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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4. Le Sénégal 88-90, un pays en crise permanente :

4.1. La crise économique :

Les violences urbaines de 1988 ont révélé à la communauté internationale les terribles difficultés économiques auxquelles sont confrontés les Sénégalais depuis le début des années 1980. L'échec de l'ajustement sur le plan social parait indéniable. Le développement n'a pas été l'axe prioritaire des programmes du FMI et de la Banque mondiale, ce qui explique le rejet massif de la politique dioufiste par la population. Pour enrayer ce mécontentement, les bailleurs de fonds autorisent Abdou Diouf à desserrer l'étau de l'ajustement :

"Après 1988, ce sont les instances de Bretton Woods et les gouvernements des grandes puissances qui sont venus me voir pour me dire : "nous avions tort, vous êtes allé trop loin sur nos recommandations, vous devriez réduire maintenant le prix du riz, réduire le prix de l'huile, réduire le prix du sucre". C'est ce que nous avons fait" 55.

Durement chahuté par les 15/30 ans en 1988, Abdou Diouf axe après sa réélection sa politique vers l'emploi des jeunes. Un plan d'action pour la création d'emplois est mis en place : il prévoit 70 000 emplois en trois ans. Cet effort est néanmoins insuffisant, la croissance démographique étant largement supérieure à la croissance économique du pays. Les bailleurs fonds doutent de surcroît de la viabilité des projets financés. Ce sentiment est renforcé par... les commentaires de Djibo Kâ, qui écrit le 13 janvier 1989 que le plan "devra créer un grand nombre d'emplois qui, même s'ils ne sont pas nécessairement viables dans le moyen terme de deux à cinq ans, produiront des justifications économiques et démontreront de façon évidente l'engagement du gouvernement à répondre aux préoccupations de sa population" 56.

La santé financière des banques sénégalaises inquiète également les institutions financières internationales. En 1987, on juge que sur les 14 banques sénégalaises... seules 3 sont en relative bonne santé. Le système bancaire est miné par des problèmes récurrents : trop de banques ; nombre de retraits supérieurs aux dépôts ; multiplication des mauvais payeurs etc. Les investisseurs nationaux, trop fragiles et trop frileux, sont incapables de le reprendre en main. L'Etat sénégalais décide donc de réouvrir les banques... à leurs anciennes maisons mères occidentales. Cette décision sonne le glas de la "sénégalisation". Par exemple, l'Union Sénégalaise des Banques passe sous le contrôle du Crédit Lyonnais après 1989 57. Cette reprise, qui provoque 150 licenciements, contient un accord pour que la banque française n'hérite que des créances saines. Les créances douteuses, estimées à... 47 milliards FCFA, sont "offertes" à un autre établissement... crée par l'Etat 58.

Ces mauvais payeurs sont le plus souvent des marabouts mourides ou tidjanes influents, très

55 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.

56 "Rivalité sur l'emploi", Lettre du continent, 2 mars 1989.

57 "Reprise de l'USB par le Crédit Lyonnais", Lettre du continent, 22 juin 1988.

58 "Le Crédit lyonnais en main propre", Lettre du continent, 28 juillet 1989.

bien implantés dans leur localité et quasiment "intouchables". On estime que le seul marabout tidjane Cheikh Tidiane Sy a une dette de plus de... 10 milliards FCFA 59.

La crise bancaire est représentative du marasme économique qui touche le Sénégal. Le cours de l'arachide, en continuelle chute, atteint un prix dérisoire en 1990 (800 $ la tonne). L'arachide ne constitue plus que 13% du PNB en 1990 alors qu'elle représente encore la moitié des exportations sénégalaises 60.

La mort de la filière arachidière est amortie par les bons chiffres de la pêche et du tourisme, ce secteur rapportant en 1989 16 milliards FCFA au Sénégal 61 . Le tourisme se concentre essentiellement sur la presqu'île du Cap Vert et sur le site de Cap Skirring, situé au sud de la Casamance. Cette activité, bien que rentable, a des désavantages : l'activité est saisonnière, et ne permet pas l'octroie de salaires fixes aux employés ; les infrastructures, généralement françaises, n'ont que des relations limitées avec les commerces locaux ; enfin, Cap Skirring est sous la constante menace d'une détérioration de la situation casamançaise. Le tourisme, deuxième apport en devise du pays, est par conséquent un secteur particulièrement fragile.

L'économie sénégalaise est donc chancelante. Pour la soulager, la France annule en 1990 - comme elle le fait avec d'autres pays d'Afrique subsaharienne - l'énorme dette du Sénégal (256 milliards FCFA) 62 . L'ancienne métropole, elle aussi en grande difficulté financière, a cependant de plus en plus de mal à soutenir financièrement "son précarré africain". Le Sénégal est de ce fait plus dépendant qu'autrefois du FMI et de la Banque mondiale. Ces institutions ne cachent plus leur mécontentement après 1990.

Les reproches sont de plus en plus appuyés à l'égard d'un des pays les plus assistés de la planète (300 millions FCFA d'aides annuelles en moyenne), doté d'une dette colossale de 1000 milliards FCFA. Ils déplorent le trop grand nombre de fonctionnaires (toujours estimé en 1990 à 67 000) et les monopoles de certaines sociétés agroalimentaires qui accrois sent le coût de la vie au Sénégal 63 . Selon eux, le pays vit au-dessus de ses moyens. En dépit des baisses budgétaires conséquentes, touchant particulièrement... la santé et l'éducation, Abdou Diouf n'arrive pas à endiguer le gouffre financier qu'est la fonction publique.

Nonobstant les départs à la retraite anticipée, le blocage des salaires des fonctionnaires depuis 1983 ou encore l'absence de recrutement, celle-ci représente touj ours plus de 50 % des dépenses ordinaires. Les chiffres sont révélateurs : alors que les experts internationaux réclament le départ de 15 000 fonctionnaires pour 1992, le chef de l'Etat n'en promet que...

4300 64.

En 1991, les conclusions du rapport d'Elliot Berg, personne influente au sein de la Banque mondiale, n'arrangent pas les relations entre le Sénégal et les institutions internationales. Christian Coulomb rapporte que "s'il (le rapport d'Elliot Berg) reconnaît que les contraintes climatiques et énergétiques sont pour beaucoup dans cette faillite (économique du Sénégal), il souligne aussi l'inertie de l'Etat, sa pesanteur bureaucratique et sa faible capacité de résistance aux pressions internes. Il note par ailleurs la facilité avec laquelle le Sénégal obtient des aides extérieurs qui lui permettent de faire face à l'immédiat, mais au détriment

59 "Les débiteurs du secteur bancaire" , Lettre du continent, 21 décembre 1988.

60 "Arachide cotée Sénégal", Le Monde, 2 novembre 1992.

61 "Malaise social et crédibilité", Jeune Afrique, n° 1 564, 1 er janvier 1991.

62 "Dette du Sénégal : le fardeau allégé",Le Soleil, 9 octobre 1990.

63 Le monopole de la société Mimram sur le sucre, encouragé par certains "amis" français, a pour conséquence de rendre le sucre... trois fois plus cher au Sénégal que le cours mondial. Elimane Fall, "Quand l'économie va mieux", Jeune Afrique, n° 1438, 27 juillet 1988.

64 "Malaise social et crédibilité", Jeune Afrique, n° 1564, 1er janvier 1990.

d'une réforme en profondeur de sa politique économique" 65 . Cette défiance réciproque est renforcée par la volonté du FMI de pousser la France à accepter une dévaluation du Franc CFA, préconisée depuis la mise en place des premiers ajustements au sein de zone CFA.

Le Franc CFA, qui a été instauré le 26 décembre 1945, est la monnaie de la plupart des anciennes colonies françaises d'Afrique noire. La zone comprend 13 pays africains : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la République centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Les avantages de cette monnaie sont nombreux : le Franc CFA a une parité fixe, dispose d'une libre transférabilité et il est convertible en Franc français (50 FCFA = 1 FF), ce qui le rend échangeable dans le monde entier et permet de financer les importations ou de couvrir les déficits.

Cependant, cette monnaie forte nécessite des institutions financières solides. Or, comme on l'a vu, les banques sénégalaises - et africaines en général - sont ruinées et ne peuvent plus faire face aux importants retraits d'argent. Les règlements financiers passant par des circuits parallèles se multiplient ainsi que les fuites de capitaux vers des pays "plus sûrs" comme la France, la Grande-Bretagne ou la Suisse 66 . En outre, la zone CFA est devenue commercialement peu attractive. Elle possède une monnaie surévaluée qui subit la concurrence de pays tels que le Nigeria ou le Zaïre. Dotés d'une monnaie nationale, ces Etats peuvent moduler le cours de leur monnaie à "tout instant" pour favoriser leur commerce extérieur en vendant moins cher que dans la zone CFA.

Une dévaluation s'impose pour rendre la zone CFA concurrentielle. Le principal héraut de cette solution est la Cote d'Ivoire, qui représente à elle seule 44 % de la masse monétaire de la zone. Le pays, depuis la chute du cours du cacao dans les années 1980, est en cessation de paiement. Pis, elle ne rembourse plus ses crédits. Une dévaluation permettrait à Félix Houphouët Boigny de relancer ses exportations de cacao et redonner "un peu d'air" à l'économie ivoirienne.

Mais les conséquences d'une dévaluation de l'ordre de 50 % seraient terribles pour l'ensemble des pays concernés : amputation de moitié du pouvoir d'achat de la population, risque d'inflation très important, possibilité de révoltes sociales etc. Le Sénégal, en proie depuis 1979 aux ajustements et encore sous le choc des violences dakaroises de 1988 et 1989, ne désire pas prendre un tel risque. C'est pourquoi Abdou Diouf s'oppose à la dévaluation, ceci contre toute logique économique 67 . C'est ce que soutient notamment... Abdoulaye Wade, qui milite depuis le milieu des années 1980 pour une dévaluation franche.

Le Sénégal s'associe ainsi au "Non" catégorique de la France prononcé en août 1992 lors d'une réunion à Paris rassemblant Félix Houphouët Boigny (Cote d'Ivoire), Omar Bongo (Gabon), Blaise Compaoré (Burkina Faso) et Abdou Diouf. Paris privilégie les réformes de structures à une réforme monétaire. Le FMI, perplexe devant l'attitude française, garantit tout de même des crédits à la Cote d'Ivoire jusqu'en 1993 pour que celle-ci relève son économie. En cas d'échec du programme de relance, les institutions internationales sont catégoriques : la dévaluation sera inévitable 68 . En optant pour un refus clair, Abdou Diouf repousse les problèmes à plus tard, s'octroyant un répit qui lui permet de mieux faire face à des crises

65 Christian Coulon, "La démocratie sénégalaise: bilan d'une expérience", PoA 45, mars 1992.

66 "Dévaluer le Franc CFA ou pas ? ", Le Monde, 20 mars 1990.

67 Abdou Diouf déclare : "Il n 'y a pas de dévaluation, nous sommes contre une dévaluation ". "Paris décide de ne pas dévaluer', 1er août 199, Le Monde.

68 "Bouffée d'oxygène pour le Franc CFA ", Jeune Afrique, n° 1 608, 29 octobre 1991.

universitaires devenues endémiques.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery