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Les enjeux du télétravail international


par Méric SANCHEZ
IETL LYON 2 - M2 Mobilité internationale du travailleur  2020
  

Disponible en mode multipage

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MÉMOIRE DU MASTER 2 DROIT SOCIAL - MOBILITÉ
INTERNATIONALE DU TRAVAILLEUR

LES ENJEUX DU TÉLÉTRAVAIL INTERNATIONAL

Présenté par Méric SANCHEZ

Sous la direction de Marie-Cécile Escande Varniol

Année universitaire 2019-2020

REMERCIEMENTS

En premier lieu, je remercie Madame Escande-Varniol, professeure à l'IETL. En tant que directrice de mémoire, elle m'a guidé dans mon travail en cette période particulière de la COVID-19.

Je tiens également à remercier Lucile Birocheau, consultante en mobilité internationale chez RHexpat et mon maître de stage, pour sa confiance et ses connaissances qu'elle a su partager avec moi. Je le suis tout particulièrement reconnaissant pour sa disponibilité, et pour m'avoir intégré à l'équipe comme un véritable collaborateur. Un grand merci à elle pour avoir pris le temps de relire mon mémoire et rapport de stage, et pour ses conseils.

Je saisis également cette occasion pour adresser mes profonds remerciements à Jorge Prieto Martin, dirigeant fondateur de RHexpat, pour son accueil à mon arrivée au sein de sa société, et pour ses conseils tout au long de mon stage et à l'occasion de la rédaction de mon mémoire et rapport de stage.

Je désire aussi remercier Lucas Despujols, consultant en mobilité chez RHexpat, qui a partagé avec moi ses connaissances et m'a permis de pouvoir travailler sereinement pour l'un des clients de la société.

Sommaire

Introduction 1

PREMIERE PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES ENJEUX

DE DROIT SOCIAL 6

Chapitre premier : Le télétravail international et le droit du travail 6

Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et le télétravailleur international en droit du travail 7

Section II : Télétravail international et contentieux de contrat de travail international 13

Chapitre II : Le télétravail international et la protection sociale du salarié 22

Section I : La protection sociale du télétravailleur international, un enjeu essentiel de mobilité

internationale 23
Section II : L'obligation d'information de l'employeur sur l'étendue de la couverture santé du salarié

en situation de télétravail international 30

DEUXIEME PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES AUTRES

ENJEUX DE MOBILITE INTERNATIONALE 33

Chapitre premier : Les enjeux fiscaux du télétravail international 33

Section I : La fiscalité personnelle du télétravailleur international 33

Section II : Les enjeux fiscaux pour l'entreprise ayant un salarié en télétravail international 50

Chapitre II : Les enjeux migratoires du télétravail international et la tentation du portage

salarial international 59

Section I : Le télétravail international et l'enjeu migratoire 59

Section II : Le portage salarial à l'international, une solution aux risques du télétravail international ?

62

Conclusion 67

BIBLIOGRAPHIE 70

1

Introduction

Contraint ou choisi, le télétravail, dans le contexte de la crise de la COVID-19, est devenu un nouvel enjeu dans l'entreprise. En effet, de nombreux services RH font face, depuis quelques années, à de nombreuses demande de télétravail, parfois depuis l'international, de la part des salariés. Le télétravail est ainsi devenu un véritable enjeu RH d'attractivité et de rétention des talents.

Le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle, un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication.1

Jusqu'à présent peu développé, le télétravail s'est aujourd'hui imposé comme une véritable alternative au travail en présentiel.

En effet, une enquête de la DARES2 a montré en 2016-2017 que seuls 3% des salariés pratiquaient occasionnellement le télétravail. En pleine pandémie de la COVID-19, et le confinement qui en a découlé, c'est quasiment un quart des français (24%)3 en avril, et près de la moitié en mai qui avaient recours à cette pratique, choisie ou imposée.

En effet, l'article L1222-11 du code du travail dispose qu'« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en oeuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ».

1 Article L 1222-9 du code du travail

2 Enquête de la DARES publiée le 04/11/19 https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/quels-sont-les-salaries-concernes-par-le-teletravail

3 Etude ODOXA publiée le 09/04/2020 http://www.odoxa.fr/sondage/covid-19-bouleverse-deja-modifiera-durablement-rapport-francais-travail/

2

En septembre, ce chiffre est retombé à 10% selon le ministère du travail. Cependant, les salariés concernés par le télétravail, ont pour la plupart plébiscité ce dispositif4. Le Ministre du Travail, Élisabeth Borne, estimait mi-août qu'il fallait mettre en place le télétravail « à chaque fois que c'est possible dans les zones de circulation active du virus5».

Aujourd'hui, à l'heure du second confinement, le même ministre a précisé6 que « 45% des salariés du privé ont ainsi fait du télétravail » entre les 4 et 8 novembre selon une enquête réalisée par le ministère du Travail. Élisabeth Borne a ainsi persisté dans l'idée selon laquelle le télétravail devait être mis en place dès que c'était possible (« le télétravail n'est pas facultatif » a-t-elle déclaré lors de la même conférence de presse).

Quoi qu'il en soit, ce recours nouveau et massif au télétravail semblent avoir amené les employeurs et les salariés à repenser l'organisation du travail, jusqu'à présent dominée par le travail en présentiel.

En effet, de nombreux arguments jouent en faveur du télétravail : il permet au salarié de choisir son lieu de travail, éventuellement à l'étranger, de gagner du temps (le temps passé à se rendre à son lieu de travail), lui octroie une autonomie accrue tout en l'incitant à la responsabilisation...

De plus, il convient de noter que le développement et la diffusion des nouveaux outils de travail, de l'information et de la communication (NTIC) permettent aujourd'hui un recours plus aisé au télétravail : une majorité des français possède aujourd'hui un ordinateur à son domicile avec une connexion internet, lui permettant de télétravailler.7

Les employeurs également ont bien compris quels avantages ils pouvaient tirer du télétravail, qui leur permet de fidéliser les salariés, qui peuvent même établir leur lieu de travail à l'étranger ; c'est donc (semble-t-il) un formidable outil de flexibilité pour l'employeur : plus de formalités d'immigration, fiscale ou sociale...

4 « 73 % de ceux qui oeuvrent désormais depuis leur domicile souhaitent continuer après la crise, de manière régulière ou ponctuelle. », étude publiée sur le site du Figaro le 10 mai 2020 https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-les-francais-se-sont-adaptes-au-teletravail-20200510

5 Interview donnée dans le JDD en date du 16 aout 2020 ( https://www.lejdd.fr/Politique/elisabeth-borne-ministre-du-travail-au-jdd-on-doit-eviter-a-tout-prix-un-nouveau-confinement-3985889)

6 Conférence de presse du jeudi 12 novembre 2020

7 D'après une étude publiée par Statista Research Department le 9 mars 2020, le taux d'équipement en ordinateur chez les Français était de 76 % en 2019. https://fr.statista.com/statistiques/531157/equipement-ordinateur-a-domicile-france/

3

En France, certains parlementaires proposent même d'instaurer l'obligation pour l'employeur de proposer, lorsque les circonstances le permettent, au salarié de télétravailler à raison d'une journée par semaine au minimum8.

L'État a en effet tout intérêt à proposer le télétravail : le télétravail permet à certains salariés de quitter les grands espaces urbains au profit de territoires ruraux et ainsi de participer à leur vitalité. De plus, une personne en télétravail n'a plus systématiquement besoin d'utiliser des moyens de transport, tant individuel que collectif, ce qui contribue notamment à la réduction de la pollution.

Les États ont donc bien compris cette tendance, et certains tentent même de l'amplifier et l'élargir au cadre international : l'Estonie, la Barbade, ou encore le Mexique et l'Australie ont ainsi crée un visa spécial (« Visa de Digital Nomade »), permettant aux étrangers de s'établir sur leur sol pour télétravailler à distance pour une société établie hors de leurs frontières.

Le télétravail est qualifié de « national » quand le salarié télétravaille dans le même pays que celui dans lequel se trouve l'entreprise pour laquelle il télétravaille, et duquel il est souvent ressortissant. Cette situation, comme nous allons le voir, est régie par le code du travail français et ne comporte pas de difficultés en termes fiscaux, migratoires ou sociaux, nous ne nous appesantirons donc pas dessus lors de ce mémoire.

Le télétravail peut au contraire qualifié d'« international » dès lors qu'est caractérisé un élément d'extranéité : le salarié télétravaille depuis un autre pays que celui où est situé l'entreprise au profit de laquelle il télétravaille. Lors de ce mémoire, quand le terme télétravail international sera utilisé, il servira à décrire deux situations.

La première sera le cas d'un salarié français, travaillant habituellement en France, et qui souhaite s'installer dans un pays étranger afin d'y télétravailler pour le compte de son employeur français. En effet, cette pratique est de plus en plus demandée par certains salariés.

8 Proposition de loi, déposée par des parlementaires LR, n°3328 visant à favoriser le télétravail lorsque l'emploi le permet. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3328 proposition-loi# ftn1

4

La seconde situation sera celle du télétravail international « imposé » en raison de la crise sanitaire, en d'autres termes la situation d'un salarié bloqué dans un pays et qui y télétravaille pour son employeur. Ce pays sera soit le pays de résidence du salarié dans lequel il n'exerçait habituellement pas son activité professionnelle (c'est le cas du travailleur frontalier, qui par exemple réside en France mais travaille en Suisse, et qui serait bloqué en France), ou sera un pays qui n'est pas le pays de résidence du salarié (par exemple, un salarié britannique, travaillant pour une entreprise britannique, qui serait bloqué en France en raison des mesures sanitaires et qui télétravaillerait en France).

Il convient également d'opérer une distinction entre le télétravail international et le « business trip ». Cette pratique n'est pas définie légalement. En pratique elle peut se définir comme « une visite occasionnelle, au nom ou à la demande de la société, sur un autre territoire que le pays de travail habituel »9.

Ainsi, le business trip est la conséquence d'une demande de la société auprès du salarié et est lié à l'exercice même de ses fonctions. Il s'agit donc la plupart du temps de rendez-vous avec des équipes, des clients, des prestataires, ou de conférences / formations dispensées à l'étranger. A la différence du télétravail international, le salarié ne pourrait pas accomplir cette tâche dans le lieu habituel de travail.

Nous le verrons, cette distinction a son importance, car les conséquences seront différentes pour le salarié.

Pouvoir télétravailler depuis l'étranger, et si possible depuis un lieu agréable et exotique, pour une entreprise située ailleurs dans le monde, sans s'embarrasser des formalités migratoires, sociales ou fiscales : cela semble être trop beau pour être vrai, et pour cause, le télétravail depuis l'étranger ne va pas sans conséquences, tant pour le salarié qui en bénéficie que pour l'employeur qui l'autorise.

A plus forte raison, la crise sanitaire et les mesures sanitaires qui en ont découlé ont fait émerger de nouvelles problématiques quant à ces télétravailleurs internationaux. Comme d'accoutumé, le droit doit donc intervenir afin d'encadrer cette pratique du télétravail international, et protéger l'employeur comme le salarié qui en profite.

9 MSE Avocats, « Business Trip VS Télétravail International », 23 novembre 2020

5

Il convient donc de répondre à cette problématique : quels sont les enjeux du télétravail international, et comment s'assurer de sa conformité avec les règles applicables en matière de mobilité internationale (droit du travail, protection sociale, immigration, droit fiscal...) ?

Comme nous allons le voir, malgré la nouveauté et la spécificité que semble présenter le télétravail international, celui-ci comporte des enjeux classiques de mobilité internationale, ce que semblent oublier les employeurs comme les salariés, qui pensent pouvoir s'affranchir de ces enjeux avec cette pratique, s'exposant ainsi à des risques.

De même, les enjeux liés au télétravail international ne datent pas de la crise sanitaire actuelle. En effet, cette nouvelle pratique fait l'objet de nombreuses demandes, notamment de la part des salariés, depuis plusieurs années.

De ce fait, les problématiques liés à cette pratique ne sont pas toutes, loin s'en faut, liées à la COVID-19, même si cette dernière a bien entendu fait émerger des questionnements, en lien cependant avec des enjeux de mobilité classiques. Il ne semble donc pas opportun d'étudier l'impact de la crise de la COVID-19 sur le télétravail international dans une partie dédiée.

Enfin, l'objet de ce mémoire n'est pas d'étudier en profondeur tous les enjeux de la mobilité internationale, mais d'étudier ces enjeux appliqués au cas spécifique du télétravail international et les risques inhérents à cette pratique.

Ainsi, afin d'étudier cette pratique du télétravail international et les risques inhérents à celle-ci, nous verrons dans un premier temps les enjeux de droit social du télétravail international. Dans une seconde partie, nous nous intéresserons aux enjeux fiscaux et migratoires, ainsi qu'au portage salarial international, qui apparaît comme une solution aux enjeux du télétravail international.

6

PREMIERE PARTIE : LE TELETRAVAIL
INTERNATIONAL ET LES ENJEUX DE DROIT

SOCIAL

Dans cette première partie nous nous intéresserons aux enjeux de droit social du télétravail international, à plus forte raison dans ce contexte particulier de crise sanitaire.

Par droit social, il faut entendre les enjeux en droit du travail, qui seront abordés dans un premier chapitre, et les enjeux en droit de la protection sociale, abordés quant à eux dans un second chapitre.

Le droit social, comme nous allons le voir, est un enjeu classique de mobilité internationale, qui doit être pris en compte par l'employeur et le salarié qui souhaitent avoir recours à cette pratique du télétravail international.

Naturellement, le télétravail international emporte lui aussi ces enjeux de droit social. Pourtant, le télétravail international, de par sa nouveauté et sa simplicité apparente de mise en oeuvre, semble souvent faire oublier à ceux qui ont y recours que les mêmes enjeux de mobilité internationale sont présents.

Bien souvent, le télétravail international résulte donc d'une situation de fait, et rien n'est prévu par le contrat de travail initial. On peut dès lors parler de télétravail international « sauvage » : un salarié s'est « tout simplement » installé dans un pays étranger afin d'y télétravailler pour son employeur français. De ce fait, l'employeur ou le salarié qui a recours au télétravail international, sans aborder ces enjeux de droit social, s'expose à des risques, que nous allons détailler dans cette partie.

Chapitre premier : Le télétravail international et le droit du

travail

Dans ce premier chapitre, intéressons-nous plus précisément aux enjeux de droit du travail en matière de télétravail à l'international.

Pour cela, nous verrons dans une première section les obligations en termes de droit du travail qui pèsent sur l'employeur.

Dans une seconde section nous aborderons les conséquences d'un éventuel contentieux entre le télétravailleur international et son employeur, et les problématiques en

7

résultant : si le télétravail international résulte d'une situation de fait, et que rien n'est prévu par le contrat de travail, devant quelle juridiction et avec quel droit le salarié ou l'employeur devront-t-ils porter le conflit ?

Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et le télétravailleur
international en droit du travail

En droit, « le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux, de l'employeur est effectué hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Le télétravail est mis en place dans le cadre d'un accord collectif ou, à défaut ; dans le cadre d'une charte élaborée par l'employeur après avis du comité social économique, s'il existe. » 10

En principe, et hors situation de crise sanitaire, cette organisation du travail qu'est le télétravail n'est pas d'application obligatoire, mais est conditionnée par l'accord de l'employeur et du salarié.

En effet, concernant la situation de crise sanitaire, l'article L1222-11 du code du travail dispose qu'en « cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en oeuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ».

Hors crise sanitaire, l'article L1222-9 du code du travail précise que le télétravail est mis en place de manière permanente ou occasionnelle, dans le cadre :

- d'un accord collectif ;

- ou, à défaut, d'une charte élaborée par l'employeur, après avis du comité sociale et économique (CSE) s'il existe

- ou, en l'absence d'accord collectif ou de charte, dans le cadre d'un accord entre le salarié et l'employeur lorsqu'ils conviennent de recourir au télétravail.

10 Article L1222-9 du code du travail

8

Quel que soit le motif de recours au télétravail, qu'il soit le fruit d'un accord ou imposé dans le cadre d'une crise sanitaire telle que celle que nous traversons actuellement, il n'existe aucun texte, en droit français, qui interdit qu'un salarié dont l'employeur est situé en France travaille à distance depuis un pays étranger.

En effet, comme nous l'avons vu, en droit du travail français, le télétravail est défini largement, le code du travail évoquant seulement l'exercice « en dehors du lieu habituel de travail ». La loi reste donc silencieuse sur l'endroit à partir duquel peut être exercé le télétravail, qui peut donc parfaitement se situer dans un pays étranger.

Ainsi, le code du travail français n'évoque pas la possibilité de télétravailler depuis l'international mais ne l'interdit pas non plus. Ce silence de la loi, s'il autorise de fait cette pratique, incite cependant à la vigilance. Cela emporte des conséquences significatives pour l'employeur sur lesquelles il nous faut revenir.

I) L'obligation de respect des législations nationales en matière de droit du

travail pour le télétravailleur international

Comme nous venons de le voir, le télétravail international est légalement possible. Toutefois, les règles applicables et les formalités sont différentes d'un État à l'autre et cela nécessite ainsi de bien se renseigner sur la législation de l'État à partir duquel le télétravailleur souhaite travailler.

Il est ainsi exclu qu'un salarié décide unilatéralement de s'installer dans un pays pour télétravailler pour le compte d'une entreprise française sans que lui-même ou son employeur n'étudie de manière approfondie la législation locale en matière du droit du travail et notamment du télétravail.

De surcroit, cet examen s'impose d'autant plus aujourd'hui que de nombreux états, dans le cadre de la crise sanitaire, ont légiféré afin de réglementer le télétravail, pratique à laquelle ont été contraints des salariés de nombreux pays.

Il convient donc de distinguer deux cas : le cas où le télétravailleur reste lié avec son employeur français par le même contrat de travail de droit français, auquel cas les parties seront soumises à la législation française et aux éventuelles dispositions d'ordre public

9

locales, et le cas où un contrat local serait conclu, auquel cas la législation locale serait complètement applicable à la relation de travail.

Tout d'abord, abordons le cas où l'employeur et le salarié restent liés par le contrat de travail initial de droit français. Dans ce cas, en plus des stipulations du contrat de travail français, ils devront respecter les dispositions d'ordre public françaises et le code du travail, car même si la situation contractuelle comporte un élément d'extranéité (lieu de travail à l'étranger), le salarié sera lié avec son employeur français avec un contrat de travail de droit français.

Parmi les obligations prévues par le code du travail français concernant plus particulièrement le télétravail, l'employeur devra faire une analyse des risques du lieu de travail au domicile du salarié pour l'inclure dans le document unique d'évaluation des risques ; Vérifier la conformité des installations électriques et techniques par la visite d'un technicien ou l'obtention d'un certificat de conformité ; Prendre financièrement en charge le surcoût pour le salarié (imprimante, téléphone, etc.), soit au réel soit sur la base d'un forfait de 10, 20 ou 30 euros selon les cas ; S'assurer que le télétravailleur est couvert par une assurance qui couvre l'espace au domicile dédié à l'activité professionnelle11.

Tous ces points, s'ils sont facilement mis en place et contrôlables lorsque le télétravailleur est en France, seront difficilement contrôlables si le salarié télétravaille depuis l'étranger, puisque l'employeur n'aura physiquement pas accès au domicile de son salarié afin de s'assurer du respect de ces dispositions. L'employeur s'exposera donc à des risques en cas de non-respect de ces dispositions.

En plus de ces dispositions françaises relatives au télétravail, les parties devront respecter les dispositions impératives du pays d'accueil. Les dispositions impératives sont des dispositions d'ordre public qui forment les lois de police d'un État. Ce sont des dispositions auxquelles les parties à un contrat ne peuvent déroger, sauf de manière plus favorable pour le salarié. Ce sont des dispositions qui sont destinées à assurer un minimum de protection aux salariés.

Le Règlement 593/2008 du 17 juin 2008 (Rome I) précise qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses

11 Article L1222-10 du code du travail

10

intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat.

Par exemple, les lois de police luxembourgeoises imposent un contrat de travail écrit, un salaire social minimum, une durée du travail, un temps de pause... un salarié qui déciderait de télétravailler depuis ce pays, même lié avec un contrat de droit français avec son employeur français, devrait donc respecter ces dispositions.

Ainsi, les parties devront respecter les dispositions d'ordre public françaises ainsi que les dispositions impératives du pays d'accueil, notamment en termes de télétravail si elles existent. Il faudra donc étudier la réglementation locale afin de déterminer quelles dispositions sont impératives et auxquelles le salarié ne pourra donc pas déroger.

L'employeur et le salarié peuvent décider de conclure un contrat de travail local (on parle de « localisation » du salarié dans le pays depuis lequel il souhaite télétravailler). Dans ce cas, la législation locale en matière de droit du travail sera entièrement applicable à la relation de travail.

Intéressons-nous à certaines législations locales afin d'apprécier leur diversité et donc la complexité de télétravailler à partir de ces pays.

Au Royaume-Uni12, le droit du travail prévoit que le « manager » (employeur) doit veiller à contacter régulièrement son équipe pour éviter le sentiment d'isolement (s'assurer de la santé physique et aussi mentale du salarié en télétravail).

Quant au salarié, il doit tenir son manager informé d'éventuels risques en termes de santé et sécurité du fait du télétravail et demander des changements/arrangements si nécessaires.

De même, avant de pouvoir bénéficier des règles applicables en matière de « travail flexible » (télétravail), le salarié doit avoir travaillé en présentiel au moins 6 mois pour le même employeur. Ce point est évidemment majeur : un salarié travaillant pour une entreprise située en France ne pourra pas se rendre dans ce pays et simplement télétravailler pour le compte de l'entreprise française, car il ne pourra pas justifier d'un travail présentiel dans une entreprise située dans le pays d'accueil.

12 Code of practice on handling in a reasonable manner requests to work flexibly

11

En Espagne13, la nouvelle loi sur le télétravail renforce les dispositions de contrôle du temps de travail du télétravailleur par l'employeur (droit à la déconnexion, respect de la vie privée...).

En Belgique14, le contrat de travail doit prévoir les modalités du télétravail, le matériel approprié ainsi qu'une compensation pour l'utilisation d'un espace privé.

Enfin, en Suède, Allemagne et Finlande, les règles relatives au télétravail ne sont pas codifiées mais sont traitées par le biais de conventions collectives, accords d'entreprise et des normes infra-législatives. Ainsi, l'employeur et le salarié devront étudier ces conventions et normes si le salarié souhaite télétravailler à partir de l'un de ces pays.

Ainsi, le salarié et l'employeur qui souhaitent avoir recours au télétravail international par le biais d'un contrat de travail local devront respecter la législation du pays d'accueil, notamment en matière de télétravail.

Notons qu'en matière de législation locale en matière de temps et d'horaire de travail, cette dernière peut s'avérer problématique du fait du potentiel décalage horaire entre les deux pays : sur les plages d'horaires de travail française, il sera peut-être 3 heures du matin dans le pays d'accueil.

Les règles de rupture de ce contrat seront également soumises au droit local.

Une multitude de règles sont donc potentiellement applicables dans un même pays, et différentes selon l'activité du télétravailleur. Des pays comme l'Espagne et la France possèdent des règles détaillées et codifiées en matière de télétravail, là où d'autres pays tels que les Pays-Bas ont une vision plus flexible en la matière, laissant une marge d'interprétation plus large et donc nécessitant une étude approfondie.

13 Décret-loi royal 28/2020 sur le travail à distance en Espagne

14 CCT n°85 (9 novembre 2005), modifiée par la CCT n°85 bis (27 février 2008).

12

Par ailleurs, avec la crise actuelle du COVID et le recours massif au télétravail, certains États tels que l'Espagne, la France et le Portugal ont annoncé vouloir réformer le télétravail.

Dès lors, les règles applicables aujourd'hui y sont amenées à évoluer très prochainement, ce qui peut potentiellement générer de l'insécurité juridique si le salarié décide de télétravailler à partir de l'un de ces pays : il pourrait ne plus être en conformité avec les nouvelles lois.

Enfin, si la législation de la plupart des pays fait peser sur l'employeur la responsabilité de la santé et sécurité du télétravailleur pendant qu'il exécute son travail depuis chez lui, tous les États ne permettent pas nécessairement à l'employeur de s'assurer concrètement de la conformité du lieu de travail (domicile) avec les règles applicables en matière de santé/sécurité.

Par exemple, les Pays-Bas15 obligent le salarié à permettre à son employeur de faire vérifier le domicile en présentiel ou par le biais de photos, là où le Chili considère que le droit à la vie privée du salarié (droit constitutionnel) prend le dessus.

Ainsi, dans le cadre du télétravail international, en fonction de la nature du contrat qui lie l'employeur et le salarié, ces derniers peuvent être tenus au respect de la législation française ou locale en matière de télétravail, sans compter les dispositions impératives des différents pays.

Il conviendra donc d'étudier précisément ces règles avant d'envisager l'installation du salarié dans le pays à partir duquel il souhaite télétravailler.

II) L'obligation de sécurité et santé de l'employeur vis-à-vis du salarié en

télétravail international

En cas d'expatriation, l'employeur, qui demeure l'employeur du pays d'origine pour lequel le salarié télétravaille depuis l'étranger, a l'obligation d'assurer la sécurité et la santé de son salarié.

15 « Wet werkbaar en wendbaar werk » (Loi sur le télétravail) du 1er février 2017

13

Cette obligation est valable sur le lieu de travail à l'étranger mais aussi en dehors, pendant les heures de travail et au-delà.16 Si cette obligation est facilement mise en oeuvre en France, elle devient difficile lorsque le salarié se trouve à l'étranger.

L'employeur commet une faute inexcusable, avec toutes les conséquences que cela emporte, s'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et s'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

De même, le salarié peut exiger son rapatriement en France en cas de danger. En cas de refus ou d'inactivité de l'employeur, le salarié peut demander des dommages et intérêts.

Ainsi, le télétravail international emporte le respect de nombreuses législations et normes, qu'il faudra donc en amont étudier, et dont le non-respect expose l'employeur à des sanctions et le salarié à des risques.

En plus du respect de différentes normes en droit du travail, se pose la question du contentieux du contrat de travail international, si les relations contractuelles venaient à se détériorer entre l'employeur et son salarié en situation de télétravail international.

Section II : Télétravail international et contentieux de contrat de travail

international

Il n'existe pas de définition précise du contrat de travail international.

En principe, le contrat de travail revêt un caractère international dès lors que sont caractérisés des éléments d'extranéité (nationalité des parties, lieu d'embauche, siège de la société, lieu d'exécution du travail, etc.).

Ainsi, est considéré comme international, un contrat conclu dans un pays et exécuté dans un autre. De ce fait, un salarié en situation de télétravail international, que cette situation découle d'une stipulation expresse du contrat de travail ou qu'elle ne soit pas prévue par le contrat de travail (par exemple du fait des mesures sanitaires ou un salarié qui a « décidé » de télétravailler à l'étranger sans modifier son contrat de travail), sera lié par un contrat de

16 En France articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail

14

travail international, car dans tous les cas il y a aura un élément d'extranéité, qui sera le lieu d'exécution du travail à l'étranger.

Ainsi, si les relations contractuelles viennent à se dégrader entre le salarié et l'employeur liés par un contrat de travail international, et que ce dernier souhaite par exemple licencier son salarié, des difficultés peuvent émerger en cas de contentieux.

En matière de litige en droit social, ce dernier peut être de 3 ordres : la conclusion du contrat de travail, l'exécution du contrat de travail, et la rupture du contrat de travail. Dans tous les cas, le litige sera lié à la relation de travail entre l'employeur et le salarié.

De ce fait, il pourra être difficile de déterminer la juridiction compétente ainsi que la loi applicable, et potentiellement le contentieux pourra être porté devant les juridictions du pays d'accueil.

Il convient de distinguer entre la loi applicable et la juridiction compétente. En effet, la loi applicable d'un pays X n'entraîne pas automatiquement la compétence juridictionnelle de ce même pays. De ce fait, la loi applicable peut être différente de la juridiction compétente, il faut donc faire une analyse en deux temps : tout d'abord déterminer la juridiction compétente, et ensuite déterminer la loi applicable au litige.

I) Juridiction compétente pour le salarié en situation de télétravail

international

Dans le cadre de la mobilité internationale des travailleurs et du télétravail international, et notamment européenne, se pose la question de la compétence juridictionnelle, en cas de litige portant sur un contrat de travail international, qui comporte un élément d'extranéité (dans le cas du télétravail international il s'agit du lieu d'exercice du travail qui à l'étranger). Il conviendra donc de s'intéresser à la compétence juridictionnelle en cas de télétravail dans un pays européen, puis dans un pays non européen.

A) Les règles spécifiques à l'Union Européenne en matière de compétence juridictionnelle

15

Intéressons-nous tout d'abord aux règles spécifiques de compétences juridictionnelles en matière européennes. Il s'agira donc de la situation dans laquelle un salarié décide de télétravailler à partir d'un pays membre de l'UE, au profit d'une entreprise située dans un autre État.

Des règles particulières ont été en adoptées par voie de conventions internationales par les États membres de l'UE. D'abord la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, réformée par la convention de Lugano (1988) et celle de Saint-Sébastien (1989), lors de l'élargissement de la CEE ou de la signature de la Convention par les pays de l'AELE. En 2000, la Convention est intégrée au droit communautaire via le Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, dit règlement Bruxelles I. Ce texte a donné lieu à un règlement de refonte du 12 décembre 2012, qui est le texte désormais applicable, depuis le 1er janvier 2015.

Les règles de compétence générale sont précisées aux articles 4, 5 et 6 du règlement 1215/2012 de 2012. Intéressons-nous plus particulièrement aux règles de compétence en matière de contrat individuels de travail, qui est la relation contractuelle utilisée dans le cadre du télétravail international.

En droit, l'article 20 du Règlement 1215/12/UE du 12 décembre 201217 dispose qu' « en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6, de l'article 7, point 5), et, dans le cas d'une action intentée à l'encontre d'un employeur, de l'article 8, point 1). 2. Lorsqu'un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un employeur qui n'est pas domicilié dans un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l'employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet État membre. »

Le règlement opère une distinction selon que l'employeur ou le salarié engagent l'action. Si le salarié en situation de télétravail international dans un pays état membre de l'UE est demandeur, l'article 21 du règlement n°1215/2012 de 2012 précise qu' « un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait: a) devant les

17 Règlement 1215/12/UE du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte du Règlement Bruxelles I)

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juridictions de l'État membre où il a son domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

Ainsi, le salarié aura le choix en ce qui concerne de la juridiction devant laquelle il portera le contentieux, selon que l'employeur pour lequel il télétravaille se situe sur le territoire d'un état membre ou non.

Si l'employeur est domicilié sur le territoire d'un état membre, comme la France, il sera attrait devant les juridictions françaises, ou devant la juridiction de l'état membre depuis lequel le salarié effectue habituellement son travail (nous imaginons que le salarié exerçait son activité de télétravail international de manière habituelle dans un même pays).

Si l'employeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un état membre, il pourra être assigné devant les juridictions de l'état membre depuis lequel le salarié effectue habituellement son activité de télétravail.

Si au contraire l'employeur est demandeur, c'est l'article 22 du Règlement n°1215/2012 qui dispose que « l'action de l'employeur ne peut être portée que devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile (...) »

Ainsi, l'employeur demandeur n'aura pas d'autre choix que d'assigner le salarié en situation de télétravail international dans l'état membre dans lequel il travaille et a donc son domicile.

Notons que l'employeur ne pourra pas se prévaloir des règles de droit internes françaises pour la détermination de la compétence internationale du juge saisi d'un litige d'ordre international intra-communautaire18.

A présent, abordons le cas dans lequel le salarié décide de télétravailler à partir d'un pays tiers à l'UE.

18 Cass. Ch. Mixte 11 Mars 2005, n°02-41371 et 02-41372

B) 17

Les règles relatives aux états tiers hors UE

Tout d'abord, l'article 4 (1 du même règlement dispose que « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

L'article 6 (1 dispose que « Si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25 ».

Enfin, l'article 21 (1 dispose qu' « un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait: a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

Ainsi, imaginons que le salarié se soit installé aux États-Unis afin de télétravailler au profit d'une entreprise française.

En cas de contentieux, si l'employeur est demandeur, le défendeur, c'est-à-dire le salarié, se sera donc pas domicilié sur le territoire d'un État membre. Aux termes des articles vu précédemment, ce seront donc les règles françaises de détermination de compétence juridictionnelles qui seront applicables (article 6(1).

Si le salarié est demandeur, l'employeur (défendeur) sera domicilié dans un état membre (la France). Il sera donc attrait devant les juridictions françaises. Le salarié n'aura pas le choix prévu par l'article 21car il ne télétravaille pas sur le territoire d'un état membre.

C) Le cas des clauses attributives de compétence ou compromis d'arbitrage

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La clause attributive de juridiction est la clause d'un contrat qui précise par avance quelles juridictions seront compétentes en cas de litige entre les parties au contrat. Cette possibilité concerne uniquement les différends commerciaux.

En droit français, l'article L1221-5 du Code du Travail interdit cette clause : « Toute clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail est nulle et de nul effet ». Le même code précise que la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de travail est nulle à l'article R. 1412-4 : « Toute clause d'un contrat qui déroge directement ou indirectement aux dispositions de l'article R. 1412-1, relatives aux règles de compétence territoriale des conseils de prud'hommes, est réputée non écrite. »

En revanche, en droit européen, l'article 23 du règlement 1215/2012 dispose qu'« il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions attributives de juridiction : ...postérieures à la naissance du différend19 ...qui permettent au travailleur de saisir d'autres tribunaux que ceux indiqués à la présente section. »

Dans le cadre d'un contrat de travail international, qui est le type de contrat de travail qui nous intéresse, les parties peuvent donc valablement déroger aux dispositions du code du travail français qui interdisent cette clause.20

En revanche, en ce qui concerne la clause d'arbitrage, ou compromissoire, la jurisprudence21 a précisé que cette dernière était inopposable, même dans un contrat de travail international.

Ainsi, dans le cas du télétravail international, si un contentieux devait émerger, la juridiction compétente dépendra de tous les facteurs que nous avons vu.

Cependant, la problématique n'est pas complètement réglée. En effet, la détermination de la juridiction compétente n'entraîne pas automatiquement la détermination de la loi applicable, qui n'est pas automatiquement la loi du pays de la juridiction compétente. La loi applicable dépend d'autres facteurs que nous allons voir dès à présent.

19 Et Cass. Soc, 14 nov. 2000, n° 98-41959

20 Cass. Soc., 8 juill. 1985, n° 84-40.284 ; Cass.soc. 30 janvier 1991, n°87-42086

21 Cass. Soc., 16 févr. 1999, n° 96-40643

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II) Loi applicable au contentieux de télétravail international

En ce qui concerne la loi applicable au contrat de travail international, trois périodes sont à distinguer. Ces dernières s'articulent autour de la conclusion de la Convention de Rome du 19 juin 198022 et du Règlement européen du 17 juin 2008, dit « Règlement Rome I », pour les contrats de travail conclus après le 17 décembre 2009.

Les règles applicables diffèrent selon la date de conclusion du contrat de travail.

De plus, des dispositions spécifiques ont été définies en cas de détachement des travailleurs dans le cadre de l'exécution d'une prestation de services23.

Par soucis de clarté, et du fait de la pratique récente du télétravail international, nous prendrons comme postulat que le contrat de travail a été conclu après le 17 décembre 2009, et qu'il est donc régit par le Règlement Rome I.

Le principe est posé par la Convention et le Règlement Rome I à l'article 3.

« Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat. »

En vertu de cet article, les parties au contrat international peuvent désigner n'importe quel droit applicable à leur contrat.

L'article 8 de la même convention évoque le cas spécifique qui nous intéresse du contrat de travail international :

« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement

22 Conv. Rome, 19 juin 1980, JOCE 9 oct., no L 66

23 Dir. CE no 96-71, 16 déc. 1996

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accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le travailleur.

4. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s'applique. » Enfin, l'article 9 de la convention évoque les lois de police :

« 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement.

2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi.

3. Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application. »

En clair, il ressort de ces dispositions le principe d'autonomie des parties, c'est-à-dire que les parties peuvent librement choisir la loi applicable au contrat de travail international.

Toutefois, ce choix ne peut priver le salarié des dispositions impératives dont il aurait bénéficié en l'absence de choix. En pratique, c'est d'avantage le choix de l'employeur que du salarié, du fait du déséquilibre contractuel entre l'employeur et le salarié.

A défaut de choix des parties, la loi applicable sera la loi d'exécution habituelle du contrat de travail. Ce critère est plus objectif que le premier, car il prend en compte les conditions réelles d'exécution du contrat, sans prendre en compte l'éventuel désidérata de l'employeur ou du lieu de d'embauche par exemple.

Si la loi applicable ne peut être déterminée selon le critère précédent, la loi applicable sera la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le salarié. Ce critère ne semble pas très objectif, il peut faire l'objet d'un montage de la part de l'employeur (par

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exemple, la société Easyjet fait signer à tout salarié son contrat de travail à Dublin, afin que le droit Irlandais soit applicable à la relation contractuelle).

Enfin, tous les critères de détermination vu précédemment ne sont plus applicables si le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui qui a été déterminé par les critères précédents.

Dans tous les cas, les lois de police du pays d'accueil seront applicables à la relation contractuelle.

A la vue de ces critères, quand un employeur souhaite envoyer un salarié télétravailler depuis l'étranger, le plus « sur » juridiquement semble donc de désigner dans le contrat de travail la loi applicable comme étant celle du lieu d'exécution du contrat de travail. Ainsi, le libre choix des parties de désigner cette loi ne sera pas écartée par les dispositions de la convention que nous avons vue, car les parties ont bien désigné une loi applicable, les paragraphes 2 et 3 de l'article 8 ne sont donc pas applicables, et le paragraphe 4 du même article ne semble pas avoir vocation à s'appliquer non plus car le contrat présente des liens étroits avec le pays d'exécution du télétravail, qui est déjà le pays déterminé par les parties, puisque le salarié y réside désormais et y exerce son activité professionnelle. Ce critère devra cependant être évalué au cas par cas.

En cas de télétravail sauvage, si le contrat de travail ne prévoit pas de loi applicable, il est probable que la loi applicable soit celle du lieu depuis lequel le salarié effectue du télétravail (paragraphe 2), c'est-à-dire du pays d'accueil, sauf là encore si le contrat présente des liens plus étroits avec la France (pays d'origine du salarié).

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le télétravail comporte un réel enjeu de droit du travail, qui ne peut être ignoré par l'employeur et le salarié, au risque de sanction et/ou de contentieux. En cas de contentieux, il conviendra de déterminer la juridiction compétente et la loi applicable pour régler ce contentieux.

A présent, intéressons-nous à l'enjeu de la protection sociale du télétravailleur international.

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Chapitre II : Le télétravail international et la protection sociale

du salarié

L'autre grand volet du droit social est la protection sociale, qui est également l'un des enjeux majeurs de la mobilité internationale et donc de la pratique du télétravail international.

En effet, lorsqu'un salarié est envoyé dans un pays étranger, si un incident de santé devait survenir, lié ou non à son travail, la question de sa prise en charge se posera nécessairement.

Si la France et son système de sécurité sociale sont très protecteurs pour le salarié, ce n'est pas nécessairement le cas de la plupart des autres pays, dans lesquels se soigner peut coûter cher. La protection sociale du salarié est donc l'un des principaux éléments d'un « package » classique d'expatriation, qui la plupart du temps propose au salarié une adhésion à la CFE et à diverses mutuelles internationales ainsi qu'à une assurance rapatriement, afin d'assurer un niveau de protection et de prise en charge au moins équivalent au système français, pour le salarié et sa famille, faute de quoi il ne partirait probablement pas.

Dans le cas d'une mobilité « classique », le volet santé est ainsi la plupart du temps prévu dans le « package » d'expatriation. En cas de soucis de santé pour le salarié et sa famille, la question de sa prise en charge ne pose donc pas problème.

En revanche, dans le cas du télétravail international, qui résulte souvent d'une situation de fait, dans laquelle le salarié s'est simplement installé dans un pays étranger, en prétendant que cela était « transparent » pour son employeur, qui n'a donc pas forcément prévu de protection spécifique pour le salarié, des difficultés peuvent émerger.

La question de la protection sociale se pose également, dans le cadre de la COVID-19, pour les travailleurs frontaliers, qui sont bloqués par les mesures de confinement et ne peuvent plus traverser la frontière pour travailler, et sont donc contraints au télétravail.

Dans ce chapitre, nous allons donc aborder l'enjeu de la protection sociale pour le télétravailleur international, qu'il s'agisse d'un salarié « ordinaire » qui télétravaille depuis l'étranger ou d'un salarié contraint au télétravail dans un pays qui n'est pas le pays de son lieu habituel de travail.

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Section I : La protection sociale du télétravailleur international, un enjeu essentiel de mobilité internationale

Dans cette section, nous nous intéresserons tout d'abord aux conséquences du télétravail international sur l'affiliation du salarié à un système de sécurité sociale, avant de nous pencher plus précisément sur le cas de l'accident du travail.

I) Le principe de la protection sociale du télétravailleur international

A) Le cas du télétravailleur international « ordinaire »

a) Le principe : le rattachement au système de sécurité sociale du pays d'accueil

En droit, et plus particulièrement en matière de protection sociale, le principe applicable est celui de la territorialité : l'assujettissement au régime de sécurité sociale du lieu d'exercice de l'activité professionnelle.

Le salarié est donc automatiquement rattaché au système de santé du pays d'accueil dès lors qu'il y travaille, même si certains pays prévoient une contribution différente et souvent moindre pour les expatriés (le Koweït par exemple prévoit une contribution minime pour les expatriés).

Le pays d'accueil peut ainsi demander le rattachement du salarié qui télétravaille depuis son pays et demander le paiement de cotisations à ce titre, sauf certains pays qui ont des conditions de durée de séjour avant rattachement.

Un salarié qui s'installe à l'étranger afin d'y télétravailler doit donc en principe être rattaché au système de sécurité sociale de ce pays, car il y exerce son activité professionnelle. Par voie de conséquence, il ne sera donc plus rattaché au système français de sécurité sociale.

b) L'exception au principe : le détachement

Comme tout principe juridique, il existe une exception à ce principe de territorialité en matière de sécurité sociale.

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Il s'agit des éventuels règlements européens, conventions bilatérales et décrets de coordination qui permettent à l'employeur de détacher son salarié dans le pays d'accueil plutôt que de l'expatrier. La principale différence est que le salarié restera affilié au système de sécurité sociale de son pays d'origine, et ne sera donc pas tenu d'être rattaché au système du pays d'accueil.

En cas de télétravail international européen, si le séjour dans le pays d'accueil dure moins de 3 mois, une simple déclaration à la CPAM suffit, mais au-delà il faudra faire demande de détachement avec le certificat A1.

Toutefois, ce certificat A1 pourrait potentiellement être refusé car bien souvent, dans le cadre du télétravail international, c'est d'avantage le salarié qui demande à être affecté dans un pays que l'employeur qui décide de l'affecter là-bas.

Le détachement est régi par la Directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services. Le salarié détaché se définit comme celui que l'employeur met à disposition d'une autre entreprise, sous l'autorité de laquelle il exécutera des travaux, et sans que son contrat de travail avec son entreprise d'origine soit rompu. Il y a donc dans la définition du détachement l'idée d'une « mise à disposition » ou d'un « envoi » du salarié, de la part de l'employeur. Si c'est le salarié qui est à l'origine de la demande, il conviendra donc d'attendre la réponse de la CPAM quant à la demande de certificat A1.

Le salarié pourrait décider d'effectuer des allers/retours entre la France et le pays d'accueil depuis lequel il télétravaille, afin de ne pas dépasser ce seuil des 3 mois.

Cependant, il existe un risque de la reconnaissance d'une pluriactivité entre deux états membres de l'UE : il faudra alors cotiser dans l'état où est passé plus de 25% du temps, ce qui est souvent le pays d'accueil où le salarié exerce son activité24. Cela comporte donc un risque pour le salarié, qui serait affilié au régime de sécurité sociale du pays dans lequel il exerce son activité de télétravail. Il est donc plus prudent de passer par le détachement et le certificat A1.

24 Règlement Européen n°883/2004 ; article 14§5 du Règlement d'application n°987/2005

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Si le pays depuis lequel le salarié souhaite télétravailler n'est pas un pays membre de l'UE, il faudra qu'une convention de sécurité sociale entre la France et ce pays prévoit la possibilité du détachement. S'il n'existe pas de conventions bilatérales de sécurité sociale, l'employeur pourra avoir recours au mécanisme de détachement de droit interne prévu par le code du travail pour maintenir volontairement le salarié au système de sécurité sociale français, mais cela reviendra cher pour l'employeur.

Sinon, l'employeur aura la possibilité d'expatrier son salarié. Comme nous l'avons vu, le principe de territorialité prévoit que ce salarié sera rattaché au système de sécurité sociale du pays d'accueil. L'employeur aura donc la possibilité de faire adhérer son salarié à la Caisse des Français de l'Étranger (CFE), afin qu'il bénéficie d'une couverture sécurité sociale équivalente à la couverture française. Certaines conventions collectives prévoient d'ailleurs le maintien du niveau de couverture sociale français pour un salarié en mobilité internationale.

Dans tous les cas, que le salarié soit détaché ou expatrié, il faudra, en plus de la sécurité sociale, prévoir la partie mutuelle internationale, prévoyance, ATMP, COVID...

En effet, que ce soit dans le cadre d'un détachement ou d'une expatriation avec une adhésion à la CFE, le salarié ne sera pris en charge que sur la base du barème français de sécurité sociale. Or, si en France, une consultation chez le médecin coûte tout au plus une trentaine d'euro, dans certains pays cela peut coûter bien d'avantage, pour un remboursement qui restera le même que celui dont le salarié aurait bénéficié en France. Une mutuelle internationale est donc quasiment obligatoire afin que le salarié soit pris en charge totalement.

Ainsi, qu'il soit détaché ou expatrié, le télétravailleur international, ainsi que son employeur, devront être vigilants quant à son affiliation à la sécurité sociale, ainsi qu'à diverses mutuelles et assurance privées, afin d'assurer au salarié une couverture équivalente à celle dont il aurait bénéficié en France.

De ce fait, si le salarié est en situation de télétravail « sauvage », il risque de ne pas être pris en charge. En effet, la sécurité sociale française, qui apprendra que le salarié

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n'exerce plus son activité en France, pourrait refuser la prise en charge, en estimant que le salarié devrait être affilié dans le pays dans lequel il exerce son activité.

En ce qui concerne le système de sécurité sociale du pays dans lequel le salarié exerce son activité, ils ignorent tout simplement que le salarié exerce son activité depuis leur pays, et il ne paye de plus pas de cotisations. Le salarié, qui n'aurait de surcroît pas adhéré à une mutuelle internationale ou à la CFE, risquerait donc ne pas être pris en charge et devoir supporter des charges importantes.

B) Le cas du télétravailleur frontalier

D'un point de vue fiscal, la notion de travailleur frontalier est subordonnée à une activité exercée dans une zone frontalière (la Belgique par exemple : dans la convention fiscale liant la France et la Belgique, est stipulée une zone frontalière de 20km entre nos deux pays ; un salarié qui n'habiterait pas dans cette zone ne pourrait pas bénéficier du régime fiscal du travailleur frontalier, sur lequel nous reviendrons plus tard).

En revanche, ce n'est pas le cas d'un point de vue de la sécurité sociale. En effet, seul un passage fréquent et régulier de frontière du, et vers, le lieu de résidence est nécessaire. Par exemple, un salarié qui habite en France, donc résident français, traverse quotidiennement la frontière Suisse pour travailler au sein d'une entreprise Suisse, et retraverse la frontière le soir vers son pays de résidence, la France.

En principe, le travailleur frontalier est affilié à la Sécurité sociale du pays dans lequel il exerce son activité professionnelle.

Ainsi, si un salarié réside par exemple en Lorraine mais qu'il traverse régulièrement la frontière pour travailler au Luxembourg, il dépendra de la Caisse Nationale de Santé (CNS), qui est l'équivalent de la CPAM au Luxembourg.

Cependant, en tant que travailleur frontalier, ce salarié a la possibilité d'obtenir le remboursement de soins de santé effectués dans le pays d'emploi ou en France. Pour pouvoir s'affilier à la Sécurité sociale française, il est nécessaire de demander un formulaire S1 à l'organisme d'assurance maladie du pays dans lequel il exerce son activité professionnelle. Les remboursements s'effectueront alors sur la base des tarifs en vigueur dans le pays dans lequel les soins ont été dispensés.

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Cependant, en raison de la crise de la COVID-19, de nombreux travailleurs frontaliers ne sont plus en mesure de traverser la frontière pour exercer leur activité professionnelle.

Ainsi, ils télétravaillent depuis leur pays de résidence pour le compte de leur employeur situé de l'autre côté de la frontière.

Si cette situation n'est pas de nature à faire perdre au salarié son statut de travailleur frontalier, au moins sur le plan de la sécurité sociale (nous reviendrons sur le plan fiscal plus tard, problématique à cet égard), une problématique émerge néanmoins : en principe, le salarié est affilé auprès de la sécurité sociale du pays dans lequel il exerce son activité professionnelle. Pour notre salarié qui traverse la frontière quotidiennement pour travailler au Luxembourg, ce dernier est donc affilié à la sécurité sociale Luxembourgeoise car il y exerce son activité professionnelle. Or, pendant le confinement, il ne traverse plus la frontière et effectue son activité professionnelle en France (télétravail). Il devrait donc être affilié à la sécurité sociale française, car il y exerce son activité.

Face à ce risque, le 13 aout 2020, la Direction de la Sécurité Sociale, en concertation avec les autorités nationales des États membres frontaliers, a adopté une mesure en vertu de laquelle le salarié restera affilié au régime de sécurité sociale du pays où il exerce habituellement son activité professionnelle.

Ainsi, notre salarié restera affilié à la sécurité sociale Luxembourgeoise, même s'il télétravaille depuis la France. Cette mesure a vocation à s'appliquer jusqu'à la date du 31 décembre 2020. Aucun formalisme particulier n'est exigé pour régulariser la situation.

Cette mesure s'applique aussi bien au salarié frontalier qu'au salarié détaché dans un pays État de l'UE/EEE/Suisse. Concernant ces salariés détachés, rappelons qu'en application du dispositif de détachement en droit de l'Union Européenne, ces derniers restent affiliés à la sécurité sociale française, bien qu'ils soient détachés dans un pays étranger pour y exercer leur activité professionnelle. En vertu de cette mesure, ces travailleurs détachés demeureront affiliés à la sécurité sociale française.

Notons qu'hors de l'UE, d'autres pays ont adopté des mesures analogues pour les frontaliers. Ainsi, la Sécurité sociale suédoise a accepté avec son homologue Danois une mesure de neutralité en matière de couverture sociale : si un salarié vit en Suède et travaille habituellement au Danemark, sa situation de sécurité sociale ne sera pas affectée s'il doit rester en Suède pour télétravailler et réciproquement.

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C) Le cas des expatriés français de retour en France pour motif impérieux

En raison de la crise sanitaire, des français résidents à l'étranger (expatriés français) sont de retour en France temporairement pour motif impérieux (COVID-19). De retour en France, ceux-ci continuent de travailler pour leurs employeurs non-résidents en télétravail.

Se pose la question de la protection sociale du salarié non-résident de retour en France temporairement.

En effet, l'expatrié est en principe affilié au système de sécurité sociale de son pays de résidence habituelle dans lequel il travaille. De retour en France, il exerce son activité professionnelle via du télétravail. Or, nous savons qu'en vertu du principe de territorialité, une personne est affiliée au système de sécurité sociale du pays dans lequel est exercé son activité professionnelle (hors cas de détachement).

Quel sera l'impact sur l'affiliation du salarié ?

Le CLEISS s'est fendu d'une notice sur son site internet afin de clarifier cette situation. D'après cet organisme, le français non-résident de retour en France reste rattaché au système de sécurité sociale du pays de résidence habituel.

En ce qui concerne la prise en charge de ses prestations sociales, si le salarié est amené à recevoir des soins en France, le salarié sera couvert soit par sa caisse d'assurance maladie étrangère (si un accord de sécurité sociale entre la France et son État de résidence le permet), soit par la Caisse des Français de l'Étranger (CFE - s'il y contribue), soit par son assurance maladie privée ou encore, s'il est retraité du système français, par le CNAREFE (Centre National des Retraités de France à l'Étranger) ou la CPAM de Tours.

Ainsi, nous l'avons vu, la question de l'affiliation à la sécurité sociale du télétravailleur international est un enjeu majeur à prendre en compte pour l'employeur. En effet, cette affiliation (ou non affiliation dans le cas du télétravail sauvage) peut avoir de graves conséquences pour le salarié.

A l'occasion de l'exécution de son contrat de travail, le salarié en situation de télétravail international, comme tout salarié, est sujet à un accident du travail. Cependant, en raison de sa situation, la question de sa prise en charge au titre de l'accident du travail se pose.

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II) Télétravail international et Accident du travail : un risque de non prise en

charge pour le salarié ?

En droit, en cas d'accident du travail, le principe est posé par l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale, qui dispose qu'« est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise. »

Pour bénéficier de cette présomption et donc d'une prise en charge, le salarié, ou ses ayants droit en cas d'accident mortel, devront démontrer que l'accident a eu lieu sur le temps et au lieu du travail. Même si le salarié se trouvait chez lui lors de l'accident, il peut tout de même rapporter cette preuve s'il démontre qu'il était alors encore soumis à un lien de subordination vis-à-vis de son employeur.

Comme en matière de temps de travail, la jurisprudence a une conception extensive de la notion de lieu de travail. Par lieu de travail, il ne faut donc pas entendre exclusivement le poste de travail occupé par le salarié. Il s'agit de l'ensemble de l'entreprise et de ses dépendances et, plus généralement, tous les lieux où l'employeur exerce son contrôle et sa surveillance.

En réalité, la principale question est celle de savoir si, dans le lieu où l'accident est réalisé, le salarié était toujours sous l'autorité et le contrôle de l'employeur. Dans l'affirmative, l'accident sera un accident du travail : pour que le caractère professionnel soit écarté, il faut donc que soient établies les conditions qui font que le salarié a échappé à cette autorité25.

Ainsi, deux situations sont à distinguer.

Si le salarié télétravaille depuis l'étranger, et que le contrat de travail du salarié ne le précise pas expressément et indique toujours comme lieu de travail le siège de l'entreprise (télétravail sauvage), tout accident survenant à son domicile dans le pays d'accueil ne sera

25 Cass. soc., 20 févr. 1980, no 79-10.593

30

donc pas considéré comme ayant eu lieu sur son lieu de travail tel qu'il est prévu par son contrat de travail.

Cependant, le salarié pourra démontrer qu'il était sous l'autorité et le contrôle de son employeur à ce moment-là car il télétravaillait. Il faudra par exemple rapporter l'existence de directives pendant qu'il télétravaille chez lui, et prouver qu'il est sous le contrôle de son employeur (mail, messages, visio-conférence...). Si le salarié ne rapporte pas cette preuve, il s'expose à ne pas être pris en charge au titre d'un accident du travail.

Si à l'inverse le télétravail international est prévu dans le contrat de travail, il faut se référer à l'article L. 1222-9 du Code du travail qui confirme que l'accident « survenu sur le lieu où est exercé le télétravail » est présumé être un accident du travail, sauf si l'employeur démontre l'absence de lien entre l'accident et le travail (par exemple un salarié se brûle pendant le télétravail alors qu'il est censé travailler sur ordinateur).

Ainsi, le salarié en situation de télétravail international ne sera pas forcément couvert en cas d'accident du travail s'il s'agit d'un télétravail « sauvage », sans modification du contrat du travail du salarié par un avenant qui préciserait ses nouvelles conditions de travail, et notamment le fait qu'il télétravaille depuis le pays d'accueil.

Bien souvent, le salarié n'est pas conscient des conséquences du télétravail sauvage, notamment en ce qui concerne l'étendu de sa couverture santé. Pourtant, nous allons le voir, l'employeur a une obligation d'information à cet égard, et s'expose à des sanctions en cas de manquement.

Section II : L'obligation d'information de l'employeur sur l'étendue de la couverture santé du salarié en situation de télétravail international

En droit, les articles 2 et 4 de la directive 91/533/CEE du conseil de l'Europe du 14 octobre 1991 qui traitent de l'obligation de tout employeur d'informer les travailleurs sur les conditions applicables au contrat ou à la relation de travail, énoncent les informations devant être données aux travailleurs en général (article 2) et les informations supplémentaires devant être données aux expatriés avant leur départ en expatriation (article 4). Ce deuxième article a été repris tel quel dans le code du travail à l'article R1221-10.

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Au vu de ces textes, et du principe d'exécution de bonne foi du contrat de travail, la jurisprudence a mis à la charge des entreprises une obligation d'information spécifique sur les employeurs vis-à-vis des salariés travaillant à l'étranger quant à leur régime de protection sociale et à leur régime de retraite26.

Elle a ainsi sanctionné un employeur pour ne pas avoir informé un expatrié avant son départ des conditions dans lesquelles il cotiserait pour son compte aux divers organismes sociales au titre des garanties retraite et chômage.

La Cour a précisé que l'employeur est tenu de délivrer une information claire et exhaustive permettant à l'expatrié d'apprécier l'étendu de la couverture sociale dont il bénéficie. En outre, il doit informer le salarié sur la nécessité, le cas échéant, de recourir volontairement, et à ses frais, à des garanties non couvertes pendant son expatriation (par exemple en adhérant à la CFE ou à une mutuelle internationale).

Certaines conventions collectives viennent renforcer cette obligation d'information, par exemple la convention collective nationale des cadres des travaux publics du 20 novembre 2015 à l'article 6.2.4. Cet article dispose que pour toute expatriation excédant 3 mois, un avenant au contrat de travail doit être conclu, qui précise notamment la couverture retraite (sécurité sociale ou régime équivalent et régimes complémentaires) et la couverture prévoyance (invalidité, décès, accidents du travail, maladie et accidents, perte d'emploi).

Ainsi, l'employeur qui ne satisfait pas à cette obligation d'information s'expose à une sanction. Imaginons par exemple que l'employeur accepte qu'un salarié télétravaille de manière sauvage depuis l'Espagne, sans l'informer qu'il ne sera plus couvert par la sécurité sociale française, et que ses frais de santé en Espagne ne seraient donc pas couverts, à moins d'adhérer à la CFE et éventuellement à une mutuelle internationale. Cet employeur s'exposera donc à des sanctions.

La Cour de cassation juge de manière constante que le manquement à l'obligation d'information de l'employeur à son salarié au regard de sa protection sociale pendant son expatriation cause un préjudice au salarié consistant en une perte de chance de s'assurer volontairement contre le risque27.

26 Cass soc. 19 juin 2013, 12-17.980

27 cass. Soc. 25 janvier 2012, n°11-11.374

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En l'espèce, le salarié reprochait à son employeur de ne pas l'avoir informé que son activité ne donnait pas lieu au versement de cotisations au régime général de retraite et de ne pas l'avoir averti qu'il pouvait y adhérer volontairement ; la Cour d'appel a alloué au salarié une somme de 100 000 euros de dommages et intérêts au seul titre de la perte de chance de cotiser lui-même à une assurance volontaire. Le pourvoi de l'employeur a été rejeté.

L'absence de cotisations au régime général de retraite, et l'absence d'assurance volontaire comme la CFE par le salarié, est un contentieux classique en matière de mobilité internationale. Le salarié de retour en France, au moment de son départ à la retraite, se rend compte qu'il n'a pas cotisé au régime général (et éventuellement de retraite complémentaire et supplémentaire) de retraite pendant toute la durée de son expatriation, ce que l'employeur ne lui avais pas indiqué, et il n'avait par conséquent adhérer à aucune assurance volontaire comme la CFE, qui lui aurait permis de cotiser au régime général de retraite, sans compter les assurances pour une éventuelle cotisation à un régime de retraite complémentaire ou supplémentaire.

Si l'expatriation a durée plusieurs années, le manque à gagner pour le salarié peut être conséquent, et par conséquent l'employeur s'expose à devoir payer une somme importante de dommages et intérêts au salarié au titre d'une perte de chance.

Ainsi, si l'employeur permet au salarié de télétravailler depuis un pays étranger sans l'informer de l'étendu de sa couverture sociale dans le pays d'accueil il peut être lourdement sanctionné.

Nous l'avons vu, le télétravail international, comme toute mobilité internationale, est d'ores et déjà loin d'une pratique caractérisée par une absence de formalités, notamment en droit social. Comme un départ d'un salarié en expatriation ou en détachement, le télétravail international doit être préparé en amont, par l'employeur comme le salarié.

Toutefois, le droit social n'est qu'une partie des enjeux de mobilité internationale applicables au télétravail international. Les enjeux migratoires et surtout fiscaux sont de taille, à plus forte raison en raison de la crise sanitaire actuelle, qui a fait émerger de nombreuses problématiques.

: LE TELETRAVAIL

INTERNATIONAL ET LES AUTRES ENJEUX DE MOBILITE INTERNATIONALE

DEUXIEME PARTIE

Dans cette seconde partie, nous allons aborder les enjeux fiscaux et migratoires du télétravail international, qui sont, au même titre que le droit social, des enjeux majeurs de mobilité international et donc du télétravail international. Enfin, nous verrons le mécanisme du portage salarial international, qui semble être une solution aux risques et enjeux du télétravail international.

Chapitre premier : Les enjeux fiscaux du télétravail
international

Comme nous l'avons vu, le télétravail international est une pratique de plus en plus développée du fait d'une demande croissante de la part des salariés, qui souhaitent choisir leur lieu de travail, souvent à l'étranger.

La pandémie mondiale de la COVID-19 a fait apparaître de nombreuses interrogations sur les questions de résidence fiscale des salariés qui sont actuellement bloqués à l'étranger et qui télétravaillent pour leur employeur, ce qui constitue une situation de télétravail international contrainte.

Ainsi, que le télétravail international soit le résultat d'une volonté du salarié ou imposé par les mesures de confinement, il convient d'étudier les incidences fiscales du télétravail international. En effet, cette modification du lieu de travail a, comme nous allons le voir, des incidences fiscales, que soit sur le plan de la fiscalité personnelle ou des entreprises. Pour cela, nous verrons dans un premier temps les incidences sur le plan de la fiscalité personnelle du salarié, puis dans un second temps sur le plan de la fiscalité des entreprises.

33

Section I : La fiscalité personnelle du télétravailleur international

34

Dans une première section, intéressons-nous à l'enjeu de la fiscalité personnelle du télétravailleur international, et notamment sur la détermination de la résidence fiscale et donc du paiement de l'impôt sur le revenu du télétravailleur.

I) L'impact du télétravail international sur la résidence fiscale des salariés

A) Le risque de conflit de résidence

En principe, pour déterminer la résidence fiscale d'un individu, il faut se référer aux critères de droit interne du pays dans lequel il réside ou exerce son activité professionnelle.

Pour un salarié qui réside ou travaille en France, il faut donc se référer aux dispositions fiscales françaises et au CGI, ce qui ne pose pas problème.

Imaginons maintenant que notre salarié français, célibataire et sans enfants, en cours d'année, décide de s'installer en Espagne afin d'y télétravailler pour son employeur français.

La question de sa résidence fiscale pose question, car étant donné qu'il travaille en Espagne, il faut se référer aux règles espagnoles de détermination de résidence fiscale. Or, ces dernières peuvent considérer que notre salarié est également résident fiscal espagnol.

Nous faisons donc face à un conflit de résidence, car les droits internes des deux pays considèrent le salarié comme résident fiscal, et donc redevable de l'impôt. Il conviendra donc, afin d'éviter une double imposition pour le salarié, de se référer à la convention fiscale conclue entre l'Espagne et la France.

Cette convention fiscale déterminera la résidence fiscale du contribuable selon des critères communs. Pour faire application d'une convention fiscale signée par la France, il est donc généralement nécessaire, comme nous l'avons vu, que la personne concernée réponde aux critères français de domiciliation fiscale (en effet, pour qu'il y ait un conflit de résidence il faut que le salarié réponde aux critères français de domiciliation fiscale qui font de lui un résident fiscal français, en plus d'être résident fiscal du pays d'accueil). Ce n'est qu'à partir de cet état de fait qu'un conflit de résidence peut intervenir entre la France et l'autre État28.

Cette convention ne permettra pas nécessairement de trancher la résidence fiscale du salarié, mais elle permettra au moins de déterminer le droit d'imposer de chaque État afin

28 CE 17 mars 1993, n° 85894

35

d'éviter que le salarié soit face à une situation de double imposition (imposé par les deux pays, ce qui évidemment représenterait une charge importante pour le salarié) ou au contraire une absence d'imposition (imposé par aucun des deux pays).

Afin d'illustrer nos propos, étudions le cas de la convention fiscale qui lie la France à l'Espagne. Reprenons notre exemple, un salarié français, célibataire et sans enfants, qui décide de s'installer en Espagne afin d'y télétravailler, en septembre 2019. Quelle sera sa résidence fiscale au titre de l'année 2019 ?

Pour répondre à cette question, comme nous l'avons vu, il faut tout d'abord étudier les critères de résidence de droit interne, pour caractériser un éventuel conflit de résidence fiscale.

En droit fiscal espagnol29, est considérée comme résidente fiscale au titre de l'année en cours :

- Toute personne qui y séjourne pendant une période supérieure à 183 jours au cours de l'année civile ;

- Toute personne qui y a établi le centre principal ou la base de ses activités ou intérêts économiques (directement ou indirectement).

En l'espèce, notre salarié qui s'installe en Espagne y établit la base de ses intérêts économiques, car c'est depuis l'Espagne qu'il va exercer son activité professionnelle.

Il peut donc être considéré comme résident fiscal Espagnol au titre de l'année 2019.

En droit français30 , est considérée comme ayant son domicile fiscal en France toute personne remplissant l'une conditions suivantes :

- Avoir en France son foyer ou son lieu de son séjour principal. Le lieu de séjour principal ne peut être retenu que dans l'hypothèse où le contribuable ne dispose pas d'un foyer ;

- Exercer en France à titre principal une activité professionnelle, salariée ou non, sauf si cette activité n'y est exercée qu'à titre accessoire ;

- Avoir en France le centre de ses intérêts économiques

29 Article 9.1 de la loi relative à l'impôt sur le revenu des personnes physiques - IRPF

30 CGI art.4 B, 1; BOFIP-IR-CHAMP-10-28/07/2016

36

Notre salarié étant parti en Espagne septembre 2019, il a passé la plus grande partie de cette année-là en France, il y a donc son lieu de séjour principal.

Ainsi, pour la période de septembre à décembre 2019, notre salarié est à la fois considéré résident fiscal espagnol et français eu égard aux droits internes des deux pays. Il s'agit donc d'un conflit de résidence, le salarié fait face à un risque de double imposition : en application des droits internes français et espagnols, le salarié étant considéré résident fiscal des deux pays, il doit en principe payer l'impôt sur le revenu sur ses revenus de 2019 dans les deux pays.

Il faut donc se référer à la convention fiscale liant la France à l'Espagne31 pour déterminer l'état compétent en matière de résidence fiscale.

La convention liste les critères de résidence en droit interne de deux pays, et précise qu'il s'agit de critères alternatifs : si le critère est rempli dans les deux états, il convient de passer au critère suivant, et ainsi de suite, afin de trancher sur la résidence, jusqu'à arriver à un critère qui n'est rempli que par l'un des deux pays signataire à la convention, qui sera alors l'état compétent pour imposer le salarié. Les critères de la convention sont les suivants :

« - une personne est considérée comme un résident de l'État où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent ; si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux États, elle est considérée comme un résident de l'État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;

- si l'État où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des États, elle est considérée comme résidente de l'État où elle séjourne de façon habituelle ;

- si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme un résident seulement de l'État dont elle possède la nationalité ;

31 La France et l'Espagne ont signé le 10 octobre 1995 une convention afin d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune. Cette convention est entrée en vigueur le 11 juillet 1997.

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- si cette personne possède la nationalité des deux États ou si elle ne possède la nationalitéì d'aucun d'eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d'un commun accord. »

Au regard de ces critères, le salarié, célibataire et sans enfants, qui travaille en Espagne et y a donc désormais le centre de ses intérêts vitaux, doit être considéré comme résident fiscal espagnol. En effet, le premier critère de la convention n'est pas applicable : le salarié ne dispose pas d'un foyer d'habitation permanent en France ou en Espagne car il est célibataire et sans enfants. Le second critère précise que quand le salarié ne dispose pas de foyer d'habitation permanent, il est considéré comme résident fiscal de l'état où il séjourne de façon habituelle. Le Conseil d'Etat a récemment précisé32 que cette notion s'apprécie « au regard de la fréquence, de la durée et de la régularité des séjours qui font partie du rythme de vie normal d'une personne et qui ont donc un caractère plus que transitoire, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la durée totale des séjours qu'elle y a effectués excède la moitié de l'année ». Ainsi, le salarié, qui habite désormais en Espagne, et y exerce son activité professionnelle, peut être considéré comme ayant son lieu de séjour habituel en Espagne, quand bien même il n'y a pas passé plus de la moitié de l'année.

L'Espagne sera donc l'état compétent pour imposer le salarié, qui est considéré comme résident fiscal espagnol, et non pas français.

Ainsi, dans tous les cas, il conviendra d'analyser la résidence fiscale des salariés en situation de télétravail international, afin d'éviter les situations de double imposition ou à l'inverse une absence d'imposition.

Si une double imposition entraine un coût important pour le salarié qui télétravaillerait depuis l'étranger, cela entraînerait également un coût pour une petite entreprise avec le paiement d'une assistance fiscale qui représenterait une charge importante.

Si l'entreprise refuse de fournir une telle assistance dans le pays d'accueil, le salarié risque d'être induit en erreur quant à sa résidence fiscale, et dès lors pourrait ne plus être en règle dans son pays d'accueil au niveau fiscal.

32 Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 16/07/2020, 436570

38

En effet, si au regard du droit interne de ce pays le salarié doit être considéré comme résident fiscal de ce pays, le salarié qui ne ferait alors pas de formalités déclaratives de ses revenus pourrait être soumis à une procédure de l'administration fiscale du pays dont il est résident fiscal.

De surcroit, le salarié en situation de télétravail sauvage, sera considéré comme résident fiscal français car au regard de l'administration fiscale le salarié exerce toujours son activité professionnelle en France et est donc résident fiscal français.

Le salarié serait donc redevable de l'impôt français et de celui du pays d'accueil, dont l'administration fiscale pourrait en plus le poursuivre en cas de non-respect de la législation fiscale locale.

Nous l'avons vu, pour déterminer la résidence fiscale d'un salarié, certains états conditionnent à cela un nombre de jours minimum (6 mois par exemple) passé dans ce pays. En raison de la crise de la COVID-19, de nombreux salariés sont contraints de télétravailler à partir d'un pays qui n'est pas celui dans lequel il travaille habituellement. Cela est-il de nature à impacter leur résidence fiscale habituelle, avec les conséquences que l'on sait ?

B) Les effets du télétravail sur la résidence fiscale du salarié

En droit interne, et pour la détermination de la domiciliation fiscale d'un individu, de nombreux pays ont pour condition un temps minimum passé sur leur sol, au-delà duquel l'individu est considéré comme étant résident fiscal de ce pays. Nous l'avons vu, l'Espagne prévoit par exemple cette condition dans son droit interne.

A cet égard, la crise de la COVID-19 peut faire émerger des risques. En effet, imaginons qu'un salarié étranger, résident fiscal de ce pays, soit bloqué en France en raison du confinement et qu'il y télétravaille. Les jours qu'il passe sur le territoire français doivent-il être décomptés dans la détermination de sa résidence fiscale ? Le salarié ferait potentiellement face à une situation de double imposition si ce décompte est effectif et qu'il devient résident fiscal français.

Face à ces risques, l'administration fiscale française a pour sa part précisé qu'un séjour temporaire en France en raison du confinement en France, ou de restrictions de

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circulation ne devait pas avoir d'impact sur l'appréciation des critères de résidence fiscale en France.

En effet, au regard des conventions internationales, la circonstance, pour une personne, d'être retenue provisoirement en France en raison d'un cas de force majeure n'est pas de nature à la considérer, pour ce seul motif, comme y ayant établi son foyer permanent ou y ayant le centre de ses intérêts vitaux.33

De même, en plus de la France, d'autres administrations fiscales ont adopté le même type de mesure de neutralité, afin d'éviter le risque de double imposition. Par exemple, l'administration fiscale Suédoise a confirmé que si un particulier est resté plus de 6 mois en Suède de manière «involontaire» (en raison de la COVID-19), il ne deviendra pas résident fiscal suédois comme il serait devenu en temps normal, à condition que son revenu professionnel soit taxé à l'étranger (la mesure, si elle doit éviter une double imposition des revenus professionnels du salarié, ne doit pas avoir pour effet une absence d'imposition du salarié).

Par ailleurs, des mesures ont été prises pour le cas particulier des travailleurs frontaliers et transfrontaliers afin de « neutraliser » ces jours passés d'un côté ou de l'autre de la frontière jusqu'au 31 décembre 2020, comme nous le verrons par la suite.

Afin d'illustrer ces difficultés, prenons un exemple concret.

Imaginons qu'un salarié employé par une société espagnole, travaillant et vivant à Madrid, est rentré en France pendant la période du confinement afin de le passer en famille, et a donc effectué du télétravail international depuis la France pour son employeur espagnol entre le 12 mars et le 31 août 2020. Pendant cette période, la société espagnole a continué de lui verser un salaire, qui a été soumis au prélèvement à la source espagnole, du fait de son statut de résident fiscal espagnol.

La problématique qui se pose est de déterminer s'il sera toujours considéré comme résident fiscal espagnol en 2020, du fait du nombre de jours importants passés en France à télétravailler ? La réponse est oui, car comme nous l'avons vu, les jours passés en France au

33 ( www.impots.gouv.fr > je viens ou reviens en France > résidence fiscale et confinement crise covid).

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titre du confinement n'ont pas vocation à avoir d'impact sur l'appréciation des critères de résidence fiscale. Il ne deviendra donc pas résident fiscal français et restera donc résident fiscal espagnol.

Cependant, tous les pays n'ont pas adopté de telles mesures de « neutralisation » des jours passés en leur sein en raison de la COVID-19, il conviendra donc d'étudier précisément la situation selon le pays à partir duquel télétravaille le salarié. En effet, si le pays décompte ces jours, le salarié fera alors face à un potentiel conflit de résidence, auquel cas il faudra appliquer ce qui a été vu précédemment.

De même, ces mesures ne sont que temporaires et visent expressément le confinement dû à la crise sanitaire. Si le salarié décide de télétravailler dans un pays pour sa convenance personnelle sans y être contraint par la crise, ou reste travailler en France après la crise sanitaire, les jours de présences seront évidemment décomptés, avec le même risque de conflit de résidence et de double imposition.

A présent, intéressons-nous à l'impact du télétravail international sur l'imposition des rémunérations.

II) Quel impact du télétravail international sur l'imposition des rémunérations

du salarié ?

A) Le principe : l'imposition dans l'État d'exercice de l'activité de télétravail

En droit, en ce qui concerne l'imposition des revenus provenant d'activités salariées, l'article 15 du modèle de convention fiscale OCDE pose la règle générale selon laquelle ces revenus sont imposables dans l'État où l'emploi est effectivement exercé, en d'autres termes à l'endroit où le salarié est physiquement présent lorsqu'il exerce l'activité pour laquelle il est rémunéré.

Intéressons-nous au cas où l'activité professionnelle est exercée sous forme de télétravail international : le salarié télétravaille à partir d'un pays étranger, pour le compte

d'une entreprise française, ou inversement un salarié télétravaille depuis la France pour son employeur étranger.

Dans tous les cas, la rémunération que le salarié recevra en contrepartie du télétravail international sera considérée comme ayant pour source l'État où l'activité professionnelle est physiquement exercée (y compris sous forme de télétravail).

Les revenus du télétravailleur international seront donc imposés dans le pays à partir duquel il exerce son activité de télétravail, et non pas le pays dans lequel se trouve son employeur pour le compte duquel il exerce son activité de télétravail.

Cependant, en raison du confinement, de nombreux salariés en mission à l'étranger ont été rapatriés dans leur État d'origine, dans lequel ils ont continué d'exercer leur activité professionnelle pour leur employeur en télétravail.

En vertu du principe ci-dessus, leurs revenus devraient donc être imposés dans le pays dans lequel ils ont été rapatriés car ils télétravaillent depuis cet endroit. Cette situation est génératrice d'insécurité juridique car le salarié avait ses revenus habituellement imposés dans l'état dans lequel il travaillait habituellement.

Pourtant, à ce jour, hormis le mécanisme de neutralisation des jours passés en France pendant le confinement sur la résidence fiscale que nous avons vu, aucune communication n'a été publiée par l'administration fiscale française s'agissant de l'imposition des rémunérations des salariés qui télétravaillent dans un autre État pendant la crise. Il faudra donc être vigilant sur ce point. Il convient donc de se référer à d'autre dispositions pour l'imposition de ces revenus.

B) L'exception des missions de courte durée pour le télétravail temporaire

Par exception à la règle que nous avons vu ci-avant, la rémunération reste exclusivement imposable dans l'État de résidence habituelle (dans notre cas l'état dans lequel se trouve l'employeur pour lequel le salarié télétravaille actuellement depuis la France) si les 3 conditions cumulatives suivantes sont réunies34 :

41

34 Modèle de convention OCDE, art. 15, al. 2

42

- le bénéficiaire séjourne dans l'État d'affectation pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours durant toute période de douze mois commençants ou se terminant durant l'année fiscale considérée ;

- les rémunérations sont payées par un employeur, ou pour le compte d'un employeur, qui n'est pas un résident de l'État d'affectation ;

- la charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable que l'employeur a dans l'État d'affectation.

Étudions l'exemple suivant afin d'illustrer ce recours aux missions de courte durée pour le télétravail temporaire.

Imaginons qu'un salarié français est détaché de septembre 2019 à décembre 2020 à Bruxelles pour travailler dans la filiale belge d'une société française. Ce dernier est célibataire sans enfant à charge, résident fiscal en Belgique et est rémunéré par cette filiale belge (il ne bénéficie pas d'un régime d'imposition des travailleurs frontaliers). Il choisit de rentrer en France le 30 octobre 2020 afin de passer le confinement en famille. Cependant, en raison du confinement et des mesures de restrictions, il se retrouve bloqué en France et dans l'obligation de télétravailler jusqu'au 1er décembre 2020 depuis la France pour le compte de la filiale belge. La question est donc de déterminer où sont imposables les rémunérations perçues par ce salarié par la société belge pendant la période du second confinement ?

Tout d'abord, il convient de rappeler, comme nous l'avons vu précédemment, qu'eu égard à la décision de l'administration fiscale française, ses jours de présence en France au titre du confinement n'ont pas vocation à modifier sa domiciliation fiscale et donc sa résidence fiscale, qui restera la Belgique.

Notons cependant que ces mesures prises par l'administration fiscales françaises n'engagent que la France, il conviendra d'étudier au cas par cas.

Toutefois, en l'absence d'autres mesures spécifiques, il conviendra de se référer à l'article des missions temporaires de la convention fiscale franco-belge pour définir le lieu d'imposition des rémunérations. Sur la base de ces critères conventionnels tirés de la convention fiscale bilatérale liant la France et la Belgique35, l'imposition des rémunérations

35 Convention fiscale franco/belge du 10 mars 1964 ; article 11

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perçues pendant le confinement resterait attribuée à la Belgique si les conditions suivantes sont réunies :

- « 1° le bénéficiaire séjourne temporairement dans l'autre État contractant (la France) pendant une ou plusieurs périodes n'excédant pas 183 jours au cours de l'année civile ;

- 2° sa rémunération pour l'activité exercée pendant ce séjour est supportée par un employeur établi dans le premier État (Belgique) ;

- 3° il n'exerce pas son activité à la charge d'un établissement stable ou d'une installation fixe de l'employeur, situé dans l'autre État (la France) »

Les deux dernières conditions ne poseront pas problèmes dans notre cas, car le salarié restera rémunéré par son employeur belge, qui supportera ainsi la charge de ses rémunérations.

Toutefois, dans l'hypothèse où le salarié viendrait à séjourner en France plus de 183 jours sur la période concernée, le salarié ne remplirait la première des conditions qui sont cumulatives et pourrait ainsi voir ses rémunérations imposées en France.

Il faudrait des mesures d'assouplissement de l'administration fiscale française pour éviter une imposition en France qui nécessiterait par la suite une régularisation a posteriori, à plus forte raison en raison du second confinement actuel, qui pourrait faire passer ce seuil de présence de 183 jours à des nombreux salariés si ces derniers ne sont pas retournés dans le pays d'exercice habituel d'emploi à l'issu premier confinement.

Il conviendra donc d'étudier au cas par cas, pays par pays, la situation fiscale du salarié en situation de télétravail international, notamment eu égard aux mesures de tolérance adoptées par certains états, qui ne lient cependant que ces derniers et qui sont circonscrites à la situation sanitaire actuelle. Il est probable que ces mesures ne soient plus applicables à la suite cette dernière.

À ce titre, comme nous allons le voir, l'OCDE a rappelé que les situations exceptionnelles nécessitent une coordination exceptionnelle entre les États dans le but d'atténuer l'impact pour les employeurs et leurs salariés dans le cas de modifications temporaires du lieu d'exercice de l'activité, notamment dans des situations contraintes

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consécutives à des évènements de « force majeure » qui n'était pas prévisible et qui échappent donc au pouvoir de décision des employeurs et de leurs salariés.

A présent, intéressons-nous au cas des travailleurs frontaliers. En effet, les personnes bénéficiant de ce régime fiscal particulier sont particulièrement impactées par les mesures sanitaires de confinement qui restreignent la liberté de mouvement et qui interdisent à ces derniers de traverser la frontière pour travailler. Nous allons voir que les administrations fiscales de certains pays ont adoptés des mesures afin de clarifier leur situation.

III) Télétravail international et travailleurs frontaliers à l'heure de la COVID-

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A) Le principe d'imposition du travailleur frontalier

Les travailleurs frontaliers, de par leur spécificité, bénéficient d'un régime dérogatoire en matière d'imposition de leurs revenus et également en matière d'affiliation aux régimes de sécurité sociale, comme nous l'avons vu.

En droit, le travailleur frontalier est défini comme toute personne résidente d'un État qui exerce une activité salariée dans un autre État pour le compte d'un employeur établi dans cet autre État et qui retourne chaque jour dans son État de résidence.

Lorsqu'un travailleur se déplace dans un autre pays pour y travailler, les deux États, celui de sa résidence et celui dans lequel il exerce son activité professionnelle, peuvent prétendre au droit d'imposer le revenu perçu, conformément à leur droit fiscal interne.

Il existe donc un risque de double imposition. Il faut donc se référer à la convention fiscale liant les deux pays, et notamment au régime prévu pour les frontaliers.

En application de ce régime des travailleurs frontaliers, les salariés qui peuvent justifier de leur qualité de travailleur frontalier sont imposés sur leurs revenus provenant de leur activité professionnelle dans leur État de résidence, et non pas dans celui où ils exercent physiquement leur activité professionnelle.

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Par exemple, un salarié de nationalité française, habitant à Annemasse, traverse la frontière Suisse tous les jours et effectue des allers-retours afin de travailler dans une entreprise située en Suisse. Le salarié a sa résidence en France, car il y habite, et exerce son activité professionnelle en Suisse.

Au regard des droits interne en termes de domiciliation fiscale, les deux pays peuvent considérer le salarié comme résident fiscal. En effet, la France peut le considérer comme résident fiscal car il y a son lieu de séjour principal. De même, la Suisse peut le considérer comme résident fiscal suisse car il y exerce son activité professionnelle.

Cependant en vertu du régime fiscal des frontaliers prévu par la convention fiscale conclue entre les deux pays, le salarié sera considéré comme un résident fiscal français exclusivement, et sera donc imposable au titre de l'impôt français sur ses revenus tirés de son activité professionnelle exercée en Suisse.

La France prévoit ce régime dérogatoire pour les travailleurs frontaliers avec la plupart de nos voisins : la Suisse, l'Allemagne la Belgique, l'Espagne et l'Italie. En revanche, il convient de noter qu'il n'en existe pas avec le Luxembourg, Monaco, Andorre, et le Royaume-Uni.

Toutefois, en raison de la crise sanitaire, des problématiques émergent quant à ce régime, puisque les salariés ne peuvent plus pour certains traverser la frontière, et sont contraints de télétravailler dans leur pays de résidence au profit de leur employeur situé de l'autre côté de la frontière, le bénéfice du régime spécifique des frontaliers peut ainsi être remis en question.

B) Les mesures des administrations fiscales face à la crise sanitaire

a) Pour les travailleurs bénéficiant du régime spécifique des travailleurs frontaliers

Dès mars 2020 et le début du premier confinement, des accords amiables ont été conclus avec l'Allemagne, la Belgique et la suisse.

Ces accords prévoyaient que les personnes bénéficiant des régimes spécifiques d'imposition, prévus pour les travailleurs frontaliers, puissent continuer à en bénéficier

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même si elles sont contraintes de demeurer et télétravailler chez elles pendant la crise sanitaire.36 Ces accords continueront de s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2020.37

Le principal risque est que le salarié, qui désormais travaille et réside en France, ne réponde plus aux conditions du régime spécifique des travailleurs frontaliers, qui le plus souvent précise un nombre de jours maximum travaillés dans le pays de résidence au-delà duquel le salarié ne pourra plus bénéficier du régime.

En d'autres termes, la convention peut prévoir que si le salarié, qui en temps normal traverse la frontière et travaille dans tel pays, travaille plus de X jours par an en France, il ne sera plus considéré comme un travailleur frontalier au sens du régime spécifique prévu par la convention.

Rappelons-le, ce régime prévoit que le salarié est exclusivement imposable dans son pays de résidence, c'est-à-dire la France.

Ainsi, le risque est que les revenus du salarié, tirés de son activité initialement en présentiel dans le pays frontalier, puisse être imposés dans ce pays, puisque le régime spécifique des frontaliers ne s'applique plus.

En effet, le salarié, depuis le 1er janvier 2020, traversait la frontière et travaillait dans ce pays frontalier, et bénéficiait du régime fiscal des travailleurs frontaliers.

Cependant, dès mars, contraint au télétravail en France, il ne répondait plus aux critères de ce régime. A la fin de l'année fiscale, se posera donc la question de l'imposition de ses revenus tirés de son activité dans ce pays frontalier, puisqu'il il ne bénéficiait pas du régime spécifique des travailleurs frontaliers en raison du confinement. Il y a donc un risque de double imposition.

Le pays frontalier pourrait en effet considérer que les périodes pendant lesquelles le salarié a exercé son activité sur son territoire doivent être imposés au regard de son droit fiscal interne (le pays considérerait le salarié comme résident fiscal car exerçant son activité sur son territoire) car le salarié ne bénéficie plus du régime spécifique des frontaliers, ayant dépassé par exemple le nombre de jours maximums d'exercice d'une activité hors de son territoire.

36 Communiqué de presse du 19 mars 2020, n° 2081 / 993).

37 Communiqué de presse du 31 août 2020 ; rép. Masson n° 16036, JO 24 septembre 2020, Sén. quest. p. 4351).

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La France quant à elle, pays de résidence du salarié, le considère comme résident fiscal car il y a son lieu de séjour principal et y exerce désormais son activité professionnelle et pourrait donc l'imposer elle aussi.

En vertu de ces accords, le salarié restera donc imposé exclusivement dans son pays de résidence, la France.

Étudions l'exemple suivant :

Un salarié est résident fiscal français et exerce son activité professionnelle en Belgique dans la zone frontalière. Toutefois, en raison des mesures sanitaires, il a été contraint de télétravailler depuis son domicile en France pendant toute la durée du confinement. La question qui se pose est donc de déterminer si ce salarié est toujours éligible au régime spécifique d'imposition des travailleurs frontaliers pour l'année 2020 ?

Tout d'abord, il convient d'apporter quelques précisions sur la convention fiscale liant la France et la Belgique. En effet, l'avenant à la convention fiscale entre la France et la Belgique, signé à Bruxelles le 12 décembre 2008, modifie le régime d'imposition des traitements et salaires des travailleurs frontaliers. En effet, depuis le 1er janvier 2012, les nouveaux travailleurs frontaliers ne bénéficient plus du statut fiscal de frontalier et paient leurs impôts en Belgique. Ainsi, Seules les personnes bénéficiant du statut avant le 1er janvier 2012 peuvent conserver ce statut et continuer à payer leurs impôts en France jusqu'en 2033, à condition :

- de maintenir, de manière ininterrompue jusqu'en 2033, leur foyer d'habitation permanent dans la zone frontalière française ;

- d'exercer leur activité dans la zone frontalière belge ;

- et de ne pas sortir plus de 30 jours par année civile de la zone frontalière belge pour l'exercice de leur activité.

Les « zone frontalière » dont il est question correspondent à toutes les communes situées dans la zone délimitée par la frontière commune à la Belgique et à la France et à une ligne tracée à une distance de 20 kilomètres de cette frontière.

Supposons que notre salarié, avant la crise sanitaire, répondait à ces critères. Il est aujourd'hui contraint de télétravailler à partir de sa résidence française. Or, la troisième

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condition précise que le salarié ne peut pas travailler plus de 30 jours hors de la zone frontalière belge. Ainsi, notre salarié, s'il a passé tout son confinement en France et y a exercé son activité via du télétravail, excède ces 30 jours. Il ne pourrait donc plus bénéficier du régime des travailleurs frontaliers.

Toutefois, comme nous l'avons vu, des accords ont été conclus entre la France et la Belgique dans le cadre de la crise sanitaire. Ces accords prévoient que les jours travaillés depuis le domicile du salarié en France pendant la période du confinement jusqu'au 31 décembre 2020 n'ont pas vocation à remettre en cause son régime d'imposition spécifique existant. Ainsi, le salarié sera exclusivement imposable en France même si le nombre de jours travaillés autorisés en dehors de la zone frontalière en Belgique n'est pas respecté.

b) Les mesures pour les travailleurs ne bénéficiant pas du régime spécifique des travailleurs frontaliers

A côté des travailleurs bénéficiant de ce régime particulier, il a fallu clarifier la situation des travailleurs frontaliers qui n'en bénéficiaient pas.

Leur situation est la même : notre salarié de nationalité française et habitant près de la frontière Luxembourgeoise fait des allers-retours quotidiens au Luxembourg afin d'y travailler. Notre salarié réside en France, et exerce son activité professionnelle au Luxembourg.

Au regard des droits internes des deux pays, il peut être considéré comme résident fiscal des deux pays. Nous sommes donc face à un conflit de résidence.

Or, nous l'avons vu, il n'existe pas, dans la convention fiscale liant la France au Luxembourg du 20 mars 2018, de régime spécifique de travailleur frontalier.

Cette convention fiscale liant ces deux pays, prévoit, pour un travailleur résident en France qui travaille au Luxembourg (allers-retours quotidien), l'imposition au Luxembourg pour le revenu tiré d'une activité effectuée dans ce pays.

Du fait de la crise sanitaire, le salarié est bloqué en France et doit télétravailler pour le compte de son employeur Luxembourgeois.

La convention fiscale prévoit une période maximale de 29 jours pendant laquelle le salarié peut travailler en France sans remettre en cause sa résidence fiscale Luxembourgeoise. Au-delà, le salarié redeviendrait résident fiscal français, car il serait alors

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résident et exercerait son activité professionnelle en France, il n'y aurait donc plus de conflit de résidence, il serait résident fiscal français exclusivement.

Ainsi, des accords ont été passés entre ces pays.

En substance, ces derniers prévoient que les jours (télé)travaillés à domicile dans le pays de résidence en raison des mesures de confinement, pourront, sur option, être considères comme des jours travaillés dans l'État où les personnes concernées exercent habituellement leur activité et donc y demeurer imposables.

Concernant le Luxembourg, pour reprendre notre exemple, un accord a été conclu le 16 juillet 2020 entre les deux pays afin que la période comprise entre le 14 mars 2020 et le 31 août 2020 inclus, pendant laquelle le salarié télétravaille depuis la France, ne soit pas considérée comme des jours travaillés en France pour le décompte des 29 jours pendant lesquels le salarié peut travailler en France sans remettre en cause sa résidence fiscale Luxembourgeoise. L'accord est prolongé le 27 août 2020, étendant cette période de neutralisation jusqu'au 31 décembre 2020 inclus. Le salarié demeure ainsi résident fiscal français.

Ainsi, en conclusion de cette section, nous avons vu que la pandémie de la COVID-19 a contraint de nombreux gouvernements à adopter des mesures strictes de confinement, restreignant ainsi la liberté d'aller et venir de ses ressortissants.

Ce type de mesure a donc impacté de nombreux salariés, parmi lesquels se trouvaient des salariés en situation de télétravail international ou contraint de le devenir.

En effet, les travailleurs frontaliers par exemple, qui traversaient la frontière pour aller travailler, se retrouvent dans l'incapacité physique d'exercer leurs fonctions dans le pays d'emploi, et sont donc contraint de télétravailler à partir du pays dans lequel ils sont confinés, au profit d'une société étrangère. Ils sont donc en situation de télétravail international.

De même, certains salariés qui travaillaient habituellement dans un pays étranger au profit d'une société étrangère se retrouvent bloqués dans un pays qui n'est pas leur pays de résidence, contraint de télétravailler pour leur société d'emploi.

Ces éléments de dimension internationale soulèvent de nombreuses problématiques fiscales, auxquelles les États concernés ont répondu, pour le moment, en adoptant des

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mesures temporaires visant à neutraliser les effets de la pandémie sur la résidence fiscale et l'imposition des salariés en situation de télétravail international du fait de la pandémie.

Toutefois, les salariés ne sont pas les seuls concernés par cet enjeu fiscal. En effet, nous allons le voir, les entreprises font également face à des risques en la matière, du fait du télétravail international, choisi ou contraint, de certains de leurs salariés.

Le secrétariat de l'OCDE, dont les modèles sont adoptés dans la plupart des conventions fiscales internationales, est donc intervenue38 pour formuler des instructions sur cette problématique fiscale, afin que la situation exceptionnelle n'entraine pas de conséquences fiscales néfastes pour les employeurs.

Ces instructions visent donc la question du lieu de résidence fiscale des entreprises dont la gestion est assurée dans un autre pays en raison des restrictions de déplacement et des mesures de confinement et qui pourrait donc constituer un établissement stable, ce qui emporte des conséquences fiscales.

Section II : Les enjeux fiscaux pour l'entreprise ayant un salarié en
télétravail international

Les entreprises craignent que le fait que certains de leurs employés soient, en raison des mesures sanitaires, confinés et bloqués dans un autre pays que celui dans lequel ils travaillent régulièrement et télétravaillent actuellement dans cet autre pays, n'ait pour conséquence la création d'un établissement stable dans ce pays, ce qui imposerait à l'entreprise des obligations déclaratives et fiscales dans ce pays, notamment en termes d'impôt sur les sociétés.

En droit, la notion d'« établissement stable » désigne généralement soit une installation d'affaires présentant un caractère fixe et ayant une activité propre en France, soit un agent indépendant en France qui accomplit des actes au nom pour le compte de la société, l'engageant par la même.

38 « Conventions fiscales et impact de la crise du COVID-19 : Analyse du secrétariat de l'OCDE », version du 3 avril 2020

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En droit interne français, c'est le critère « d'entreprise exploitée en France » qui est retenu en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, et qui reprend les critères de l'établissement stable.

Ainsi, l'exercice habituel d'une activité est ainsi caractérisé par trois critères, qui ne sont pas cumulatifs :

- L'exploitation d'un établissement en France ;

- La réalisation en France d'opérations par l'intermédiaire d'un représentant dépendant ;

- La réalisation d'opérations formant un cycle commercial complet.39

Ainsi, l'établissement stable est une notion développée en premier lieu par chaque État souverain puis, dans le cadre des conventions internationales pour déterminer le lieu d'imposition d'une activité opérationnelle exercée par une entreprise dans un État autre que celui du lieu de son siège.

Par exemple, lorsqu'une entreprise établie en France, exerce une activité en Italie par l'intermédiaire d'un établissement stable, qui sera caractérisé par les critères que nous allons détailler (un agent indépendant par exemple), l'Italie sera en droit d'imposer les bénéfices réalisés par cet établissement stable.

Selon le modèle OCDE pour les conventions fiscales, qui est repris par une grande majorité de conventions fiscales, la définition de l'établissement stable est établie sur deux critères : l'installation fixe d'affaires et l'agent dépendant.

La notion d'agent dépendant est définie comme suit : «en l'absence d'une installation fixe d'affaires, un établissement stable peut être caractérisé par la présence d'un agent représentant l'entreprise dans un autre État. Cet agent, personne physique ou morale, traite les contrats au nom de l'entreprise et exerce son activité dans les domaines caractéristiques de l'existence d'un établissement stable »40

39 BOFIP, IS - Champ d'application et territorialité - Détermination du lieu d'imposition des entreprises dont le siège est situé hors de France

40 BOFIP, NT - Dispositions communes - Droit conventionnel - Modalités d'imposition au regard du droit conventionnel - Bénéfices des entreprises

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Étudions donc les différentes situations qui pourraient potentiellement conduire à la reconnaissance d'un établissement stable, et aux solutions qui ont été retenues par l'OCDE afin de limiter au maximum cette reconnaissance, due à une situation de force majeur caractérisée par la crise sanitaire, qui peut avoir des conséquences importantes pour les entreprises sur le plan fiscal.

I) Le risque de la reconnaissance d'un établissement stable

A) Le salarié en situation de télétravail international : un bureau situé au

domicile ?

Tout d'abord, imaginons un cas classique causé par la crise sanitaire : un salarié français expatrié aux États-Unis, a décidé ou a été contraint de rentrer en France en raison des mesures sanitaires. Il décide donc de travailler en télétravail depuis son domicile français. Le fait que le salarié exerce, en raison de la crise sanitaire, son activité professionnelle à domicile, dans un pays qui n'est pas celui de son lieu d'activité professionnelle habituelle, peut-il conduire à la reconnaissance d'un bureau situé à ce domicile, et donc à la reconnaissance d'un établissement stable pour son employeur ?

En droit, un établissement stable doit présenter un certain degré de permanence et être à la disposition d'une entreprise pour être considéré comme une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.

Le paragraphe 18 des Commentaires sur l'article 5 (qui aborde la notion d'établissement stable) du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE précise que, « même si l'activité d'une entreprise peut être exercée pour partie dans des locaux tels qu'un bureau situé au domicile d'une personne, ceci ne devrait pas conduire à la conclusion que ces locaux sont mis à la disposition de l'entreprise simplement parce qu'ils sont utilisés par une personne (notamment un salarié) qui travaille pour cette entreprise. »

L'exercice discontinu d'une activité au domicile d'un employé ne fait pas de ce domicile un endroit mis à la disposition de l'entreprise.

De plus, pour qu'un bureau situé au domicile soit considéré comme un établissement stable mis à la disposition d'une entreprise, il doit être utilisé de manière continue pour

l'exercice d'une activité d'entreprise et l'entreprise doit obliger la personne à utiliser les locaux concernés pour l'exercice d'une activité de l'entreprise.

Ainsi, pour reprendre notre cas d'espèce, pendant la crise de la COVID-19, notre salarié qui reste à son domicile pour travailler à distance le fait pour se conformer à des directives gouvernementales ; il s'agit donc d'un cas de force majeure, et non d'une obligation imposée par l'entreprise ou l'employeur.

C'est pourquoi, eu égard au caractère exceptionnel de la crise du COVID-19, et sous réserve que le télétravail ne devienne pas la norme dans la durée pour notre salarié, l'OCDE estime que le télétravail depuis son domicile français (autrement dit le bureau situé au domicile) « ne constitue pas un établissement pour l'entreprise/l'employeur, parce que cette activité ne présente pas un degré suffisant de permanence ou de continuité. »

Ainsi, le télétravail de ce salarié à son domicile ne saurait constituer un bureau situé à son domicile susceptible d'entrainer la reconnaissance d'un établissement stable pour l'entreprise.

Cependant, cette recommandation de l'OCDE, comme toutes celles qui suivront, sont la conséquence du premier confinement.

Or, nous vivons actuellement un second confinement. Le salarié qui, entre ces deux confinements, aurait décidé de continuer à télétravailler, et serait désormais bloqué dans ce domicile, pourrait potentiellement présenter un certain degré de permanence.

Il en irait de même si l'employeur, du fait de la situation incertaine, avait décidé de demander au salarié de demeurer à son domicile afin d'y télétravailler, en attendant que la situation devienne plus lisible.

Le télétravail serait alors la conséquence d'une directive de l'employeur. Ces éléments seraient de nature à reconnaître un bureau situé au domicile du salarié.

Il conviendra donc d'étudier la situation au cas par cas.

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B) Le salarié en télétravail international : un agent indépendant ?

Penchons-nous à présent sur la problématique d'une personne travaillant temporairement à domicile pour un employeur non-résident : pourrait-elle être qualifiée d'agent indépendant dont les activités donneraient lieu à la création d'un établissement stable ?

En droit, l'article 5(5) du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE dispose que « les activités d'un agent dépendant tel qu'un employé conduisent, pour une entreprise, à la création d'un établissement stable si l'employé conclut habituellement des contrats pour le compte de l'entreprise ». Ainsi, pour appliquer l'article 5(5), il conviendra d'évaluer si l'employé exerce ces activités de manière « habituelle ».

Dans le cadre de la crise de la COVID-19, d'après l'OCDE, il semble « peu probable qu'une activité exercée par un employé ou un agent dans un État soit considérée comme exercée de manière habituelle si la personne concernée ne travaille à domicile dans cet État que pendant une courte période dans un cas de force majeure et/ou à cause de directives gouvernementales ayant des répercussions exceptionnelles sur le cours normal de ses activités. »

De même, le paragraphe 33.1 des Commentaires sur l'article 5 de la version de 2014 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE prévoit que le critère selon lequel l'agent doit « habituellement » exercer des pouvoirs lui permettant de conclure des contrats signifie que la présence d'une entreprise dans un État contractant ne doit pas être simplement transitoire pour que l'on puisse considérer que l'entreprise possède dans cet État un établissement stable, et qu'elle y soit donc redevable de l'impôt.

Ainsi, dans le cadre de la crise de la COVID-19, l'OCDE estime que les personnes travaillant temporairement à domicile pour un employeur non-résident ne devraient pas être qualifiées d'agents indépendants dont les activités donneraient lieu à la création d'un établissement stable, du fait du caractère temporaire de leur activités.

Cette recommandation présente les mêmes limites que la précédente. En raison du second confinement, il conviendra d'étudier la situation au cas par cas et pour chaque salarié.

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C) Les chantiers de constructions retardés : des établissements stables ?

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Du fait de la crise de la COVID-19, un grand nombre d'activités exercées sur des chantiers de construction sont temporairement interrompue. En effet, le premier confinement avait mis un coup d'arrêt à l'ensemble des chantiers BTP en France.

En droit, un chantier de construction constitue un établissement stable si sa durée dépasse douze mois conformément au Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, ou six mois conformément au Modèle de convention fiscale des Nations Unies.

Le risque est donc que ces chantiers, interrompus du fait de la crise de la COVID-19, ne dépasse ces durées et caractérisent des établissements stables, avec les conséquences fiscales que l'on sait.

D'après l'OCDE, la durée de cette interruption ne devrait toutefois « pas entrer dans le calcul de la durée d'existence d'un chantier et ne devrait donc pas entrer en ligne de compte pour déterminer si un chantier de construction constitue un établissement stable ».

Cependant, il ne s'agit là encore que d'un avis non contraignant de l'OCDE. En effet, Il est précisé au paragraphe 55 des Commentaires sur l'article 5(3) du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE « qu'un chantier ne doit pas être considéré comme ayant cessé d'exister si les travaux ont été momentanément interrompus (les interruptions temporaires devant entrer dans le calcul de la durée d'existence d'un chantier) ».

A titre d'exemple d'interruptions, les commentaires évoquent notamment un manque de matériaux ou des difficultés de main-d'oeuvre.

Évidemment, l'OCDE ne s'est jamais penchée sur le cas de la COVID-19 comme motif d'interruption, puisque ces commentaires sont antérieurs à la crise sanitaire. Il conviendra donc de déterminer si les interruptions temporaires de chantier due à la COVID seront prises en compte dans la durée d'existence du chantier, et donc pour caractériser un établissement stable si la durée dépasse celle prévue par les textes.

Si l'avis de l'OCDE n'est pas contraignant, il convient cependant de rappeler que la plupart des conventions fiscales utilisent le modèle OCDE, qui a donc un avis légitime et qui devrait être suivi.

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Toutefois, si la crise venait à perdurer, ce qui semble être le cas, il faudra être vigilant sur le comportement des États quant à ces préconisations, qui sont temporaires par essence et conjecturelles.

Contrairement aux deux premiers risques que nous avons-vu, ce dernier ne devrait pas être impacté par le second confinement. En effet, à l'occasion du second confinement, les chantiers BTP ont été autorisés à poursuivre leurs activités, rendant improbable un arrêt des chantiers et un dépassement important de sa durée prévue.

Jusqu'à présent, nous nous sommes essentiellement intéressés à des salariés « lambdas », contraints au télétravail dans un pays autre que celui de leur employeur. Cependant, les mesures sanitaires ont également touché de nombreux directeurs généraux et autres dirigeants d'entreprise. Du fait de leur grande mobilité, et en raison de leur emploi, il est même possible que cette catégorie ait été particulièrement impactée par la crise sanitaire et ses mesures restrictives en termes de mobilité.

II) L'impact du télétravail international sur la résidence fiscale de l'entreprise

La crise de la COVID-19 suscite des inquiétudes concernant la possibilité que le « siège de direction effective » d'une entreprise soit modifié.

En effet, certains dirigeants ont pu être dans l'incapacité de quitter un pays qui n'est pas le pays de résidence de l'entreprise. Ils continueraient cependant de télétravailler pour le compte et au nom de l'entreprise. Plus précisément, l'inquiétude porte sur le fait qu'un tel changement puisse avoir pour conséquence un changement de résidence de l'entreprise en application de la législation nationale applicable.

D'après l'OCDE, il semble peu probable que la situation créée par la pandémie de la COVID-19 entraîne un changement de résidence d'une entité en vertu d'une convention fiscale.

En effet, un changement temporaire de localisation des directeurs et dirigeants, lié à une situation exceptionnelle et temporaire provoquée par la COVID-19 « ne doit pas avoir pour effet d'entraîner de changement de résidence pour l'entité. »

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A titre d'illustration, l'administration fiscale irlandaise a publié des instructions invitant à ne pas tenir compte de la présence d'une personne physique en Irlande - et, le cas échéant, dans une autre juridiction - dans le cas d'une entreprise par laquelle cette personne est employée en tant que directeur, dès lors qu'il est démontré que cette présence résulte de l'application des restrictions aux déplacements liées à la COVID-19.

Le principal risque est un problème de double résidence. En effet, le changement de localisation de certains dirigeants pourrait conduire les deux pays à considérer l'entité comme résidente fiscale en application de leur droit interne respectifs.

Par exemple, un dirigeant d'une entreprise américaine, bloqué en France en raison des mesures sanitaires, et qui exerce ses fonctions de dirigeant depuis la France, au nom et pour le compte de l'entreprise située aux États-Unis. L'entreprise pourrait être la fois considérée comme résidente fiscale française et américaine.

Toutefois, comme le précise les Commentaires sur les articles du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, les situations de double résidence sont relativement rares.

En effet, même dans les situations de double résidence d'une entité, comme pour les cas de conflit de résidence au niveau personnel, les conventions fiscales prévoient des règles de départage destinées à déterminer la résidence de l'entreprise, afin d'éviter les cas de double résidence.

Si la convention contient une disposition similaire à la règle de départage du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE de 2017, les autorités compétentes résolvent le problème de double résidence au cas par cas d'un commun accord.

En particulier, le paragraphe 24.1 des Commentaires sur l'article 4 décrit les divers facteurs que les autorités compétentes sont censées prendre en considération pour déterminer la résidence, « tels que le lieu où les réunions du conseil d'administration ou de tout autre organe équivalent se tiennent généralement, le lieu où le directeur général et les autres dirigeants exercent généralement leur activité, le lieu où s'exerce la gestion supérieure des affaires courantes de la personne, le lieu où se situe le siège de la personne morale, etc ».

Ainsi, il semble peu probable que la résidence des entreprises soit modifiée en raison de leur dirigeants ou directeurs qui seraient contraints au télétravail dans un autre pays. Il est

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donc conseillé que ces derniers conservent les pièces qui pourront attester que leur présence en dehors de l'état de résidence de l'entreprise est liée à la COVID-19.

III) La procédure de rescrit, une solution à l'incertitude ?

Face à cette incertitude, l'article L. 80B 6° du LPF permet à tout contribuable de bonne foi de demander à l'administration fiscale, à partir d'une présentation écrite, précise, complète et sincère de la situation de fait, afin que celle-ci apporte l'assurance qu'il ne dispose pas en France d'un établissement stable ou d'une base fixe au sens de la convention fiscale liant la France à l'État dans lequel ce contribuable est résident.

L'administration doit répondre dans un délai de 3 mois à la demande faite de bonne foi à l'appui d'un dossier très précis.

Cette possibilité est réservée au contribuable résident d'un état lié à la France par une convention fiscale internationale.

Ainsi, dans cette période d'incertitude juridique quant à l'établissement stable du fait de la COVID-19, cette procédure de rescrit apparaît comme une solution permettant d'avoir une réponse claire sur leur situation.

Nous l'avons vu, la crise la covid-19 a fait émerger de nombreuses problématiques quant au télétravail international imposé en raison des mesures sanitaires. Ces problématiques fiscales étaient aussi bien « personnelles », c'est-à-dire relative à la résidence fiscale du salarié, qu'au niveau de la résidence fiscale de l'entreprise.

Le principal risque est évidemment une procédure de redressement fiscal, de la part de l'état duquel le salarié ou l'entreprise serait devenu résident fiscal en raison de la crise, sans toujours en avoir conscience.

En France, la procédure de rescrit semble être un moyen sur pour une entreprise de s'assurer qu'elle ne possède pas d'établissement stable en France, avec les conséquences que cela emporte en termes d'obligations déclaratives et fiscales.

La fiscalité est donc l'un des enjeux majeurs du télétravail international, et plus largement de la mobilité internationale, dont elle constitue l'un des piliers.

Toutefois, il demeure un dernier enjeu : l'enjeu migratoire. En effet, avant même de se poser la question de la fiscalité applicable au salarié en situation de télétravail international,

ou de sa protection sociale, il convient de se demander si le salarié pourra « migrer » vers le pays désiré, y demeurer, et y travailler. En effet, nous allons le voir, tous les pays ne le permettent pas, et un salarié qui ne serait pas en règle serait susceptible d'être reconduit à la frontière.

Chapitre II : Les enjeux migratoires du télétravail international et la tentation du portage salarial international

Dans ce chapitre, nous allons aborder les enjeux migratoires de cette pratique qu'est le télétravail international. En effet, les grands enjeux de la mobilité internationale, à savoir la protection sociale et la fiscalité du salarié peuvent faire oublier cet enjeu migratoire, pourtant essentiel.

Plusieurs questions se posent en effet : faut-il un visa pour s'installer dans le pays souhaité, à partir duquel le salarié souhaite télétravailler ? faut-il un permis de travail pour exercer son activité de télétravail ?

Dans un second temps, nous nous intéresserons au mécanisme du portage salarial international, qui semble être une solution aux enjeux soulevés par le télétravail international.

Section I : Le télétravail international et l'enjeu migratoire

Quand un salarié évoque la possibilité de télétravailler à partir d'un pays étranger, la première question à se poser est de déterminer si le salarié peut s'installer dans ce pays dont il n'est pas ressortissant.

Pour répondre à cette question, il convient d'opérer une distinction entre le court séjour et long séjour.

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a) Court séjour et télétravail international

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En règle générale, la plupart des législations nationales en termes d'immigration retiennent qu'au-delà de 3 mois, le séjour est considéré comme étant long.

Par exemple, un citoyen ressortissant d'un état membre de l'Union Européenne, a le droit de séjourner dans un autre pays de l'UE jusqu'à trois mois sans devoir s'enregistrer (il faudra tout au plus signaler sa présence). Il faut uniquement être en possession d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.

Pour un ressortissant d'un état non-membre de l'UE, qui souhaite séjourner dans un état de cette zone, ce dernier doit normalement posséder un visa dit de court séjour (type C) qui permet de séjourner dans ce pays jusqu'à 3 mois. Ce visa uniforme est commun au États Schengen. Il permet de séjourner en France et dans les autres pays Schengen, sauf exception. Il faut aussi détenir d'autres documents qui varient selon l'objet du séjour.

Le salarié français, qui souhaite télétravailler à partir d'un autre pays membre de l'UE peut ainsi être tenté de multiplier ces courts séjours (de moins de 3 mois) afin de ne pas tomber sous le régime du long séjour.

Cependant, les courts séjours ne permettent pas de télétravailler : il ne s'agira que d'activités touristiques ou d'affaires (business trip) mais en aucun cas pour une activité productive.

De plus, même pour des cours séjours, se pose la question des droits d'entrée, le pays d'accueil pourra se montrer suspicieux en cas d'allers retours répétés sur son sol. Il faudra donc se méfier du statut migratoire du salarié en cas de contrôle.

b) Long séjour et télétravail international

En ce qui concerne le long séjour, le principe est que si une personne réside dans un pays dont elle n'est pas ressortissante, elle doit détenir un permis de résidence délivré par le pays d'accueil (il existe des exceptions, notamment au sein de l'UE).

Si cette personne souhaite y exercer une activité professionnelle, notamment sous forme de télétravail, elle devra également détenir un permis de travail.

Ces permis de travail et de résidence sont délivrés sur « une base d'éligibilité », et pour un motif précis : travail, études, famille accompagnante, etc.

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Le salarié pourrait donc télétravailler, mais ce n'est pas acquis de droit même s'il peut s'installer dans le pays. Certains longs séjours visiteur ne permettent pas l'exercice d'une activité professionnelle dans le pays d'accueil.

En France, il n'y a pas besoin de permis spécifique de travail pour télétravailler à l'heure actuelle.

Il faudra étudier dans l'avenir la potentielle réaction de l'état français face à cette nouvelle pratique.

Ainsi, le régime migratoire dépendra exclusivement du pays d'accueil et au cas par cas. Il conviendra donc, au cas par cas, de vérifier si l'installation est libre dans le pays d'accueil, et étudier les règles d'immigration.

Si l'installation n'est pas libre, il faut également au cas d'espèce apprécier les bases d'installation du salarié afin d'obtenir un permis de résidence, autre que l'emploi (la famille installée dans le pays d'accueil par exemple).

Si le salarié peut prétendre à s'installer librement ou, dans le cas contraire (l'installation n'est pas libre), s'il répond aux critères pour obtenir un permis de résidence, il faudra déterminer s'il peut exercer une activité professionnelle, et notamment de télétravail international. Si le télétravail est libre en France sans permis, certains pays exigent un permis spécial, même avec un permis de résidence, comme les USA, le Brésil, ou le Japon.

Le principal risque, en plus du danger de l'obligation de quitter le territoire délivré par un pays qui n'autoriserait pas cette pratique, est d'être poursuivi pour travail illégal. En effet, le pays d'accueil, s'il ne permet pas par exemple le télétravail à l'occasion d'un court séjour, qui découvre que le salarié est pourtant présent sur son territoire, en court séjour, et télétravaille pour une entreprise étrangère, pourra considérer que le salarié travaille sans titre de séjour et/ou sans permis de travail et qu'il s'agit d'un travail illégal.

Face à cette nouvelle pratique du télétravail international, certains pays, pour attirer les salariés souhaitant y recourir, ont créé des visas spécifiques au télétravail international depuis la crise de la COVID-19. Ces pays sont la Barbade, les Bermudes, l'Estonie, la Géorgie et la Croatie.

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Certains de ces pays soumettent cependant ce visa à des conditions. Ainsi, la Géorgie propose un visa d'un an de résidence pour un Remote Worker (télétravailleur), à condition que le salarié justifie de ressources minimums et d'une assurance santé internationale.

A Barbade, le Barbados Welcome Stamp, est un mécanisme qui offre un visa d'un an aux étrangers pour venir s'installer et télétravailler sur l'île, et assurer la reprise de l'économie locale. Le visa « Welcome Stamp » délivré par la Barbade permet à un étranger ainsi qu'à sa famille de s'installer dans le pays et d'y télétravailler pendant une durée pouvant aller jusqu'à12 mois. Le salarié qui souhaite bénéficier de ce visa doit toutefois justifier d'une assurance maladie et déclarer prévoir gagner un revenu d'au moins 50 000 $ US pendant l'année d'exercice de son activité professionnelle dans le pays ou avoir les moyens de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant cette durée. Le visa prévoit même que les enfants puissent fréquenter l'école publique locale.

Nous l'avons vu, le télétravail à l'international comporte de nombreux risques pour l'employeur et le salarié, tant sur le plan fiscal que social et migratoire. Face à ces risques, et aux coûts qu'ils peuvent provoquer pour l'employeur et le salarié, une pratique semble répondre à ces risques : le portage salarial à l'international.

Section II : Le portage salarial à l'international, une solution aux risques
du télétravail international ?

I) Le régime du portage salarial

Le portage salarial est défini par l'article L1254-1 et 2 du code du travail. Il est caractérisé par une relation tripartite : l'entrepreneur porté, la société de portage et les clients.

Selon l'ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 relative au portage salarial, « Le portage salarial désigne l'ensemble organisé constitué par : « 1° D'une part, la relation entre une entreprise dénommée « entreprise de portage salarial » effectuant une prestation au profit d'une entreprise cliente, qui donne lieu à la conclusion d'un contrat commercial de prestation de portage salarial ; « 2° D'autre part, le contrat de travail conclu entre l'entreprise de portage salarial et un salarié désigné comme étant le « salarié porté », lequel est rémunéré par cette entreprise. »

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3 acteurs constituent donc cette relation tripartie :

- Le client, qui peut être une entreprise, une administration, une collectivité locale ou une association.

- L'entrepreneur « porté »

- La société de portage salarial qui joue le rôle d'intermédiaire entre ces deux acteurs, et qui est la seule contractuellement lié avec le client.

L'entrepreneur porté est lié à la société de portage par un contrat de travail de droit commun (CDD ou CDI) dans les mêmes conditions que celles d'un salarié d'une entreprise traditionnelle.

Ainsi, il bénéficie de tous les avantages sociaux d'un salarié ordinaire.

La rémunération brute de l'entrepreneur est calculée sur la base de son chiffre d'affaires hors taxes. Cette somme est disponible sur un compte personnalisé qui permet à l'entrepreneur de décider chaque mois du montant de ce qu'il souhaite se voir reverser sous forme de salaire brut par sa société de portage.

Du fait de son statut d'entrepreneur, sa rémunération brute peut être optimisée en défiscalisant les frais liés au développement de son activité (frais de bouche, déplacements, papeterie, bureautique, cadeaux clients...), ce qui aura pour effet d'optimiser son salaire net d'environ 50% du montant des frais défiscalisés.

Concernant sa protection sociale, le travailleur en portage salarial profite d'une couverture sociale complète, identique au régime social du salarié.

Les profils les plus répandus parmi les entrepreneurs portés sont notamment les consultants à l'international, qui ont recours au portage salarial international.

II) Le portage salarial international

Le portage salarial international est un dispositif qui concerne aussi bien des missions courtes et temporaires, effectuées en détachement, et des missions longues et durables qui s'apparentent à de l'expatriation.

Le salarié porté peut être détaché ou expatrié par la société de portage.

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Ce dispositif s'adresse donc aux professionnels qui souhaitent travailler ponctuellement ou durablement à l'étranger, tout en conservant les avantages sociaux dont il bénéficiait en France (assurance maladie, prévoyance, assurance responsabilité civile professionnelle, retraite, chômage, mutuelle complémentaire...) et en bénéficiant d'une assistance de la part de la société de portage.

En effet, la société de portage peut assister l'entrepreneur porté de multiples manières : Gestion et remboursement des frais liés à la mission, au réel ou bien selon le barème forfaitaire établi par le ministère des Affaires étrangères, déclarations auprès des différentes caisses, versement des salaires, possibilité d'affiliation à la Caisse des Français de l'étranger, respect des législations sociales et fiscales locales, assurance rapatriement, contact avec les ambassades sur place, package relocation...

III) Une solution aux risques du télétravail international ?

Prenons un exemple : un salarié souhaite effectuer ses missions en télétravail depuis un autre pays dans lequel son entreprise n'est pas enregistrée. Il télétravaillera donc depuis ce pays. L'entreprise va alors suspendre son contrat de travail (via par exemple un congé sans solde, subordonné à l'acceptation de l'employeur, ou via un congé « sabbatique » pouvant aller jusqu'à 11 mois. Dans les deux cas, le contrat étant suspendu, le salarié aura le droit de travailler pour un autre employeur), ou mettre fin à celui-ci (avec une rupture conventionnelle par exemple), afin de lui permettre de signer un contrat avec une société de portage depuis laquelle il sera envoyé (en détachement ou en expatriation) dans le pays concerné. Ensuite il réalisera des missions et des prestations pour son entreprise d'origine qui devient alors une entreprise cliente dans la relation tripartie du portage salarial.

Les avantages sont nombreux. Tout d'abord, la gestion est simplifiée pour l'entreprise cliente et le salarié porté.

Sur le plan administratif, la fiscalité, l'immigration, la protection sociale, les affiliations diverses, l'autorisation de travail, facturation des prestations, la paie et versement des salaires, seront pris en charges par la société de portage.

L'entreprise d'origine du salarié, devenue l'entreprise cliente, n'aura donc pas à supporter toutes ces charges liées à l'expatriation ou le détachement du salarié, qu'elle aurait

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eu à supporter si elle avait elle-même envoyé le salarié en mobilité. Elle bénéficiera tout de même de la prestation de travail du salarié porté.

De plus, pour l'entreprise d'origine, il n'y a à priori plus de risque de requalification de la présence du salarié porté comme constituant un établissement stable de son entreprise d'origine, car il est lié contractuellement avec la société de portage.

En effet, il ne s'agit plus d'un salarié effectuant une mission à l'étranger pour le compte de son entreprise, mais d'une prestation de services réalisée par un salarié porté pour une société de portage.

Toutefois, le contrat d'origine, s'il a été suspendu, constitue toujours un risque en matière de requalification, car le salarié porté reste contractuellement lié à l'entreprise d'origine.

En dépit de ses avantages indéniables, le portage salarial international n'est pas sans présenter des défauts.

Tout d'abord, cette pratique comporte un coût élevé, puisque les règles internationales applicables en matière de fiscalité et protection sociale sont les mêmes pour un salarié classique et pour un salarié porté (assistance fiscale, couverture santé volontaire etc.). Même si ces coûts sont supportés par la société de portage et pas par l'entreprise d'origine, ils n'en demeurent pas moins les mêmes que pour une mobilité classique.

Le second risque est la réintégration à la demande du salarié dans son entreprise d'origine, si le contrat d'origine était suspendu. En effet, dans le cas d'une suspension du contrat de travail, à l'issue de cette suspension, le salarié aura le droit de réoccuper l'emploi qu'il a quitté temporairement, ou à défaut un emploi similaire lors de la reprise normale du contrat de travail. L'emploi devra correspondre à ses compétences et être rémunéré par un salaire au montant égal ou supérieur à celui correspondant à son emploi précédent.

Ainsi, si le salarié met fin à sa relation contractuelle avec la société de portage, et demande à être réintégré au sein de son entreprise d'origine, alors qu'il est à l'étranger, cela entraînera de nombreux coûts pour l'entreprise.

Pour pallier ce problème, l'entreprise d'origine a intérêt à mettre fin au contrat de travail de son salarié avant que ce dernier ne signe un nouveau contrat avec la société de portage. Cependant, il faudrait passer par une rupture conventionnelle (il n'est pas possible

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d'envisager un licenciement qui serait sans motif, ou de forcer le salarié à démissionner), ce qui semble difficile puisque le salarié n'aurait alors aucune garantie d'être embauché de nouveau à son retour en France.

Ainsi, le portage salarial international semble être une solution intéressante pour l'employeur qui souhaite envoyer un salarié à l'étranger afin qu'il télétravaille pour son compte depuis ce pays, notamment sur le plan financier. Cependant, nous l'avons vu, il demeure certains risques pour l'employeur. Il sera intéressant d'observer si les employeurs ont recours à cette pratique en cette période incertaine, qui a rendu le télétravail international, qui déjà en temps normal présente des enjeux classiques de mobilité internationale, d'avantage risqué pour l'employeur comme pour le salarié.

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Conclusion

Ainsi, comme nous avons pu le voir tout au long de ce mémoire, le télétravail international est bien loin de la pratique caractérisée par la liberté et l'absence de formalisme dont rêve certains salariés et employeurs.

En effet, s'installer à Barbade, en profitant de leur « Welcome Stamp », afin de télétravailler pour le compte de son employeur français semblait trop idyllique pour être réaliste.

Loin de cette image de simplicité, le télétravail international comporte des enjeux classiques de mobilité internationale.

Les principaux enjeux sont les enjeux migratoires, de droit social, et de fiscalité, comme pour tout salarié que l'employeur souhaiterait expatrier ou détacher dans un pays étranger.

Ainsi, le télétravail international, quand il résulte d'une volonté de l'employeur ou du salarié, doit se préparer comme tout projet de mobilité internationale. Du télétravail « sauvage » comporterait des risques à la fois pour l'employeur et le salarié, notamment sur la plan fiscal et social. Le coût serait alors supérieur à l'économie espérée en envoyant un salarié sans préparation et prise en compte des enjeux de mobilité internationale.

De même, la crise de la COVID-19 a imposé, pour de nombreux salariés, le télétravail international comme nouveau mode de travail. Or nous l'avons vu, cette situation inédite pouvait potentiellement avoir des conséquences en termes de protection sociale ou de fiscalité pour les salariés contraints à cette nouvelle pratique.

Au vu des enjeux et des risques que comporte le télétravail international, l'employeur ou le salarié qui souhaitent y avoir recours devront donc étudier la faisabilité du télétravail international.

Si cette pratique présente des avantages indéniables pour le salarié (flexibilité, choix du lieu de travail, gain de temps...) et l'employeur (enjeu de rétention des talents), il

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conviendra, au cas par cas, d'étudier le rapport bénéfices/risques et coûts, notamment sur le plan migratoire, social et fiscal.

Si des mesures transitoires ont été prises pour neutraliser les effets du télétravail international, celles-ci ne seront plus applicables après la crise sanitaire.

Concrètement, si un salarié fait part à son employeur de sa volonté de télétravailler à l'international, l'employeur devra procéder à une étude au cas par cas dans le but de l'autoriser.

En aucun cas le salarié ne pourra quitter le territoire et télétravailler à l'international sans l'aval de son employeur.

Pour cela, l'employeur devra analyser les principaux enjeux.

Depuis quel pays le salarié souhaite-t-il télétravailler ? Pour quelle durée ? Quelles fonctions occupera-t-il ? Quelle est sa situation familiale et sa nationalité ? ces questions doivent se poser au cas par cas et selon le pays concerné.

Pour chaque pays, une analyse des enjeux migratoires, sociaux et fiscaux doit être faite. Si l'employeur donne son accord, il sera alors très fortement recommandé de lister les obligations réciproques (salarié et employeur) et acter par écrit l'accord fixant les obligations de chacune des parties, via un avenant au contrat de travail du salarié.

L'employeur ne doit pas laisser son salarié partir en situation de télétravail « sauvage », l'employeur comme le salarié seraient alors sujets aux risques que nous avons vu tout au long de ce mémoire (double imposition, non prise en charge de ses frais de santé...).

Enfin, l'opportunité de créer une véritable politique de mobilité internationale pour le télétravail international se pose à l'employeur. Cependant, étant donné que relativement peu de salariés seront concernés, il est plus opportun de fixer uniquement des « guidelines », qui préciseront les grandes modalités du télétravail international au sein de l'entreprise. Cela est indispensable pour garantir un traitement équitable entre tous les salariés en situation de télétravail international, car ils seront alors tous envoyés selon les mêmes modalités.

De même, le portage salarial international, s'il semble pouvoir parer à une partie de ces risques, n'est pas sans désavantage et danger pour l'employeur et le salarié.

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Le télétravail international doit donc être considéré et étudié comme toute mobilité internationale (expatriation, détachement...) par l'employeur et le salarié, afin de ne pas s'exposer à des risques migratoires, sociaux et fiscaux.

Les risques de cette pratique valent-ils le coup pour l'employeur et le salarié, au vu des bénéfices attendus ? c'est la question que devront se poser les employeurs et les salariés qui souhaitent y avoir recours.

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Servicepublic.fr

Ø Travail-emploi.gouv

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Ø Bofip.impots.gouv.fr/

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TABLES DES MATIERES

Introduction 1

PREMIERE PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES ENJEUX DE DROIT SOCIAL 6

Chapitre premier : Le télétravail international et le droit du travail 6

Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et le télétravailleur international en droit du travail 7

I) L'obligation de respect des législations nationales en matière de droit du travail pour le télétravailleur international 8

II) L'obligation de sécurité et santé de l'employeur vis-à-vis du salarié en télétravail international 12

Section II : Télétravail international et contentieux de contrat de travail international 13

I) Juridiction compétente pour le salarié en situation de télétravail international 14

II) Loi applicable au contentieux de télétravail international 19

Chapitre II : Le télétravail international et la protection sociale du salarié 22

Section I : La protection sociale du télétravailleur international, un enjeu essentiel de mobilité internationale 23

I) Le principe de la protection sociale du télétravailleur international 23

II) Télétravail international et Accident du travail : un risque de non prise en charge pour le salarié ? 29

Section II : L'obligation d'information de l'employeur sur l'étendue de la couverture santé du salarié en situation de télétravail international 30

DEUXIEME PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES AUTRES ENJEUX DE MOBILITE INTERNATIONALE 33

Chapitre premier : Les enjeux fiscaux du télétravail international 33 Section I : La fiscalité personnelle du télétravailleur international 33

I) L'impact du télétravail international sur la résidence fiscale des salariés 34

II) Quel impact du télétravail international sur l'imposition des rémunérations du salarié ? 40

III) Télétravail international et travailleurs frontaliers à l'heure de la COVID-19 44 Section II : Les enjeux fiscaux pour l'entreprise ayant un salarié en télétravail international 50

I) Le risque de la reconnaissance d'un établissement stable 52

II) L'impact du télétravail international sur la résidence fiscale de l'entreprise 56

III) La procédure de rescrit, une solution à l'incertitude ? 58

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Chapitre II : Les enjeux migratoires du télétravail international et la tentation du portage salarial international 59

Section I : Le télétravail international et l'enjeu migratoire 59

Section II : Le portage salarial à l'international, une solution aux risques du télétravail international ? 62

I) Le régime du portage salarial 62

II) Le portage salarial international 63

III) Une solution aux risques du télétravail international ? 64

Conclusion 67

BIBLIOGRAPHIE 70






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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore