contractuelle des liens conjugaux a fait passer les liens parentaux à la première place »13. Les liens conjugaux sont désormais solubles (d'un point de vue juridique) tandis que le lien de filiation, lui, est caractérisé par le long terme. L'enfant est à présent enfant-individu, enfant-roi et, de plus en plus, enfant-consommateur.

Mais on voit apparaître un nouveau paradoxe : l'enfant du XXIème siècle est sans cesse poussé vers la performance, en milieu scolaire et extra-scolaire, tandis que les sciences sociales et la psychologie, l'invite à ne pas quitter son enfance, prônant une « philosophie » de vie tendue vers l'épanouissement. Ainsi, l'insouciance, l'innocence, et la spontanéité sont devenues des valeurs centrales. Cette pression de la société sur l'enfant révèle des angoisses et des inquiétudes constantes chez les parents, qui se demandent sans cesse si leurs enfants sont bien éduqués, s'ils vont réussir comme les autres, etc. Un stress qui est bien évidemment décuplé lorsque la pauvreté et la précarité s'en mêle, car il est indéniable que l'enfant issu d'un milieu aisé réussira mieux qu'un enfant issu d'un milieu pauvre. En effet, dans notre société de la connaissance, les personnes peu instruites courent un risque de pauvreté nettement plus élevé (23,8%) que celles très instruites (6,5%).14

A partir de ces constats, quels sont véritablement les devoirs des parents envers leur enfant ? Quel est le schéma traditionnel occidental qui doit être appliqué en matière d'éducation de nos jours ? Comment les parents perçoivent-ils leur rôle ?

13 FOURNIER Martine, La Révolution des poussettes, 2011.

14 Données statistiques, EU-SILC, enquête 2013, Belgique.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault