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Les représentations dans la géographie : une approche à valoriser dans les pays du Sud (l'exemple des hautes terres d'afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale

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par David Leyle
Université Bordeaux 3 - DEA de géographie 2001
  

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1 LE MILIEU BIOPHYSIQUE : LES REPRÉSENTATIONS DE SES COMPOSANTES ET DE SES PHÉNOMENES

L'environnement écologique, par ses composantes et leurs interactions dans le temps et dans l'espace, donne des précieux indicateurs sur la manière dont les hommes perçoivent et interprètent leur environnement.

De quelle manière sont décrits les éléments du milieu et comment sontils expliqués ? De quelle manière sont perçus et représentés le relief, le climat, les terroirs, la faune et la flore ? Pour Gallais J. (1974), les sociétés des espaces tropicaux1 ne peuvent considérer les éléments du milieu comme le support neutre de leur existence, de leurs activités de production.

Le langage est une forme d'interprétation des représentations du milieu et de ses composantes ; même si les grilles d'analyses peuvent être discutées2, les significations qu'on peut en retirer en font un outil primordial.

Par exemple Bidou J.E, au moyen d'enquêtes effectuées à Hooré Dimma3 (Fouta-Djalon, au Nord de Labé) et à l'aide d'un logiciel d'analyse textuelle4, l'auteur décrypte le discours paysan et dégage les polarités dans l'usage des mots ; il est alors possible de les placer sur un cercle de corrélation et de classer les discours en fonction de leur vocabulaire (annexe 13).

Ainsi, il constate que le vocabulaire de la nature s'oppose à celui de l'environnement. D'un côté on note les mots de la végétation (forêt, bois), de l'eau (pluie, source, ruissellement), de la topographie (bowal, qui est un plateau cuirassé) ; le mot érosion n'apparaît que pour dire qu'elle n'existe pas dans la région ; on trouve également les mots qui règlent le cours du temps (mois, saison, année). Bien sûr, on invoque Dieu, qui a créé la nature et qui dispense les pluies. De l'autre côté du cercle, se trouvent les mots de l'environnement, c'est-à-dire la nature transformée, le milieu construit par l'homme : la clôture et la haie, les arbres fruitiers, la maison, la concession (c'est à dire le domaine clôturé), les troupeaux. Sont associés les verbes de la transformation (planter, cultiver, récolter) mais aussi plus haut (couper le bois, brûler la brousse). Le mot « nature > se trouve dans ce groupe lié à l'expression « protéger la nature > qui est aussi une obligation (Bidou, J-E., 2000).

Pour ces villageois, la « nature > est ce qui est sauvage, sans hommes, ou ce qui échappe à leur pouvoir : la brousse ; alors que « l'environnement > est une nature domestiquée, transformée par l'homme : le cercle des haies. De ce fait, les

1 L'auteur emploie ici le terme de « traditionnelle >, sur lequel nous reviendrons plus en détail dans le chapitre 3.

2 « Le language est-il l'expression adéquate de toutes les réalités ? > (Nietzsche, Le livre du phiosophe, Etudes théorétiques, 1872-1875, p.133)

3 Hameaux des sources de la Gambie en Guinée, ces dernières faisant l'objet d'une protection.

4 Alceste, société Image, Toulouse.

Source : carte IGN, 1/50000 Echelle: 1/25000

FORET CLASSÉE D'HOORÉ DIMMA

DOCUMENT 19

Ci-dessus, la forêt classée d'Hooré Dimma (Fouta-Djalon), mise en place par les colons français pour protéger la source de la Haute Gambie; aujourd'hui, « sur les versants cuirassés entourant la source de la Dimma, ont été construites avec les crédits de l'Union Européenne, plusieurs centaines de demilunes en pierre. Sur une cuirasse extrêmement poreuse et à nue depuis quelques centaines de milliers d'années, le ruissellement ne peut rien transporter: les demi-lunes ne montrent pas l'ombre d'une accumulation de sédiments. Les paysans, absolument persuadés de l'inutilité de ces travaux énorme, ne les ont pas moins effectués: à 5 $ la demi-lune, le revenu induit est appréciable. Ce qui est particulièrement intéressant, ce sont les discours que suscite chez les différentes catégories de paysans cette entreprise scientifiquement absurde. Les responsables de la communauté louent la grande science et le savoir faire des Blancs; ils demandent à ce que le projet continue et s'étende. Si on leur montre les demi-lunes désespérément vides, ils expliquent que dix ans, c'est bien trop court pour juger de leur efficacité, d'autant que ces ouvrages, au demeurant pas assez nombreux, mériteraient un peu d'entretient, qu'ils seraient prêt à fournir, si on les rétribuait pour cela... Les paysans de base, quand à eux, commencent par tenir le même discours convenu, mais un peu plus tard, la confiance rétablie, rient franchement: leur argent est bon à prendre mais les Blancs ont vraiment des idées étranges, ils combattent l'érosion là où il n'y a pas de sol et où rien ne pousse et ne poussera jamais. Il faut qu'ils aient des intérêts autres pour faire les choses aussi curieuses. Ils attendent que le projet se termine: ils pourront ainsi réutiliser les pierres pour les fondations de leurs maisons, l'entretien des pistes et ...pour faire des cordons anti-érosifs là où ils le jugent utile. « (Rossi, G, 2000)

autochtones ne comprennent pas que les projets1 et les objectifs des experts leur imposent la protection de leur terroir : c'est pour eux une évidence. Le discours paysan décrit la même réalité et les mêmes objectifs que le scientifique, mais à sa manière. Ils comprennent encore moins la raison pour laquelle il faut protéger la nature, ce domaine non humanisé et qui échappe à leur pouvoir. Par ces incompréhensions, il existe une perception nette de la différence entre un développement "traditionnel" qu'on pourrait qualifier d'endogène et un développement "moderne" exogène qui, pour un objectif commun, est perçu et conçu de manière totalement différente (voir doc.19). Au-delà des discours où les villageois considèrent qu'il n'y a pas d'érosion, que leur pratique du brûlis est équilibrée, que le classement de la forêt pour la protéger les gêne, et où ils expriment leur incompréhension des politiques de protection des forêts ou des sols, se profile le fait que leur notion d'environnement n'est pas la nôtre. (D'après Bidou, J-E., 2000 et Rossi, G, 2000).

Rapporté par Nassourou S., (1999), un poème boori2, témoigne également que la littérature, orale ou écrite, constitue un support appréciable pour l'étude des représentations du milieu. Dans ce poème, Yâya Nguessek, décrit son environnement aux travers des représentations qu'il s'en fait. Il y décrit notamment les conditions climatiques et atmosphériques de Ngaoundéré : « il fait sombre et pourtant ce n'est pas la nuit » (nyibbi hiiraay), cela tenant à ce que la région a souvent un ciel nuageux. L'image la plus forte est celle du paysage de brousse, qu'il qualifie de noire (laade baleere), pour signifier son aspect désert, parfois hostile voire effrayant, parsemée de rivières, d'espaces boisés, de montagnes et de ravins; une zone répulsive où le seul berger courageux peut s'aventurer ou installer un campement. Mais à l'opposé, à travers l'activité pastorale, il décrit la brousse comme un milieu humanisé, espace utile transformé par l'homme et son bétail.

Dans leur vision de l'espace, les sociétés font la distinction entre les terres cultivées, l'espace habité (l'environnement) et les terres non exploitées représentées par la brousse perçue de manière négative (la nature). Elle est présente chez les Peuls autour de la tapade (voir doc.15 et 16), les Kabyés ou encore dans les Hautes Terres de l'Ouest où l'espace est centralisé autour de la chefferie (voir note 23).

De cette manière, on remarque que les représentations de l'environnement écologique varient en fonction de ses caractéristiques, et véhiculent des images souvent fortes ; nous en avons fait la démonstration en ce qui concerne le cas montagnard des hautes terres du terrain d'étude. Il s'avère nécessaire de remonter également aux conceptions du rapport à la nature des hommes, aux liens qu'ils tissent avec elle.

1 Notamment le projet Haute-Gambie.

2 1973 : Yâya Nguessek, est un berger peul de l'Adamaoua,. Il a vécu la plus grande partie de sa vie avec les troupeaux dans les pâturages, laade, la brousse. Sur ses vieux jours, il a rejoint la ville de Ngaoundéré

De quelle nature sont les liens avec le milieu biophysique ainsi que les cycles de ses éléments? Quel est le rôle de la religion et des croyances populaires dans les représentations du milieu ? Quelles entités, quelles divinités se représentent les hommes dans leur milieu? S'agit-il de puissances localisées sur certains points ou diffuses ? Le poids des croyances, des religions et des traditions culturelles qu'elles impliquent en Afrique (et plus particulièrement dans notre terrain d'étude montagnard), rend presque impossible de concevoir le milieu comme vide de puissances invisibles ; effectivement, la grande majorité des lieux sont présentés et abordés comme étant habités par des forces spirituelles qui leur seraient consubstantielles et antérieures à la présence humaine, auxquelles il faut ajouter l'âme des ancêtres. Ainsi le territoire ne peut être dissocié des esprits et divinités, d'où découle leur caractère sacré.

La concession, le territoire clanique, celui du village ou encore la brousse est associé à une divinité qui en a la charge. Ces représentations divinisées du milieu se retrouvent plus intensément et plus ouvertement chez les populations animistes, mais on perçoit des pratiques de maraboutage et fétichistes également chez les musulmans, de manière sous-jacente.

De ce fait, chaque acte, productif ou social, doit être minutieusement réfléchi pour ne pas avoir à subir les représailles de démons ou des esprits qui se manifestent de manière ubiquiste dans les éléments du milieu. L'espace religieux n'est pas entièrement statique, il est aussi dynamique : on ne peut pas toujours délimiter un centre religieux, car certains sont en perpétuel mouvement et varient en fonction des activités et des moments de la vie (D'après Deletage, V., 1998)

Présente dans le quotidien de chaque membre de la société, les représentations sacrées du milieu constituent un système de repères, de signes admis par tous. La dimension spirituelle de l'espace participe au fonctionnement et à l'identification d'une communauté, à son terroir et sa dimension historique ; de symboliques, les représentations du milieu peuvent devenir organiques, médiatisées par la culture et notamment les croyances religieuses.

L'exemple des Bakweri du Mont Cameroun (Morin, S., 1996) est révélateur de l'attachement que peuvent avoir les sociétés des hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale à leur milieu, notamment les montagnes. « Dépossédés de leurs terres fertiles de piémont par les Allemands puis par les Britanniques pour y installer des plantations industrielles, ils sont repoussés en altitude ». Depuis ce « choc colonial », privée d'un partie de son territoire, la société Bakweri se déstructure progressivement. Le quotidien devient plus difficile à assumer, l'exode et la prostitution se développent, la natalité s'effondre... La communauté Bakweri, spoliée et désorientée, traverse une crise qui menace la survie du groupe, « parce qu'il a perdu sa montagne, parce qu'avec son terroir on lui a volé son âme » (Courade, G, 1981).

Les croyances, les mythes, les légendes sont des représentations qui reconnaissent la nature des choses sacrées, leurs pouvoirs et leurs vertus, leurs rapports les uns avec les autres et avec les choses profanes, et ce, aux yeux de toute la société. Ainsi, lorsque les éléments du milieu se manifestent, à travers l'activité sismique et volcanique, ou encore les aléas climatiques, tous les membres de la société y perçoivent des signes, des messages des divinités qu'ils savent interpréter. Comment les sociétés réagissent aux phénomènes du milieu ? Quelle gestion en font-elles ? Il s'agit de connaître tout d'abord les origines des dynamiques du milieu. Car bien souvent, elles trouvent leur cause dans des explications sociales, comme par exemple l'érosion1.

En 1982, les Bakwéri du Mont Cameroun avaient assimilé l'éruption volcanique de la montagne à la mort du chef. Mais les interprétations peuvent être multiples : en 1922, une éruption de huit semaines détruisit 200 ha. de plantations ; pour les autochtones, la coulée de lave dévastatrice fut l'oeuvre du dieu Ebassy Moto qui contrôle la montagne, pour protester contre la présence coloniale. La plus récente fut à l'origine de nombreux dégâts, et elle représente de nouveau la protestation contre les étrangers, qui investissent aussi le site au moyen du tourisme, et qui perpétuent la plantation de cultures de rentes (huile de palme... etc.). Alors, pour apaiser la colère du Dieu, « on lui sacrifie des coqs et des chèvres ; le sang est ensuite répandu sur le sol, ainsi que du vin de palme, pour calmer la colère du dieu Ebassy Moto ))2

Au-delà du simple constat de leur interprétation, on peut souligner la capacité d'adaptation des sociétés aux phénomènes du milieu ; elles développent des stratégies spécifiques en fonction de la représentation positive (bonne saison des pluies en pays Kabyé) ou négative (sécheresse dans les Alantika).

Par exemple, une mauvaise saison des pluies, et son corollaire sur les rendements représente pour certains chefs de familles du Fouta-Djalon l'obligation de devoir pratiquer une activité parallèle, l'agriculture vivrière traditionnelle ne permettant pas de subvenir à l'autosuffisance du foyer familial en encore moins de dégager des revenus suffisants nécessaires à la dépense: « l'homme est obligé d'émigrer )) (J. Richard-Molard, 1952). La motivation première reste d'ordre économique. L'exode est un moyen de trouver des revenus monétaires extérieurs, nécessaires à la survie du groupe familial et de faire face au sous emploi dans le Fouta-Djalon.

Dans la dorsale camerounaise, « l'inquiétude de l'eau )) véhicule de nombreuses représentations sur les phénomènes pluviométriques, et différents rites et cérémonies s'établissent en fonction des aléas. Sur les Hautes Terres de l'Ouest, si les semailles tardent à venir, les femmes organisent des deuils aux grands carrefours de la chefferie, où elles se lamentent et implorent les dieux de la pluie

1 « Nos visions de l'érosion sont influencées par nos constructions sociales et mentales. Elles occultent souvent la multiplicité des cas de figure et des variantes. )) (Rossi, G., 1997)

2 Jonathan Kongo Mbappé (notable de Buéa)

1 Ce que de nombreux auteurs appellent les ethnoconnaissances.

auxquelles sont offerts des sacrifices et des offrandes ; ce sont les cérémonies des « pleurs de la pluie » (Lelaa mbeng). Dans ce cas, les Fon, grands prêtres (faiseurs de pluie) et maîtres de la société du culte des eaux et des rites agraires interviennent pour régler les saisons. (Morin, S., 1996)

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