WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Sculpture et vidéo, modes de fabrication et présentation : le processus d'une coalescence des formes.

( Télécharger le fichier original )
par Kevin Fouasson
Université Rennes 2 - Master 2 Arts Plastiques 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Texture de la lenteur.

Le ralentissement extrême auquel est soumise l'image vidéo durant les six minutes qui séparent chaque moment d'agitation de la figure projetée, confère lui aussi, à l'image un statut particulier tout en déterminant sa réception par le spectateur.

Et on retrouve une nouvelle fois cette notion de « sculpture du temps », dont Raymond Bellour parlait à propos des vidéos de Bill Viola, dans le discours de Françoise Parfait; « la dilatation de l'instant et la contraction des durées sont des opérations qui permettront d'élaborer une nouvelle conception du travail avec le temps et lui conférer une dimension sculpturale41. »

Contrairement au temps de l'éternité qui reste très éloigné du temps ressenti par les spectateurs, le temps dilaté est perçu « comme une nouvelle modalité de perception des durées, reconnue intimement car déjà expérimentée dans les activités mentales du rêve ou de la remémoration42. » Ainsi, les images lentes apparaissent comme proches des images de l'esprit, car la perception du temps chez l'Homme n'est pas uniforme; elle est non seulement parcellaire et fragmentée, comme nous le soulignions précédemment, mais elle peut également se moduler selon les évènements vécus et selon nos projections mentales. Si notre temps est éphémère et gradué à l'extérieur de notre esprit, nous sommes néanmoins dans l'incapacité de ressentir mentalement cette graduation, et c'est notre pensée qui détermine notre conscience du temps présent ou d'une durée passée.

Mais au-delà du point de vue du spectateur face à cette vidéo dont la durée est étirée à l'extrême, la notion de lenteur nous amène à penser sa texture, car l'image ralentie nous dévoile toute sa picturalité, entre fluidité et immobilité. Pour le réalisateur et essayiste Jean Epstein, le ralenti produit une image « entre solidification et liquéfaction » dont « la viscosité décrit ce à quoi le ralenti contraint le cinéma: tirer le temps vers l'illusion d'une matière, une matière plastique43. »

On retrouve ce rapprochement entre ralentissement et effet de matière de l'image dans le texte d'Alain Fleisher, La vague gelée, où il va jusqu'à comparer l'image ralentie à l'extrême avec le rite de l'embau-mement.

« La momification est la tentative de sauvegarder une architecture et une façade organique, l'une et l'autre support d'une image qui ne cesse de fuir et de se perdre, et où la ressemblance ne conserve une matière originelle authentique - la peau - que pour perdre forme et pour s'ouvrir au dissemblant. Cet étrange tissu élastique, empreinte de l'être qu'il habille et qu'il moule, est conservé par la momie

41 Ibid.

42 Ibid, p.123.

43 Jean Epstein, Ecrits sur le cinéma, tome 2, Paris, Editions Seghers, 1974, p. 45

52

comme surface de contact entre positif et négatif, mais une surface qui perd peu à peu la mémoire des formes pour n'obéir plus qu'aux lois du vieillissement d'un tissu mort44. »

Ainsi, la texture de l'image vidéo ralentie jusqu'à être presque figée, serait comparable au tissu organique d'un corps momifié. A force d'étirement de sa durée, l'image vidéo perd de sa fluidité première, les pixels semblent s'agglutiner les uns aux autres par un effet de viscosité. Le mouvement interne de l'image, le passage de couleur d'un pixel à l'autre, s'abîme dans son ralentissement, et l'image cesse de n'être que représentation, elle se dilate peu à peu pour nous révéler une forme grotesque, l'image se fait matière informe. Mais si elle perd de son caractère identifiable, cette image gagne en matérialité, sa viscosité en appelle davantage au toucher qu'à la vue.

Au-delà de cet aspect de matérialisation et d'accentuation de la picturalité de l'image ralentie, il faut constater que ces images lentes insistent sur elles-mêmes, en nous renvoyant directement à leur propres matière et aux actions qu'elles représentent. Cette centralisation de l'image sur elle-même provoquée par le double effet de la boucle et du ralentissement, va à l'encontre d'un quelconque désir de narration. C'est la « pure action45» qui est mise en avant, celle de l'image, mais aussi celle des sculptures, et par extension, celle du spectateur.

Cette « pure action » c'est celle de l'immobilité des sculptures, du retour ininterrompu de la vidéo sur elle même, de la lenteur presque figée de la figure, et puis soudain, du surgissement de l'événement, de la figure qui bouge, qui se débat avant de retrouver son sommeil gelé. Françoise Parfait fait le parallèle entre le traitement temporel de l'image en mouvement qui relève « de questionnements liés à la sculpture : immuabilité et stabilité46 », et la démarche de compositeurs de musique répétitive (Philip Glass, La Monte Young, Steve Reich, Terry Riley ou encore John Adams) qui « ont eux aussi essayé de faire percevoir le présent du temps, en brisant le caractère illusionniste de la mélodie, par les effets de la répétition47. »

Autrement dit, en musique comme en vidéo, il convient de rompre avec les codes traditionnels du médium; la mélodie, comme la narration filmique, doit céder sa place à une approche plus radicale. A l'image de ces compositeurs qui ont cherché à faire entendre une musique différente, où le rythme importait plus que la mélodie, où l'auditeur était invité à éprouver véritablement les sonorités, la boucle et le ralenti en vidéo produisent des effets comparables. Il s'agit, à travers l'installation, d'amener le spectateur à percevoir le « présent du temps », dont parle Françoise Parfait, tout comme la focalisation

44 Alain Fleisher, «La vague gelée», Plasticité, Paris, Editions Léo Scheer, 2000, p.210.

45 « Il existe une crise de la narration au cinéma dont témoignent la Nouvelle Vague, le cinéma expérimental

des années 1960 et le cinéma indépendant américain, au profit très souvent des pures actions. L'obligation de raconter des histoires vient majoritairement du cinéma industriel et commercial : c'est une constatation et non un jugement de valeur, qui n'aurait aucune efficacité ici. Néanmoins, il est donc normal que le cinéma expérimental, puis la vidéo aient participé à la critique de cette fonction majoritaire mais épuisée du cinéma, en remettant en question le régime de croyance du récit. En questionnant les codes et les modalités du récit cinématographique, c'est le statut du spectateur en tant que sujet de diverses indentifications (au spectacle, au dispositif, aux personnages) qui s'est aussi déplacé. » Françoise Parfait, Vidéo : un art contemporain, op. cit., p.84.

46 Ibid, p.77.

47 Ibid.

53

sur la « pure action ».

L'installation projection s'écarte alors de toute logique de récit. En pénétrant parmi ces formes figées, ces images momifiées, statufiées par la lenteur ou par la solidification des matériaux, le spectateur est invité à ressentir sa propre présence face à la prestance des artefacts qui l'entourent.

54

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon