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Hamlet et Freud, de la psychanalyse appliquée à  sa critique philosophique.

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par Layla Dargaud
Paris Ouest Nanterre La Défense - Master 2 Philosophie  2015
  

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III- Résistances de Hamlet et fantasmes de l'analyste... Délire, désir et machine interprétative.

Certes, toute oeuvre maîtresse révèle à un examen plus approfondi des trésors cachés : c'est la raison même des réflexions infinies auxquelles donnent lieu les grandes productions culturelles. Mais dans le cas d'Hamlet cette opacité, cette résistance de l'oeuvre à notre compréhension est au premier plan. Autrement dit le travail de rationalisation qui se fait spontanément en nous, habituellement, pour nous fournir une explication - évidemment fausse mais néanmoins apaisante - de ce qui nous a touché, est ici en échec. Le spectateur, le lecteur, voire le critique se trouvent eux-mêmes hamlétisés . Car de même qu'Hamlet est le premier à s'interroger sur les motifs qui l'empêchent d'agir et parfois le poussent à ne pas agir, motifs qui resteront sans réponse jusqu'au bout de la tragédie, de même le spectateur, le lecteur, voire le critique vont chercher, nouveaux Hamlets, la réponse à ce mystère. ??.

André Green fait un parallèle entre le délire et la théorie freudienne qui tous deux contiennent un noyau de vérité et ceux malgré [leurs] inévitables déformations ??. L'analyste, comme le délirant, veulent tout analyser, tout rationaliser, ce qui revient à utiliser le mécanisme de la projection comme défense. Le but est de sauver son propre pouvoir interprétatif par le processus consistant à rationaliser ses propres interprétations, sans tenir compte de leur

exactitude ou de leur inexactitude.

Bien plus, Deleuze identifiait désir et délire. Le désir freudien d'analyser Hamlet le conduit-il à délirer?

D'autre part, si Freud peut être considéré comme un écrivain, alors son

oeuvre est-elle une sublimation?

345. André Green, Hamlet et Hamlet, une interprétation psychanalytique de la représentation, Balland, 1982, Mayenne, p. 14.

346. André Green, La folie privée, op. cit., p. 192.

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Dans son essai La folie privée347, Green montre que le fantasme prend le relais sur la réalisation hallucinatoire du désir. Le transfert pose une limite au modèle idéal de l'analyse des processus inconscients. C'est peut-être ce qui limite radicalement la tentative freudienne d'interprétation, d' analyse de l'inconscient d'Hamlet : le fait que des processus de transfert et de contre-transfert entre Freud-analyste-analysant et Hamlet-analysé-analyste entrent en jeu. Il n'est désormais plus possible de rêver d'une méthode pure d'étude des processus inconscients, dès lors que l'analysant vient troubler la pureté de l'analyse. C'est pourquoi, on peut parler d'une mésalliance entre l'analyste et l'analysant.

Pourtant, le transfert reste le moteur de la cure. C'est d'ailleurs pourquoi selon Freud les psychotiques sont inanalysables, étant incapables de transfert.

1) Une démarche scientifique faussée par un lien trop étroit et personnel entre Freud et Hamlet?

Dans un premier temps, Freud voit en Hamlet un hystérique puis son analyse du personnage évolue au fur et à mesure que la psychanalyse évolue. Par crainte qu'Hamlet ne lui échappe, Freud ne chercherait-il pas toujours à accorder ce personnage qui le hante à l'actualité de ses recherches? Plus profondément, le rapport intime qu'entretenait Freud avec l'oeuvre de Shakespeare n'aurait-il pas tendance à fausser la démarche à prétention scientifique? Les désirs inconscients de Freud et la machine paranoïaque (qui est aussi machine désirante) viennent s'immiscer entre la volonté consciente d'objectivité scientifique

et l'objet d'étude Hamlet.

Dans sa correspondance avec Fliess, Freud fait implicitement un parallèle entre Hamlet (oeuvre charnière à la date incertaine, entre deux siècles : 1599-1603) et son Interprétation du rêve (aussi à cheval entre deux siècles), les deux ouvrages ayant été écrits peu après la mort du père de leur auteur.

Plutôt que de dire à la suite d'André Green que Hamlet, création de Shakespeare, fait apparaître le spectre de Shakespeare à travers Hamlet 348, nous pourrions avancer la chose suivante : aux yeux de Freud, Hamlet fait apparaître son propre spectre. Ainsi nous pourrions lire les passages où Freud aborde Hamlet comme la révélation de la présence spectrale de Freud lui-même à travers son

interprétation du personnage fictif.

Nous l'avons vu, Hamlet est comme un miroir dans lequel vient se refléter le psychisme de tout être humain, y compris celui du fondateur de la psychanalyse. Pourtant, ne serait-il pas plus juste de dire que Freud a cru voir dans Hamlet une valeur universelle parce qu'il s'agissait avant tout d'un miroir tendu à sa propre âme? Freud paraît en effet impliqué personnellement dans sa lecture d'Hamlet, ne serait-ce que par la sélection qu'il opère de certains passages dans le texte. Carmelo Bene avait souhaité faire un Hamlet de moins 349, en procédant par amputation à partir de la trame shakespearienne. On pourrait considérer le travail opéré par Freud sur Hamlet comme

347. André Green, op. cit.

348. André Green, Hamlet et Hamlet, op. cit., p. 41.

349. Un Amleto di meno , Italie, 1973, réalisation, direction et scénario de Carmelo Bene.

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une entreprise similaire d'amputation. Freud se focalise sur ce qui le touche en propre et ignore totalement de nombreux éléments de la pièce de Shakespeare lorsqu'il l'appréhende à travers le prisme analytique. Le personnage d'Ophélie, nous le verrons, est relégué entièrement au second plan, dans l'ombre d'Hamlet.

Il est amusant de repérer dans la correspondance de Freud avec Fliess, dans la fameuse lettre du 15 octobre 1897 introduisant le complexe d'×dipe et son lien intrinsèque avec Hamlet??, un lapsus calami?? où Laërte, sous la plume de Freud, prend la place de Polonius derrière le rideau lors de la scène 4 de l'acte III ???. Hamlet vient résonner à la manière d'un symptôme dans le discours de freudien. Hamlet semble posséder un certain pouvoir de castration sur Freud. Bien plus qu'à celui d'Hamlet, il semble qu'Hamlet renvoie au roman familial de Freud lui-même, ce que ce dernier ne manque pas de reconnaître ???.

De la même manière que Delacroix, dans sa variation autour du thème ham-létien, s'est dépeint lui-même dans un Autoportrait en Hamlet , Freud nous livre une sorte d'autobiographie en Hamlet, par le biais de son oeuvre. Inversement, Hamlet nous apparaît comme un Hamlet freudien et non plus comme l'Hamlet de Shakespeare. Il y a un peu de Freud dans cet Hamlet qu'il évoque et

qui le hante et beaucoup d'Hamlet dans Freud.

Freud ne se contente pas de répéter le thème hamlétien. Sa répétition s'accompagne d'une modification propre à toute opération de sublimation. L'oeuvre freudienne peut être comprise comme une oeuvre littéraire et peut dès lors être analysée elle-même sous l'angle de la sublimation. Freud a besoin de faire ce transfert sur la figure d'Hamlet-analyste pour mener à bien la suite de son auto-analyse. La relation entre Freud et Hamlet ne puise pas sa source dans une situation effective mais dans les relations infantiles de Freud-analysant (analyste-analysé). Il le reconnaît lui-même.

D'une part, il ne s'agit pas de considérer Hamlet comme une personne réelle. D'autre part, les désirs inconscients qu'il prête à Hamlet sont exactement ceux qu'il a pu constater dans son auto-analyse et tout particulièrement dans l'analyse de ses propres rêves. Le transfert est apparent et à demi avoué dès la fameuse lettre à Fliess du 15 octobre 1897. Freud, en ce sens, ferait un transfert sur Hamlet, transfert qui mobiliserait non seulement des éléments du passé, mais également des éléments du présent et de l'avenir.

Freud se sent proche de Shakespeare ou du moins de l'auteur d'Hamlet. Il met en évidence, nous l'avons vu, le fait que l'écriture d'Hamlet suit de peu la mort du père de Shakespeare. De même Freud qui est alors en train de

350. Sigmund Freud, Lettre 142, op. cit., p. 342-346.

351. Une erreur commise en écrivant, phénomène qui consiste à substituer une chose à une autre, rapporté par Freud à une formation de l'inconscient. Voir Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Petite bibliothèque Payot, Paris, 2001.

352. Il s'agit de la scène entre Hamlet et sa mère ayant lieu dans la chambre à coucher de celle-ci, juste après la fameuse scène dans la scène dite play-scene . Polonius se cachait derrière une tenture afin d'observer Hamlet et ce dernier, se sachant espionné et prétendant croire - ou croyant réellement - qu'il s'agissait du roi Claudius, le tue de sang froid d'un coup de dague.

353. Freud explique cette tendance à substituer le nom du frère au nom du père dans Psychopathologie de la vie quotidienne, op. cit., p. 276.

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travailler sur L'interprétation du rêve vient de perdre son père. Freud manifestera jusqu'au bout ce sentiment d'une connivence avec l'auteur d'Hamlet et ce, peu importe son identité et sa biographie effectives. Freud suivra de près les débats autour de l'identité de Shakespeare, sans que cela fasse changer d'un iota l'importance qu'il octroie à la figure de l'auteur dans la compréhension psychanalytique de l'oeuvre. Il tenait effectivement, jusqu'au bout, à maintenir le parallèle dressé entre l'inconscient du héros et l'inconscient de l'auteur, le second conditionnant le premier.

Par ailleurs, il refusera toujours l'explication de l'oeuvre par le génie artistique. L'affection toute particulière de Freud pour le prince danois semblait découler de cette proximité qu'il ressentait entre lui et Shakespeare. On peut penser que Freud se sentait membre avec Shakespeare d'une certaine communauté spirituelle dans le choix de et la sensibilité à certains thèmes, et d'une certaine communauté de vécu, se caractérisant par une façon similaire de traverser le deuil vis-à-vis du père par le biais de l'écriture d'une oeuvre décisive.

Hamlet tout comme L'interprétation du rêve apparaissent dès lors comme des symptômes réactionnels à la mort du père, le traumatisme vécu réveillant les sensations de l'enfance. Rappelons que pour Freud la mort du père est l'événement le plus significatif dans la vie d'un homme, la perte la plus radicale . Il est amusant de voir que Freud se faisait le reproche (ou peut-être regrettait-il de ne pas avoir choisi la voie de l'écriture littéraire au lieu de celle de la science?) d'aborder ces objets d'étude à la manière d'un poète et non d'un chercheur, d'un scientifique.

Freud articule les expériences récentes de sa propre vie avec sa découverte majeure, à savoir la conictualité oedipienne et son lien avec la culpabilité hamlétienne. La perte de son père a refait surgir des sentiments remontant à la prime enfance. Freud s'imagine donc, qu'au moins inconsciemment, Shakespeare, lorsqu'il écrit Hamlet peu après la mort de son père, réactualise des désirs refoulés apparus lorsqu'il était enfant. Dans cette perspective, Hamlet et L'interprétation du rêve apparaissent comme des oeuvres permettant la traversée du passage de la figure du fils coupable des péchés du père à la figure d'un père d'une descendance, ou en l'occurrence du créateur d'une grande oeuvre. Hamlet n'étant qu'un personnage et non un individu réel, il ne peut accomplir cette traversée et reste coupable jusqu'à la fin. La mort d'Ophélie signe sa propre mort. Le rejet de la jeune femme qui l'a précédé montre qu'Hamlet a renoncé à sa propre descendance pour rester cette exemplification de la culpabilité d'un fils qui porte les péchés de son défunt père comme s'ils étaient les siens. De la même manière, Hamlet enjoindra Ophélie à se souvenir de tous ses péchés :

The fair Ophelia! Nymph, in thy orisons

Be all my sins remember'd. ??.

354. William Shakespeare, Hamlet, III, 1, 88-89 :

La belle Ophélie! Nymphe, dans tes prières,

Souviens-toi de tous mes péchés. .

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Ophélie ne supportera pas cette hantise hamlétienne, ces revenants de la mémoire d'Hamlet, contrairement à Freud, et elle choisira une autre voie que celle consistant, comme Hamlet, à se courber sous le poids des rejetons du refoulé oedipien : comme nous le verrons dans la troisième partie, elle choisira la voie de la déterritorialisation par rapport au codage oedipien, la voie de la différence schizo, la voie du délire où se manifestent inconscient et désir machiniques, et la voie du devenir-végétal, du devenir-eau, du devenir-monde.

Se dessine alors, ainsi que l'a suggéré Henriette Michaud dans son essai sur Freud et Shakespeare, toute une conception de l'oeuvre, en l'occurrence du chef-d'oeuvre, comme dépassement du deuil vis-à-vis du père. Faire oeuvre, c'est en quelque façon être père de son oeuvre et donc s'inscrire dans le mouvement de la filiation à son tour. L'oeuvre apparaît ainsi dans sa fonction thérapeutique comme l'équivalent d'une formation de compromis, tout comme la représentation théâtrale de la pièce de Shakespeare pouvait, à certains égards, revêtir les mêmes attributions que la cure analytique. Freud s'intéresse à l'énigme de la création en ce sens qu'il est attentif au rapport entre l'oeuvre et son auteur. La matière de la création a également son importance, de même que les effets de vérité qu'elle induit à la fois sur l'auteur, le lecteur, le critique et le public.

Sa propre expérience, que Freud estime analogue à celle de l'auteur d'Hamlet, est le déclencheur de ce qu'il ressent comme une lucidité supérieure, celle qui le fera lire dans la pièce de Sophocle une configuration psychique susceptible d'être universalisée. Freud dit lui-même que la métapsychologie, qu'il qualifie par ailleurs de sorcière , se situe à mi-chemin entre la littérature (la poésie, la Dichtung) et la recherche scientifique (la Forschung), et qu'elle jette dans l'obscurité quelques rayons de lumière vers l'espace de ces choses entre le ciel et la terre que la philosophie ne peut même pas rêver . ???.

La Traumdeutung, sur le plan du savoir, veut être l'équivalent de ce que fut Hamlet dans le développement de l'oeuvre théâtrale de Shakespeare. Le poète est un rêveur qui ne s'est pas analysé, mais qui a néanmoins abréagi dramatiquement; Freud est un Shakes-

peare qui s'est analysé. ???

L'interprétation psychanalytique d'une oeuvre littéraire implique un investissement (affectif) personnel : après s'être identifié à Hamlet suite à la mort de son père, Freud s'identifie plus tard au personnage du roi Lear (Freud avait également trois filles) dans Le motif du choix entre les coffrets (1913) ???.

Dans le cadre de l'interprétation freudienne d'Hamlet, il est clair que le facteur personnel a une fonction organisatrice. Les contributions de Freud à l'entreprise, devenue séculaire, d'interprétation d'Hamlet interfèrent avec son his-

toire personnelle.

La lecture psychanalytique, étant une reconstruction, se distingue de la biographie ordinaire qui se base sur une vérité matérielle incommensurable avec la

355. Henriette Michaud, op. cit., p. 59.

356. Jean Starbinski, op. cit., p. XVI.

357. Sigmund Freud, Le motif du choix entre les coffrets (1913), Écrits philosophiques et littéraires, op. cit., p. 1121-1131.

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vérité analytique. La vérité poétique est encore toute autre. Il y a une fonction Shakespeare chez Freud, comme l'a bien montré Henriette Michaud. Freud construit son propre Shakespeare et donc son propre Hamlet en reconstruisant, d'une part, l'histoire individuelle de son auteur présumé et, d'autre part, une sorte de romantisation familiale du personnage fictif, antérieure au début de

l'action théâtrale.

Un discours de la méthode psychanalytique ??? applicable, de manière mécanique, à tout texte littéraire n'est pas envisageable. Il convient de statuer au cas par cas. Les mots d'un personnage littéraire sollicités dans un ouvrage théorique ne sont jamais de pures et simples illustrations. À travers l'÷uvre freudienne, le personnage conceptuel d'Hamlet énonce la pensée du fondateur

de la psychanalyse.

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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe