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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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2) La situation d'enquête

A la base de toute situation d'enquête s'engage une relation entre l'enquêteur et l'enquêté, qui dépend des propriétés sociales de chacun de deux membres de la relation.

Il est nécessaire de faire état de ce qu'ont été les relations d'enquête et des conséquences qui en découlent pour l'usage des informations obtenues.

L'identité que le chercheur se voit attribuée repose sur des caractères immédiatement perceptibles comme le sexe, le type racial, l'âge apparent, la qualité physique. Elle induit des attentes et des réactions plus ou moins stéréotypées, qui vont orienter le mode de présence de l'enquêté et modifie d'autant la nature des échanges entre individus.

L'identité du chercheur est définie et appréciée différemment par les uns et les autres et engage des relations elles-mêmes différentes. Chaque situation d'entretien est donc unique.

a) La prise de contact avec les enquêtés

La relation d'enquête s'amorce dès la prise de contact initiale pour la prise d'un rendez-vous pour l'entretien, comme le rappelle Muriel Darmon98.

Du fait de la situation d'observation décrite, les contacts avec nos premiers enquêtés ne se sont pas faits pour et par l'enquête. Mes colocataires étrangers étaient d'abord mes colocataires avant de devenir des enquêtés.

Nos autres enquêtés ont toujours été rencontré sur le même mode : il s'agit pour toutes les personnes que nous avons interrogées, de personnes rencontrées à notre domicile parce qu'elles étaient invitées par nos colocataires. Ce sont ces derniers qui d'ailleurs leur proposait de participer à l'enquête et recrutait pour nous ces personnes. Les personnes venaient donc à l'entretien réalisé par l'ami d'un ami.

Dès lors une situation de confiance était déjà présente au début de l'entretien, nous connaissions l'enquêté, puisqu'il avait déjà mangé chez nous, nous avions échangé quelques mots en dehors même du contexte de l'enquête.

98 Darmon, Muriel, « Le psychiatre, la sociologue et la boulangère : analyse d'un refus de terrain », Genèses, 58, 2005, 98-112

On pourra d'ailleurs remarquer que ce sont les enquêtés qui nous ont présenté par nos colocataires qui ont donné suite aux demandes d'entretien.

Nous avions en effet pris contact avec d'autres personnes, notamment un groupe d'étudiants chinois de l'ENS Sciences qui jouait au badminton tous les samedi après-midi dans l'enceinte de l'ENS-LSH.

Notre colocataire chinoise nous avait proposé de participer à ces après-midi sportifs afin de pouvoir prendre des contacts avec de futurs enquêtés. Je m'y rendais seule, je n'étais pas introduite par celle-ci, elle n'a pas voulu le faire, de telle sorte que notre présence était uniquement considérée comme sportive. Nous pouvions jouer avec ces étudiants, puis discuter ensuite avec eux. Nous avons parlé à plusieurs reprises de l'alimentation et nous avions échangé nos adresses et numéro de téléphone pour pouvoir se voir en dehors de ces heures de sport, qu'il n'était pas opportun de déranger par des questions d'alimentation.

Ces étudiants chinois de l'ENS sciences constituaient un groupe d'une douzaine de personnes. Ils arrivaient toujours ensemble à l'ENS, ne possédant pas de badge pour rentrer dans l'établissement. Ils se faisaient ouvrir la porte par mon colocataire qui se joignait alors eux. Une autre étudiante chinoise de l'ENS Lettres les rejoignait également.

D'après ce que j 'ai pu apprendre par la discussion et par ma colocataire, les chinois de l'ENS Sciences vivent de façon très regroupée. Ils habitent très proches les uns des autres et se voient constamment. Ils mangent très souvent ensemble. Leur structure de sociabilité est très tendue avec leur groupe, mais très peu ouverte sur l'extérieur. C'est cette clôture du groupe sui luimême, qui s'explique par les difficultés de langage, qui expliquer la difficulté de l'enquêté à pénétrer dans le groupe pour enquêter.

Lorsque j 'assistais à ces rencontres sportives, je ne parlais qu'aux trois mêmes personnes : une chinoise de l'ENS de Lettres, qui aurait dû faire partie de mes enquêtés, d'autant plus que le sujet l'enthousiasmait étant donné son goût pour la cuisine99, et deux de l'ENS sciences. Par ailleurs l'une des étudiantes devait systématiquement se faire traduire ce que je disais.

J'avais tout de même obtenu des adresses et des téléphones, mais ces personnes n'ont jamais répondu à mes appels et à mes messages. J'ai par la suite arrêté d'assister à ces rencontres qui prenaient du temps sans permettre de conquérir des enquêtés100.

Outre la clôture du groupe sur lui-même, je me suis confrontée à la réserve naturelle de potentiels enquêtés face à des pratiques relevant de la structure du privé.

Comme le rappelle Olivier Schwartz101, la situation d'enquête se caractérise par un « vol de l'ethnologue » qui correspond « au viol des intimités et aux vérités privées dérobées ». Je demandais à voir des pratiques quotidiennes d'entretien de soi, relevant de l'intime.

b) Le déroulement des entretiens

La situation idéale aurait été de réaliser mes entretiens au domicile de mes enquêtés, nous avons déjà signalé qu'il n'avait pas été possible de le faire, mis à part le cas de trois enquêtés, nos colocataires faisant partie.

99 Elle voulait devenir cuisinière

100 J'y ai finalement assisté cinq fois.

101 Schwartz, Olivier, « L'empirisme irréductible. La fin de l'empirisme ? », in : Le Hobo, Anderson Nels, Paris, Nathan, 1993, p. 265-305.

Nous appréhendons ce refus comme la marque de l'importance que nous accordons à l'alimentation dans la définition de soi. L'alimentation est nous l'avons vu un phénomène identitaire pour l'individu et le groupe.

Pénétrer dans les cuisine des enquêtés, regarder dans leurs frigos, leurs provisions, les regarder faire à manger suppose une relation de confiance beaucoup plus poussée que celle que nécessite l'entretien sur d'autres pratiques.

G Cazes-Valette a montré dans « Vol d'un coucou au-dessus de mon nid »102 que l'intrusion d'une inconnue dans sa cuisine pouvait être vécue comme une intrusion dans son intimité. La cuisine est un espace qui répond à des codes, ne s'y aventure pas qui veut. Yvonne Verdier103 rapporte que la cuisinière du village qui prépare les repas des communions, mariages renvoie les personnes qui veulent la regarder faire ses recettes, le plus souvent en leur demandant d'aller vérifier que la table est correctement mise...

Doit-on relier ce phénomène de rejet à la nationalité étrangère de mes enquêtés ? Déjà chamboulés par la perspective d'un entretien en français, ils l'auraient été encore plus par l'introspection qu'aurait impliquée ma présence dans leur cuisine. Ou doit-on uniquement explique ce rejet par la nature intime de la cuisine ? Il nous semble que les deux effets ont joué ensemble. La cuisine est un espace privatif om l'on s'exprime fortement.

Par conséquent, comme nous l'avons évoqué, nous échappait par la même occasion la possibilité technique de regarder les produits achetés par nos enquêtés, les ustensiles dont ils disposaient. Or ceci pose problème dans la mesure où étant étrangers, ils disposent de produits et d'objets qui m'étaient inconnus et dont le nom ne pouvait pas me fournir d'informations. Parfois, nous avons pu procéder à de recoupements ultérieurs : lors de la saisie de nos entretiens nous cherchions sur des encyclopédies en ligne ce à quoi ressemblait ces produits étrangers. Nous avons là une perte sèche d'informations.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe