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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3. Le PS, un parti à reconstruire :

En dépit de ses 71% obtenus aux législatives, le PS est groggy. Les nets reculs constatés en Casamance mais surtout dans la région dakaroise inquiètent les dirigeants du parti gouvernemental. Comme en 1983, le PS se cherche des coupables. Les premiers désignés sont les ministres de la société civile du précédent gouvernement : Mamadou Touré, Cheikh Kane et Iba der Thiam. L'ancien ministre de l'Education Nationale et de l'Enseignement est particulièrement visé, en raison de son implication dans le comité de soutien Abdoo nu dooy, qui a court-circuité tout au long de la précampagne les initiatives socialistes. Les critiques les plus virulentes proviennent du GER. Le groupe de recherche pointe du doigt l'incapacité dont à fait preuve Abdoo nu dooy, et les autres comités du soutien, pour fédérer la population sénégalaise autour du projet dioufiste. Ceci s'est manifesté pour le GER par "un discours resté trop classique (...) qui renforce l'image d'un PS vieux parti, alors qu'en face l'opposition montre un nouveau visage, qui fait preuve de sang neuf" 30. Le GER appelle la formation gouvernementale à opter pour "une nouvelle voie", via des changements d'hommes, dans le but de mettre fin au clientélisme et au conservatisme idéologique. Le GER souhaite ainsi prendre la tête de la "Rénovation" 31.

Abdou Diouf parait accorder sa confiance aux "jeunes loups". Durant le congrès extraordinaire socialiste du 30 juillet 1988, il insiste sur les changements qui doivent être menés par l'ensemble des dirigeants socialistes : "il nous faut accorder une attention particulière à la communication pour convaincre de la justesse de nos options (...) il faut un langage de vérité vers les masses et répudier les communiqués pour le dialogue" 32.

Profitant de ce "souffle nouveau", certains cadres PS remettent en cause la prédominance de Jean Collin. Daouda Sow, président de l'Assemblée nationale et tête de liste PS aux législatives de 1988, suggère une réforme du bureau politique. Il propose le rétablissement d'une hiérarchie au sein du parti, afin que le secrétaire chargé de la vie politique - généralement le président du Parlement sénégalais - redevienne le numéro deux officiel et reprenne en main les débats au sein du bureau politique. La fonction de Jean Collin - secrétaire national chargé des règlements des conflits - serait alors éclatée en... 15 corps, tous coordonnés par le secrétaire général chargé de la vie politique, via une commission de contrôle du parti 33. Abdou Diouf offre alors des garantis à Daouda Sow pour mener à bien son projet. En donnant son approbation, le chef de l'Etat tente de reprendre les rênes d'un parti qu'il a laissé depuis 1984 à son fidèle ministre d'Etat. Pour confirmer sa volonté de reprise en main, il affirme lors du congrès extraordinaire PS être le seul chef du parti : "ce que le secrétaire général proclame haut et fort (...) doit être respecté" 34.

Face à la constitution d'un front anti-Collin, plus ou moins toléré - voire appuyé - par le Président de la République, Jean Collin réagit et se rapproche des ambitieux membres du GER. Ces derniers, en manque de réseaux et de clientèles, ont tout intérêt à s'allier avec l'influent secrétaire général de la présidence de la République. Un pacte est conclu entre les

30 Albert Bourgi, "Diouf et Wade peuvent s'entendre mais... ", Jeune Afrique, n° 1437, 20 juillet 1988.

31 Le terme de "Rénovation", déjà employé en 1976 lors du Congrès qui installe les pro-dioufistes au sein de l'UPS/PS, est utilisé par le parti pour annoncer non pas des changements idéologiques majeurs, comme l'affirme la propagande étatique, mais des changements ou des confirmations de monopole de direction assuré par un groupe de personnes au dépend d'un autre.

32 "Congrès extraordinaire du PS", Le Soleil, 1er août 88.

33 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société, pp.375, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.

34 "Congrès extraordinaire du PS", Le Soleil, 1er août 88.

deux partis pour s'assurer le contrôle du bureau politique PS, au profit des "conservateurs", menés par Daouda Sow.

Jean Collin profite de ses nombreux soutiens à l'Assemblée nationale pour déstabiliser le deuxième personnage de l'Etat. Une soixantaine de députés accuse Sow à partir de novembre 1988 de "mal gérer" les fonds spéciaux du Parlement et de préparer un coup de force au sein du bureau politique. La tension est si forte entre les deux camps que la vie parlementaire sénégalaise est bloquée durant un mois. La lutte est indécise et personne n'ose véritablement prendre position au sein "des non-alignés", de peur d'en subir les conséquences en cas de mauvais choix. C'est ainsi qu'on explique le silence observé par Le Soleil, qui évoque pour la première fois la crise parlementaire le... 11 décembre 1988, soit cinq jours après la démission de Daouda Sow 35.

Le Président de l'Assemblée nationale n'a donc pas résisté à l'action menée par les proches de Jean Collin. En ayant tenté de s'opposer au puissant ministre d'Etat, Daouda Sow a été victime du "syndrome Habib Thiam". Tête de liste aux législatives, deuxième personnage de l'Etat, proche du Président de la République, il n'a cependant pas pu empêcher le ralliement massif des parlementaires à Jean Collin. Après une rencontre avec Abdou Diouf le 6 décembre 1988, Sow démissionne du perchoir de l'Assemblée nationale, mais contrairement à Thiam en 1984, il conserve son mandat de député. Pour le remplacer, Jean Collin choisit un allié fidèle, inconnu du grand publique : Abdoul Aziz Ndaw 36 . Député-maire de Mekhe, présenté comme un socialiste de la première heure, il est élu par 86 députés le 10 décembre 1988. Sur les députés présents ce jour là, seul... Daouda Sow ne vote pas en sa faveur. Les députés PDS, agacés par cette guerre interne, quittent l'hémicycle avant le vote en déclarant par l'intermédiaire de Boubacar Sall : "nous ne sommes pas à la maison du PS" 37.

Jean Collin retrouve de ce fait sa prédominance. Absent du bureau politique depuis avril 1988, le ministre d'Etat le réintègre suite au départ de Sow. Il favorise l'intégration du GER et prend la tête du bureau exécutif chargé de préparer le Congrès extraordinaire PS dit de "rénovation". Pour mettre fin "aux luttes de clan (...) qui entraînent des blocages néfastes au détriment de la cohésion du parti" 38 , Abdou Diouf a en effet dissout le comité central. Jean Collin est par conséquent seul aux commandes du PS. Parmi les dix autres membres du bureau exécutif, on retrouve des "rénovateurs", tels que Moustapha Kasse, Khalilou Fall, Madia Diop ou Babacar Sine. D'une manière générale, les dix sont tous très étroitement liés au secrétaire général de la présidence.

Pour favoriser le dialogue et "la rénovation", les innovations socialistes prolifèrent. La première université d'été du PS se tient en septembre 1989, le GER multiplie les antennes régionales, Abdou Diouf se penche sur les réformes du code électoral. Le PS change et désire le montrer. Toutefois, Jean Collin pose problème. Dans les rangs socialistes, on ne s'embarrasse plus d'aucune politesse :

35 "Un nouveau Président aujourd'hui", Le Soleil, 11 décembre 1988.

36 Au contraire, Daouda Sow a un passé politique conséquent. Député depuis 1963, il a été ministre de la Santé (1970-1973), ministre de l'Information, des Télécommunications et des Relations avec les Assemblées (1973- 1980) et ministre des Forces Armées (1981-1983). "Un nouveau Président aujourd'hui", Le Soleil, 11 décembre 1988.

37 "Abdoul Aziz Ndaw installé", Le Soleil 12 décembre 1988.

38 "Contribution préliminaire du camarade Abdou Diouf" , Le Soleil, 16 février 1989.

"si le Président se sépare de Jean Collin, il réglera 50% des problèmes. Il est devenu trop impopulaire. Même les ministres font semblant de s'écraser, mais on ne l'aime pas. Il a tout accaparé" 39.

