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L'alternance politique au Sénégal : 1980-2000

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par Adrien THOUVENEL-AVENAS
Université Sorbonne Paris IV - Master 2 2007
  

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3.4.2. L'affaire des cartes israéliennes :

Le Général Lamine Cissé, autrefois salué par l'opposition pour ses vertus démocratiques, est à la veille du scrutin de 2000 l'un des hommes les plus contestés du gouvernement Lamine

Loum. Ses distances à l'égard de l'ONEL sont mal perçues et on le soupçonne de plus en plus d'être le plus principal instigateur des manigances socialistes. Le FRTE lui reproche

notamment d'avoir encouragé après les législatives de 1998 la destruction des procès-verbaux et une refonte du fichier électoral à l'avantage des socialistes 62 . Cette défiance vis-à-vis de

Cissé est renforcée le 5 janvier 2000 après les accusations portées par Moustapha Niasse. Ce dernier soutient que le ministre de l'Intérieur a fait fabriquer deux types de cartes d'électeur :

un sur le sol sénégalais, l'autre sur le sol israélien, dans le but d'assurer au PS "une victoire électronique" 63 . A l'instar des révélations wadistes sur l'existence des "cartes espagnoles" en

octobre 1996, le pouvoir se trouve rapidement dans l'obligation d'avouer sa faute.

Les justifications de Lamine Cissé n'apparaissent pas très claires, ni très cohérentes. Il nie en effet l'existence de deux stocks de cartes mais reconnaît dans le même temps... qu'il existe bel

et bien un stock de cartes au Sénégal et un autre en Israël 64 . Pour se sortir de cette impasse dialectique, il affirme : "nous avons dû faire fabriquer de nouvelles cartes infalsifiables à

l 'étranger, parce que celles livrées par l 'imprimeur sénégalais étaient facilement imitables ". Plus que le coût et l'inutilité de fabriquer un deuxième lot de cartes, c'est la non-prévention de

cette opération à l'ONEL qui est reprochée à l'ancien chef d'état-major général des Armées sénégalaises. On le soupçonne d'avoir voulu en changeant les cartes électorales, à l'abri des

regards indiscrets, trafiquer massivement le fichier électoral. Pour se justifier, le ministre parle de "défense de la sécurité publique" et déclare avoir caché l'existence des cartes israéliennes

pour pouvoir vérifier dans un premier temps l'infalsifiabilité des cartes. Niasse refute cette version et indique qu'en Israël, le pouvoir a mis en place ce que l'on peut appeler une véritable

"industrialisation de la fraude".

"Le fichier a été transféré en Israël et des inform aticiens ont travaillé dessus pendant quatre semaines. Ils en ont exclu des centaines de milliers d'électeurs, tous opposants à Diouf, et y ont introduit plusieurs autres centaines

61 Francis Kpatindé, "Qui peut battre Diouf ? ", Jeune Afrique, 17 août 1999.

62 Francis Kpatindé, "Diouf, seul contre tous", Jeune Afrique, 30 mars 1999.

63 Valentin Hodonou, "L'opposition à l'assaut de la forteresse ", Afrique Expresse, n° 125, février 2000.

64 "Général Cissé : le souci de la transparence", Le Soleil, 7 janvier 2000.

de milliers d'autres, supposés favorables au président sortant. Nous avons les preuves de ce que nous avan çons. Et le ministre de l'Intérieur, le général Lamine Cissé, sait que je suis en possession de documents qui établissent la réalité de la manipulation." 65.

Les autres membres du FRTE se rallient à la position de l'AFP et crient au scandale. L'affaire des cartes israéliennes pollue de ce fait toute la précampagne électorale. Ainsi, l'URD propose le vote d'une nouvelle motion de censure, à peine plus d'un an après la première 66 tandis que les rapports entre le PS et le FRTE s'enveniment, les discussions au sujet de légères modifications du code électoral sombrant dans l'impasse à la suite de l'affaire. L'ONEL se joint quant à lui à la colère des opposants. En effet, bien qu'il confirme la validité des cartes d'électeurs israéliennes et leur meilleure qualité comparée à celles produites au Sénégal, l'observatoire condamne fermement la démarche entreprise par le général Cissé, en déclarant "qu 'il (l'ONEL) n 'a pas été mis dans les conditions lui permettant d'assurer sa mission" 67. Cette nouvelle polémique montre en tout cas, selon l'un des membres de l'ONEL, El Hadj Mbodj, que certains hauts dirigeants socialistes sont encore très éloignés de certaines vertus fondamentales du jeu électoral, "telles que le respect de la loi, la tolérance, la transparence, l'ouverture etc." 68

Devant l'ampleur de l'affaire - même Abdou Diouf condamne à demi-mot le comportement de son ministre 69 - le général Lamine Cissé endosse l'entière responsabilité de son acte, sans mêler à aucun moment d'autres acteurs du PS. Pourtant, comment croire qu'à quelques semaines seulement d'un scrutin crucial, le ministre de l'Intérieur ait pu agir seul et dans une totale confidentialité ? Cette invraisemblance dessert Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse faisant le rapprochement entre les manigances du ministre de l'Intérieur et celles du ministre d'Etat : il parle de duo "Cissé-Tanor" 70.

Même si le pouvoir soutient que les cartes électorales sont régulières et que le fichier est transparent et facilement consultable sur Internet 71 , rien n'y fait, l'affaire des cartes israéliennes enfonce un peu plus le pouvoir socialiste dans la crise. Les candidats de l'opposition en profitent pour organiser le 2 février 2000 des manifestations à Dakar et dans d'autres grandes villes : elles rassemblent des dizaines de milliers de personnes. Après avoir réclamé tout au long de leur marche la démission du ministre de l'Intérieur, certains opposants (Niasse, Kâ, Savané) sont reçus à la fin de cette journée par... le général Cissé. Un retour au dialogue est alors amorcé.

65 Assou Massou, "Moustapha Niasse : Diouf sera battu", Jeune Afrique, 22 janvier 2000.

66 Le Soleil, 7 janvier 2000.

67 "Les commandes sont conformes à la loi", Le Soleil, 28 janvier 2000.

68 Le Soleil, 19 janvier 2000.

69 "Pour me résumer, je dirai que dans cette affaire, le ministre de l'Intérieur a respecté la loi, même si je pense qu 'il aurait dû, dans le cadre des relations de confiance et de travail existant entre les différents organismes chargés d'assurer le contrôle et la supervision des élections, informer le président de l'ONEL. Cela dit, d'un point de vue strictement juridique, on ne peut rien lui reprocher". Francis Kpatindé, "Abdou Diouf : Ma dernière bataille", Jeune Afrique, 8 janvier 2000.

70 Hamad Jean Stanislas N'diaye, "La communication politique dans les élections au Sénégal : l'exemple du PS (Parti Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000", Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal).

71 L'utilisation du réseau Internet à des fins politiques - mais aussi démocratiques - n'est pas anodine. Internet s'est relativement bien développé au Sénégal à la fin des années 1990, grâce notamment aux grandes libertés octroyées par le régime dioufiste en ce qui concerne l'information. On estime en 1999 qu'au sud du Sahara, le Sénégal est le deuxième pays le plus connecté à Internet après l'Afrique du Sud. Voir Mamadou Bah, "Cher téléphone", Jeune Afrique, 15 juin 1999.

Après le 2 février, le pouvoir et le FRTE engagent un audit du fichier électoral dans le but de

"corriger" les incohérences constatées. Du 11 février au 26 février, c'est à dire jusqu'à la veille du premier tour, le FRTE, le ministère de l'intérieur, l'ONEL mais également le Front

d'Action de la Société Civile (FASC) s'attellent à constituer un fichier électoral unique et transparent.

L'affaire dite des cartes israéliennes renforce donc un peu plus l'opposition. Nonobstant

l'existence de deux stocks de cartes et de deux fichiers électoraux à quelques semaines du scrutin, elle ne renonce jamais à se présenter devant les électeurs 72. Les enjeux sont trop

importants et de plus, le contexte extérieur est favorable à une alternance politique. En effet, le putsch militaire ivoirien du 24 décembre 1999 pousse les autorités socialistes à une plus

grande prudence en matière de fraudes, d'autant plus que l'armée sénégalaise, réputée pour sa discrétion et sa fidélité à la République, donne des signes inquiétants de lassitude et

d'énervement. Abdoulaye Wade profite de ce climat pesant pour menacer à demi-mot Abdou Diouf de connaître la même mésaventure que son homologue Henri Konan Bédié, à savoir

d'être chassé du pouvoir par les militaires.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams