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La tentation hagiographique dans les biographies de Pascal

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par Karine Lanini
Université Paris III-Sorbonne nouvelle -  1996
  

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B. Res non verba ?

Si l'hagiographie se fonde sur des `res', elle renvoie plus à leur exemplarité qu'à leur réalité historique, qui n'a pas sa place dans un tel projet. Son discours `illustre une signification acquise, alors qu'il prétend ne traiter que d'actions'26(*), et d'une certaine manière, Gilberte déplace la convention du genre en supprimant la référence aux actions : l'exemplarité de Pascal réside dans sa grandeur morale, aussi est-il non seulement inutile mais aussi dangereux de vouloir l'illustrer dans un discours `matériel' ; inutile parce que dans son cas, l'absence même de `res' fait sa grandeur morale et le rend exemplaire, et inutile car il n'est pas un saint mais un saint qu'il s'agit d'inventer : toute référence à sa vie charnelle risquerait de pervertir ce projet, et l'existence du texte de Marguerite Périer l'indique assez.

L'hagiographie « postule que tout est donné à l'origine avec une vocation, avec une élection [...] avec un ethos initial »27(*) : c'est cet aspect de la vie de saint que Gilberte retiendra, et traduira dans son texte, truffé des signes de cette permanence du génie de Pascal. En effet, dès le début, cette permanence est posée : « Ce commencement, qui donnait de belles espérances, ne se démentit jamais ». Comme un saint, le Pascal de Gilberte n'agit que pour que l'on puisse voir dans ses actions le signe de son élection, à cette différence que ses actions sont avant tout morales. Mais il s'agit bien du même principe, qui fait de `l'histoire l'épiphanie progressive du donné'28(*) . Chaque parole de Gilberte est alors comme une manifestation de surface de l'ethos du saint, et donc de son caractère sacré et immuable, donné dès le départ. Sous la plume de sa soeur, Pascal est un saint, un élu, et son élection se manifeste par des marques bien précises : dès les premières lignes, Gilberte indique : «  Dès que mon frère fut en âge qu'on pût lui parler, il donna les marques d'un esprit tout extraordinaire »29(*). L'extraordinaire est ici un signe du sacré, d'où le discours hyperbolique qui sera attaché à son génie. Et le sacré ne se réduit pas à cet extraordinaire : lorsque le jeune Blaise réinvente la géométrie, il réinvente aussi le nom des figures:

« Mais comme le soin de mon père avait été si grand de lui cacher toutes ces choses qu'il n'en savait pas même les noms, il fut contraint lui-même de s'en faire »30(*).

Qu'est-ce d'autre qu'un exemple d'adamisme ? Nouveau messager de dieu sur la terre, il porte en lui les signes du sacré ; d'ailleurs, Gilberte souligne à deux reprise l'attention particulière portée par dieu à cet être extraordinaire : « La Providence de Dieu ayant fait naître une occasion qui l'obligea de lire des écrits de piété »31(*), Pascal se convertit une première fois. Ensuite, à la fin du texte, alors qu'il est au bord de la tombe, la main de dieu intervient encore : « Mais nous allons voir que dieu l'a préparé à une mort d'un vrai prédestiné par d'autres actions qui ne sont pas d'une moindre consolation »32(*).

Le saint, `qui ne perd rien de ce qu'il a reçu', se caractérise par sa constance, et ici, la constance du récit est dans l'hyperbole. Il fallait que le récit fût hyperbolique pour que l'extraordinaire apparaisse, et toute l'écriture de Gilberte est tendue dans ce sens. Ainsi, Pascal est présenté comme l'être du `toujours plus' : toujours plus de génie - il « vit et entendit [les éléments d'Euclide] tout seul, sans avoir jamais eu besoin d'explication »33(*) - et un génie toujours renforcé par les restrictions qui entourent sa manifestation (« Cependant il n'employait à cette étude que les heures de récréation »). Il est `préservé de tous les vices', et il renonce à `tous les plaisirs' : la demi-mesure est bannie en tout, y compris et surtout dans la contrition, la mortification ou l'abnégation ; par exemple, lorsqu'il décide de mortifier ses sens, il refuse d'absorber tout ce qui `[excite l'appétit], quoiqu'il aimât naturellement toutes ces choses'34(*), et lorsque, hautement malade et sur le point de rendre l'âme, l'enfant de l'un de ses protégé tombe malade de la petite vérole dans sa propre maison, il cède sa place à cet enfant pour qu'il soit bien soigné, alors que lui-même aurait besoin des plus grands soins.

Comme dans une vie de saint, le sacré est le principe générateur du texte. Tout est déjà donné, « mais le récit n'en reste pas moins dramatique ». Seulement, « il n'y a de devenir que de la manifestation ». Ici, la manifestation est déplacée de la vie publique à la vie de l'esprit. C'est un portrait moral, où les manifestations sont d'abord spirituelles, et où l'extraordinaire trouve sa place dans l'hyperbole, ce qui expliquerait le maigre contenu informatif du récit : Gilberte ne rend compte que de choix moraux, qui conduisent certes à des attitudes physiques, mais qui ne s'ouvrent pas sur des réalisations matérielles. On pourrait presque dire pour parler de ce texte : `verba non res', parce que d'une part il s'agit de créer un mythe en `réécrivant' une `histoire', et d'autre part parce que les `res' sont absentes, effacées par les signes de l'ethos et du spirituel. Pour reprendre une distinction pascalienne, dans l'hagiographie traditionnelle, la vie des saints dans l'ordre de la chair figure leur appartenance à l'ordre de la foi, tandis qu'avec Pascal, les marques dans l'ordre de la chair de son élection sont vite remplacées par les seuls signes du spirituel, comme s'il était de toutes façons au-delà de l'ordre de la chair, comme s'il était lui-même une figure de l'ordre de la foi.

Evidemment, en disant cela, on s'éloigne de l'hagiographie et de sa destination populaire, de même qu'en se plaçant du côté du verbe, Gilberte renonçait à la tentation du spectaculaire si souvent exploitée dans les vies de saint. L'extraordinaire frappe les esprits, mais plus dans les actes que dans les tournures morales et spirituelles ; il manque ici les signes de la différence radicale du saint Pascal qui ne réalise pas de miracles. Comme si Gilberte voulait en faire un saint laïque, en refoulant de cette biographie officielle toute l'altérité qui ferait définitivement basculer son récit du côté de l'hagiographie, et qui le rendrait alors peu crédible dans sa fonction biographique, le propre de l'hagiographie n'étant justement pas de rendre un compte fidèle de la réalité mais d'impressionner les esprits. Pourtant, le tour hagiographique de son récit met en évidence cette absence du spectaculaire plus que le tour biographique ne le dissimule, et provoque un effet de loupe sur les rares allusions à l'altérité radicale du saint. Ainsi, il est dit qu'à la découverte du génie de son fils, le père de Pascal fut `épouvanté de la puissance et de la grandeur de ce génie' et qu'il `demeura immobile et comme transporté' versant même `quelques larmes'35(*). Or, cette description est précisément celle qui accompagne la rencontre du sacré, la confrontation au monstrueux et au sublime, qui terrifie et fascine à la fois. Du coup, on peut se demander si les limites que pose Gilberte au portrait ne relève pas, aussi, d'un processus apotropaïque qui viserait à refouler le sacré en le canalisant.

* 26Michel de Certeau, L'hagiographie, Paris, 1995, Encyclopaedia Universalis, p.160-165

* 27 Ibid.

* 28 Ibid.

* 29La vie de Monsieur Pascal écrite par Madame Périer, sa soeur, p.2

* 30 p.5

* 31 p.7

* 32 p. 31

* 33 p.6

* 34 p.12

* 35 p.5-6

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