Nombreux sont ceux qui conseillent à Abdou Diouf de mettre fin à sa collaboration avec son éminence grise. En plus d'être peu aimé, Collin incarne à lui seul l'image d'un PS manipulateur et frauduleux dont Abdou Diouf tente désespérément de se dissocier.

Au début du mois de mars 1990, rien ne laisse présager "la révolution" qui est en cours de préparation. Jean Collin préside l'assemblée générale du GER. Il est à cette occasion très bien entouré, puisque toutes les "étoiles montantes du parti" - Djibo Kâ, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Kâ - s'arrangent pour figurer en photo à ses cotés 40. La lecture du Soleil montre que le quotidien relate toujours avec autant de frénésie ses apparitions, ses discours, ses prises de positions et le soutien de ses "amis". Son comité de soutien - "les amis de Jean Collin" - inonde en effet les pages du journal gouvernemental. Une semaine avant la retraite forcée du ministre d'Etat, le comité prône encore l'unité autour de Collin 41.

Ces faits montrent que le sort du secrétaire général à la présidence est scellé dans le plus grand secret. Les réseaux sénégalais et les connexions avec la France dont dispose Jean Collin inquiètent l'entourage présidentiel. Abdou Diouf prend toutes les dispositions nécessaires pour permettre une "transition" en douceur. Il s'assure notamment auprès de Medoune Fall, ministre des Forces Armées, que Jean Collin ne puisse avoir aucun moyen de riposte après "sa mise en congés". Selon les contemporains, Jean Collin est à l'annonce de son renvoi médusé par la "traîtrise" d'Abdou Diouf 42 . Il quitte ses fonctions le 27 mars 1990, avant d'être "remercié" du PS en avril de la même année.

Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer la chute brutale de Jean Collin. Certains écrits laissent entendre qu'il était un frein à l'ouverture du gouvernement à l'opposition. Si cette affirmation peut être considérée comme exacte, on constate néanmoins qu'après mars 1990, Abdou Diouf ne fait pas appel dans un premier temps au PDS. Il déclare même dans une conférence de presse en mai 1990 qu'il ne songe pas à une réinstauration de la Primature 43. Le Président souligne au cours de la même période sa volonté de voir une majorité qui gouverne et une opposition qui s'oppose. On pense par conséquent que le revirement constaté avec l'entrée du PDS dans le gouvernement en avril 1991 n'est pas dû principalement au limogeage de l'ancien ministre d'Etat mais plutôt au camouflet que connaît Diouf lors des municipales de 1990.

De ce fait, d'autres facteurs sont pris en compte pour comprendre la destitution de Collin. On sait tout d'abord que le "toubab de la négritude" 44 est un homme malade, qui se rend régulièrement en France depuis le milieu des années 1980 pour se soigner. Outre sa santé déclinante, Jean Collin est depuis son passage temporaire au ministère de l'Intérieur, une cible presque quotidienne de l'opposition. Déjà malmené depuis 1984, le ministre d'Etat est accusé

39 Sennen Andriamirado, "Petite fraude et combat des chefs", Jeune Afrique, n° 1455, 23 novembre 1988.

40 Voir la photo de l'article "Le GER en Assemblée générale", Le Soleil, 5 mars 1990.

41 "Les amis de Jean Collin prêchent l'unité ", Le Soleil 20 mars 1990.

42 "Et puis un jour, il (Jean Collin) commit l'erreur de présenter, une nouvelle fois, sa démission. Abdou avança alors, et le mit "échec et mat" avec une telle rapidité et une telle maîtrise que certains en furent comme foudroyés (...) le ministère de l'Intérieur avait pris toutes ses responsabilités. Une page de l'histoire du Sénégal venait d'être tournée". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.101, Paris, Rocher, 2001.

43 "Abdou Diouf face à la presse des Etats-Unis : Pas de Premier ministre", Le Soleil, 18 mai 1990.

44 Jean de la Guérivière, "Jean Collin, le toubab de la négritude", Le Monde, 7 avril 1988.

après 1987 d'être le principal responsable des maux qui touchent le pays (fraudes électorales, durcissement du régime, relations tendues avec l'opposition, corruption généralisée etc). Cette situation, si elle est pénible pour Collin, décharge Diouf d'un poids, lui qui est sur les devants de la scène politique intérieure en permanence depuis la suppression de la Primature. Mais les cabales à répétition nuisent à la bonne marche de l'Etat et altèrent l'image d'homme droit et intègre dont a bénéficié Collin autrefois. Les violences urbaines de 1988, ajoutées à la crise mauritanienne de 1989, font donc de Jean Collin un bouc émissaire idéal. L'homme qui "fascinait parce qu 'il ne disait rien, mais qui pour la plupart des Sénégalais, pouvait tout et faisait tout", qui a fait Abdou Diouf... est donc défait par sa création. Le mentor est devenu fusible 45.

Après des "remerciements polis" de la part d'Abdou Diouf, qui salue le travail effectué par son ancien bras droit, Jean Collin quitte la scène politique sénégalaise. Son nom ne réapparaît dans les médias officiels qu'après l'annonce de sa mort, en octobre 1993. L'ancien ministre d'Etat est alors enterré dans le village natal de sa seconde femme, à Ndaffate. Si le conseil des ministres ne lui rend pas un hommage officiel, Abdou Diouf et Habib Thiam - redevenu Premier ministre - l'accompagnent discrètement jusqu'à sa dernière demeure, sans faire de déclarations. La grande couverture des funérailles par le Soleil et les titres élogieux qui accompagnent les articles - Digne fils du Sénégal ; Grand commis de l'Etat ; Un sens aigu de l'Etat ; Collin, venu en colon, colonisé par l'africain et adopté par le Sénégal 46 - traduisent cependant l'énorme influence qui a été celle de Jean Collin durant presque trois décennies au Sénégal.

Une page se tourne donc avec la chute du secrétaire général de la présidence. On croit alors que cette destitution "provoque une importante restructuration au sein de la direction politique et administrative de l'Etat" 47. Si elle est exacte au sein du PS - comme le désirait Daouda Sow en 1988, le secrétaire national chargé de la vie politique reprend la direction du bureau politique - il n'en va pas de même pour ce qui est du gouvernement. En effet, on constate lors du remaniement ministériel du 27 mars 1990 l'apparition d'Ousmane Tanor Dieng, qui se voit octroyé la fonction de... ministre-directeur de cabinet. Même si André Sonko succède officiellement à Collin au poste de "ministre, secrétaire général de la présidence de la République", c'est bel et bien Ousmane Tanor Dieng qui, petit à petit et en toute discrétion, reprend à son compte les dossiers auparavant confiés au toubab de la négritude.

Néanmoins, cette "substitution" est à peine relevée par les contemporains, qui préfèrent insister sur le départ de Collin et sur la création de cinq "super-ministères" 48 . Les vedettes de ce remaniement sont Moussa Touré, ministre de l'Economie et des Finances ; Djibo Kâ, ministre de l'Education Nationale ; Robert Sagna, ministre de l'Equipement, des Transports et du Logement ; Assane Diop, ministre de la Santé et de l'Action Sociale et Moustapha Kâ, ministre de la Culture et de la Communication.

Ces changements sonnent le glas de l'influence des "rénovateurs" sur la vie politique sénégalaise. Ces derniers, légions au bureau exécutif du PS, n'ont pas un seul représentant au gouvernement. Quant au GER, qui milite depuis 1988 pour une entrée massive de ses cadres

45 Jacques Foccart écrit à propos : "A-t-il été le mentor de Diouf comme on l'a dit, ou surtout son fusible ? Sans doute un peu des deux". Jacques Foccart, Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, tome 2, pp.292, Paris, Fayard, 1997.

46 Voir Le Soleil du 19, 20, 24 et 25 octobre 1993.

47 M-C. Diop, M. Diouf et A. Diaw, "Le baobab a été déraciné : L 'alternance au Sénégal", PoA 78, juin 2000.

48 "Fenêtre sur quatre super-ministères", Le Soleil, 30 mars 1990.

dans l'équipe ministérielle, ne voit incorporer que ses membres les plus proches du Président, à savoir Moustapha Kâ, ancien directeur de cabinet du Président (1981-1988), et Jacques Baudin.

Avec ce gouvernement très "dioufiste", le secrétaire général du PS a les moyens de "nettoyer" les instances dirigeantes socialistes. La composition du bureau exécutif provisoire, largement favorable à Jean Collin, est devenue caduque depuis le départ de ce dernier. Les intellectuels du GER, sans base ni réseaux, ne réussissent pas à s'imposer lors des renouvellements dans les unions départementales PS.

En 1990, l'élection des dirigeants locaux socialistes se veut plus démocratique que les précédentes. Selon les désirs d'Abdou Diouf, les compositions des instances de bases doivent refléter la volonté des militants. Les enjeux de ces renouvellements sont cependant très importants, les personnes en lice ayant la possibilité de se constituer une clientèle et d'accéder aux ressources sociales et économiques du pays 49. Les débats sont donc houleux, heurtés et parfois violents. Plusieurs rappels à l'ordre sont formulés par le bureau politique pendant cette période, donc celui-ci, daté de juin 1990 : "le bureau exécutif a tenu à condamner les violences constatées dans certaines coordinations comme la septième de Dakar et a demandé que toute la clarification leur soit fait sur les auteurs et les commanditaires" 50.

Les blindages et blocages étant nombreux, l'élection des unions régionales PS prend plusieurs mois de retard. C'est en juin - juillet 1990 qu'on obtient finalement le nom des présidents généraux d'union régionale PS 51 :

- Dakar : Lamine Diack

- Diourbel : Jacques Baudin

- Fatick : Moustapha Kâ

- Kaolack : Abdoulaye Diack

- Kolda : Amath Cissé

- Louga : Abdourahmane Sow

- St-Louis : Cheikh Amidou Kane

- Tamba : Cheikh Cissokho

- Thiès : Abdoul Aziz Ndaw

- Ziguinchor : Landing Sane

On s'aperçoit que les hommes élus sont d'actuels ou d'anciens ministres. Si tel n'est pas le cas, on leur reconnaît un solide passé de militant. Pour être désigné, certains ont du faire campagne contre des hommes politiques influents. C'est le cas à Dakar pour Lamine Diack, opposé Mamadou Diop ou à Ziguinchor pour Landing Sané, opposé à Robert Sagna. Dans un tel contexte, les rénovateurs, fraîchement apparus dans le paysage socialiste et sans véritable base, n'ont pas fait le poids.

En s'appuyant sur ces nouveaux présidents d'union régionale, Abdou Diouf essaie de rassembler la famille socialiste pour mettre fin aux clivages récurrents depuis sa prise de fonction en 1981. Abdou Diouf choisit donc les membres du bureau politique, plaçant des hommes de confiance et d'expérience. Les rénovateurs sont ainsi les grands perdants du congrès socialiste de 1990, puisque la grande majorité d'entre eux sont invités à rejoindre... les centaines de membres du comité central. Les plus "chanceux" accèdent à des postes de second rang. Le cas de Babacar Sine est exemplaire. Considéré à la fin des années 1980 comme l'un

49 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ? Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.

50 "Préparation minutieuse du congrès", Le Soleil, 1er juillet 1990.

51 "Les secrétaires généraux des unions régionales", Le Soleil, 24 juillet 1990.

des principaux idéologues du GER, il fait parti du prestigieux bureau exécutif provisoire de 1989. Toutefois, avec le départ de Collin, il perd son principal promoteur. En 1990, Sine ne figure plus qu'en... 26ème position dans le bureau politique PS, avec la fonction peu glorieuse "d'adjoint du secrétaire national chargé des questions scolaires et universitaires" 52.

En favorisant des dirigeants nommés par les militants - les dix présidents d'union régionale siègent au bureau politique - Abdou Diouf lance un message fort à la base. Il clame que le PS s'est démocratisé et a compris ses erreurs passées. Devant un tel discours, il est étonnant de noter que le secrétaire général du PS est reconduit... par acclamation, et non pas par la voie démocratique. De plus, si Abdou Diouf donne à la base le pouvoir d'élire ses représentants au congrès, les membres du bureau politique sont choisis uniquement par Diouf. La hiérarchie étant une nouvelle fois supprimée - elle avait été rétablie lors de la constitution du bureau exécutif de 1989 - le secrétaire général retrouve une toute puissance au sein de son parti qu'il avait délaissé depuis 1984.

Cependant, Diouf délègue au numéro deux officieux du PS - Abdoul Aziz Ndaw, secrétaire national chargé de la vie politique - la présidence du bureau politique. Il s'appuie aussi sur des personnes en qui il fait totalement confiance. On pense à Djibo Kâ, secrétaire national chargé des élections, Ousmane Tanor Dieng, secrétaire national chargé des relations internationales et Moustapha Kâ secrétaire nationale chargé de la formation permanente. D'autres fidèles d'Abdou Diouf composent ce bureau politique : André Sonko, Lamine Diack, Jacques Baudin, Abdoul Khadre Cissokho, Landing Sané, Robert Sagna, Cheikh Amidou Kane etc. 53

En s'entourant d'hommes dévoués, Abdou Diouf s'offre un soutien sans faille dans son entreprise de "démocratisation", qui doit être couronnée par la réussite des élections municipales de 1990. Mais prenant conscience du risque d'assister à la constitution d'un front hostile au sein du comité central, Diouf appelle les "barons" à former "un corps de contrôleurs composé d'hommes détachés des affaires politiques de la base" 54. Les compagnons de Senghor, présentés jadis comme corrompus et anti-dioufistes, sont à présent loués pour leur sagesse et leur... déontologie. Ce retour au passé n'est pas une première pour Abdou Diouf, puisqu'en 1988, face à l'agitation grandissante de la jeunesse, il n'a pas hésité à rendre hommage plusieurs fois à Léopold Sédar Senghor.

Ce changement d'attitude n'est pas désintéressé. A une période où le PS fait face à une impopularité croissante, les années senghoriennes ne sont plus assimilées à un temps où régnait le monopartisme mais à une période heureuse, faite de providence, de plein emploi et de bien-être. Abdou Diouf juge donc que le parti gouvernemental n'a plus aucun intérêt à renier ce passé. Au contraire, il doit l'entretenir et le louer. C'est pourquoi après 1990, les "barons" deviennent... "les sages". Ils forment à présent un cortège d'observateurs avisés de la vie politique interne du comité central, rattachés directement à Diouf. Au nombre de douze, on retrouve : Alioune Badara Mbengue, Assane Seck, Aboubacry Kane, Ibra Mamadou Wane, Aboulaye Fofana, Adrien Senghor, Babacar Bâ, Magatte Lô, Mme Caroline Diop, Moustapha Cissé, Abdoul Aziz Diagne et Papa Amath Dieng.

Avec ce congrès, Abdou Diouf s'assure le contrôle du PS. Il a installé ses hommes, et peut maintenant compter sur le soutien de ses "camarades" pour remporter les élections municipales de novembre 1990. Toutefois, privé de Jean Collin, Abdou Diouf est dorénavant

52 Le Soleil, 27 juillet 1990.

53 "Le bureau politique", Le Soleil, 30 juillet 1990.

54 "Le PS dans le vent de l'histoire", Le Soleil, 30 juillet 1990.

en première ligne et prend le risque d'essuyer les critiques de son propre camp. Il prend de surcroît la responsabilité de devoir choisir assez rapidement un homme pour le seconder, qui apparaîtra forcement tôt ou tard comme un successeur potentiel, avec le risque bien évident de susciter des jalousies et des dissensions internes.

Abdou Diouf ne voit pourtant après le congrès que les bénéfices à court terme d'une telle reprise en main. Il dispose d'un socle solide sur lequel s'appuyer pour mettre un terme aux crises qui se sont multipliées au Sénégal entre 1988 et 1990.

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