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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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2. Le Sénégal : une vitrine craquelée :

2.1. L'intervention militaire en Guinée-Bissau :

Le Sénégal et son voisin bissau-guinéen entretiennent des rapports étroits depuis le début des années 1990 pour lutter ensemble contre les rebelles casamançais. En effet, le MFDC a trouvé dans l'ancienne colonie portugaise une base-arrière idéale pour lancer ses attaques contre les militaires sénégalais, la région comprenant de nombreux diolas solidaires de l'action menée par les séparatistes. Abdou Diouf a vivement encouragé le Président Joao Bernardo Vieira à collaborer avec lui pour faciliter la traque des rebelles. Les deux hommes ont donc signé des accords de défense, facilitant l'accès du territoire bissau-guinéen aux militaires sénégalais.

Pour le remercier de son soutien, Abdou Diouf appuie l'entrée en mai 1997 de la GuinéeBissau dans la zone CFA. L'économie du pays, l'une des plus faible du continent africain, est gravement minée à l'époque par la faiblesse du Peso, qui connaît une dévaluation annuelle de 50% 22 . Le Franc CFA, monnaie stable et "forte", représente une bouffée d'air pour le régime de Vieira. Toutefois, la population subit les contrecoups de ce changement monétaire. En l'espace d'un an, le gouvernement mène des réformes pour assainir les finances, augmente la pression fiscale et douanière, privatise les entreprises publiques, licencie un tiers des 12 000 fonctionnaires du pays (la Guinée-Bissau compte 1,1 millions d'habitant en 1998), tandis que l'inflation explose, les prix étant multipliés par... 5.

Le Président Vieira doit contenir le mécontentement populaire naissant tout en continuant de répondre favorablement aux requêtes de son allié sénégalais sur la question casamançaise. C'est pourquoi le 6 juin 1998, Joao Bernardo Vieira limoge le général Ansumane Mané, suspecté d'avoir fermé les yeux concernant un trafic d'armes entre son pays et le MFDC. La réaction de l'armée bissau-guinéenne ne se fait pas attendre, puisque le lendemain, elle se mutine et prend le contrôle des points stratégiques de la capitale Bissau.

Se souvenant de la réussite totale de l'intervention militaire en Gambie, Abdou Diouf envoie son armée pour venir au secours de son allié, avec l'aide de la Guinée. Outre l'intention de maintenir Joao Bernardo Vieira au pouvoir, cette opération a pour objectif de déloger le MFDC du pays et le ramener sur le seul espace casamançais. Ainsi, 1 000 soldats sénégalais prennent la route de Bissau, assistés de 440 militaires guinéens 23 . "L 'opération Gabou" est lancée. Comme en 1982, le Sénégal prévoit de mener "une guerre éclaire" en asphyxiant dès les premières heures les putschistes. Les premières informations transmises par Le Soleil sont rassurantes. Le journal gouvernemental annonce que une à une, les bases des fidèles de Ansumane Mané tombent. Il publie même le 15 juin un télégramme de l'ambassadeur Omar Ben Khatah Sokhna Amb particulièrement optimiste : "le moral est très bon, la principale garnison Bra est tombée. Mutins s'étant repliés à l'aéroport. Avec l'aide de Dieu, situation pourrait prendre fin aujourd'hui" 24.

L'actualité étant monopolisée en juin 1998 par la Coupe du monde de football en France, Le Soleil n'a aucun mal à annoncer les jours qui suivent des nouvelles similaires : le 17, il titre "Les mutins ne tiendront pas longtemps" ; le 19 "Les mutins aux abois" ; le 21 "Le PS salue l'intervention de l'armée à Bissau" etc. Pourtant, le conflit sur le terrain s'enlise. En effet, l'état major sénégalais n'a pas pris en compte avant le lancement des opérations l'impopularité grandissante du régime de Vieira. La population, lasse d'un pouvoir d'achat qui ne cesse de chuter depuis le passage au Franc CFA, en vient parfois à soutenir les rebelles. Cette réalité

22 "Guinée-Bissau : la greffe du franc CFA a bien pris", Le Soleil, 30 avril 1998.

23 "Le Sénégal et la Guinée interviennent pour mater la mutinerie en Guinée-Bissau", Le Monde, 12 juin 1998. 24 "Message à Habib Thiam ", Le Soleil, 15 juin 1998.

rend difficile l'avancée des Sénégalais, incapables par exemple de reprendre l'aéroport de Bissau à l'ennemi.

L'intervention, qui devait être au départ rapide, se transforme en bourbier. Bissau est déserté (on parle d'un exode de 300 000 personnes) pendant que des séparatistes casamançais prennent les armes pour aider les putschistes. Ils acquièrent ainsi une expérience de combat et des nouvelles armes qu'ils ne possédaient pas auparavant. Par conséquent, l'intervention sénégalaise ne fait que renforcer la position du MFDC dans la région, puisqu'il tisse des liens encore plus étroits avec sa base-arrière. Bien qu'un cessez-le-feu soit finalement trouvé entre le général Mané et Vieira à la fin du mois d'août 1998 grâce à une médiation de la communauté lusitophone, Abdou Diouf maintient son armée dans le pays pour effectuer des opérations de "nettoyage" à la frontière.

Ce choix déplait fortement à l'opposition. Il faut dire que contrairement à la plupart des décisions de politique étrangère prises par Abdou Diouf depuis son arrivée au palais présidentiel, "l'opération Gabou" ne suscite que les critiques des formations nongouvernementales. Le PDS déplore le coût financier et humain de l'opération, jugeant de plus que "l'intervention sénégalaise a été décidée de façon solitaire et dans la précipitation par le Président Abdou Diouf" 25 . Pour Abdoulaye Wade, le chef de l'Etat a misé sur la mauvaise personne, car à la fin de l'année 1998, 90 % de l'armée régulière est dans le camp du général Ansumane Mané. L'intervention, en plus d'être inutile, va donc selon le chef de l'opposition à l'encontre de la souveraineté bissau-guinéenne.

Sans soutien intérieur, Abdou Diouf n'arrive pas à imposer sa vision des choses en GuinéeBissau. Alors qu'un gouvernement d'union national est envisagé, le conflit reprend à partir d'octobre 1998 pour aboutir finalement au reversement du Président Vieira le 7 mai 1999. Dans cette opération, le Sénégal perd un allié fidèle et récupère en échange un homme peu sûr, dont l'accession au pouvoir a été favorisée par le soutien explicite du MFDC. Abdou Diouf n'a donc plus d'interlocuteur fiable : les différents membres du MFDC se déchirent, l'autorité de Diamacoune sur les séparatistes étant fictive ; le Président Mané se montre moins coopérant que son prédécesseur ; le Président gambien Yahya Jammeh tente de jouer un rôle dans la résolution de la crise sans avoir les moyens de ses ambitions. La Casamance reste de ce fait incontrôlable, gangrenée par les trafics d'armes et de drogues. On assiste également à "l'émergence de féodalités militaires" 26 , Dakar étant dans l'incapacité de contrôler des chefs militaires qui ont tout intérêt à faire durer le conflit. Logiquement, les violences casamançaises s'intensifient durant l'hivernage 1999.

L'opinion internationale est perplexe quant à la manière dont Abdou Diouf a géré cette crise. En outre, l'image dioufiste pâtit de l'agitation sociale qui touche le Sénégal. De nombreuses actions syndicales sont en effet menées pour empêcher la privatisation des grandes entreprises publiques, telles que la SONELEC. Les syndicats n'hésitent pas à multiplier les opérations de sabotage. Par exemple, les grandes villes sont plus d'une fois privées d'électricité pendant une dizaine d'heures. Face à la dangerosité de ces actions, le meneur syndical Mademba Sock est arrêté puis condamné à un an de prison. Cet emprisonnement est utilisé par les opposants pour signaler aux observateurs étrangers le durcissement du régime dioufiste. Ils le font notamment à Paris lors de la visite officielle d'Abdou Diouf en France en octobre 1998.

25 "Guinée-Bissau : échec selon le PDS", Le Soleil, 27 juillet 1998.

26 Thomas Sotinel, "Dakar doit de nouveau faire face à des combats en Casamance ", Le Monde, 15 juin 1999.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille