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Hamlet et Freud, de la psychanalyse appliquée à  sa critique philosophique.

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par Layla Dargaud
Paris Ouest Nanterre La Défense - Master 2 Philosophie  2015
  

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2) Les principes psychanalytiques opérants pour l'analyse d'Hamlet

La psychanalyse, en tant que théorie de l'inconscient, comporte des principes et des catégories pouvant s'appliquer tout particulièrement à Hamlet. De même que pour la division de la psychanalyse en clinique, épistémologie et métapsychologie, la séparation des principes psychanalytiques n'est ici que purement formelle. En effet, l'analyse d'Hamlet mobilise souvent plusieurs de ces principes. Il est dès lors difficile de chercher à délimiter quels passages relèvent précisément de tel point de doctrine, à l'exclusion des autres. Par exemple, lorsque la théorie oedipienne est utilisée pour aborder Hamlet, il est très souvent question de la théorie sexuelle et de l'étiologie des névroses, auxquelles l'×dipe

est profondément lié.

224. Les anglais ont inventé un terme pour désigner ce phénomène : bardolatry ». La bardolâtrie » n'est pas la shakespearologie, elle est une vénération excessive de Shakespeare, surnommé depuis le dix-neuvième siècle le barde ».

225. André Green, Hamlet et Hamlet. Une interprétation psychanalytique de la représentation, Balland, Mayenne, 1982.

226. William Shakespeare, As You like it, II, 7, 140-144, dans The Complete works of William Shakespeare, The Shakespeare Head Press, Oxford, Édition, Wordsworth Éditions, 1996, p. 622 :

Le monde entier est un théâtre,

Et les hommes et les femmes ne sont que des acteurs;

Ils ont leurs entrées et leurs sorties.

Un homme, dans le cours de sa vie, joue différents rôles».

227. épigraphe latine apposée au fronton du théâtre du Globe signifiant Tout le monde joue la comédie », Tout le monde fait l'acteur ».

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a) Le complexe d'×dipe et son lien originaire avec le problème d'Hamlet.

Le parallèle dressé par Freud entre OEdipe et Hamlet pourrait être exposé ainsi :

On ne saurait trop souligner la valeur de modèle qu'Hamlet n'a cessé de revêtir pour la pensée de Freud, modèle qui ne le cède pas en importance à OEdipe lui-même. Si OEdipe fixe légendairement la norme d'une orientation infantile de la libido, Hamlet devient le prototype de l'anomalie qui consiste à ne pas sortir victorieux de la

phase oedipienne. 228.

Hamlet et ×dipe dans les écrits fondateurs de la psychanalyse. Nous l'avons vu, le complexe d'OEdipe comporte deux composantes essentielles : d'une part le désir de meurtre du père, la dimension du parricide, et d'autre part, le désir d'union sexuelle avec la mère, la dimension d'inceste. Plus que viser à résoudre l'énigme de son personnage, Freud cherchait désespérément dans Hamlet la justification ultime de l' hypothèse oedipienne, ce dont témoigne la lettre au Pasteur Pfister que nous avons précédemment évoquée.

Le meurtre du père ne cesse de hanter Freud. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que, parmi les deux composantes constitutives de l'OEdipe, Freud semble souvent mettre en avant le désir de parricide par rapport au désir d'inceste avec le parent de sexe opposé (bien qu'il nie accorder le primat à l'une ou l'autre de ces composantes). C'est ce que lui reprocheront Rank et, tacitement, Lacan. Cette primauté du désir de meurtre du père sur le désir incestueux s'expliquerait par l'extension du pouvoir du père au-delà de l'interdit à l'égard de la mère, dès lors que l'autorité paternelle exige des renoncements de plus grande envergure (pour Hamlet, on peut penser que l'obéissance au père mort implique des renoncements insoutenables : renoncement à Ophélie, renoncement à sa position princière de successeur au trône).

Les hypothèses sur l'applicabilité du complexe oedipien à Hamlet sont esquissées dans les deux passages auxquels nous avons précédemment fait référence, en insistant sur le fait qu'il s'agit de textes inauguraux d'une nouvelle manière de penser Hamlet. Il s'agit bien entendu de la lettre à Fliess du 15 octobre 1897 et de la double page, initialement présente sous forme de note de bas de

page, de L'interprétation du rêve.

Retour sur l'universalité du complexe d'×dipe et du refoulement

dans les derniers écrits de Freud. Bien que l'idée d'une possibilité
d'utiliser le complexe oedipien comme principe explicatif du problème d'Hamlet n'ait jamais quitté l'esprit de Freud, il ne la développera plus jamais aussi précisément que dans ces deux textes inauguraux des débuts de la psychanalyse. Ce n'est pas tant qu'il tenait cela pour acquis, il connaissait bien les résistances du peuple et celles du monde des lettrés à ses hypothèses, et il savait de toute manière qu'un autre s'en chargerait (et essuierait les critiques outrées

228. Jean Starobinski, op. cit., p. XXXIII.

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et véhémentes de ses contemporains à sa place), à savoir Jones. Pourtant, c'est avec force que l'hypothèse d'une application fructueuse du complexe oedipien à Hamlet revient dans le texte testamentaire et inachevé du fondateur de la psychanalyse. Freud revient alors sur l'objection principale qu'il a alors reçue et sur laquelle reviendra Lacan dans ses sept leçons sur Hamlet : ×dipe ne savait pas, tandis qu'Hamlet savait. Ce qui conduit les détracteurs de Freud à conclure que ces deux tragédies sont incommensurables. Freud insiste alors une fois de plus sur la nécessité imparable de la reconstruction et de la surinterpré-tation, constitutives de la méthode psychanalytique. Enfin, il répète à nouveau qu'il considère la découverte de la présence en tout homme d'un noyau oedipien comme la plus importante trouvaille qu'il ait faite.

On a ainsi pu entendre cette objection que la légende d'×-dipe n'avait rien à voir en fait avec la construction de l'analyse, que c'était un tout autre cas, car, bien sûr, ×dipe ne savait pas que c'était son père qu'il avait tué et que c'était sa mère qu'il avait épousée. On omet alors seulement de voir qu'une telle déformation est inéluctable lorsqu'on cherche à mettre en forme poétiquement ce matériau et qu'elle n'introduit rien d'étranger mais ne fait qu'utiliser habilement les facteurs donnés dans le thème. L'ignorance d'×dipe est la présentation légitime de l'inconscien-cialité dans laquelle a sombré pour l'adulte toute cette expérience vécue, et la contrainte de l'oracle qui innocente le héros ou devrait l'innocenter est la reconnaissance de l'inéluctabilité du destin qui a condamné tous les fils à passer par le complexe d'×dipe. Lorsque par ailleurs, du côté psychanalytique, on a fait remarquer à quel point il est facile de résoudre l'énigme d'un autre héros de la littérature, Hamlet, l'irrésolu dépeint par Shakespeare, en renvoyant au complexe d'×dipe, car le prince échoue précisément dans sa tâche consistant à punir sur quelqu'un d'autre ce qui coïncide avec le contenu de ses propres souhaits oedipiens, c'est là que l'incompréhension générale du monde littéraire montra à quel point la masse des êtres humains était prête à tenir fermement à ses refoulements infantiles. [Note de Freud : Le nom de William Shakespeare est très probablement un pseudonyme derrière lequel se cache un grand inconnu. Un homme dans lequel on croit reconnaître l'auteur des oeuvres shakespeariennes, Edward de Vere, Earl of Oxford, avait perdu, enfant, un père aimé et admiré, et s'était complètement détaché de sa mère qui avait contracté un nouveau mariage très peu de temps après la mort de son mari. ] Et pourtant, plus d'un siècle avant l'émergence de la psychanalyse, le Français Diderot avait témoigné de la significativité du complexe d'×dipe en exprimant la différence entre les temps originaires et la culture dans cette phrase : Si le petit sauvage était abandonné à lui-même, qu'il conservât toute son imbécillité, et qu'il réunît au peu de raison de l'enfant au berceau la violence des passions de l'homme de trente ans, il tordrait le cou à son père et coucherait avec sa mère. 229. J'ose dire que si la psychanalyse ne pouvait tirer gloire d'aucune autre réalisation que celle de la mise à découvert du complexe d'×-

229. Denis Diderot, Le Neveu de Rameau, Gallimard, folio classique, Paris, 2006.

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dipe refoulé, cela seul lui permettrait de prétendre à être rangée parmi les acquisitions nouvelles et précieuses de l'humanité. 230.

Notons que Freud ne s'estime pas inventeur du contenu thétique du complexe oedipien, mais il peut s'enorgueillir d'avoir été le premier à conceptualiser ce fonds fantasmatique présent de manière universelle au sein de chaque constitution psychique individuelle, et à en faire le fondement et le coeur de la discipline ainsi forgée par lui-même. On pourrait comparer le nombre d'occurrences freudiennes à Hamlet et à ×dipe 231. Contrairement à ce qu'on a pu dire, Hamlet et ×dipe n'apparaissent pas toujours côte à côte dans les écrits de Freud. Les références à ×dipe, comme concept psychanalytique et comme oeuvre littéraire, sont bien plus importantes en nombre que les références à Hamlet (nous le verrons, ceci tient sûrement à la volonté de Freud que ses conclusions sur ×dipe soient exotériques). Lorsque Freud applique la psychanalyse à Hamlet, ×dipe n'est en effet jamais très loin. Toutefois, Freud ne mobilise pas toujours Hamlet dans le but d'illustrer la doctrine psychanalytique ou de mettre en oeuvre sa méthode. Bien au contraire, nous le verrons, Hamlet n'est pas avant tout l'autre versant de l'×dipe pour Freud. De plus, les références à Hamlet, si elles sont quantitativement moins importantes que celles à ×dipe, ont une supériorité qualitative, nous y reviendrons.

Le complexe d'×dipe apparaît donc ici comme l'explication du mystère d'Hamlet, Freud n'en démord pas jusqu'à ses derniers écrits : sa méthode psychanalytique aurait résolu l'énigme du prince danois. Pourtant, nous l'avons vu, inversement, Hamlet, entendu comme complexe d'Hamlet, peut servir de concept éclairant la compréhension, aussi bien abstraite que concrète, de l'×-dipe. Le complexe d'×dipe serait-il vraiment principiel par rapport au complexe d'Hamlet qui n'en serait qu'une dérivation? Y a-t-il rapport de subordi-

230. Sigmund Freud, Abrégé de psychanalyse (1938), O.C.F. XX (1931-1939), PUF, 2010, p. 286-287.

231. ×dipe apparaît dans presque toutes les oeuvres de Freud. Ce dernier estime au plus haut point ce concept car il est pour lui la découverte psychanalytique la plus importante et le complexe central censé rendre compte de la vie psychique normale (comme dépassement de ce même complexe) et la névrose (comme non-dépassement). Nous avons tenté de relever les passages où apparaît ×dipe dans le corpus freudien (hors correspondance et textes non publiés dans l'oeuvre officielle), de 1900 à la mort de Freud, en 1939 : L'Interprétation du rêve; Psychopathologie de la vie quotidienne; Fragment d'une analyse d'hystérie (Dora) ; Trois essais sur la théorie sexuelle; Sur les éclaircissements sexuels apportés aux enfants lettre ouverte au Dr Fürst; Analyse d'une phobie chez un petit garçon de cinq ans (Petit Hans); Cinq leçons de psychanalyse; Un type particulier de choix d'objet chez l'homme; Totem et Tabou; L'intérêt de la psychanalyse; Le Moïse de Michel-Ange; Sur la psychologie du lycéen; Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique; Quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse; Introduction à la psychanalyse; L'homme aux loups histoire d'une névrose infantile; Un enfant est battu; L'inquiétante étrangeté; Préface à Théodore Reik, Le Rituel psychanalyse des rites religieux; Au-delà du principe du plaisir; Psychologie des foules et analyse du moi; Psychogenèse d'un cas d'homosexualité féminine; Rêve et télépathie; Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité; Deux extraits de Une encyclopédie entrées psychanalyse et théorie de la libido ; Le Moi et le Ça; Le problème économique du masochisme; La disparition du complexe d'×dipe; Ma vie et la psychanalyse; Résistances à la psychanalyse; Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes ; Inhibition, symptôme et angoisse; La question de l'analyse profane; L'avenir d'une illusion; Le malaise dans la civilisation; Dostoïevski et le parricide; Sur la sexualité féminine; Nouvelles leçons d'introduction à la psychanalyse; Moïse et le monothéisme; Abrégé de psychanalyse.

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nation d'Hamlet à ×dipe? Pourrait-on plutôt supposer une dialectique entre Hamlet et ×dipe, susceptible de créer un éclairage mutuel? Nous explorerons cette hypothèse dans la dernière partie.

Ainsi à travers l'oeuvre de Freud, de 1897 à 1938, l'image d'Hamlet ne cesse d'apparaître comme la seconde grande figure dramatique : ce n'est pas un cas parmi d'autres. Elle appartient à la catégorie des prototypes, des thèmes exemplaires. Si ×dipe exprime par la transgression et la punition, la loi universelle qui préside à la genèse de l'être moral, le moment qui doit être nécessairement vécu et dépassé, Hamlet manifeste, lui, par son inhibition spécifique, le non-dépassement, la rémanence angoissante et masquée de la tendance infantile. 232.

Nous pouvons déjà à partir de ces quelques éléments réfléchir sur le caractère anormal ou anomal 233 de la variante hamlétienne du thème oedipien.

La variante hamlétienne serait-elle davantage anomalie qu'anormalité? Ce choix du terme anomalie nous convient davantage que la notion d' anormalité qui suggère une volonté sous-jacente de réinsertion dans un processus de normalisation psychique.

Le complexe d'×dipe semble davantage convenir à Hamlet qu'à ×dipe lui-même. Nous reviendrons sur ce point lorsqu'il s'agira de répondre à la critique formulée par Jean-Pierre Vernant, dans ×dipe sans complexe .

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus