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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4.3. Les crises diplomatiques :

Déjà entamée par les événements de 1988, l'image du Sénégal s'effondre un an plus tard avec la crise sénégalo-mauritanienne. Tout au long des années 1980, la propagande gouvernementale insiste pourtant sur le "mariage sénégalo-mauritanien sans divorce possible" 74. En effet, les deux pays ont des liens historiques (l'islamisation du Sénégal s'est faite par des tribus venues de Mauritanie ; pendant la colonisation française, les élites mauritaniennes ont été formées à Dakar) ; des problèmes similaires (pauvreté, désertification) ; des populations qui s'entremêlent (on compte 200 000 à 300 000 mauritaniens sur le sol sénégalais, dont un tiers à Dakar) et des infrastructures communes, comme le barrage de Diama sur le fleuve Sénégal, qui fait office de frontière naturelle entre les deux pays. Inaugurée en 1985, ce projet modifie considérablement les enjeux de la région. L'irrigation fixe des populations autrefois nomades, attirées par les possibilités économiques offertes par une agriculture irriguée. Le droit coutumier permettant la transhumance des Sénégalais et des Maures des deux cotés de la rive est donc remis en cause. La frontière fluviale devient un enjeu économique et politique. Les frictions prolifèrent entre les deux pays "frères".

Les relations entre le Sénégal et son voisin se détériorent véritablement à partir de novembre 1988. A la suite d'une querelle mineure, les frontières sont momentanément fermées, avant que ne soit proclamé en janvier 1989 un embargo mutuel. Abdou Diouf, quelque peu agacé par l'attitude belliqueuse mauritanienne, revendique alors comme partie intégrante du territoire la rive mauritanienne du fleuve Sénégal, s'appuyant sur un texte colonial de 1933.

De plus, le Président sénégalais - indigné par la politique d'arabisation menée par la Mauritanie de Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya au détriment des noirs, le plus souvent

72 Idem.

73 "Enfin une année blanche", Jeune Afrique, n° 1754, 24 août 1994.

74 "Mohamed Abdellahi Ould Kharchi : entre le Sénégal et la Mauritanie, c'est un mariage sans divorce possible", Le Soleil, 29 octobre 1987.

originaire du Sénégal - apporte un soutien plus ou moins affirmé aux Forces de Libération

Africaine de Mauritanie (FLAM), soupçonnées d'avoir fomenté un coup d'Etat en octobre 1987 contre le régime de Taya. Ce rapprochement n'arrange pas les relations sénégalo-

mauritaniennes.

C'est dans ces conditions extrêmement tendues qu'éclate à Diawara le 9 avril 1989 une rixe entre des paysans sénégalais et des nomades maures. L'intervention des gardes frontière

mauritaniens fait deux morts. Le ministre André Sonko prend alors ouvertement position en déclarant : "trop c 'est trop" 75. Cette réaction déplait aux autorités mauritaniennes, qui voient

d'un mauvais oeil l'érection d'une commission parlementaire pour enquêter sur les conditions de l'accrochage. L'opposition sénégalaise, par l'intermédiaire de la presse, met aussi de l'huile

sur le feu, Sopi titrant à sa "une" :

"l'armée mauritanienne tire sur les populations de Diawara : 2 morts, 15 blessés, 18 otages et 7 disparus", avant de raj outer, quelques jours plus tard : "au nord, des bruits de bottes inquiétantes se sont entendus de l'autre coté du fleuve. De Saint-Louis à Matam, en passant par Dagana, les populations sont sur le pied de guerre et ne dorment plus que d'un oeil, par crainte d'être surprises dans leur sommeil par les belliqueux beydanes" 76 .

Ce climat pesant entraîne à la fin du mois d'avril 1989 de violents pillages de boutiques

maures dans la capitale sénégalaise. Les commerçant mauritaniens sont relativement présents dans la vie économique dakaroise : ouverts 24 heures sur 24, ils sont réputés pour leur facilité

de crédits et pallient souvent les pénuries alimentaires en vendant au détail des produits coûteux. Ils représentent ainsi une certaine forme de réussite sociale, qui est parfois jalousée

77. Les pillages sont donc nombreux, les contemporains pouvant lire sur quelques rideaux de fer de boutiques mauritaniennes pillées des inscriptions à la gloire du sopi. Le journal

gouvernemental Le Soleil, contrairement aux journaux d'opposition, joue alors la carte de l'apaisement :

"ce qui est arrivé hier est une honte. Les acteurs de ces actes répréhensibles doivent être châtiés (...) mais nous sommes optimistes. Nos deux chefs d'Etat, sereins, comme d'habitude, ont su se mettre au-dessus des réactions primaires pour aborder le problème en hauts responsables" 78.

Malgré cette condamnation sans équivoque, les pillages sont perçus par la Mauritanie comme

une véritable déclaration de guerre. Les autorités de Nouakchott laissent de ce fait les populations mauritaniennes "se venger". La situation dégénère rapidement. Pendant plusieurs

jours, on assiste dans les deux pays à des chasses à l'homme racistes. L'horreur est à chaque coin de rue :

"A Dakar et à Nouakchott, les scènes de pillage ont été accompagnées d'actes de sauvagerie inouïe : corps mutilés, têtes coupées, femmes éventrées, enfant égorgés etc."

75 "Commission d'enquête sur les événements de Diawara : l'Etat prend ses responsabilités" Le Soleil, 17 avril 1989.

76 "Mauritanie : au pays des Maures", Lettre du continent, 1er juin 1989.

77 Cette jalousie vis-à-vis de la "réussite" des mauritaniens est perceptible dans un communiqué publié par le RND dans le Soleil... qui justifie les actes de vandalisme des dakarois : "le RND regrette les vols commis par les bandits sur les biens des mauritaniens, attitude qu 'il justifie cependant comme résultat d'un mécontentement du désordre que les commerçants maures ont jeté dans l'économie nationale par leurs pratiques particulières. Désordre qui ne peut être toléré dans aucun pays qui veut se développer". "RND : déclaration officielle", Le Soleil, 7 mai 1989.

78 "Pillage de boutiques de Maures : la honte", Le Soleil, 24 avril 1989.

Les chefs d'Etat décrètent un couvre feu tandis que des camps de réfugiés se dressent dans les deux pays. Parquées dans des zones exiguës, les populations attendent parfois plusieurs jours avant d'être expulsées dans leur pays origine, pays que bien souvent elles ne connaissent pas, ou peu. Ainsi, 70 000 sénégalais arrivent à Dakar en l'espace de quelques jours alors que 170 000 mauritaniens quittent leur pays d'adoption. Si Abdou Diouf tente de maintenir un semblant de fraternité entre le Sénégal et la Mauritanie 79, le Président Taya choisit la voie de la rupture définitive. Dans un discours radio-télédiffusé, prononcé en français, Taya accuse le Sénégal d'être l'unique responsable de la situation.

Abdou Diouf délaisse alors son ton courtois, et oppose le régime démocratique sénégalais au régime autoritaire mauritanien. Il souligne que "la Mauritanie a toujours bafoué les droits les plus élémentaires de l'homme et de la dignité humaine" avant de rajouter que "la presse (au Sénégal) exerce librement, sans entraves son métier, ce qui est impensable en Mauritanie" 80.

Si les deux Etats se renvoient les responsabilités, le très influent cardinal de Dakar Hyacinthe Thiandoum soutient que "le fond de crise permanent au Sénégal a été un terrain favorable à ces atrocités ". Pour lui, la violence a pris au dépourvu les autorités gouvernementales, incapables de réagir à temps pour éviter "l'expression anarchique d'un mécontentement" 81.

Les deux pays gèrent de façon différente la crise. Si Abdou Diouf ouvre les portes de son pays aux journalistes étrangers, Taya adopte l'attitude inverse. Le Sénégal profite de "cet avantage médiatique" pour exprimer sa version des faits et obtenir le soutien de la plupart des médias, notamment français.

Nonobstant cet appui international, Abdou Diouf refuse de tenir une position belliqueuse, affirmant "qu 'il faudrait être fou dans le monde actuel pour rechercher la guerre, surtout quand on est un pays sous-développé et de surcroît sahélien" 82 . De plus, le chef de l'Etat sait que la Mauritanie compte parmi ses plus fidèles amis l'Irak de Saddam Hussein, qui n'hésiterait pas à appuyer fortement Taya en cas de conflit sénégalo-mauritanien.

En cas de guerre, le Sénégal espère de son coté avoir le soutien de la France. C'est pourquoi tout au long de l'année 1989, Abdou Diouf et les médias d'Etat multiplient les louanges à l'égard de l'ancienne métropole, notamment lors du troisième sommet de la Francophonie en mai 1989,organisé... à Dakar - sur les lieux même où quelques jours auparavant stationnés encore des milliers de mauritaniens - ainsi qu'à l'occasion du bicentenaire de la révolution française. On peut lire dans Le Soleil du 11 juillet 1989 les propos suivants :

"bien avant la révolution française, une importante colonie française s'était incrustée à Saint-Louis du Sénégal. Elle s'est fait fort d'envoyer ses cahiers de doléances au cours de l'année 1789. Au début de 1989, le Sénégal a par conséquent voulu participer à la célébration du bicentenaire de la révolution française en mettant sur pied un comité national dans cette perspective, et il est donc tout à fait naturel que le Président Abdou Diouf qui quitte Dakar pour Paris, soit présent dans la capitale française pour prendre part aux festivités, événement de portée universelle ".

Après leur rupture diplomatique du 21 août 1989, le Sénégal et la Mauritanie entretiennent des rapports froids et heurtés. La Mauritanie réclame la restitution des biens et le décompte

79 En conseil des ministres, Abdou Diouf affirme que "de tels actes sont intolérables et indignes du Sénégal, terre d'accueil, de tolérance et de dialogue (...) la Mauritanie et le Sénégal sont deux pays frères condamnés à vivre ensemble solidairement tant leur destin et leurs intérêts sont liés". "Sénégal Mauritanie : condamnés à vivre ensemble", Le Soleil, 26 avril 1989.

80 Abdou Diouf rajoute : "la Mauritanie a toujours bafouillé sur les droits les plus élémentaires de l'homme et de la dignité humaine". "Appel à l'unité nationale", Le Soleil, 9 mai 1989.

81 Jean de la Guérivière, "Les affrontements entre Sénégalais et Mauritaniens : l'expression anarchique d'un mécontentement", Le Monde, 27 avril 1989.

82 "Rupture diplomatique", Le Soleil, 23 août 1989.

officiel des morts mauritaniens tandis qu'Abdou Diouf désire que soit traité devant une commission d'enquête internationale la question de la frontière. Les accrochages frontaliers sont réguliers, comme le 6 janvier 1990, où l'on assiste à des échanges de tirs entre militaires. La tension est d'autant plus extrême que certains rapatriés sénégalais, établis dans la région du fleuve, tentent au péril de leur vie de rejoindre la Mauritanie pour récupérer les biens dont ils ont été dépossédés.

Le Sénégal et la Mauritanie retissent cependant peu à peu des liens. C'est paradoxalement la guerre du Golfe de 1991 et ses conséquences qui accélèrent "le processus de réconciliation ". Pendant cette guerre, la Mauritanie accorde un soutien sans faille à l'Irak, ce qui lui coûte ses amitiés avec le reste des monarchies du Moyen-Orient. Le Sénégal s'aligne quant à lui sur la position française et rejoint les alliés, qui comptent dans ses rangs les Etats-Unis d'Amérique et l'Arabie Saoudite.

La facile victoire de la coalition isole la Mauritanie, dépourvue à présent de tout allié fiable, alors que le Sénégal se rapproche des pays arabes - qui s'étaient quelque peu détourné d'Abdou Diouf après 1989 suite à une "campagne d'information" mauritanienne - et des EtatsUnis. Fort de ses soutiens, Abdou Diouf négocie discrètement avec la Mauritanie, par l'intermédiaire de la France.

La réconciliation officielle entre les Présidents Diouf et Taya a lieu le 18 juillet 1991, en Guinée-Bissau. Pour montrer sa bonne foi, le Sénégal renonce à réclamer une rectification frontalière 83 . Grâce à son ton mesuré et un sens aigu de la diplomatie, Abdou Diouf a évité la guerre et obtenu avec cette réconciliation un succès personnel passé quelque peu inaperçu en 1991.

L'année 1989 est ainsi pour Abdou Diouf une année diplomatique difficile, puisque outre la Mauritanie, le Sénégal s'oppose à la Guinée-Bissau, au sujet d'un différent frontalier 84 , et surtout à la Gambie.

Alors qu'en 1981, la Sénégambie était promise à un brillant avenir, on constate en 1989 que les avancées ont été minimes. L'intégration économique, enjeux majeur de la confédération, est bloquée par la Gambie, frileuse à l'idée de lutter plus efficacement contre la contrebande, qui fait la "richesse" du pays. Bien que les institutions "tournent à vide", Abdou Diouf tient encore un discours rassurant en avril 1989 85.

Les rapports entre Diouf et Jawara se détériorent après l'entame de la crise sénégalomauritanienne. En effet, le Président Taya souligne à de multiples reprises qu'il bénéficie du soutien du Président gambien, qui a mis notamment en place l'accueil de ressortissants mauritaniens. Le positionnement de Jawara déplait fortement à Diouf. La confiance entre les deux chefs d'Etat est entamée. On note ainsi une baisse conséquente du budget de la

83 "Mauritanie Sénégal : logique de paix", Jeune Afrique, n° 1 596, 6 août 1991.

84 Depuis les années 1970, la Guinée Bissau réclame une modification de sa frontière maritime avec le Sénégal pour bénéficier de soi-disant gisements pétroliers. Le Sénégal porte l'affaire en 1985 devant la Cour Internationale de Justice et obtient gain de cause le 2 août 1989. Alors que les deux pays se sont engagés à respecter le verdict, la Guinée-Bissau refuse de reconnaître la sentence. Cette attitude offusque Abdou Diouf. Il le fait savoir au cours des semaines suivantes. Néanmoins, la reprise du conflit casamançais favorise un retour au dialogue entre les deux pays. Après la signature d'un accord de collaboration le 29 mai 1990, le Sénégal et la Guinée-Bissau trouvent un arrangement au sujet du litige frontalier en 1993 : il est décidé que 85 % de l'exploitation du sous-sol maritime revient au Sénégal. Voir "Différent frontalier dans l'impasse", Le Soleil, 7 août 1989, "Litige frontalier avec Bissau : Dakar s'en tient au verdict", Le Soleil, 9 août 1989 et "Signature d'un accord de gestion et de coopération ", Le Soleil, 15 octobre 1993.

85 "N'écoutez pas les vendeurs d'illusions", Le Soleil, 14 avril 1989.

Confédération en juillet 1989, qui passe de 3 423 491 920 FCFA à 2 996 433 550 FCFA 86. Jawara tente alors de modifier le traité de 1981. Il demande une présidence tournante de la confédération, un nombre égal de ministres sénégalais et gambiens au sein du cabinet confédéral et un allégement de la présence militaire sénégalaise en Gambie. Abdou Diouf, agacé par l'attitude gambienne, prend au mot Jawara et retire la totalité de ses soldats du sol gambien le 19 août 1989. Le 23 août, soit deux jours après sa rupture diplomatique avec la Mauritanie, le Président sénégalais annonce dans un message à la nation le gel des institutions sénégambiennes, jugeant qu'il n'y a"aucune perspective sérieuse de progrès vers l'intégration sénégambienne au sein de la confédération" 87 . Il conclut amèrement son allocution : "les stigmates de la colonisation sont beaucoup plus tenaces qu'ils n'y paraissent".

Les rapports entre le Sénégal et la Gambie demeurent de longues années distants après ces événements, malgré la signature d'un traité d'amitié le 25 mai 1991. Abdou Diouf se détourne des affaires gambiennes, comme l'atteste son inaction lors du renversement de Daouda Jawara par le capitaine Yahyah Jammeh en 1994.

Face à ces incidents diplomatiques majeurs, Abdou Diouf bénéficie d'un certain soutien de l'opposition, surtout lors de la crise mauritanienne. Les partis non gouvernementaux cessent rapidement de prendre des positions "risquées" pour s'aligner sur celles du Président, plus pacifiste et mesurées. "Les neuf" publient ainsi un communiqué le 2 mai 1989 dans Le Soleil réclamant "d'arrêter les distractions, d'épargner les vies et d'éviter la guerre" 88 . Le PIT demande même un entretien avec le chef de l'Etat pour discuter de la crise et apporter une contribution positive 89 . Cependant, l'opposition a une perception limitée de "l'union sacrée", puisque quelques jours après cette audience, le PIT est exclu du front de l'opposition pour avoir négocier avec le pouvoir sans avis préalable. Les moments de fraternisation entre le pouvoir et les autres partis sont rares et éphémères à la fin des années 1980.

Néanmoins, les difficultés rencontrées en 1989 ont ressoudé quelque peu les liens entre le Président et son peuple. A cette même période, Abdou Diouf annonce une rénovation importante du code électoral, une amélioration de la démocratie et le limogeage de Jean Collin. Tous ces signes d'ouverture ne sont toutefois pas suffisant pour le front de l'opposition. Il annonce durant l'hivernage 1990 son intention de boycotter les élections municipales.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams