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L'engagisme à  la réunion


par Willy Boris GENCE
Université Paris VIII - Licence Histoire mention Science Politique 2021
  

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CHAPITRE 3

L'engagisme sous le prisme du genre

3.1. L'engagisme au prisme de la question du genre à La Réunion

Le prisme du genre a été peu mobilisé jusqu'ici pour analyser les conséquences démographiques de l'engagisme à la Réunion et dans le monde. Cela s'explique d'abord parce que la grande majorité des travailleurs engagés étaient des hommes. En effet, la faible mobilité géographique des femmes en Inde à cette époque explique probablement cette réalité. Une disposition légale est mise en place très tôt pour imposer un quota minimum de femmes engagées dans certaines îles, notamment en Guyane britannique. De ce fait, leur nombre explose entre 1858 et 1917, même si les agents recruteurs restent toujours principalement des hommes : « en dépit de l'hostilité initiale des planteurs, une disposition légale imposa un quota minimal de femmes de 40 % pour chaque contingent d'engagés à partir de 1868 »39(*).Cette volonté d'augmentation du nombre de femmes s'explique par l'intention des autorités réunionnaises d'assurer leurs arrières lors de la transition consacrant la fin de l'esclavage légal : il s'agit pour elles de « stabiliser la main d'oeuvre » en encourageant la formation et l'établissement de familles engagées sur l'île, en état de procréer et de reproduire des travailleurs. Par la suite, ce nombre ne fera qu'augmenter, ce qui peut être expliqué par la meilleure connaissance du système d'engagisme en Inde et la volonté, de la part de ces femmes, de venir s'y installer avec leur famille.

Les recruteurs partent donc à la recherche de femmes pour lesquelles ils sont mieux rémunérés (sept à huit roupies au lieu de six)40(*). Celles qui se retrouvent seules dans l'espace public pour une raison ou pour une autre se retrouvent à se voir proposer un contrat et les recruteurs utilisent parfois la duperie pour les faire adhérer. Les contrats d'engagés sont relativement similaires, qu'ils soient pour les femmes ou pour les hommes.Il existe seulement une différence de pratique dans l'application et la formulation des contrats. Les femmes bénéficient de contrats plus courts pour favoriser leur venue (trois ans contre cinq pour les hommes), d'une réduction du prix du billet et d'un assouplissement de sanctions en cas d'infractions. Mais au regard de leur vulnérabilité, les femmes constituent des cibles privilégiées pour les recruteurs d'engagés. Tout au long de la période engagiste, et particulièrement dans le cas de l'Inde se développe une rhétorique particulière visant à présenter les contrats engagés comme des espaces de libération pour femmes indiennes, leur permettant d'échapper à un système oppressif. Cette lecture domine jusque dans les années 1990.

Parmi les études historiques, deux paradigmes ont dominé la vision de l'engagismeen ce qui concerne le sort des femmes. L'un insiste sur leur statut de victime tandis que l'autre met l'accent sur l'émancipation.C'est le second qui a longtemps dominé les études historiographiques sur l'engagisme, particulièrement dans le cas des femmes indiennes. Le cadre législatif qui définit les conditions de leur engagement est particulier, puisque depuis 1864 et l'IndianActn°13, il subordonne leur engagement à l'obtention de l'accord d'un homme (frère, mari, père). Mais les femmes émigrent bien à titre individuel, comme les hommes. Leur contrat d'engagement est établi à leur nom, ce qui leur confère une identité et une autonomie nouvelle.Ce discoursd'émancipation des femmes grâce à l'engagisme a longtemps été concentré autour de la libération sexuelle des femmes indiennes lors de leurs années d'engagisme.

Un exemple de ce positionnement se retrouve dans la figure de Patricia Mohammed, pionnière des gender studies dans les Caraïbes. Celle-ci place l'accent sur un prisme d'analyse jamais étudié auparavant : les choix posés par les femmes indiennes concernant leur sexualité en fonction d'intérêts personnels. Les femmes indiennes se trouvent en effet dans une certaine position à leur arrivée : le nombre de femmes engagées est moindre par rapport au ratio d'hommes engagés. Cela leur confère une position de force relative. Plusieurs auteurs comme Loza ou Chatterjee mettent en avant l'importance de s'émanciper d'une lecture mobilisant uniquement les paradigmes patriarcaux et coloniaux des choix des femmes41(*). Cela permet de reconnaître leurs choix posés, souvent par intérêt ou par « matérialisme ». L'une des dérives de cette grille d'analyse vint à représenter les femmes indiennes comme des tentatrices séductrices tirant avantage de leurs charmes afin de duper des colons et des propriétaires naïfs : « Cette caricature, qui ne tenait aucun compte de la réalité hiérarchique de la plantation, vint conforter l'idée de l'immoralité de la femme indienne véhiculée par les autorités coloniales »42(*).

D'un autre côté, des auteurs comme Chatterjee soutiennent, en se basant sur des situations particulières (cas de veuves ou de jeunes femmes en rupture familiale), que l'engagement fut une vraie opportunité pour un certain nombre d'Indiennes. Le choix de ces personnes en perdition serait le fruit d'un résultat rationnel, confrontées à la prostitution et sans autre perspective dans leur pays d'origine. D'autres auteurs comme Pieter Emmer défendent le même point de vue en montrant que ce sont les difficultés sociales sur place qui ont favorisé l'émigration. Pour lui, l'engagement permettait à certaines Indiennes d'échapper à des sévices et des mariages forcés43(*). Les possibilités matrimoniales que l'engagement offre font partie de leur décision pour s'engager vers des îles comme La Réunion. Mayo évoque également les mariages précoces condamnant les Indiennes à une mort prématurée, ou l'immolation de veuves seulement interdite en Inde à partir de 182944(*). On retrouve ici la même vision de l'engagisme que celle diffusée par l'empire colonial avant la seconde moitié du XXème siècle, à savoir une image de ces îles comme des espaces de liberté.

* 39Loza, Léna. L'engagisme indien au féminin : entre tradition et modernité ? ILCEA, 2019, p. 2.

* 40Chatterjee, Sumita. Indian Women's Lives and Labor: The Indentureship Experience in Trinidad and Guyana, 1845-1917. Amherst.: University of Massachusetts, 1997, p. 43.

* 41Chatterjee, Sumita. Indian Women's Lives and Labor: The Indentureship Experience in Trinidad and Guyana, 1845-1917. Amherst.: University of Massachusetts, 1997.

* 42Loza, Léna. L'engagisme indien au féminin : entre tradition et modernité ? ILCEA, 2019, p. 5.

* 43Emmer, Pieter Cornelis. Immigration into the Caribbean: The Introduction of Chinese and East Indian Indentured Labourers between 1839 and 1917. Itinerario, vol. 14, n° 1, p. 61-95, 1990.

* 44 Singaravélou, Pierre. Les empires coloniaux (XIXème-XXème siècle).Paris : Editions Points, 2013.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway