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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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4.4. La crise politique : le boycott des élections municipales :

Parti à l'étranger depuis l'échec de la table ronde, Abdoulaye Wade montre sa force de mobilisation lors de son retour à Dakar, le 7 mars 1989. Alors qu'une manifestation contre le régime dioufiste est prévue ce jour-là, il y renonce pour annoncer de façon prématurée... son entrée au gouvernement. Abdou Diouf, surpris par cette déclaration, réfute dans la journée la nouvelle. Humilié par cette volte-face du pouvoir - certainement orchestré par Jean Collin 90 -

86 "Sénégambie : budget en baisse", Le Soleil 9 juillet 1989.

87 "M. Abdou Diouf propose le gel de la Confédération de Sénégambie", Le monde, 25 août 1989 et "Message à la nation", Le Soleil, 24 août 1989.

88 Le Soleil, 2 mai 1989.

89 Amath Dansokho est doublement concerné par la crise mauritanienne puisque sa femme, d'origine roumaine, a failli se faire lyncher en avril 1989. En effet, les personnes qui tentaient de l'agresser pensaient qu'elle était mauritanienne... "Un nouveau duo Diouf-Niasse", Lette du continent, 1er juin 1989.

90 Il semble que Jean Collin fasse "miroiter" à Abdoulaye Wade une entrée au gouvernement par l'intermédiaire d'Ahmed Khalifa Niasse. L'objectif est que le chef de l'opposition annule sa grande manifestation et qu'il soit rapidement contredit par Abdou Diouf. Cet épisode accentue les critiques de Wade à l'encontre des procédés de Collin. "Me Wade et la stratégie du recours", Le Monde, 16 mars 1989 ; "Je n'ai pas été un émissaire du

le fondateur du PDS publie le 10 mars 1989, via le journal Sopi, les "vrais résultats" des
élections de 1988, qui donne vainqueur Me Wade avec plus de 58,2 % des voix. A la suite de cette parution, le chef de l'opposition réclame la dissolution de l'Assemblée et la formation

d'un gouvernement d'union nationale pour préparer des élections "libres et démocratiques".

En froid avec l'opposition, le chef de l'Etat annonce pourtant le 4 avril 1989 sa volonté "d'approfondir la démocratie sénégalaise" 91 . Ceci se matérialise par des modifications

importantes du code électoral :

- la campagne électorale officielle est limitée dorénavant à deux semaines, car "une durée plus longue ouvre la voie des excès et des débordements"

- une plus grande part de proportionnelle est introduite pour les législatives, "pour une plus grande représentation des partis politiques"

- la carte d'identité devient obligatoire lors d'une inscription au fichier électoral

- les cartes d'électeur ne sont plus à distribuer pendant la campagne électorale mais avant

- un code de conduite des partis est crée pour éviter les débordements verbaux constatés durant la précédente campagne

De surcroît, dans son intervention du 4 avril, le Président invite à présent les médias d'Etat à publier les communiqués et couvrir les manifestations statuaires des formations non

gouvernementales.

Si pour Abdou Diouf, "il s'agit incontestablement d'une nouvelle étape dans l'approfondissement de la démocratie multipartisane", les opposants sont plus sceptiques, la

question du passage obligatoire dans l'isoloir n'ayant pas été traité. Pour mettre en place les réformes annoncées, le Président de la République repousse les élections municipales et

rurales, prévues pour 1989, à l'année suivante.

L'Etat s'active pour faire appliquer rapidement ces changements. La question la plus épineuse est celle de la pièce d'identité, puisque qu'en 1989, sur 1 879 962 personnes inscrites sur le

fichier électoral, seules 247 205 ont une carte. Une loi est donc votée pour rendre la carte d'identité obligatoire dès l'age de 15 ans 92 . Mais cette entreprise coûte cher à l'Etat et les

risques de falsification sont nombreux, du fait que les cartes sont faiblement sécurisées. Toutefois, en rendant la présentation d'une carte d'identité obligatoire, Abdou Diouf répond

favorablement à l'une des requêtes les plus pressantes des opposants.

Nonobstant ces progrès, l'opposition n'est que faiblement satisfaite par ce "toilettage" du code électoral. Elle laisse entendre rapidement qu'elle pourrait refuser en bloc de participer au

scrutin municipal. Ce positionnement gêne considérablement les socialistes, les municipales étant pour eux "un test de crédibilité pour la démocratie pluraliste" 93.

Cependant, alors qu'il a tout intérêt à dialoguer avec l'opposition, le PS reste inflexible. Dans les colonnes du Soleil, Jacques Baudin reprend la rhétorique socialiste habituellement

employée depuis 1981 : il déclare que le passage obligatoire dans l'isoloir est un "faux problème" et que l'administration est incontestablement neutre. Cette dernière ne peut donc

pas être dissocier des élections "sous le prétexte bien fallacieux que les agents de

gouvernement auprès de Wade", Le Soleil, 16 mars 1989 et Francis Kpatindé, "La folle journée du 14 mars", Jeune Afrique, n° 1473, 29 mars 1989.

91 "La consolidation de notre démocratie et nos efforts de réconciliation nationale seront poursuivis", Le Soleil, 5 avril 1989.

92 "Les lois du progrès", Le Soleil, 5 octobre 1989 et "Campagne pour la carte d'identité", Le Soleil, 16 août 1990.

93 "Municipales et rurales : le PS pour le triomphe de la démocratie", Le Soleil, 14 septembre 1990.

l'administration seraient acquis à la cause du parti au pouvoir" 94. En adoptant le même ton condescendant que lors des précédentes élections, le PS rompt de lui-même avec les opposants. Prenant acte de la position socialiste, l'ensemble de l'opposition confirme son boycott des municipales.

L'objectif est alors pour le PS de lutter par tous les moyens contre une forte abstention prévisible, afin de montrer la popularité du parti et par conséquent, l'indifférence du peuple vis-à-vis des opposants. Djibo Ka, très actif durant la campagne, affirme :

"ça sera un test très important. Il nous appartient de montrer notre capacité de mobilisation car l'opposition a pris le parti de boycotter la consultation et d'appeler les gens à s'abstenir" 95.

Le PS se présente dans les 48 communes et les 317 communautés rurales en jeu. Les investitures ont été disputées, voire très violentes, au sein des coordinations locales socialistes pour obtenir l'une des 1 987 places de conseillers et 5 500 places de conseillers ruraux. Parmi les personnes en lice, on compte 660 femmes, soit moins de 9 % de l'effectif socialiste.

Si le débat électoral est quasiment inexistant, le PS étant assuré de l'emporter partout, les actions de l'opposition occupent l'essentiel de l'actualité. Abdoulaye Wade, qui désire un véritable "boycott-référendum", invite les observateurs étrangers à venir sur le sol sénégalais pour noter les faiblesses du code électoral. Il organise aussi de grandes manifestations contre la confiscation des médias d'Etat le 14 novembre 1990 dans plusieurs grandes villes du pays. Bien évidemment interdit par le pouvoir, le rassemblement de Dakar se termine par des scènes de violence et des arrestations.

Dans la presse internationale, on parle de chefs politiques arrêtés puis relâchés, du "matraquage" du député PDS Babacar Faye, de déploiements de forces de l'ordre etc. Abdoulaye Wade arrive ainsi à mettre à mal le régime dioufiste et craquèle un peu plus la vitrine démocratique sénégalaise 96 . Abdou Diouf, passablement énervé par l'attitude wadiste, déclare : "il faut qu'ils en finissent avec cette politique de mouche coche. Nous n'avons pas de temps à perdre" 97.

Les résultats des élections municipales du 25 novembre 1990 laissent perplexes. Si la victoire du PS - 99,45 % - n'est pas étonnante, on est surpris par le taux de participation annoncé : 73,42 %. En effet, sur 1 951 280 personnes inscrites, 1 432 684 personnes sont allées officiellement voter 98 . Ainsi, avec un nombre de personnes inscrites à peu près identique, les élections de 1990 sans enjeux ont attiré... 318 938 électeurs de plus que les élections présidentielles, "indécises" et disputées de 1988. On peut ainsi penser que les fraudes ont été grossières, d'autant plus qu'Abdoulaye Wade soutient de son coté que le taux de participation n'a été que de 15% 99.

En évitant à tout prix un taux de participation historiquement bas, le PS s'est épargné une crise interne comparable à celle de 1988. La propagande faite autour de cette "écrasante victoire" est assurée par les médias d'Etat mais aussi... par Jeune Afrique. L'hebdomadaire relaie en effet, sans aucune déontologie journalistique, les informations fournies par le gouvernement

94 "A propos du code électoral par Jacques Baudin", Le Soleil, 2 octobre 1990.

95 "Municipales : abstention danger", Jeune Afrique, n° 1539, 14-20 novembre 1990.

96 "Vote ou pas : là est la question", Jeune Afrique, n° 1560, 27 novembre 1990 et "Violents affrontements à Dakar entre opposants et forces de l'ordre", Le Monde, 16 novembre 1990.

97 "Relaxe des interpellés", Le Soleil, 16 novembre 1990.

98 Voir Le Soleil du 26 novembre 1990 et des jours suivants.

99 Lamine Tirera, Abdou Diouf : biographie politique et style de gouvernement, pp.21 8, Paris, l'Harmattan, 2006.

sénégalais. On peut de ce fait lire que le fort taux de participation s'explique par la faible représentation locale du PDS - alors que le parti libéral a fait entre 20 et 25 % dans la plupart des régions rurales sénégalaises et plus de 40 % dans la capitale en 1988 - et l'absence d'influence des partis marxistes (qui représentent quand même 5% de l'électorat). Albert Bourgui n'hésite donc pas à parler de "vote sanction" contre... l'opposition, sans jamais souligner les incohérences des chiffres donnés par les autorités sénégalaises 100.

Toutefois, les commentaires dithyrambiques de Jeune Afrique ne masquent pas la gêne du "Père de la nation" 101 , profondément humilié par le boycott de l'opposition. Ces élections marquent en effet un recul pour la démocratie sénégalaise. Jamais depuis 1973, un scrutin ne s'était déroulée en présence que d'un seul parti. Alors que Abdou Diouf n'a cessé de prôner l'ouverture et le dialogue avec les opposants depuis son avènement, le Sénégal a offert en 1990 une parodie d'élection digne des régimes les plus autocratiques du continent africain.

L'humiliation subie par le chef de l'Etat le fait subitement changer de discours. Lui qui refusait l'idée pendant l'été 1990 de réinstaurer la Primature et d'appeler au gouvernement des membres de l'opposition (164), laisse entendre dans son allocution du 31 décembre 1990 son désir de se concerter pleinement avec les partis non gouvernementaux afin, comme l'indique la "une" du Soleil du 2 janvier 1991, de "décrisper" la situation politique du pays 102. L'organisation des "neuf", la CONACPO 103 , refuse dans un premier temps toute négociation avec le pouvoir , mais les actions entreprises par le Président Diouf, comme la nomination d'un Premier ministre, séduisent le PDS. Le parti libéral n'hésite pas à se couper de certains de ses fidèles alliés, comme la LD/MPT, pour entamer un dialogue officiel avec Abdou Diouf. Ce rapprochement aboutit à l'entrée d'Abdoulaye Wade au gouvernement en avril 1991.

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