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La tentation hagiographique dans les biographies de Pascal

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par Karine Lanini
Université Paris III-Sorbonne nouvelle -  1996
  

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C. Fascinans et tremendum ?

« Le sacré est toujours plus ou moins ce dont on n'approche pas sans mourir »36(*).

Biographie annoncée, La vie de Monsieur Pascal écrite par sa soeur reprend les topoï de la vie de saint, en les amoindrissant. En effet, au moins dans leur branche populaire, les hagiographies fonctionnent en frappant les esprits par des récits extraordinaires (miracles, guérisons ante-mortem et post-mortem, stigmatisations...). Tel n'est pas le cas ici ; d'une certaine manière, Gilberte signale la présence du sacré - son frère est comme un saint - mais en le circonscrivant dans son domaine réservé - ce saint reste recevable dans le domaine profane. Ainsi, et c'est peut-être la marque la plus flagrante du filtre qu'elle impose à son récit, elle passe sous silence la seconde conversion ; or, l'expérience hallucinatoire de la nuit du 23 novembre 1654 aurait dû faire partie du récit hagiographique, puisqu'elle répond à toutes ses exigences - c'est une illumination, un `feu', que tous les saints connaissent et que les hagiographies privilégient. Pourquoi n'en parle-t-elle pas, sinon pour éloigner le sentiment de terreur qui naît au contact des manifestations non domptées du sacré ? Comme si ce frère la fascinait - son discours hyperbolique traduisant bien cette fascination - et la terrorisait en même temps par la monstruosité du sacré (monstruosité qui n'affleure alors que bien involontairement, comme dans le récit de l'attitude du père). Alors, son récit devient comme une église : il serait le médiateur qui seul peut rendre le sacré recevable en lui donnant une forme terrestre, forme humaine du sacré dont on n'aurait que les signes. Et cette hypothèse expliquerait aussi l'existence d'une seconde biographie, celle de Marguerite, qui serait la forme non `filtrée' de la présence de ce sacré. Dans son récit, le sacré est introduit dans le domaine du profane et cette confrontation suscite un conflit : le discours est déconstruit et la version monstrueuse du saint apparaît - n'est-il d'ailleurs pas né sous le signe de la possession ?

Une fois encore, Marguerite semble introduire dans son récit tout ce que Gilberte voulait dissimuler, c'est-à-dire ici le spectaculaire attaché à son oncle. Ces deux textes s'opposent radicalement : d'un côté, un texte placé sous le signe du père, récit masculin et rationalisé, dont la structure et la forme figée canalisent les `débordements' du sacré. De l'autre, un récit placé sous le signe de la mère, désorganisé, conflictuel, et où le sublime, figure du sacré, devient grotesque : c'est sensible dans la réaction qui accueille la décision de Pascal de se retirer du monde, et son influence sur le comte d'Harcourt qu'il entraîne à sa suite. Cette attitude est condamnée par les représentants du monde, Pascal est taxé de folie, et l'on tente même de l'assassiner. Sous la plume de Gilberte, cette retraite était accompagnée de tous les signes de la grandeur qu'elle trahissait ; sous celle de Marguerite, elle devient une folie incompréhensible, et elle est rejetée. Incompréhension et rejet qui sont alors comme les manifestations du sublime non dompté qui vire au grotesque , car il n'est pas à sa place.

Gilberte, en supprimant le sublime, supprime le grotesque et le monstrueux ; la seule altérité autorisée sera celle de l'esprit, meilleur moyen de canaliser le sacré, et de le traduire dans un projet d'apparence biographique. Bâtir un saint et son église en même temps, tel semble être finalement le projet de Gilberte, mais toujours sous couvert d'écriture biographique, pour permettre à ce texte d'assurer la postérité publique de son saint. Si Gilberte avait rempli un contrat purement biographique, jamais son frère n'aurait pu être érigé en saint, mais si elle s'était limitée à une seul écriture hagiographique, jamais son texte, et partant son frère, n'auraient eu de postérité. Il fallait donc que les deux genres s'unissent pour que le Pascal de Gilberte devienne le Pascal de référence.

* 36 Roger Caillois, L'homme et le sacré, Paris, 1950, Gallimard

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