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Hamlet et Freud, de la psychanalyse appliquée à  sa critique philosophique.

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par Layla Dargaud
Paris Ouest Nanterre La Défense - Master 2 Philosophie  2015
  

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b) Se lire soi-même à travers Hamlet

Tragédie du caractère, tragédie du destin.

Hamlet apparaît de manière significative 328 lorsque Freud fait retour sur sa pratique individuelle d'analyste et qu'il met ceci en perspective en dressant une esquisse d'histoire du mouvement psychanalytique. Tout d'abord, intéressons-

327. ibid., p. 293-394.

328. Puisque nous verrons qu'Hamlet est, bien plus qu'une simple curiosité psychanalytique pour Freud, un problème que Freud prend personnellement à coeur, dans les écrits à consonance autobiographique.

329. Sigmund Freud, Autprésentatin, O.C.F. XVII (1923-1925), PUF, 1992, p. 110-112.

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nous à la distinction que fait Freud entre Hamlet comme tragédie du caractère et ×dipe roi comme tragédie du destin.

Dire qu'Hamlet est une tragédie du caractère signifie que la tragédie d'Ham-let est en lui-même, qu'il s'agit d'un conflit avant tout intérieur, d'où la possibilité pour la psychanalyse d'aborder le héros en proie à ce conflit intrapsychique comme s'il s'agissait de l'analyse d'un névrosé. La tragédie d'Hamlet ne découle pas de difficultés externes mais d'un conflit familial et personnel (la paralysie de l'action ne tient pas principalement à ses possibles conséquences : devoir de dénoncer le fratricide tout en manquant de preuves irréfutables pour accuser Claudius).

Dans Autoprésentation (1925) 329, Freud rappelle le rôle qu'ont joué les hommes de lettres, tout particulièrement en France, dans la diffusion de la psychanalyse. Avec L'interprétation du rêve, la psychanalyse a franchi les limites d'une affaire purement médicale et Freud a mis en lumière la possibilité d'une application de la psychanalyse à divers domaines culturels, dont la littérature. Ainsi, dans un mouvement d'apport réciproque, la littérature est connectée à la science grâce à la psychanalyse et elle est jugée essentielle pour comprendre la psychanalyse elle-même.

Toute une série d'incitations procédèrent pour moi du complexe d'×dipe, dont je reconnaissais peu à peu l'ubiquité. Si, depuis toujours, le choix, voire la création de ce matériau horrifiant avaient été énigmatiques, tout comme l'effet bouleversant de sa présentation poétique et l'essence de la tragédie du destin en général, tout cela s'expliquait par la reconnaissance du fait qu'ici avait été saisie dans sa pleine signification affective une conformité aux lois propre à l'advenir animique. Fatalité et oracle n'étaient que les matérialisations de la nécessité intérieure; que le héros péchât à son insu et contre son intention se comprenait comme l'expression exacte de la nature inconsciente de ses tendances criminelles. De la compréhension de cette tragédie du destin, il n'y avait alors qu'un pas jusqu'à l'éclaircissement de la tragédie de caractère de Hamlet, qu'on admirait depuis trois cent ans sans pouvoir en indiquer le sens ni deviner les motifs du poète. N'était-il pas remarquable que ce névrosé créé par le poète échoue sur le complexe d'×dipe comme ses nombreux compagnons dans le monde réel car Hamlet se voit assigner la tâche de venger sur un autre les deux actes qui constituent le contenu de l'aspiration oedipienne, cependant que son propre sentiment de culpabilité obscur peut bien paralyser son bras. Le Hamlet a été écrit par Shakespeare très tôt après la mort de son père [note de Freud, ajout de 1935 : C'est là une construction que je voudrais expressément retirer. Je ne crois plus que l'acteur William Shakespeare de Stratford est l'auteur des oeuvres qui lui ont été si longtemps attribuées. Depuis la parution du livre Shakespeare identified de Looney, je suis à peu près convaincu que derrière ce pseudonyme se cache en fait Edward de Vere, Earl of

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Oxford. . 330]. Mes indications en vue d'une analyse de ce poème tragique ont connu ultérieurement une élaboration approfondie de la part de Ernest Jones 331. C'est le même exemple qu'Otto Rank a pris ensuite comme point de départ de ses investigations sur le choix des matériaux chez les poètes dramatiques. Dans son grand livre sur le motif de l'inceste 332, il a pu montrer avec quelle fréquence les poètes choisissent précisément de présenter les motifs de la situation oedipienne, et a pu s'attacher aux transformations, modifications et atténuations de ce matériau à travers la littérature universelle. 333.

Il est nécessaire de comprendre au préalable la différence entre ces deux types de tragédies afin de saisir par la suite ce qui distingue en propre leurs héros. En effet, ainsi que Starobinski l'explique,

Le rapport entre la tragédie du caractère et la tragédie du destin [.. .] est analogue et proportionnel à celui qu'entretiennent la variante (ou flexion) névrotique avec le modèle (ou radical) premier de la pulsion oedipienne. 334.

A propos de la note de Freud qui apparaît dans cet extrait, nous trouvons quelques explications dans la correspondance de Freud, dans une lettre datant du 29 août 1935 :

En ce qui concerne la note Shakespeare-Oxford, votre proposition me met dans la situation insolite de montrer mon opportunisme. Je ne peux comprendre l'attitude anglaise à l'égard de cette question : Edward de Vere était certainementun aussi bon Anglais que Will Shakespeare. Mais comme le sujet est si éloigné de l'intérêt analytique, et comme vous attachez tant d'importance à ma réticence, je suis prêt à supprimer la note, ou à ajouter simplement une phrase comme : Pour des raisons particulières, je préfère ne pas insister sur ce point. Choisissez vous-même. Par contre, je souhaiterais que la note soit conservée telle quelle dans l'édition américaine. On n'a pas à redouter là-bas la même sorte de défense narcissique. .

Il est intéressant de noter que, dans cette lettre, Freud tient pour un problème ne relevant pas de la psychanalyse celui de la réelle identité de l'auteur d'Hamlet.

Peu importe l'auteur authentique de l'oeuvre, les hypothèses psychanalytiques faites sur celle-ci tiennent toujours, même si elles impliquent quelque chose commeun auteur, une entité Shakespeare . Freud n'étant pas catégorique sur la question de l'auteur de Hamlet, on peut mettre en parallèle les perspectives ouvertes par ces notes et extraits de la correspondance de Freud avec les écrits de Deleuze sur la question de l'auteur et de la romantisation familiale des névrosés. La question de l'identité du père d'Hamlet obsédera

330. Cette note n'a été ajoutée que dans l'édition américaine car Freud fut confronté à des réticences de la part des éditeurs anglais.

331. Ernest Jones, art. Le complexe d'×dipe comme explication du mystère d'Hamlet , The American Journal of Psychology, Janvier 1910, p. 72-113.

332. Otto Rank, op. cit.

333. Sigmund Freud, ibid.

334. Jean Starobinski, op. cit., p. XXVIII.

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Freud toute sa vie. Il explorera les diverses hypothèses faites par ses contemporains érudits. Ceci est crucial car nous sommes par là même poussés à reconsidérer les suggestions de Freud sur l'inconscient de Shakespeare à l'oeuvre dans Hamlet.

Il semblerait que les éléments biographiques, la vérité matérielle ne soient pas ce qui intéresse Freud en premier lieu. Il s'agit plutôt de mettre au jour l'idée que la psychanalyse et la création littéraire puisent dans le même matériau inconscient, que vérité analytique et vérité poétique se recoupent sans qu'il soit nécessaire de les référer à une vérité factuelle. William Shakespeare, John Florio, Edward de Vere, ... cela importe peu du point de vue strictement analytique. Pourtant, cela intéressait Freud au plus haut point mais il s'agissait d'un intérêt extra-analytique comme il le précise dans la note que nous venons de citer.

A partir de l'analyse du progrès du refoulement de ×dipe à Hamlet et de la résolution de l'énigme hamlétienne par le concept psychanalytique du complexe oedipien, Freud peut enchaîner sur un autre problème fondamental relatif à la création artistique, problème suscité notamment par sa fréquentation assidue du Hamlet de Shakespeare. Ceci est d'ailleurs une des dimensions essentielles de la psychanalyse appliquée à la littérature. Aborder à nouveau le mystère d'Hamlet est donc l'occasion pour Freud d'enchaîner sur une mise au point concernant la démarche et les enjeux de la psychanalyse appliquée :

On était porté, à partir de là, à s'attaquer à l'analyse de l'activité de création poétique et artistique en général. On reconnut que le royaume de la fantaisie était une réserve , qui avait été aménagée lors du passage douloureusement ressenti du principe de plaisir au principe de réalité, afin de permettre un substitut pour une satisfaction pulsionnelle à laquelle il avait fallu qu'on renonce dans la vie effective. L'artiste, comme le névrosé, s'était retiré de la réalité effective insatisfaisante et retranché dans ce monde de la fantaisie, mais, contrairement au névrosé, il s'entendait à en sortir en trouvant le chemin du retour et à reprendre pied dans la réalité effective. Ses créations, les oeuvres d'art, étaient des satisfaction en fantaisie de souhaits inconscients, tout comme les rêves avec lesquels elles avaient aussi en commun le caractère de compromis, car il fallait qu'elles aussi évitent le conflit ouvert avec les puissances du refoulement. Mais à la différence des productions de rêve, asociales et narcissiques, elles escomptaient la participation d'autres hommes, elles pouvaient animer et satisfaire chez ceux-ci les mêmes motions de souhait inconscientes. En outre, elles se servaient du plaisir de perception de la beauté formelle comme prime d'appât . Ce que la psychanalyse pouvait apporter, c'était à partir de la mise en relations réciproques des impressions de la vie, des destins fortuits et des oeuvres de l'artiste de construire sa constitution et les motions pulsionnelles à l'oeuvre en elle, donc ce qu'il y a en lui d'universellement humain. ???

335.

Sigmund Freud, ibid., p. 112-113.

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Ainsi, Freud part de l'analyse de l'inconscient du personnage Hamlet pour en arriver à l'analyse des processus inconscients à l'oeuvre dans l'activité créatrice, dans le fantasmer (phantasieren) de l'écrivain.

Freud explique également le rôle de la dimension formelle de l'oeuvre d'art. Nous avons vu que la psychanalyse freudienne stipulait que le contenu de l'oeuvre primait sur sa forme. Freud poursuit ici sa réfutation des thèses de l'esthétique kantienne sur le désintéressement propre à l'émotion esthétique de la contemplation de l'oeuvre d'art. Ce n'est nullement un hasard pour Freud si l'oeuvre d'art a cette capacité de plaire universellement. Le fait qu'il s'agisse d'une belle oeuvre d'art n'offre qu'une prime d'appât . Ce qui, en dernier ressort, suscite le plaisir dans la confrontation à l'oeuvre d'art, ce sont les soubassements inconscients constitutifs de son contenu profond. A ses détracteurs qui estimaient que la prise de connaissance des hypothèses issues de la psychanalyse appliquée risquaient d'amoindrir le plaisir ressenti au contact de l'oeuvre, Freud répond :

Il ne s'est pas produit que la jouissance tirée de l'oeuvre d'art soit gâchée par la compréhension analytique ainsi obtenue. .

Par opposition, Freud prévient également que la psychanalyse appliquée n'a en aucun cas pour but d'apporter au profane des solutions aux deux problèmes, qui sont vraisemblablement ceux qui l'intéressent le plus , à savoir celui du don artistique et celui de la technique artistique .

Chaque individu, un minimum névrosé, peut se reconnaître dans le prince danois et prend du plaisir à être ainsi héroïsé, élevé au rang de grand personnage littéraire de la modernité par le fondateur de la psychanalyse. Freud ramène les petites névroses modernes à des grands mythes, à la grande littérature et à l'épopée de l'humanité. Freud alimente ainsi notre hybris, il nous flatte peut-être sans s'en rendre compte en nous faisant l'égal d'Hamlet, peut-être pour compenser cette blessure narcissique qu'il avait infligée au préalable à l'humanité en mettant au jour le fait que le moi n'était plus le maître en sa propre demeure.

Tandis que Freud semble se focaliser davantage sur le personnage et l'auteur, notons que Lacan s'intéresse tout particulièrement à la lettre du texte shakespearien, à la pièce Hamlet.

Qu'on me donne mon désir! Tel est le sens que je vous ai dit qu'avait Hamlet pour tous ceux, critiques, acteurs, ou spectateurs, qui s'en emparent. [...] s'il en est ainsi, c'est en raison de l'exceptionnelle, de la géniale rigueur structurale où le thème d'Hamlet en

arrive dans cette pièce 336.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius