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Le microcrédit au Maroc. Tensions entre performance commerciale et finalité sociale.

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par Brahim NAHI
Université Mohamed 5 _Faculté de droit Agdal Rabat  - Master spécialisé en Management de développement social  2012
  

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Chapitre 2 : Les effets de l'adoption du référentiel de
marché (paradigme marchand)

Source : www.paperblog.fr/.../s1600/microcredit.jpg

Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 130

Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 131

Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

INTRODUCTION

Ce chapitre aborde la nature de l'adoption de l'approche commerciale par le secteur du MC et ses effets sur la vie des pauvres. Il passe en revue les éléments de cette approche et examine la relation entre la promotion du dispositif de MC et le système néolibéral afin d'éclairer sa position à l'égard des instances internationales (BM et FM).Pour traiter ensuite, les dérives relevées dans la pratique du MC qui peuvent constituer un début de convergence au niveau du secteur.

Chapitre 2 : Les effets de l'adoption du référentiel de marché

Le terme microcrédit renvoie à l'offre de prestations financières, comme il désigne aussi par extension un secteur d'activité, c'est-à-dire l'ensemble des prestataires dispensant ces services. Il a été conçue comme un « outil au service du développement tout en restant ancrée dans le secteur marchand, marquant une ambivalence qui brouille les distinctions traditionnellement établies entre le politique et l'économique, le public et le privé, le commercial et le social»236.

Dans les années 1980, l'application des PAS237 ordonnée par le FMI et traduite par une réduction des budgets destinés aux secteurs sociaux, a eu des effets négatifs sur le plan social, en particulier à l'égard des pauvres qui ont été les premières victimes à en payer le coût fort. Cependant, afin de lutter contre la pauvreté, les politiques publiques des PED ont favorisé le développement du MC destiné, essentiellement, aux femmes. En effet, le secteur a connu une promotion aussi importante au point de voir les banques commerciales jouer le rôle d'animateurs de la démarche parrainée par les pouvoirs publics.

Certes, les banques ne sont pas des organismes de bienfaisance, mais les riches ont la possibilité d'emprunter des montants importants quoiqu'ils restent une minorité devant le nombre important des pauvres. Il paraît donc plus rentable de consentir de petits prêts à de nombreux pauvres. En plus, les études réalisées sur les systèmes informels de financement

236 BEDECARRATS, Florent. « Evaluer la microfinance, entre utilité sociale et performances financières », La Découverte | Revue Française de Socio-Économie 2010/2 - n° 6 pp. 87-107, Url http://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie

237 Le FMI et la Banque mondiale ont prescrit les PAS afin d'imposer leur vision de développement (production, commerce et consommation).

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

ont démontré l'existence d'énormes sommes d'argent circulant dans l'informel et qui échappent au contrôle du système financier. Par conséquent, les banques ont observé autrement ce filon avant de se lancer dans une politique de microendettement taillée sur mesure pour les pauvres. Ainsi, comme l'explique Serge Latouche : «les banques (...) cachent derrière leur bonne volonté des intérêts peu avouables. En Afrique du Sud par exemple, elles ont jeté un oeil avide sur les énormes masses d'argent épargné sous forme de tontine. C'est pour elles un potentiel appréciable de chiffre d'affaires qui (...) leur passe sous le nez»238.

En fait, le nombre important des pauvres forme aussi un marché potentiellement rentable, chose qui ouvre l'appétit des banques. Et selon Med Yunus « en août 1996, il y avait au seul Bangladesh, (...) 2.059.510 personnes (...) endettées auprès de la Grameen Bank » pourvu que son ambition vise plus loin, en déclarant : «nous nous sommes fixés un but pour l'an 2005 : Si on peut aider cent millions de familles en leur prêtant de l'argent par l'intermédiaire des femmes, (...) c'est la moitié des pauvres (...). (...) si on réussit (...), il suffit de multiplier notre action par deux pour toucher les autres»239, et ce dans le cadre du système capital que défend Med Yunus puisqu'il considère que « la mondialisation peut apporter plus de bénéfices aux pauvres que n'importe quel système alternatif »240.

Toutefois, la vision excessive des vertus du microcrédit repose sur le «mythe»241 du «pauvre entrepreneur». Ce «mythe» s'est forgé grâce à la difficulté d'évaluer l'apport réel du microcrédit pour les populations concernées. Or, selon ce mythe, il suffirait de doter les pauvres en capital pour développer leur potentiel entrepreneurial. Mais, le challenge réside dans la grande difficulté à se transformer en vrais entrepreneurs.

Partout dans le monde, la commercialisation du microcrédit a connu une progression rapide, au point de décrire cette évolution, pour certains, comme signe de maturité du secteur caractérisée par une survente massive aux pauvres par des entreprises commerciales. On peut constater que certaines AMC ont adopté une approche commerciale plus rentable que

238 BISILLIAT, Jeanne et VERSCHUUR, Christine. « Genre et économie: un premier éclairage », p.353

239 PEEMANS-POULLET. Hedwige, « La miniaturisation de l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », Revue Féminismes et Développement, (Bruxelles), n°71-72, février-mai 2000, p. 60-66 (extraits. Cahiers Genre et Développement)

240 YUNUS Muhammad & WEBER Karl. (2008). Vers un nouveau capitalisme, Editions JC Lattès 2008, p. 28

241 FOUILLET Cyril et al. , op. cit.

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

les banques commerciales traditionnelles. Alors, une fois que ces institutions de microcrédit ont commencé à gérer leur activité sur une base commerciale, leur environnement a été progressivement marqué par la concurrence.

M. Yunus pense que l'Etat , sous sa forme actuelle, « devrait se désengager presque intégralement (à l'exception de la défense nationale et de la politique étrangère) pour laisser le secteur privé (...) - animé par un souci de bien être social- jouer son rôle242 » et défend l'idée que « les pauvres ont tout intérêt à voir s'ouvrir d'important marchés243 » tout en assurant que la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes engendrera des bénéfices à tous et pas seulement aux pauvres.

Depuis plusieurs années, le microcrédit fait l'objet d'une attention particulière de la part de la communauté internationale, puisque dès 1997 le Sommet mondial de Washington sur le MC a fixé comme objectif de permettre à 100 millions de personnes d'y accéder. Par contre, le marché tourne parfois à l'envers notamment en temps de crise, dans ce cas « les investissements étrangers se font rares et que le niveau des échanges commerciaux est au plus bas, que le microcrédit s'avère décisif pour libérer des moyens favorisant l'entreprenariat local244». Or, si on croit Hedwige Peemans-Poullet « le projet de lutte contre la «paupérisation» en endettant tous les pauvres (...) (en leur donnant accès au crédit) fait l'objet d'une promotion sans précédent » 245 de la sorte que « l'endettement se diffuse progressivement aux classes moyennes et aux couches populaires dans les années 19501960, en particulier par le biais du crédit revolving (crédit renouvelable)246 ». C'est donc cette présumée «révolution financière», qui a « placé la dette au coeur du capitalisme américain,... »247 dont la principale barrière quant à sa diffusion n'était pas d'ordre institutionnel à ces temps-là puisque l'action d'emprunter suscitait une forme de « désapprobation morale », et la personne endettée était regardée comme « un être irresponsable, incapable de réprimer ses besoins et de bien gérer ses finances248», bien que l'esprit d'épargne n'avait pas encore été écarté dans l'échelle des valeurs du capitalisme. Et ce dans le cadre d'un système financier considérant la petite somme prêtée assez

242 YUNUS Mohammed, « Vers un monde sans pauvreté ». op. cit. p.321.

243 Idem.

244 ABANDA, Ambroise. op. cit.

245 PEEMANS-POULLET, Hedwige. « La miniaturisation de l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », op. cit.

246 DELALANDE. Nicolas, op. cit.

247 Idem.

248 Ibid.

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

rentable devant la présence d'une demande importante ; et comme « il y a beaucoup plus de pauvres que de riches, on peut aussi bien faire fortune avec les petits pauvres qu'avec les gros riches249».

Section 1 : Le MC et les nouveaux paradigmes de développement

Beaucoup de chercheurs estiment que le MC ne doit pas être conçu comme un phénomène purement local, mais il doit « s'inscrire dans le processus général de mondialisation », reconnu comme un « levier de développement », cependant, il ne représente « qu'un élément important qui doit rentrer en synergie avec d'autres facteurs pour obtenir des changements durables et significatifs250 ».

§ 1 : dilution de la mission sociale du MC dans le référentiel du marché

Depuis son apparition dans les années 1970, le MC a évolué pour devenir une véritable industrie au niveau mondiale, composée d'une grande ramification d'organisations fournissant des services financiers aux pauvres entrepreneurs. Cette industrie a donné naissance au terme de « commercialisation », un nouveau paradigme251 par lequel les institutions de microfinance (IMF) se doivent d'assurer la pérennité de leurs activités de façon indépendante des subventions et de gérer leur fonctionnement selon une approche commerciale, de façon à ce que les services délivrés puissent être assurés sur le long terme. Par ailleurs, la commercialisation s'est accompagnée d'une évolution du financement du MC à deux niveaux252 et par : le niveau de la dynamique de l'investissement international et celui des institutions avec l'évolution de leurs structures de financement vers le modèle des banques traditionnelles.

En 1997, à Washington et au moment de son premier sommet médiatisant l'efficacité de son action contre la pauvreté, le MC était assimilée à un tournant historique pour l'humanité. Toutefois, les célébrations faites au MC sont aussi fastes au point qu'il peut paraître

249 Hedwige Peemans-Pollet_Défis du Sud. op. cit.

250 SERVET J.M., DOLIGEZ François, GUERIN Isabelle & GENTIL Dominique (Sciences au Sud- le journal

de l'IRD - mars/avril 2004).

251 URGEGHE, Ludovic. «Commercialisation et financement de la microfinance : quels enjeux de gouvernance ?

», Reflets et perspectives de la vie économique, 2009/3 Tome XLVIII, pp. 39-50. Url http://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique

252 Idem.

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

intolérable sinon « interdit » d'interroger les limites de ce mouvement qualifié d'une sorte de « révolution de la finance ».

Pour J.M. Servet, « trop de mythes continuent de circuler autour de la nature, l'impact et les effets du microcrédit »253, et pour lui ceux qui diffusent les prêts qui mènent « régulièrement à un surendettement des emprunteurs » 254 doivent être dénoncés. Aussi, le microcrédit est fortement accusé de servir le néo-libéralisme et de renforcer les inégalités et les hiérarchies sociales.

Tant ses défenseurs que ses opposants se trompent de cible, bien qu'il ne doit pas être considéré comme instrument unique de lutte contre la pauvreté et les inégalités à partir du moment où il ne peut qu'être un simple « service » auquel les pauvres devraient avoir droit.

Parmi les limites255 de cette forme d'intervention financière on trouve la faible implantation dans le rural, pendant que le milieu urbain fait l'objet d'une intense concurrence entre AMC.

Actuellement, le microcrédit tend vers la domination de l'approche commerciale, et dans de nombreux pays s'est d'ailleurs développé un véritable marché dédié à ce genre de prestation. Kamala Marius Gnanou parle de l'inexistence d'une réponse claire et définitive quant au rôle joué par cet outil dans le processus de mondialisation, tout en révélant que ses effets sont multiples et peuvent renforcer des évolutions allant dans le sens de la mondialisation avec des répercussions parfois tragiques256, comme c'est le cas d'incitation de personnes vulnérables économiquement à l'endettement.

Bien que le microcrédit soit promu d'une manière faisant croire que les plus pauvres et les plus vulnérables peuvent devenir entrepreneures et créateurs de leur emploi, favorisant ainsi le processus de mondialisation. Celui-ci peut devenir un filet de sécurité retardant « l'explosion » sociale mais sans être une réelle issue de secours durable à l'égard de la

253 FOUILLET, Cyril et al. , op. cit.

254 Idem.

255 SERVET, Jean Michel. (2006). Banquiers aux pieds nus, La Microfinance. Editions Odile Jacob, Paris

256 MARIUS-GNANOU, Kamala. « Mondialisation, activités économiques et nouveaux rapports de genre », UMR Ades-CNRS, Université de Bordeaux, version auteure, Acte du Colloque « Genre en mouvement, Conflits, Négociations, Recompositions », 30 sept-2 oct. 2009

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

pauvreté. Ainsi, le microcrédit participe au mouvement de mondialisation en devenant une «forme de subsidiarité» de l'action publique dont l'efficacité est à revoir en profondeur.

Point 1 : Le MC, une facette du « micro » capitalisme

1. Le microcrédit comme instrument néolibéral

Selon les travaux de Georg Simmel et de Karl Polanyi la monnaie est bien plus qu'une marchandise permettant simplement de faciliter la réalisation de l'échange marchand257. Son rôle sociétal est souvent considéré comme une survivance des sociétés traditionnelles bien qu'il soit, en fait, un élément fort des sociétés modernes. En effet, parallèlement au développement de la concurrence marchande, il s'étend aux différentes sphères de la vie sociale. C'est dans cette perspective que s'est investi le courant du MC pour lequel une simple vue du processus de son mouvement l'incarne plus comme « une nouvelle extension de l'esprit capitaliste. Celui-ci s'incarne dans les objectifs de lutte contre la pauvreté du fait de leur logique néolibéral258 ». Or, le microcrédit a pris son essor dans les années 1980 comme il a connu une diffusion rapide et une reconnaissance internationale comme il a suscité de grands espoirs en tant que voie permettant aux pauvres de se prendre en charge. Il constitue un élément concurrentiel essentiel et traduit, selon l'expression d'un des plus hauts responsables de la Banque mondiale, la «vibration du marché259» dans les aires les plus pauvres.

L'une « des multiples manifestations de la financiarisation » qui s'est étendue et intensifiée au cours du dernier quart du 20ème siècle sous la pression des idéologies néolibérales qui « faisaient de la finance et de la monnaie un vecteur essentiel parce qu'en apparence neutre»260 et ce afin d'assurer la dominance et le contrôle du marché mondial.

Sa pratique s'accompagne parfois de règles très strictes, d'un protocole minutieux et apparait comme l'un des aspects d'une nouvelle « fabrique de l'habitus économique» (selon Bourdieu), le MC participe à ce processus et on observe d'ailleurs la mise en place et

257 GLOUKOVIEZOFF, Georges. op. cit.

258 SERVET, Jean Michel. (2006). Banquiers aux pieds nus. Editions Odile Jacob _ Paris, 511 pages.

259 GENTIL Dominique & SERVET Jean-Michel. « Entre « localisme» et mondialisation : la microfinance

comme révélateur et comme levier de changements socio-économiques ». Tiers-Monde. 2002, tome 43 n°172. pp. 737-760. Url_ http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers

260 Idem.

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

l'application d'une véritable doctrine de la discipline financière qui vise la maîtrise de l'argent qui circule entre les mains des pauvres.

L'orientation commerciale des organisations de microcrédit provoque des divisions entre réseaux de microcrédit et ceux de l'économie solidaire. Or il semble que peu de gens se soucient réellement du sort des destinataires du MC puisque le système néolibéral est le seul qui donne à penser que l'imputation des coûts aux bénéficiaires de certains services présente la meilleure solution. Et pourtant, les subventions restent une nécessité, notamment dans les domaines sociaux et sont indispensables dans un contexte marqué par une financiarisation croissante. Le soutien public permettrait uniquement au MC de se développer auprès de clientèles peu ou non rentables et d'assurer la coordination des différents acteurs, en vue d'une offre équilibrée et adaptée.

Le succès du MC repose sur la discipline aussi bien au sein de la clientèle que des institutions du MC. D'un autre côté Brigg Morgan261 montre, dans ses études sur la Grameen Bank, comment une telle discipline se transforme en véritable rituel lorsqu'en particulier l'agent de crédit arrive hebdomadairement devant le groupe rassemblé pour lui remettre le remboursement du prêt en cours, les membres du groupe se lèvent, le saluent et récitent le slogan de la Grameen : « Discipline, Unité, Courage, Travail dur ».

Contrairement au système bancaire qui impose certains pratiques formelles permettant aux banquiers d'évaluer la solvabilité des clients tout en leur exigeant des garanties, Mohammed Yunus évoque que les clients du MC doivent uniquement « faire preuve de leur pauvreté262», pour pouvoir en bénéficier et être, ainsi, exonérés de justificatifs et de garanties.

Malgré les critiques qu'on a pu retenir à propos du MC, il est clair que bon nombre de ses bénéficiaires, qui enclenchent le cercle de l'investissement, est relativement significatif. Les autres, qui l'utilisent comme moyen de lissage des besoins de trésorerie, demeurent dépendants d'un service financier permanent. Ce constat peut cependant être interprété de deux manières. La première, selon le point de de vue « capitaliste » véhiculé par les AMC et l'aide internationale dont la vision est aussi libérale et individualiste, en ce qui touche au développement économique. En outre, la main invisible du marché régule l'ensemble des

261 MORGAN Brigg 2006: 79-80

262 YUNUS, Mohammed. Vers un monde sans pauvreté. op. cit.

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Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)

activités de production d'individus pour lesquels le sens de l'évolution de cette production est caractérisé par une diminution des coûts assortie d'une amélioration des performances matérielles de la société. La deuxième analyse d'un point de vue plus anthropologique, vise à permettre aux gens de se soulager de la souffrance, de jouir des biens de consommation voulus, de progresser socialement et d'être indépendant, l'activité productive devient incontournable. Ici, les coups durs de la vie sont absorbés «matériellement», soit par des assurances individuelles ou par des systèmes de protection sociale collective mis en place. Quoique la dynamique d'ensemble des modèles de développement est basée sur l'accumulation individuelle où le crédit, dans sa conception occidentale, est considéré comme accélérateur d'évolution.

Le MC conçu comme modèle économique est devenu credo pour des notables comme Hillary Clinton, qui est touchée par " la capacité de ces prêts à permettre aux femmes les plus pauvres de débuter une activité et de sortir ainsi leurs familles et leurs villages de la pauvreté" ou Paul Wolfowitz, ex-président de la BM, qui évoque l'ingénieux "pouvoir de transformation" dont dispose le MC. Alors que Mohammed Yunus le considère en tant que mobilisateur du «social business» qui est décrit comme « une entreprise qui ne réalise pas de perte et ne distribue pas de dividendes» 263. Or cette vision ressemble bien à celle d'une association ou ONG à but lucratif du fait qu'il reste « (...) différent, fonctionnant conformément aux principes de gestion qui concourt dans une entreprise classique » 264 et ajoute que ce genre de business « vise à couvrir au moins l'ensemble de ses coûts, même s'il crée des biens et des services procurant des avantages sociaux »265 au point de « (...) porter le combat pour l'élimination de la pauvreté à un niveau supérieur » 266.

Point 2 : Le MC, n'est -il pas un « piège » pour les pauvres (face à l'épargne) ?

Pour Hedwige Peemans-Pollet l'idée de départ du capitalisme a toujours été de « convertir l'argent qui circule sans intérêt en argent qui circule avec des intérêts et de ramener tout ça dans le secteur de la banque267 ». Toutefois, le microcrédit met en évidence l'imbrication du social et de l'économique et plusieurs fois se trouve en situation de puiser dans le référentiel social comme le remarque Michel Lelart, surtout en Afrique, « l'acte d'épargne n'est pas

263 YUNUS, Mohamed. Vers un Nouveau Capitalisme. op. cit. p.55

264 Idem.

265 Ibid.

266 Ibid.

267 PEEMANS-POLLET, Hedwige. op. cit.

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posé dans le temps mais dans l'espace»268. Ceci, alors que l'individu ne cherche pas la garantie de son avenir tout seul en plaçant discrètement son argent pour en disposer demain. II « privilégie ses relations sociales, il s'enracine dans un groupe »269, en trouvant auprès des autres membres de la société la sécurité dont il a besoin. C'est l'investissement social qui fait la différence, puisque «l'épargne n'est pas une attitude face au temps qui passe »270, mais plutôt, une position au sein du milieu social. Solidarité, assistance, aide, appui,... ce sont là des valeurs sociales où sont puisées et satisfaites diverses carences sociales.

En fait, les associations informelles de types tontinières agissent par des regroupements volontaires d'individus proches qui s'élisent et se donnent comme obligation de livrer, à échéance régulière, une somme fixe, au collectif qu'ils forment. A tour de rôle, les membres utilisent le total des dépôts et doivent le restituer à l'issue de la période. Ces sommes constituent simultanément une épargne collective disponible et un prêt, dont chacun peut profiter à son tour. Le fait de déposer régulièrement une faible somme d'argent constitue une incitation à économiser, donc une manière de se forcer à ne pas vivre au jour le jour, et de se constituer une réserve. Ces pratiques soutiennent l'apprentissage collectif, les membres se connaissant, se font confiance, s'entraident mais simultanément n'hésitent pas à faire pression sur ceux qui seraient tentés de manquer à leurs engagements.

1. Les tontines africaines, expérience regroupant épargne et crédit

On peut constater que le problème ne concerne pas la formation de l'épargne puisqu'il existe déjà dans la plupart des pays en voie de développement et certains parlent même «des gisements d'épargne»271 mobilisés par les tontines. Ainsi la difficulté serait de mobiliser cette épargne et de la faire servir au financement de l'économie et de l'investissement productif. Il y a non seulement ces sommes considérables qui échappent au système bancaire formel mais aussi le défi des systèmes traditionnels d'entraide économique qui se basent sur des règles de mutualisation en dehors de la question d'intérêts. En fait, ces

268 LELART, Michel. (1990). Les circuits parallèles de financement : état de la question », L'Entrepreneuriat en Afrique francophone. Paris, Aupelf-Uref, 1990, p. 52.

269 Idem.

270 Ibid.

271 PEEMANS-POLLET, Hedwige. « La miniaturisation de l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », op. cit.

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tontines présentent une forme originelle d'épargne et de crédit où chaque membre « accepte de prêter et d'emprunter à la fois »272.

Eric Toussain273 dévoile une autre facette du microcrédit en la soumettant à un examen minutieux, tout en révélant qu'au-delà du droit des femmes à s'endetter, le microcrédit représente une façon de «récupération (par les circuits du Nord) de l'épargne des femmes», et «dévoile» la mainmise exercée par la Banque mondiale et des banques privées sur les envois des migrants vers leurs familles.

Toutefois, Hedwige Peemans-Poullet a fait le rapprochement entre systèmes traditionnels du Sud (tontines, etc.) et ceux de protection sociale européens construits sur des modèles mutualistes274. En réalité, ces systèmes traditionnels présentent l'avantage d'être conduits par leurs bénéficiaires dans la mesure où « l'effort d'épargne se situe davantage au coeur d'une relation de chacun avec les autres que d'une relation isolée de chacun dans le temps. (...) Il s'agit d'un mode de développement (...) contrôlé par les intéressés et concernant les intéressés »275.

Source : L'image dans son contexte sur la page www.dossierde-surendettement.blogspot.com/

272 LELART Michel et LESPES. J.L. Revue de l'Economie Sociale n°5, juillet-septembre 1985, pp. 157-159

273 TOUSSAIN, Eric.. La Finance contre les peuples. pp.239-240

274 PEEMANS-POULLET Hedwige « La miniaturisation de l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », op. cit.

275 LELART Michel et LESPES J.L. cité par Elisabeth Hoffmann et Kamala Marius -Gnanou

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius