WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

( Télécharger le fichier original )
par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3.4.3. La crise ivoirienne :

Abdoulaye Wade a toujours eu des déclarations ambiguës vis-à-vis de l'armée. Dès 1981, il
invite de façon quelque peu maladroite les militaires à prendre en charge le pays suite au départ de Léopold Sédar Senghor. La réprobation étant générale, aussi bien dans le camp

socialiste que dans celui de l'opposition, Wade tient ensuite une position moins polémique, notamment en 1988. A ce propos, il aime rappeler durant sa précampagne électorale de 2000

la position légaliste qu'il adopta à l'époque, en dépit des multiples sollicitations qui s'offrirent à lui. Il le souligne notamment au cours de la conférence de presse informelle qu'il tient en

octobre 1999 dans l'avion qui le ramène de Paris à Dakar.

"Lorsque je me trouvais, en 1988, à la prison de Reubeuss [à Dakar], j'ai reçu, à plusieurs reprises, la visite d'un mystérieux Français qui m'a annoncé qu'un coup d'État était en préparation avec l'accord de Paris. Une autre fois, il est venu me proposer un plan d'évasion, que j'ai, bien entendu, décliné. Trouvant étonnante la facilité avec laquelle il pénétrait dans les lieux, je me suis toujours abstenu de commenter ses propos. Par la suite, on m 'a informé qu 'il venait à la prison dans la voiture personnelle du chef d'état-major de l'époque, le général Tavarez de Souza. Plus tard, après ma libération, je me suis retrouvé nez à nez avec lui lors d'une visite dans un foyer d'immigrés, en région parisienne. Après, je n 'ai plus eu de ses nouvelles. Un jour, en 1992, j 'ai été convo qué comme témoin par un juge d'instruction de Grenoble. Ce mystérieux personnage venait d'être déchiqueté par le colis piégé qu 'il transportait dans sa voiture. Le paquet, qui portait mon nom et mon adresse,

m 'était visiblement destiné. La preuve que mon heure n 'avait pas encore sonné. Cette histoire, que je n 'avais jamais racontée, j 'éprouve aujourd'hui le besoin de vous en faire part." 73.

Toutefois, sa position vis-à-vis de l'armée évolue après le 24 décembre 1999 et le putsch militaire ivoirien du général Robert Gueï.

Cet événement a une portée considérable au Sénégal, comme le montre la réaction ferme d'Abdou Diouf, qui condamne ce "recours à la force comme moyen d'accession au

pouvoir"74. Le voisin ivoirien était considéré depuis l'indépendance comme un semblable, une sorte de reflet du propre destin sénégalais. Depuis 1960, les deux pays multipliaient les similitudes : un père de la nation charismatique, influent et reconnu dans le monde entier

72 "Abdoulaye Wade au forum civil : je voterai, même avec les cartes israéliennes", Le Soleil, 28 janvier 2000.

73 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999. 74 Le Soleil, 27 décembre 1999.

(Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouet Boigny) ; une économique florissante dans les années 1960-70 puis fortement déclinante après 1985 ; une relation privilégiée avec l'ancienne métropole aussi bien sur le plan économique, diplomatique et militaire ; un Président installé constitutionnellement par son prédécesseur (Diouf par Senghor, Henri Konan Bédié par Boigny) ; un parti hégémonique depuis l'indépendance mais dont la légitimité est fortement contestée par l'opposition et les populations urbaines (le Parti socialiste sénégalais et le Parti démocratique de la Côte-d'Ivoire) etc.

La plus grande fierté de ces deux pays - une exception subsaharienne qui cimentait un peu plus l'étroitesse des relations entre les deux anciennes colonies françaises - était que depuis leur indépendance, jamais l'armée n'avait eu à intervenir pour régler une crise politique intérieure. Or, les événements du 24 décembre 1999 brise "l'homogénéité du binôme". L'impensable se produit quand Henri Konan Bédié est "invité" à quitter le pays sans attendre. La vie politique ivoirienne est confisquée au profit de l'armée.

Le Sénégal se retrouve isolé et en proie au doute. En effet, certains contemporains jugent que la situation sénégalaise est encore plus critique que la situation ivoirienne 75. Une nouvelle contestation électorale pourrait ainsi pousser l'armée à imiter son homologue ivoirienne, d'autant plus que les militaires sénégalais expriment depuis le début de l'année 1999 leur lassitude.

Réputée pour être l'une des armées les plus performantes de la sous-région, l'armée sénégalaise est régulièrement mise à contribution. La multiplication des champs d'opérations - Casamance, Guinée-Bissau, Centrafrique etc. - multiplie... les primes impayées aux soldats. Par conséquent, on assiste dans les faubourgs de Dakar, notamment en avril 1999, à des manifestations informelles de l'armée 76 . Ces mécontentements répétés inquiètent les observateurs internationaux, qui voient dans ces agissements les prémisses d'un possible coup d'Etat militaire. La situation ivoirienne ne fait donc qu'aggraver ce pressentiment.

Abdoulaye Wade profite de l'effroi provoqué par la nouvelle pour déclarer à Sud quotidien le 31 décembre 1999 : "l'armée et les jeunes doivent prendre leurs responsabilités ". Comme en 1981, cet appel aux militaires a bien du mal à faire l'unanimité dans les rangs de l'opposition, même si Moustapha Niasse tente vainement d'expliquer la déclaration de son partenaire du FRTE : "l'opposition est opposée à la violence, mais nous répondrons à la violence avec les moyens appropriés, d'où qu'elle vienne" 77.

Les socialistes apprécient quant à eux que très modérément la remarque du leader PDS et organisent une riposte à ce sujet. Tandis qu'Abdou Diouf dans ses voeux de 2000 à l'armée insiste sur le concept "d'armée nation" et rappelle les devoirs du soldat, "la défense de l'intégrité du territoire nationale et la protection des populations" 78, le PS envoie "au front" les anciens libéraux devenus pro-dioufistes, à savoir Jean-Paul Dias et Ousmane Ngom, pour faire la morale à leur ancien mentor 79.

Conscient de sa bavure et désireux de ne pas apparaître aux yeux des occidentaux comme un simple "agitateur", Abdoulaye Wade corrige sa prise de position le 24 janvier 2000 et qualifie par ces mots l'hypothèse d'une intervention de l'armée dans le scrutin : "cela serait l'échec de

75 Thomas Sotinel, "Turbulences africaines", Le Monde, 1er août 1999.

76 André Payenne, "Les douze travaux d'Abdou Diouf", Jeune Afrique, 15 juin 1999 ; "Triste noël pour les Diouf", Lettre du continent, 13 janvier 2000 et M-C. Diop, M.Diouf et A.Diaw, "Le baobab a été déraciné : L 'alternance au Sénégal", pp.1 58, PoA 78, juin 2000.

77 "Le FRTE mobilise", Le Soleil, 27 janvier 2000.

78 "Abdou Diouf : je vous exhorte à renforcer le concept armée-nation", Le Soleil, 2 janvier 2000. 79 Le Soleil, 27 janvier 2000.

ma vie ". Cette déclaration faite juste avant le début de la campagne électorale officielle à le mérite de calmer les esprits sans pour autant écarter la possibilité d'un renversement d' Abdou Diouf par l'armée.

Les opposants entament donc les trois semaines de campagne avec des certitudes : l'union de l'opposition dans le cadre du FRTE est effective et solide ; les procédés socialistes - révisions constitutionnelles, changement de présidence à l'ONEL, cartes israéliennes etc. - ont été soit dénoncés, soit contrecarrés ; Dakar, au vu de l'accueil réservé à Wade en octobre, réclame le sopi ; le séisme provoqué par le départ de Moustapha Niasse du PS a considérablement affaibli le parti gouvernemental ; Abdou Diouf n'est plus considéré par une partie de l'Occident comme un démocrate exemplaire etc.

Abdou Diouf est donc très clairement menacé à son poste présidentiel. Espérant une victoire au premier tour, il ne peut plus compter sur la traditionnelle "machine à fraude de l'Etat", au risque de connaître la même fin que son homologue Henri Konan Bédié. Il doit aussi faire face à la décadence de sa formation politique, éprouvée par les départs successifs de Kâ et Niasse. La crise est si profonde que le chef de l'Etat parait être le seul à pouvoir sauver son parti. Il est la branche sur laquelle le PS est assis 80.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius