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Sécurité et liberté chez Thomas Hobbes


par Jacob Koara
Université Joseph Ki Zerbo  - Master 2022
  

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CHAPITRE VI : LE HOBBISME POLITIQUE COMME CONSOLIDATION DES DROITS DE L'HOMME EN MATIÈRE DE POLITIQUE SÉCURITAIRE

Au-delà de toutes les critiques et autres récriminations contre la pensée hobbesienne, relevées dans les pages précédentes, il faut reconnaître que Thomas Hobbes, bien qu'étant du XVIIe siècle, reste pour beaucoup d'analystes politiques incontournable dans le champ de la philosophie politique. Si la philosophie hobbesienne continue encore d'attirer, mieux, de fasciner232(*), il serait alors hasardeux, voire périlleux de vouloir faire ou parler de philosophie politique, sans faire mention de l'auteur du Léviathan. Il ne serait point excessif de dire de lui, qu'il reste une des meilleures clés de voûte de la philosophie politique. En effet, personne ne pourrait véritablement réfléchir sur la chose politique, en ce XXIe siècle, sans visiter ou (ré)visiter le hobbisme politique. Sa pensée demeure pour les analystes pointilleux le soubassement sur lequel repose la réflexion philosophique politique moderne. À certains égards d'ailleurs, le hobbisme politique reste la substantifique sève nourricière des philosophies politiques de John Locke, Baruch Spinoza, Samuel Pufendorf, Charles Louis de Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant.

Soit, ces derniers tentent de résoudre certains problèmes qu'il a soulevés, soit ils lui empruntent certains concepts, notamment le conatus, l'idée d'état de nature, de contrat social, etc. On pourrait même affirmer, que l'excellent livre Du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau qui sert de bréviaire aux ardents défenseurs des Droits de l'Homme est une réponse233(*), une déconstruction de la philosophie politique hobbesienne. Même la réflexion philosophique contemporaine sur la politique n'est pas ménagée de l'ombre de Thomas Hobbes234(*). On le retrouve ici et là : John Rawls ne peut construire sa théorie de la justice sociale, sans convoquer Thomas Hobbes ; Jürgen Habermas ne peut élaborer sa théorie de la démocratie délibérative, sans faire référence à l'auteur du Léviathan, etc.

S'il en est ainsi, il faut en déduire que le philosophe de Malmesbury n'est peut-être pas si liberticide au point de faire de lui le père d'un étatisme politique exacerbé. Thomas Hobbesne prône pas le dirigisme politique, le totalitarisme, le régime despotique où l'État contrôlerait le moindre fait et geste des citoyens. Le hobbisme politique plus précisément son idée, selon laquelle le pouvoir du souverain est absolu, en réalité, fait l'objet de confusions, d'amalgames et de contresens malveillants. D'ailleurs, comment s'expliquer que ce père de l'absolutisme dit politique puisse être vu dans le même temps, par d'autres notamment Léo Strauss235(*), Jürgen Habermas236(*), comme celui qui a fondé la pensée de l'État moderne, démocratique, voir libéral ? C'est une façon non-éclectique de voir les choses qui, pour beaucoup, paraît trop radicale et fort réductrice. La pensée politique de Thomas Hobbes, à bien d'égards, est une pensée humaniste237(*) qui cherche à établir les conditions de réalisation de la liberté humaine. Nous nous évertuerons à prouver cela dans ce chapitre.

Cela dit, le présent chapitre se décline en deux sections : dans la première, il s'agira pour nous d'opérer quelques distinctions conceptuelles. Concrètement, nous verrons que le concept d'absolu si cher à Hobbes est assimilé à d'autres notions qui ne reflètent pas ce qu'il veut signifier. Dans la deuxième section, nous allons relever des éléments de preuves qui attestent du souci hobbien des Droits de l'Homme et du Citoyen. Aussi le hobbisme politique pourrait-il s'avérer comme une philosophie à forte valeur pour les crises sécuritaires actuelles auxquelles se trouvent confrontés les États.

1. L'absolutisme politique de Hobbes : objet de confusions, de contre-sens et d'amalgames

Selon Robert Derathé, c'est pour avoir soutenu que le pouvoir du souverain devait être absolu que « Hobbes a passé, tant aux yeux de ses contemporains qu'aux regards de la postérité, comme un théoricien et l'apôtre du despotisme »238(*). C'est là l'origine de tous les griefs qui lui sont adressés. À voir les choses sous un angle essentiellement objectif, ces critiques ne partiraient-elles pas manifestement d'une volonté inouïe de dénigrer le philosophe anglais ? La vérité qu'il s'agira dès à présent d'alléguer, c'est que le hobbisme politique ne se réduit pas à cette vision trop sectaire de sa doctrine politique. Sa pensée est un grand tout à l'intérieur duquel se rencontrent beaucoup de thématiques. Aussi quelques précisions sémantiques s'imposent-elles, pour prévenir toute méprise.

Vu son le prisme de l'objectivité scientifique, l'absoluité du pouvoir hobbesien reste bien particulière : le souverain détient, certes, un pouvoir sans bornes, mais ce pouvoir est légitimé par les citoyens. Son autorité ne lui vient pas du ciel. Le souverain ne s'impose pas non plus par la force des armes aux peuples. En vérité, les citoyens sont la source de la légitimité du pouvoir que détient ce dernier. On se rappellera que les citoyens ont de leur propre chef décidé lors du contrat social de lui déléguer le pouvoir, pour parler et agir en leurs noms. Aussi après le contrat fondateur du corps politique, la volonté des citoyens s'identifie-t-elle à celle du Léviathan. La volonté politique publique devient dès lors volonté de tous. Le souverain et les citoyens ne font qu'un. Par conséquent, quand le souverain décide et agit c'est, en vérité, les citoyens qui décident et agissent. Le hobbisme politique est en ce sens une doctrine qui réconcilie le peuple avec son représentant.

Par ailleurs, il est reproché à l'absolutisme hobbesien de concentrer tous les pouvoirs entre les mains du souverain. Mais, s'il convient de rendre justice à Hobbes, alors autant démontrer qu'une telle accusation s'avère quelque peu exagérée. S'il est vrai que, dans le système hobbesien, le Léviathan reste le seul détenteur légitime du pouvoir souverain, il n'est pas aussi faux de reconnaître qu'il n'exerce pas tout seul ce pouvoir. Le souverain n'est pas omniprésent. Il n'a pas le don d'ubiquité. Il ne peut non plus tout faire seul. Aussi délègue-t-il certains de ses pouvoirs à des personnes de confiance et qu'il juge compétentes. Pour preuve tangible, il nomme des magistrats pour dire le droit et ainsi l'épauler dans le règlement des contentieux. Il charge aussi certains de l'instruction du peuple ; d'autres encore sont assignés à la collecte des impôts. Il nomme des généraux pour commander son armée. Toutes ces personnes dont s'entoure le souverain et auxquelles il a bien voulu déléguer une partie de son pouvoir lui rendent des comptes.

Le souverain hobbesien ne s'identifie pas nécessairement à une seule personne. Le souverain peut être un individu comme dans le cas d'une monarchie. Il peut être aussi une assemblée d'hommes à l'instar d'un gouvernement démocratique. Si l'auteur du Léviathan marque sa préférence pour le régime monarchique, en cela que ce régime offre plus de facilité que tous les autres, il a pris le soin de signifier que sa doctrine était valable pour tout type de régime. S'il n'exclut pas la logique de la délégation du pouvoir à des personnes aux compétences avérées, on peut dire que l'absolutisme politique qu'il impulse est relatif.

L'autre angle d'analyse, c'est que l'État-Léviathan est à l'image du Dieu des religions révélées. Ses attributs doivent aussi être à son image. D'une part, tout comme il ne viendrait à l'idée des croyants de concevoir ce Dieu comme impuissant et sujet aux erreurs, il en va de même pour l'État-Léviathan. Il est partout omnipotent et toujours infaillible. D'autre part, de même que les actions qu'on impute à la divinité sont considérées comme étant rationnellement fondées et justifiées, de même les actes que pose le souverain hobbesien dans l'exercice de sa pourpre sont inattaquables. L'État-Léviathan a le droit de concentrer tous les pouvoirs et de s'affirmer comme tel, car contrairement au Dieu immortel des religions révélées, il est un dieu mortel. Conséquemment, pour éviter de trépasser et atteindre la fin pour laquelle il a été institué, c'est un impératif pour lui de jouir de l'absoluité du pouvoir.

Nullement, l'absoluité de son pouvoir ne renvoie pas à un certain degré de puissance, comme on a coutume de l'interpréter, mais à la nature raisonnable du pouvoir qui détermine son étendue et ses limites239(*). En clair, s'il est vrai qu'il n'y a pas d'instances extérieures qui fixent des limites à ce que le souverain peut faire ou pas, la raison ainsi que la fin pour laquelle il a été institué lui en fixe. Elles déterminent les bornes du pouvoir qu'il détient. Les actes posés par le souverain sont ainsi rationnellement fondés.

Dès lors, c'est se fourvoyer ou faire preuve de mauvaise foi que d'insérer l'absolutisme hobbesien dans la liste des régimes arbitraires, despotiques et totalitaires qui ne trouvent leur justification que dans les passions désordonnées de celui ou ceux qui exercent le pouvoir politique. L'absolutisme hobbesien n'est ni l'arbitraire, ni le despotisme, encore moins le totalitarisme comme on a pris l'habitude de nous le faire croire240(*).

1.1. Distinctions entre l'absolutisme et l'arbitraire

Un régime politique est dit arbitraire, lorsque celui qui détient le pouvoir politique fait fi dans sa gestion des lois de la république. En lieu et place de celles-ci, il gouverne selon son bon vouloir. Ses décisions sont prises au gré de ses humeurs et de ses caprices. Aussi les citoyens se trouvent-ils être l'objet de toute sorte de brimades. En vérité, un tel État est un État sans foi ni loi. Il est illégitime d'identifier l'absolutisme hobbesien à un pouvoir arbitraire : il y a une distinction nette et claire entre l'État hobbesien et les régimes arbitraires dans la mesure où le souverain hobbesien ne gouverne pas, selon ses appétences.

Le souverain gouverne en effet à l'aide de lois, c'est-à-dire de règles universelles qui s'appliquent à tous les citoyens (le souverain lui-même mis à part). Il s'agit donc d'un état de droit qui est, comme tel, à l'opposé de l'arbitraire241(*).

L'opposition entre l'État absolutiste hobbesien et l'État arbitraire se manifeste au niveau même de l'élaboration des lois : dans un régime arbitraire, à défaut d'une surabondance de lois, il y a une quasi absence de celles-ci. Les desiderata du souverain faisant office de normes de l'action politique. Le souverain hobbesien, en plus du fait qu'il se réfère aux lois pour gouverner, opère une distinction entre loi juste et bonne loi. On pourrait être tenté de se poser la question de savoir ce qu'est une loi juste ou une bonne loi pour lui ? « Par bonne loi, je n'entends pas une loi juste, nous dit Thomas Hobbes, car aucune loi ne peut-être injuste. (...) Une bonne loi se caractérise par le fait qu'elle est, en même temps nécessaire au bien du peuple, et claire »242(*). Toute loi est dite juste, dans la logique hobbesienne, en cela qu'elle émane du souverain. Le souverain étant seul habilité à décider de ce qui est juste ou injuste, alors tout décret émanant de lui devrait être juste. Mais, il ne suffit pas à la loi d'être décrétée par le souverain pour être bonne. Elle doit être formulée dans un style clair, intelligible et portée à la connaissance des citoyens243(*). Pour être bonne, elle doit viser l'intérêt supérieur du peuple. L'État hobbesien, en se souciant ainsi du bien-être de ses membres, se démarque des régimes arbitraires.

Selon Yves Charles Zarka, au sein de l'État-Léviathan :

Au point de son exercice, le pouvoir absolu du souverain ne s'identifie pas au bon plaisir du prince et ceci en fait comme en droit. En fait, parce que, en affaiblissant et en opprimant les sujets, le prince s'affaiblirait lui-même et risquerait de susciter les désordres précurseurs des révoltes et des guerres civiles. En droit, parce que tout ce que fait le souverain n'est pas ipso facto légitime, la justice elle-même n'aurait plus de sens s'il n'agissait conformément à la droite raison, c'est-à-dire suivant les prescriptions des lois naturelles. De sorte que le pouvoir souverain chez Hobbes est moins absolu que la volonté générale chez Rousseau244(*).

* 232 François Tricaud, « Hobbes et Locke : convergences et divergences », in XVII-XVIII, Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, n°25, 1987, p. 86.

* 233 Gomdaogo Pierre Nakoulima, La Préservation de la planète. Défis contemporains de la modernité, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 42.

* 234 Pasquale Pasquino soutient que « toute la pensée politique moderne, Rousseau y compris, est inconcevable sans Hobbes, et que on est loin d'être sorti, aujourd'hui même, de ce que on peut appeler le moment hobbesien. » Cf. Pasquale Pasquino, « Thomas Hobbes : la condition naturelle de l'humanité », in Revue française de science politique, Vol. 44, n°2, 1994, p. 295.

* 235 Léo Strauss, Droit naturel et histoire, trad. Monique Nathan et Éric de Dampierre, Paris, Flammarion, 1986, pp. 165-166.

* 236 Hobbes serait « le véritable fondateur du libéralisme politique ». Cf. Jürgen Habermas, Théorie et pratique, trad. Gérard Raulet, Paris, Éditions Payot et Rivages, 2006, p. 97.

* 237Justine Bindedou, « Le Sens de l'humanité dans l'absolutisme de Thomas Hobbes », in Revue Ivoirienne de Philosophie et de Culture, Le Korè, n°37, Abidjan, Éditions Universitaires de Côte d'Ivoire, 2006, pp. 121-141.

* 238 Robert Derathé, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1995, p. 308.

* 239 Franck Lessay, « La Figure cachée du tyran dans le Léviathan de Thomas Hobbes », in XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, n°16, 1983, p. 15.

* 240 Jean-Pierre Zarader, Petite histoire des idées philosophiques, suivi d'un essai : Le Statut de l'oeuvre d'art chez André Malraux, Paris, Ellipses, 1994, p. 48.

* 241Jean-Pierre Zarader,Idem.

* 242 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971,p. 370.

* 243 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 371.

* 244 Yves Charles Zarka, « Hobbes » in Denis Huisman, Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1984, p. 1231.

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