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La collecte des données marines et le droit de la mer


par Wafa ZLITNI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021
  

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B. Les levés

En 1998, l'OHI définit le levé hydrographique comme «un levé ayant pour objet principal la détermination des données destinées à figurer sur les cartes marines»254. En 2009, cette organisation internationale compétente ne limite plus l'hydrographie à la réalisation des cartes marines nécessaires à la navigation mais l'élargit à la pose des câbles sous-marins, aux études préliminaires pour la construction des ports, à la mise en place d'émissaires d'eaux usées en mer et plusieurs autres activités255 ... Elle définit alors le levé hydrographique comme synonyme de l'hydrographie qui est «la branche des sciences appliquées traitant du mesurage et de la description des éléments physiques des [mers] ainsi que de la prédiction de leur évolution, essentiellement dans l'intérêt de la sécurité de la navigation et de toutes les autres activités maritimes, incluant le développement économique, la sécurité et la défense, la recherche scientifique [...] la protection de l'environnement, les activités relatives aux renseignements et la gestion des catastrophes»256.

Les données acquises dans le cadre des levés ne servent donc plus exclusivement la sécurité de la navigation. Celles-ci peuvent dès lors être affectées à des objectifs militaires tels que «les opérations d'interdiction maritimes, la guerre des mines, les contre-mesures contre les mines, les opérations d'interdictions sous-marines et les opérations amphibies»257. A cet égard, les levés sont de deux types, hydrographiques et militaires. Nous remarquons que la CMB consacre les articles 19.2.j, 21.1.g, 40 et 54 aux levés mais ne propose aucune définition de cette activité. Ladite Convention emploie tantôt le terme «levé» seul dans les deux premiers articles cités, et accompagné du terme «hydrographique» dans les deux autres, mais jamais du terme «militaire».

254 OHI, Dictionnaire hydrographique (S-32), op. cit., p.124.

255 FRIKHA (A.), op. cit., pp.12-14.

256 OHI, Quatrième conférence hydrographique internationale extraordinaire, 2009.

257 FRIKHA (A.), op. cit., pp.22-23.

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La frontière entre les levés hydrographiques et les levés militaires est en effet trouble, les uns et les autres étant souvent menés par des militaires. Ces derniers utilisent les navires d'Etat appartenant aux services hydrographiques nationaux pour effectuer des levés militaires puisque les instruments nécessaires aux deux types de levés sont les même258.

La CMB est lacunaire quant à la définition de l'activité de levé mais aussi quant au régime juridique de celle-ci. Ainsi, ladite Convention ne consacre pas de dispositions pour cette activité de collecte des données marines pour chaque zone maritime. Elle se contente d'indiquer qu'effectuer des levés durant le passage dans la mer territoriale de l'Etat côtier «porte atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité»259 de ce dernier en vertu de son article 19, et que l'Etat côtier peut adopter «des lois et règlements [portant sur les levés durant le] passage inoffensif dans sa mer territoriale»260 en vertu de son article 21. La Convention ne précise pas s'il s'agit des levés hydrographiques ou militaires, mais indique à ses articles 40 et 54 que les navires [...] hydrographiques ne peuvent être utilisés pour [...] des levés sans l'autorisation préalable des Etats riverains»261 pendant le passage en transit et le passage archipélagique262.

258 Sondeurs, courantomètres et échantillonneurs de fond sont nécessaires tant pour les levés hydrographiques que pour les levés militaires.

259 L'article 19.1 de la CMB précitée prévoit: «Le passage est inoffensif aussi longtemps qu'il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l'État côtier. Il doit s'effectuer en conformité avec les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international».

260 L'article 21.1.g de la CMB précitée prévoit: «L'Etat côtier peut adopter, en conformité avec les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international, des lois et règlements relatifs au passage inoffensif dans sa mer territoriale, qui peuvent porter sur [...] les levés hydrographiques».

261 L'article 40 de la CMB précitée prévoit: «Pendant le passage en transit, les navires étrangers, y compris ceux qui sont affectés à la recherche scientifique marine ou à des levés hydrographiques, ne peuvent être utilisés pour des recherches ou des levés sans l'autorisation préalable des États riverains».

262 L'article 54 de la CMB précitée prévoit: «Les articles 39, 40, 42 et 44 s'appliquent mutatis mutandis au passage archipélagique».

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La CMB soumet ainsi les levés à l'autorisation préalable de l'Etat côtier dans la mer territoriale mais garde le silence quant à la ZEE et au plateau continental de l'Etat côtier, un silence qui «pave l'enfer interprétatif»263. Le Canada par

exemple propose alors comme interprétation que cette activité de collecte des données marines menée dans ces zones est liée à la liberté de la navigation en haute mer264. Les dispositions de la CMB distinguant systématiquement les

termes «levés» ou «levés hydrographiques» du terme «recherches», nous comprenons que ladite Convention établit une distinction entre le régime de la recherche scientifique marine et celui des levés265. Le régime du consentement

prévu pour la première activité ne s'applique donc pas à la seconde.

Une partie de la doctrine menée par SOONS et ROACH soutient cette distinction266 entre ces deux activités sur la base du critère de l'affectation des

données collectées. Et pour cause, les données collectées dans le cadre de la recherche scientifique marine sont affectées au développement des connaissances sur le milieu marin tandis que les données collectées dans le cadre des levés hydrographiques visent à «rendre la navigation plus facile et plus sûre»267.

Les levés militaires se distinguent également de la recherche scientifique marine puisque les données collectées dans le cadre de la première activité sont affectées à des objectifs militaires268 et ne sont pas destinées à être publiées269 tandis que

263 JARMACHE (E.), op. cit., p.308.

264 Service hydrographique du Canada, Guide d'étude pour l'examen d'arpenteur fédéral, 1989.

265 OXMAN (B.), «Le régime des navires de guerre dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer», Annuaire français de Droit international, volume 28, 1982, p. 837, [en ligne]: https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1982_num_28_1_2519

266 ROACH (A.), op. cit., p. 184.

267 Préambule de la Convention relative à l'Organisation hydrographique internationale précitée.

268 BORK (K.), op. cit., pp. 304-305.

269 BOURTZIS (T.) et GERASIMO (R.), «Marine scientific research in modern law of the sea LOSC and reality», International hydrographic review, numéro 8, novembre 2012, p. 44, [en

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les données collectées dans le cadre de la seconde sont diffusées dans le but d'accroître les connaissances scientifiques270 et sont accessibles au public.

Pourtant, plusieurs Etats parties à la CMB271 soumettent les levés au régime du consentement de la recherche scientifique marine, avançant pour motif que cette activité ne sert plus exclusivement à l'élaboration des cartes destinées à la navigation. En effet, les données collectées dans le cadre des levés peuvent aujourd'hui toucher à des questions de défense nationale272. La Tunisie273 applique par exemple le régime de la recherche scientifique marine aux levés, au même titre que la Chine qui soumet les levés effectuées dans sa mer territoriale, dans sa ZEE et sur son plateau continental non seulement à l'approbation du Conseil des affaires d'Etat, mais aussi à l'autorisation des forces armées depuis l'amendement de 2002 de la loi chinoise sur l'arpentage et la cartographie de 1992274.

Les levés menés sans cette autorisation sont passibles d'amende et les données acquises ainsi que l'équipement utilisé risquent d'être confisqués275. C'est ainsi que les forces armées chinoises s'opposèrent aux activités du navire américain USNS Impeccable qui effectuait des levés hydrographiques sans autorisation dans la ZEE de l'Etat chinois en mars 2009276. Cet incident attisa les tensions

ligne]: https://journals.lib.unb.ca/index.php/ihr/article/view/20961/24136 (consulté le 15-022021).

270 JARMACHE (E.), op. cit., p.310.

271 «Le Bangladesh, le Brésil, le Cap Vert, la Corée du Nord, l'Inde, l'Indonésie, l'Iran, le Kenya, la Malaisie, les Maldives, Maurice, le Myanmar, le Pakistan et l'Uruguay [...] n'autorisent pas certaines activités militaires dans leur ZEE sans leur consentement», COLIN (S.), op. cit., p.63.

272 Ibidem.

273 Décret n° 97-1836 du 15 septembre 1997 relatif à l'exercice des activités de recherche scientifique, d'exploration, de levé et de forage par des navires dans les eaux et le plateau continental tunisiens, JORT n°77 du 26 septembre 1997, pp. 1803-1807, tel que modifié par le décret gouvernemental n°2019-144 du 18 février 2019, portant création d'une commission ministérielle et d'un secrétariat général des affaires maritimes, JORT n° 16 du 22 février 2019, pp. 421-425.

274 COLIN (S.), op. cit., p.63.

275 FRIKHA (A.), op. cit., pp.62-68.

276 COLIN (S.), op. cit., p.63.

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entre les deux voisins en désaccord quant aux délimitations maritimes dans la mer de Chine méridionale mais aussi quant au régime applicable aux levés et à la recherche scientifique marine.

Les USA, non partie à la CMB, font la promotion d'un maximum de liberté277 pour la conduite des deux activités de collecte des données marines. Ceux-ci considèrent en effet que les levés dans la ZEE sont du domaine de la liberté de navigation278 et choisirent de ne pas faire valoir leur droit d'exercer leur juridiction sur la recherche scientifique marine dans leur ZEE279. Par contre, en haute mer, tous les Etats sont d'accord pour considérer les levés, liés à la liberté de navigation consacrée par l'article 87.1.a de la CMB280, comme libres.

Pour la plupart des activités de collecte des données marines, la CMB ne consacre que deux ou trois, voire aucune disposition. Mais pour la recherche scientifique marine, ladite Convention consacre une partie entière pour finalement mettre en place un régime astreignant qui freine le progrès de cette activité plus qu'il ne la favorise.

277 QUENEUDEC (J.), «La proclamation Reagan sur la zone économique exclusive des Etats-Unis», Annuaire français de droit international, volume 29, 1983, p. 712, [en ligne]:

www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1983_num_29_1_2577 (consulté le 15-02-2021).

278 COLIN (S.), op. cit., p.63.

279 La proclamation présidentielle numéro 5030 concernant la ZEE des Etats-Unis du 10 mars 1983 prévoit: « Le droit international a reconnu à l'État côtier un droit d'exercer sa juridiction sur les RSM effectuées dans une telle zone (ZEE), la proclamation ne revendique pas ce droit. J'ai choisi de ne pas le faire parce qu'il est de l'intérêt des États-Unis d'encourager la RSM et d'éviter les contraintes inutiles. Toutefois, les États-Unis reconnaîtront le droit des autres États côtiers d'exercer leur juridiction sur les RSM menées jusqu'à une distance de 200 milles marins de leurs côtes, si cette juridiction s'exerce d'une manière conforme au droit international..., je proclame aujourd'hui une zone économique exclusive dans laquelle les États-Unis exerceront des droits souverains sur les ressources biologiques et non vivantes situées à moins de 200

milles marins de leurs côtes», disponible sur
https://www.un.org/depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/USA_1983_State ment.pdf (consulté le 02-03-2021).

280 L'article 87.1.a de la CMB précitée prévoit: «La haute mer est ouverte à tous les États, qu'ils soient côtiers ou sans littoral. La liberté de la haute mer s'exerce dans les conditions prévues par les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international. Elle comporte notamment pour les États, qu'ils soient côtiers ou sans littoral la liberté de navigation».

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle