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Inventaire de quelques vestiges coloniaux matériels dans la ville de Dschang(1907-1957)


par Yannick Guerin Diffouo
Universite de Dschang - Master 2014
  

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3. Une main d`oeuvre abondante et malléable

D`entrée de jeu, notons que les Allemands furent les premiers à se confronter à l'épineux problème de la main d'oeuvre. Il est inadmissible de penser que les édifices coloniaux étaient l'oeuvre des colons uniquement. Ceci se justifie par le nombre

1 Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la françafrique 1948-1971, Yaoundé, éditions Ifrikiya, juin 2012, p

57.

2 Marc Michel, « La colonisation française en Afrique noire : aspects économiques et sociaux », in http// :www.études-coloniales.com, posté le 1er juin 2007 et consulté le 12 février 2014 à 16h

3 Ibid.

4 Institut National du Patrimoine, Architecture coloniale et ...p 15

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d'Européens et d'indigènes présent à Dschang pendant la colonisation. Les tableaux suivants nous donnent quelques indices.

Tableau 1: Evolution de la population européenne et indigène dans les
différents territoires dont Dschang était le Chef-lieu

 

Bezirk de
Dschang

Circonscription
de Dschang en

Subdivision de Dschang en 1926

Région bamiléké
en 1950

 
 

1921

 
 

Indigènes

/

82 467

75 613

/

Européens

Environ 10

9

15

259

Source : Statistiques compilées par nous sur la base des documents suivants : Zacharie Saha, « Le Bezirk de Dschang : relations entre l'administration coloniale allemande et les autorités traditionnelles (1907-1914) », Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé, avril 1993, p75; Marie Chieufack, « L'administration coloniale française et les mutations sociales et économiques dans la région Bamiléké entre 1919 et 1959 », Mémoire de DIPES II en Histoire, ENS Yaoundé, 2010-2011, p 33-34. ; ARO Rapport annuel de la subdivision de Dschang, 1926 et ARO Rapport mensuel, 2e trimestre, circonscription de Dschang, recensement de Juillet 1921.

Il ressort de ce premier tableau que l'effectif des populations européennes se trouvant à Dschang a évolué très lentement et que logiquement, celles-ci ne pouvaient pas constituer une main d'oeuvre suffisante. De plus, si on se réfère à la prétendue « mission civilisatrice » de l'Occident envers le continent africain, les Européens ne pouvaient qu'être des Chefs de chantiers et leur nombre réduit répondait sans difficultés aux tâches qui leur étaient réservées.

Tableau 2: Comparaison de la population de Dschang avec les autres localités
de la circonscription en 1927.

 

Dschang

Nkongsamba

Foumban

Indigènes

76 205

23 140

38 040

Européens

18

97

12

Source : Berlise Guedia Dongmo, « Les investissements agricoles dans la subdivision de Dschang 1909-1957 », Mémoire de Master en Histoire, Université de Dschang, 2012-13, p.29. ;

Il ressort de ce deuxième tableau que les Européens étaient plus présents en un lieu ou en un autre en fonction de l'intérêt qu'ils y avaient. On peut comprendre qu'ils soient plus nombreux à Nkongsamba qu'à Dschang à cause des vastes plantations qui s'y trouvent et plus à Dschang qu'à Foumban parce que le premier était le Chef-lieu de la circonscription administrative et en tant que tel, concentrait

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l'essentiel des services administratifs et politiques, lesdits services ne pouvaient être pilotés que par un blanc. Enfin le nombre très élevé des populations locales les prédisposait et les obligeait même à jouer le rôle qui leur revenait, c'est-à-dire être une source de main-d'oeuvre. Une main-d'oeuvre malléable gérée par les dirigeants qui sont en nombre réduit. Donc Lovett Z. Elango a tout a fait raison quand il écrit :

Lorsque l'on considère l'ensemble de l'héritage allemand au Cameroun ou seulement certains de ses aspects, on se voit confronté finalement à l'énorme mobilisation de main d'oeuvre indigène qui seule a rendu possible ces réalisations...c'est dans cette perspective qu'il faut considérer et apprécier les différents vestiges de la domination coloniale allemande au Cameroun1

Puisqu'il faut d'office mettre de côté les engins sophistiqués pour le transport des matériaux parce qu'ils n'existaient pas, le seul moyen possible de transport des personnes et des biens était le portage fait par les indigènes2. Les briquettes ou briques cuites ayant permis aux Allemands d'élever les maisons, étaient par exemple pétries, ensuite cuites derrière la Chefferie Foto et transportées sur la tête par les populations indigènes vers les lieux de construction3. Aussi, les planches destinées aux constructions étaient transportées par nos parents sur leur tête de Nkongsamba pour Dschang pendant une durée d'un mois4.

En fonction de l'autorité responsable de l'infrastructure, le recrutement de la main d'oeuvre pouvait être libre ou forcé. Il pouvait être libre lorsque ce sont les fidèles d'une congrégation religieuse qui voulaient aider à la construction de leur chapelle. Ainsi Ebanda Menduga nous fait savoir que « ce sont surtout les femmes du "sixa", leurs fiancés, les catéchumènes, les chrétiens qui désiraient aller à la confesse,

1 Lovett Z. Elango, « Reprise d'une oeuvre commune », in Wolfgang Lauber (ed), Architecture allemande au Cameroun 1884-1914, Stuttgart, Edition Karl Krämer, 1988, pp 28-29.

2 Pour plus d'informations, lire Zacharie Saha, « Le Bezirk de Dschang : relations entre l'administration coloniale allemande et les autorités traditionnelles (1907-1914) », Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé, avril 1993, 123p.

3 Entretien avec Etienne Gouné, le 02 Juin 2014 à son domicile à Foto

4 Entretien avec Kemkeleng, le 05 juin 2014 à la Chefferie keleng

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et les écoliers qui étaient utilisés à la fabrication et au transport des briques. Ils formaient une main d'oeuvre gratuite1».

Pendant les constructions, les membres du clergé qui avaient des notions en constructions architecturales n'ont pas hésité à former les techniciens locaux comme le confirme le père Goustan le Bayon : « En construisant, pères et frères ont formé les ouvriers qualifiés, maçons, charpentiers, ferrailleurs, plombiers 2»

En revanche, ce recrutement était forcé quand il s'agissait surtout des travaux de construction des routes, des ponts, ou les travaux dans les plantations. Comme l'affirme Léon Kaptué, « les Allemands crurent résoudre le problème en utilisant la force. Qui ne se souvient de ces théories de porteurs enchainés, faméliques, lourdement chargés et parcourant en tous sens les pistes et les sentiers du territoire3 ». Monique Guimfacq nous raconte ici comment les populations de Dschang ont vécu ces moments difficiles :

Les populations de la circonscription de Dschang doivent en effet garder un effroyable souvenir des travaux de constructions de la ligne du nord par les Allemands et surtout des travaux qui leur avaient été imposés dans les plantations de Victoria. Dès leur arrivée à Dschang, les Français avaient promis apporter plus d'humanité que les Allemands dans l'utilisation des travailleurs. Ainsi, le premier recrutement en 1922 fut extrêmement facile. Contrairement aux promesses faites, les résultats furent effroyables, sur 1 000 individus recrutés, 200 à peine revinrent chez eux et le plus souvent pour y mourir.4

En plus, les administrateurs coloniaux avaient développé un certain nombre d'astuces pour avoir la mainmise sur la main d'oeuvre. Par exemple, avec l'introduction de la culture du café dès 1926 à Dschang, les arrêtés du 4 juillet 1933 et du 10 mai 1937 apportèrent des restrictions dans cette culture. Seuls les Chefs traditionnels avec quelques notables pouvaient créer des plantations de café. Ceci permettait à l'administration d'avoir en permanence la main d'oeuvre. En 1944,

1 Titus Ebanda Menduga « Construction en terre de l'époque allemande à nos jours, survol des expériences camerounaises depuis le 19é siècle », in Wolfgang Lauber (ed), Architecture allemande au Cameroun 1884-1914, Stuttgart, Edition Karl Krämer, 1988, p. 146.

2 Père Goustan le Bayon, Les prêtres du Sacré-Coeur et la... p.129.

3 Léon Kaptué, Travail et main d'oeuvre au Cameroun sous régime français 1916-1952, Paris, L'Harmattan, 1986, p.12.

4 Monique Guimfacq, Foto, un grand royaume au coeur de la Menoua : Des origines à 2010, Yaoundé, AEFCA, 2010, p.84.

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Marcel Lagarde employait pour la seule station de quinquina de Dschang 818 ouvriers.1

On peut constater avec Léon Kaptué que les colons en général avaient les mêmes préoccupations « on retrouvait chez les nouveaux maîtres (Français), les mêmes préoccupations capitalistes, la même âpreté du gain, le même souci d'exploiter le territoire à moindre coût 2»

En fin de compte, on peut constater qu'il y avait un lien très étroit entre les administrateurs coloniaux et les missionnaires comme le souligne si bien Onomo Etaba et que l'un ne pouvait pas laisser l'autre tomber :

Le politique et le religieux ont cheminé pendant l'époque coloniale. En effet, le religieux avait besoin de l'administration pour des questions foncières, de main d'oeuvre et de sécurité. A partir de 1884-85, l'administration se devait d'accorder aux missionnaires une protection spéciale et en contre partie, ceux-ci devaient faire preuve de loyauté et de soumission au pouvoir temporel3

En outre, dans les années 1950, l'entretien des bureaux administratifs se faisait par les prisonniers comme le confirme cette note de service datant du 25 septembre 1956 adressée au Régisseur de la prison de Dschang par le Chef de région et dont voici le contenu : « A compter du 26 septembre 1956, une corvée de cinq prisonniers sera en permanence affectée à l'entretien des abords des bureaux de la région et de la subdivision.4 »

En définitive, Dschang est une création allemande, l'esprit qui guida les réalisations allemandes dans cette ville est celui de toute une tradition basée sur la longévité, l'idéal et surtout des choses bien faites comme le déclare ce grand architecte allemand Daniel Durnham

Ne fais pas de projets mineurs, ils ne sauraient susciter l'enthousiasme et il y a de grandes chances pour qu'ils ne soient jamais réalisés. Place très haut l'objet de tes espoirs et le but de ton travail. Saches forger de grands projets et n'oublies pas qu'il soit de conception noble et

1 Monique Guimfacq, Foto, un grand royaume... p.91.

2 Léon Kaptué, Travail et main d'oeuvre...p.31.

3Roger Onomo Etaba, « Systèmes politiques et politiques missionnaires au Cameroun du milieu du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, in NKA, Revue interdisciplinaire de la Faculté de lettres et de sciences humaines, n°4, 2005, p.204.

4 Archives Départementales de Dschang

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logique. Acquiert une fois tracée, valeur d'éternité et que longtemps après que nous aurons

disparu, il demeurera un élément vivant et s'imposera avec une force toujours accrue1.

Par contre, les Français construisaient ce qu'on appelle les infrastructures formalistes, c'est-à-dire qui vont directement servir à l'administration et à la mise en valeur du territoire, l'aspect esthétique étant négligé. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'à Dschang particulièrement et au Cameroun en général, ils «accueillirent les réalisations allemandes avec satisfaction, avec une admiration secrète et choisirent le Cameroun comme centre de la politique de mise en valeur de leur empire colonial africain2 ». Comme l'affirme Edith Ngomedje parlant de la ville de Yaoundé : « le général Aymerich ne cacha pas son émerveillement devant les infrastructures de ses prédécesseurs allemands3» Tout ceci fut possible grâce à la disponibilité d'une abondante main d'oeuvre. Au sujet de l'usage des infrastructures coloniales, il y avait une barrière infranchissable entre les européens et les indigènes. En d'autres termes, les Africains et les Européens ne pouvaient vivre ensemble dans la même demeure quand bien même, ils avaient les mêmes fonctions. A titre illustratif, Enoh Meyomesse affirme ceci :

Les Camerounais peuvent encore, jusqu'à ce jour, visiter, à Mvolyé à Yaoundé, la résidence des prêtres à étages et en planches, qui se trouve en haut du sanctuaire marial. Les prêtres blancs logeaient à l'étage, tandis que leurs collègues noirs, non seulement vivaient au rez-de-chaussée, mais en plus étaient interdits de monter à l'étage. Quiconque osait le faire était purement et simplement défenestré4.

Ce n'est que pendant la Première Guerre Mondiale par exemple que les catéchistes noirs ont habité la résidence des pères à Dschang, bien évidemment parce que les pères pallotins allemands étaient pourchassés par les militaires de la coalition franco-britannique. A ce moment, ils sont là pour tout simplement prendre soin de la mission en l'absence de véritables responsables. Il faudra attendre jusque dans les années 1950, à la veille des indépendances dans les pays africains, pour voir

1 Lovett Z. Elango, « Reprise d'une oeuvre...p.28.

2 Ibid. P.36.

3 Edith Njokou Ngomedje, « L'histoire à travers les ...p.15.

4 Enoh Meyomesse, « La servitude religieusement consentie », in Les cahiers de

Mutations, le vrai visage de l'église catholique au Cameroun, Vol 056, Mars 2009, p.4.

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apparaitre les premiers prêtres africains logeant dans les habitats construits par les Européens. De même pour les infrastructures des administrateurs coloniaux.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus