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L'activité culinaire des étudiants étrangers

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par Frédérique Giraud
Ens-Lsh - Master 1 de Sociologie 2006
  

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4) L'évaluation des pratiques en France

Comment nos enquêtés évaluent-ils leurs pratiques culinaires par rapport à ce dont ils ont l'habitude dans leur pays ? Sont-ils satisfaits des « plats typiques » qu'ils préparent du point de vue de leur goût, de leur saveur ?

« Et est-ce que justement tu as essayé plusieurs fois de faire des plats roumains ici ou ? Non, je sais pas, disons que en deux mois, j 'ai essayé dix fois de faire des plats roumains

Et à chaque fois ça te plaît ? Tu es déçue ou au contraire contente de manger quelque chose dont tu as l 'habitude ?[Rire]Non je ne suis pas déçue parce que ce n 'est pas...enfin quand même des fois,.mais ça n 'a pas le même goût, ce n 'est pas le même plat quand même. »

Le plus souvent les plats reproduits en France sont des pis-aller dont les enquêtés se satisfont faute de trouver les mêmes ingrédients. Les plats préparés en France ne sont pas à la hauteur des plats préparés au pays, ni à la hauteur des espérances placées en eux. Evalués à l'aune des souvenirs gustatifs et olfactifs, ces plats en France apportent moins de plaisir, se situent endessous dans la hiérarchie du bon.

L'une des ethnologues contactées pour la rédaction de l'ouvrage La cuisine des ethnologues194 dont le pari consiste à réunir des recettes qui peuvent en théorie être réalisées en dehors de leur aire culturelle refusa l'offre dans la mesure où l'on ne pouvait transposer la cuisine de Mount Hagen ou de l'ensemble de la Mélanésie au-delà de son milieu écologique. En effet pour Marylin Strathern « Les facteurs de l 'environnement font la spécificité de cette cuisine, car ils sont par essence inexportables. C 'est d 'abord une question d 'ingrédients : qualités spéciale des bananes à cuire, légumes verts, tubercules. Puis d 'ustensiles : à Hagen, les grands repas sont invariablement préparés dans des fours enterrés qui confèrent aux aliments leur savoureuse et inimitable délicatesse. »

L'un des mérites de cette citation est de montrer que c'est l'ethnologue et non pas les natifs qui défend la non-exportabilité de la recette. Elle défend un point de vue maximaliste selon lequel il n'est pas pensable d'essayer de reproduire la préparation hors de son pays d'origine sous peine de perdre le goût et l'essence de la recette qui est « inimitable ». Or les étrangers ne se situent pas du même point de vue, pour eux reproduire les recettes à distance est un pari qui leur permet de se ressourcer combien même la recette n'aurait pas le même goût en France,

192 Op cit

193 De même que lorsqu'on fait une tourte ou une galette des rois à la frangipane, on doit bien rattacher la pâte feuilletée de dessus à celle du dessous, pour que la préparation « n'explose » pas pendant la cuisson. 194 Jessica Kuper (dir), La cuisine des ethnologues, Collection Territoires. Bibliothèque Berger-Levrault

c'est déjà une victoire que d'avoir pu la reproduire. Mais après, ils évaluent leurs préparations à l'aune de la situation de référence dont ils disposent qui est le même plat préparé dans leur pays.

Les migrants n'attribuent jamais entièrement aux plats réalisés le sceau de la nationalité, c'est à dire qu'un plat préparé en France ne sera jamais ni tout à fait chinois, ni roumain, ni italien...il lui manque touj ours un petit quelque chose qui empêche de lui accorder sa préférence. « Quand je fais ici quelque chose de roumain, ce n 'est pas le même plat, c 'est une dérivation du plat roumain [rires], une déviation [rires] » nous dit Theodora.

« Des fois au lieu de faire cette soupe aigre avec le liquide je vais faire avec le citron, ou bien le persil n 'est pas pareil je crois (rires), mais le goût est moins fort ici, je pense ... c 'est pas aigre comme ça l 'est d 'habitude avec ... avec le truc roumain, ça ressemble pas, ça n 'a pas le même goût du coup »

Lorsqu'on essaie de remplacer l'ingrédient par un autre, la saveur obtenue est plus ou moins éloignée de ce qu'on connaît, « le goût est moins fort ici, je pense... » estime Theodora. Les plats préparés ne sont jamais aussi « purs » qu'ils devraient l'être. Ils ne peuvent être estampillés pleinement chinois... Pourquoi les plats réalisés en France avec le souci de reproduire des plats familiers du pays avec les même ingrédients ne sont-ils jamais pleinement authentiques ?

« Comment tu qualifierais ta façon de manger ici ? C'est roumain, français? Euh, j 'ai pas de qualificatif, vraiment, c 'est un mélange, métissage des cuisines »

En fait l'utilisation d'un aliment de substitution modifie le goût de la préparation comme en témoigne Tsu Tsu Tuï « Euh..oui pour ce que je fais, je pense que c 'est vraiment chinois, mais pour les autres [ceux pour lesquels elle a du changer d 'ingrédients], euh, parfois avec parce que je ne peux pas acheter vraiment les matériaux, je pense que ça peut changer le goût. »

Giovanni de même « Je pense, peut-être que c'est psychologique, mais je crois qu'en fait c'est pas le même goût. ». On pourrait citer chacun de nos enquêtés. Tous l'expriment de la même manière sur le mode de l'incertitude et d'une chose valant uniquement pour eux, dont ils n'affirmeraient pas la validité au-delà de leur seule expérience individuelle.

Notre colocataire Shumeï dénigre ses pratiques culinaires comme n'étant pas typiques en raison de la présence d'ingrédients qui ne sont pas chinois. L'attitude la plus courante consiste à déplorer la substitution à laquelle on se livre.

Il s'agit peut-être bien ici d'un biais de l'enquête : dans la mesure où notre enquête avait été présentée comme un questionnement sur le maintien ou non des pratiques alimentaires du pays d'origine, il se peut que les enquêtées aient eu tendance à mettre en exergue le fait que leurs préparations n'étaient pas totalement identiques à celles qu'ils auraient pu préparer dans leur pays. Les questions trop directives les invitaient en effet à pointer ce qui correspondait et ce qui se distinguait.

Quels sont les plats que fais ici ? (Peux-tu me citer deux ou trois plats) As-tu l 'habitude de les faire en Chine ?

Est-ce que tu peux faire tous les plats que tu fais en Chine ici ? Si non, pourquoi ? Ont-ils le même goût ? Prends-tu autant de plaisir à les manger ici qu 'en Chine ? As-tu des difficultés à cuisiner en France ? Est-ce plus difficile et en quoi ? Quels seraient les qualificatifs que tu emploierais pour décrire ta cuisine en France par rapport à celle que tu fais en Chine ?

Pour certains étudiants, l'enjeu en France consiste à manger de la façon la plus proche possible de son pays. Cette volonté se manifeste soit de façon permanente soit de façon plus ponctuelle au milieu des pratiques modifiées. Mais le souci de la continuité ne suffit pas, elle est techniquement, pratiquement difficile à maintenir, les étudiants jugent leurs pratiques à l'aune de la situation de référence que constitue la cuisine dans leur pays.

A l'opposé de la volonté de maintenir en France des pratiques identiques à celles de son pays, d'autres étudiants semblent satisfaits d'apprendre à cuisiner autrement. En France, il s'initient à la cuisine française.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote