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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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2. Le procès d'Abdoulaye Wade et ses conséquences :

L'arrestation d'Abdoulaye Wade ne fait pas les gros titres des médias d'Etat, Le Soleil annonçant la nouvelle par l'intermédiaire d'un petit encadré 8. Pourtant, cet événement entraîne la formation d'une large coalition de l'opposition appelée "les 11". Après sa libération

le 2 mars 1988, Abdoulaye Bathily coordonne ce front de résistance et tient le 5 mars une plate-forme "des 11" à Thiès, devenue quelques jours auparavant la ville-symbole de la

"résistance" face à Abdou Diouf. Les partis formulent à cette occasion plusieurs exigences 9 :

- La libération d'Abdoulaye Wade, d'Amath Dansokho et des autres compagnons de lutte

- La levée de l'état d'urgence et du couvre feu à Dakar

- L'organisation de nouvelles élections

- Le respect des libertés et des droits de l'opposition

- La réouverture des établissements scolaires et universitaires

- La prise en compte des volontés de la jeunesse

- La diminution immédiate des prix des produits de première nécessité

Face à ces revendications, Abdou Diouf reste inflexible. Lors d'une conférence de presse en avril 1988, il maintient que les élections ont été "claires et transparentes" 10 et qu'ainsi, sa

reconduction à la tête de l'Etat ne souffre d'aucune contestation possible. Concernant l'arrestation d'Abdoulaye Wade, Diouf se défend maladroitement. Bien qu'il clame qu'il ne

peut rien faire pour son principal opposant, s'abritant derrière la sacro-sainte séparation des pouvoirs, le chef de l'Etat emploie le pronom personnel "je" en évoquant l'interpellation du leader libéral 11.

L'implication tacite du Président de la République dans l'arrestation de Wade accroît la tension dans le pays. L'armée sénégalaise, "la grande muette", songe à intervenir pour mettre

fin à ce climat délétère et violent 12, qui connaît une recrudescence à l'approche du jugement. Les sopistes redescendent dans les rues dakaroises, les attentats à la voiture piégée fleurissent,

les manifestations dégénèrent dans tout le pays etc.

Le procès débute le 25 avril 1988. Les prévenus - Abdoulaye Wade, Ousmane Ngom,

Boubacar Sall et Abdoulaye Fall, qui ont demandé en vain le statut de prisonnier politique 13 - se présentent devant la Cour de sûreté de l'Etat "accompagnés" de... 38 avocats, certains

7 Francis Kpatindé, "Deux partis sur six sont représentés", Jeune Afrique, n° 1420, 23 mars 1988.

8 "Me Wade interpellé", Le Soleil, 2 mars 1988.

9 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société, pp.217, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.

10 Abdou Diouf rajoute : " une illustration que les élections se sont passées très régulièrement (...) nous avons perdu à Bignona". "Abdou Diouf face à la presse", Le Soleil, avril 1988.

11 "Pensez bien que cela n'a pas été de gaieté de coeur que j'ai fait arrêter Abdoulaye Wade". "Abdou Diouf face à la presse", Le Soleil, avril 1988.

12 A ce sujet, voir Le soleil du 20 avril et 19 mai 1989, Jeune Afrique du 3 mai 1989, Lettre du continent du 30 mars et 8 juin 1989 et Le Monde du 22 avril 1989.

13 "Me Wade et ses codétenus demandent le régime politique ", Le Soleil, 15 mars 1988.

rétribués depuis Paris. Au cours des débats, les accrochages sont nombreux. Les avocats de la défense se plaignent de ne pas avoir à leur disposition toutes les pièces du dossier et critiquent les manigances socialistes. La défense démontre notamment que le maire de Dakar, le socialiste Mamadou Diop, a fait acheminer le premier jour du procès des centaines de militants socialistes dans les travées de la salle du tribunal pour "perturber" les débats 14.

Durant ce procès, Abdoulaye Wade obtient un soutien de poids avec l'intervention comme témoin de Mamadou Dia, l'incarnation du prisonnier politique au Sénégal. Au cours de son témoignage, il prononce des paroles extrêmement sévères à l'encontre du pouvoir, responsable selon lui des troubles post-électoraux : "il ne faut pas vous laisser abuser, M. le Président. Un code électoral qui légalise la fraude est un code de désordre" 15.

Nonobstant cet avertissement, la justice sénégalaise montre d'inquiétants signes de laxisme, ce qui exaspèrent les avocats de Wade. Par exemple, le témoignage du directeur de la police judiciaire, Diaraf Farba Raye, très fortement soupçonné par la défense d'avoir encouragé la création de faux procès verbaux pour justifier la "prise en flagrant délit", est tout simplement annulé par le président de la cour. Les 38 avocats, jugeant la cour trop partisane, se retirent alors symboliquement. Dans une salle laissée vide par la défense, le commissaire du gouvernement requiert alors... cinq ans de prison à l'encontre d'Abdoulaye Wade, Ousmane Ngom et Boubacar Sall. Finalement, la cour rend son verdict le 11 mai 1988. La justice choisit la voie de l'apaisement. Wade n'obtient "que" un an avec sursis, tandis qu'Ousmane Ngom et Abdoulaye Faye sont acquittés. Seul Boubacar Sall, pour son "implication" dans les évènements de Thiès du 26 février 1988, est condamné à deux ans de prison ferme 16.

En dépit de la condamnation de Sall, ce verdict est perçu par les contemporains comme relativement "clément". Il suit la logique de l'appel à la réconciliation lancé par Abdou Diouf le 1 er mai 1988, jour de la Korité. La date de cet appel n'est pas le fruit du hasard, puisque la Korité - Aïd el Fitr pour les Arabes - représente le dernier jour du ramadan au Sénégal et marque pour les Musulmans un temps de pardon. Dans ce discours radiotélédiffiusé, Abdou Diouf aborde plusieurs thèmes.

Tout d'abord, il annonce des baisses sur le prix du sucre (12 %), de l'huile d'arachide (24 %) et du riz (18,25 %) 17. La baisse la plus appréciée est celle du riz, étant l'aliment le plus consommé - et importé - au Sénégal. Le Président reprend ainsi une des promesses de campagne d'Abdoulaye Wade - qui garantissait lui une baisse de 50 % - avec pour objectif d'adoucir le climat social. Il essaie de cette façon de satisfaire à la fois les citadins, une baisse du prix du riz engendrant une augmentation du pouvoir d'achat, et les ruraux, qui voient le maintien de débouchés pour leurs produits locaux (mil et sorgho notamment) 18 . Cette baisse a néanmoins des conséquences pour les producteurs d'arachide, puisque l'Etat, pour compenser les pertes financières dues au riz, renonce à leur verser un prix très supérieur au cours mondial. Le kilo d'arachide passe donc après mai 1988 de 70 à 90 FCFA, "ce qui montre que les groupes de populations les plus vulnérables sont ceux qui ne sont pas organisés, et qui ne disposent pas de groupes de pression spécifiques pour défendre leurs intérêts" 19.

14 "Le calcul d'Abdou Diouf", Jeune Afrique, n°1427, 11 mai 1988.

15 Idem.

16 Jean De la Guérivière,"Un an de prison avec sursis pour M. Wade", Le Monde, 12 mai 1988.

17 Maktar Diouf, "La crise de l'ajustement", pp.77, PoA 45, mars 1992.

18 Jean De la Guérivière, "Après des réquisitions maximales contre Me Wade, tension persistante à Dakar", Le Monde, 5 mai 1988.

19 Maktar Diouf, "La crise de l'ajustement", pp.77, PoA 45, mars 1992.

Le chef de l'Etat s'adresse aussi à la jeunesse, principale force de résistance à Diouf durant la campagne électorale. Il promet dans son message de placer l'emploi au premier rang de ses priorités. Sur le plan politique, Abdou Diouf souligne sa volonté de ne pas reconduire l'état d'urgence au-delà du 17 mai 1988 et déclare que le "chef de l'opposition parlementaire (...) à son mot à dire sur les problèmes économiques, ainsi que sur la consolidation démocratique". Il rajoute ensuite : "j 'aime le Sénégal, Wade aussi (...) je l'invite personnellement à s 'asseoir avec moi pour discuter des moyens d'aider notre pays" 20 . Dans le prolongement de "cet appel de la Korité", Diouf fait voter une loi pour amnistier Abdoulaye Wade et Boubacar Sall.

Cette déclaration de paix s'apparente à une victoire politique dioufiste. En effet, en acceptant cette main tendue, Abdoulaye Wade reconnaît de fait sa condamnation en justice ainsi que l'autorité et la clémence présidentielle 21 . Diouf peut être donc présenté par la propagande étatique comme un homme bon et juste, capable de pardonner. Il adopte à présent une attitude mesurée et paternaliste, bien éloignée de ses propos de fin de campagne. C'est pourquoi il déclare en wolof à la fin de son intervention du 1 er mai 1988, en retirant ses lunettes et en regardant le peuple "droit dans les yeux" :

"depuis que je suis Président de la République, je me considère comme le Père de la Nation, que ce soit vis-à-vis de mes aînés que vis-à-vis de mes cadets" 22.

Suite à ce discours, les événements s'enchaînent. Le 11 mai 1988, Abdoulaye Wade sort de prison après 72 jours de détention. Il joue immédiatement la carte de l'apaisement. Il demande aux lycéens de reprendre les cours et aux gens massés devant la permanence PDS de Dakar de regagner leur domicile dans le calme. Le Président de la République lui propose alors une entrevue au palais présidentiel. Elle a lieu le 26 mai 1988, en présence d'Ousmane Ngom et... Jean Collin. L'ambiance est tendue, les sourires sont de circonstance 23 . Contrairement à la rencontre du 17 mars 1987, qui avait duré à peine 20 minutes, celle-ci se prolonge pendant plus de deux heures. A la fin de l'entretien, des commissions sont crées pour se pencher sur les difficultés économiques et sociales du Sénégal. Abdou Diouf et Abdoulaye Wade s'entendent pour que toutes les conclusions tirées par les commissions soient traitées autour d'une table ronde. Elle doit rassembler le PS, le PDS et tous les autres partis désirant se joindre à eux.

La mise en place de ces "états généraux" déplaisent fortement à une grande partie de l'opposition, car en acceptant la proposition du duo Diouf-Wade, elle reconnaît implicitement la légitimité du scrutin de 1988 et la bipolarisation effective de la vie politique sénégalaise. Sur les seize formations d'opposition, seule la moitié accepte finalement de participer à la table ronde. "Les huit partis hostiles ont réclamé pour y participer la démission du chef de l'Etat, la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation de nouvelles élections" 24 . Or, le Président est prêt à discuter de tous les problèmes politiques du pays, mais refuse de remettre en cause la légitimité de sa victoire, car pour lui, "il n'y a pas de contentieux électoral (...) les élections sont derrière nous" 25.

20 Jean De la Guérivière, "Après la levée de l'état d'urgence : MM. Diouf et Wade se disent prêts à dialoguer", Le Monde, 19 mai 1988.

21 Jean De la Guérivière, "Après la levée de l'état d'urgence : MM. Diouf et Wade se disent prêts à dialoguer", Le Monde, 19 mai 1988.

22 "Le calcul d'Abdou Diouf", Jeune Afrique, n°1427, 11 mai 1988.

23 Francis Kpatindé, "Rien ne sera plus comme avant", Jeune Afrique, n° 1432, 15 juin 1988 et "Table ronde nationale dans 15 jours", Le soleil, 27 mai 1988

24 Jean de la Guérivière, "Prochaine table ronde entre le gouvernement et l'opposition", Le Monde, 29 juin 1988.

25 Jean de la Guérivière, "Prochaine table ronde entre le gouvernement et l'opposition", Le Monde, 29 juin 1988.

Pendant des semaines, la table ronde est sans cesse repoussée, l'opposition étant incapable

d'élaborer une stratégie commune. Le Président de la République profite de ces errements pour rappeler à la scène internationale sa politique "de main tendue" pratiquée depuis 1981,

cherchant à améliorer une image fortement détériorée depuis le mois de février :

"je ne cesse de prêcher dans le désert depuis 1981, je ne cesse de me répéter. A la faveur d'une crise, j'ai dit : "vous voyez, j'avais raison de vous le dire. Parce que nous venons d'avoir une campagne délirante, dévastatrice, et si nous avions été habitués au dialogue démocratique, à la pratique du consensus, nous n 'en serions pas là. Donc revenons à ce que je vous avais proposé". Et j'ai retendu la main. Mais je ne fais que cela..." 26.

La table ronde débute finalement le 4 juillet 1988. On compte neuf partis présents : le PS, le

PDS, le PIT, la LD/MPT, l'UDS/R, le PAIM, le MSRS, le PDS-R et le RND. Alors que les sujets devaient être divers et variés, les discussions portent presque exclusivement sur le

domaine politique. L'opposition exige une réforme du code électoral et un meilleur accès aux médias d'Etat, alors que le PS prêche... le statut quo. Le PDS, le PIT et la LD/MPT constatent

rapidement que les socialistes désirent "continuer à faire systématiquement obstruction sur tous les points importants, notamment sur l'organisation et le contrôle des élections". Ils

quittent la table ronde le 19 juillet 1988, soit cinq jours après le parti de Puritain Fall, l'UDS/R. Reconnaissant l'échec de la table ronde, Abdou Diouf s'engage néanmoins à entamer

de profondes modifications du code électoral, via "une charte de la démocratie élaborée avec des partis politiques et la société civile" 27.

Abdoulaye Wade sort affaibli de cette tentative de rapprochement avec le Président. Désireux

de mettre fin à l'agitation sociale, il avait également pour objectif de se voir confier d'importantes responsabilités par Abdou Diouf. Les tractations ont été nombreuses entre le mois de mai et juillet 1988, mais aucune d'entre elles n'a été concluante 28 . De plus, en

affichant sa volonté d'incorporer la sphère gouvernementale, Wade s'est coupé des partis marxistes - tels que le PIT ou la LD/MPT - qui l'avaient soutenu lors de son emprisonnement.

C'est pourquoi dès la rupture officielle de la table ronde en octobre 1988, Wade redevient "un opposant de la première heure", qui n'hésite à déclarer à propos de Diouf : "je lui ai proposé de se retirer de façon élégante, mais il n 'a pas su comprendre" 29 . Il tente ainsi de remobiliser

le front anti-socialiste disloqué depuis l'appel de la Korité. Mais le leader libéral a perdu un

temps précieux qui profite au chef de l'Etat. En démobilisant "les 11", Abdou Diouf s'est offert un répit. Il se concentre alors sur les maux du parti qu'il dirige, très affecté par son

affaiblissement électoral de 1988.

26 "Abdou Diouf au club de la presse de RFI", Le Soleil, 28 juin 1988.

27 Jean de la Guérivière,"Rupture de la table ronde avec l'opposition", Le Monde, 6 octobre 1988.

28 Abdou Diouf donne un aperçu d'une de ces tractations : "Dans les semaines qui ont suivi la crise de 1988, il y a beaucoup eu d'allers et venues, beaucoup de personnes se sont mêlées de tout, vous savez au Sénégal il y a touj ours des bonnes volontés, des intermédiaires intéressés. (...) Il y a quelqu'un qui m'a dit un jour, le Président Wade vous demande de créer un Sénat et de lui en donner la présidence (...) comme en France, il aura vocation à assurer le pouvoir si vous démissionnez. J'ai dit à l'intermédiaire : je peux l'accepter, si c'est pour ramener la paix dans mon pays (...) vous lui direz d'accord. La personne va et revient et me dit : "maintenant que vous avez accepté ça, quand est-ce que vous partez ? Quand est-ce que vous démissionnez pour qu'il puisse devenir Président ? Alors j'ai dit : "je crois qu'il y a maldonne". Ce n'est pas Wade qui me l'a dit mais ce sont des gens qui sont venus me dire ça. Ca s'est arrêté là". Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.

29 Francis Kpatindé, "Abdoulaye Wade : Diouf doit partir", Jeune Afrique, n° 1452, 2 novembre 1988.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein