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La théorie des droits permanents dans la jurisprudence du Tribunal administratif tunisien

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par Faycel Bouguerra
Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2006
  

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CHAPITRE II : LIMITES DE LA THÉORIE DES DROITS PERMANENTS

Dès ses premières années d'activité, le Tribunal administratif s'est heurté au problème que la loi de 1972 et même celle de 1996 ne prévoient pas des délais de prescription en matière de plein contentieux.

Alors que le juge judiciaire qui reconnaît en premier ressort de quelques litiges à caractère administratif applique les dispositions spéciales du COC sur les litiges, le juge administratif a toujours vu que le texte applicable en matière de la responsabilité de l'administration est le décret du 27 novembre 1888 portant sur la responsabilité de l'État devant les tribunaux administratifs, et du coup il en retire la différence de la responsabilité administrative de la responsabilité civile.

Cette différence de nature encourt donc une différence des délais. Ainsi, faute de texte spécial, il se base toujours sur l'article 402 du COC qui prévoit un délai de prescription de 15 ans des recours engageant la responsabilité de l'administration.

Selon le Doyen Ben `Achour, le juge administratif a recouru bel et bien à la théorie des droits permanents dans le plein contentieux, et il rapporte cela du mémoire de Ahlam Ben Edhif sur la prescription extinctive en droit administratif tunisien298(*). Or, une recherche bien poussée dans la jurisprudence du Tribunal montre que le juge administratif a reconnu un certain aménagement limité des délais en plein contentieux (SECTION I), alors qu'il a reconnu un recul spectaculaire en la matière même de la sécurité sociale (SECTION II), qui a été le terrain d'élection de la théorie des droits permanents.

SECTION I : LIMITES INTERNES : L'EXTENTION LIMITÉE DE LA THÉORIE AU PLEIN CONTENTIEUX

Il faut admettre qu'on est devant une extension inexistante en matière de la responsabilité conventionnelle (Paragraphe I), et un peu limitée en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (Paragraphe II).

Paragraphe I : Responsabilité contractuelle et contraventionnelle

La dette de l'État peut naître d'un événement ou d'un incident qui aboutit à ce que le montant de la dette ne peut être fixé d'une manière certaine, ce qui donne lieu à une indemnisation forfaitaire.

C'est le cas en général de la responsabilité contraventionnelle de l'État (A). Dans le cas où la responsabilité naisse d'une relation contractuelle entre l'État et un administré, la dette sera connue, déterminée et exécutable (B).

A- Marchés publics et contrats : les dettes déterminées, fixes et définitives

Pour ce qui est de la responsabilité de l'État en matière contractuelle, la dette peut prendre la forme de sommes à verser pour une personne en contre partie à son accomplissement de certains services au profit du service public. Il est à noter qu'en l'occurrence, le juge dispose d'une panoplie de différents délais.

Ainsi, en matière des dettes publiques déterminées, fixes et définitives, le Tribunal administratif tunisien applique les délais de prescriptions de 4 ans prévus à l'article 46 du Code de la comptabilité publique299(*), abstraction faite de l'article 409 du Code des obligations et des contrats qui, quant à lui, prévoit un délai de prescription de 5 ans.

En effet, le Tribunal administratif300(*) ainsi que les tribunaux de l'ordre judiciaire301(*) ont toujours confirmé dans leurs jurisprudences respectives que cet article 409 ne concerne que les dettes fiscales. Ainsi, ils ont fait prévaloir la version en langue française de cet article 409 qui prévoit que « la prescription de cinq ans dont il est parlé ci-dessus, s'applique (...) aux impôts publics et à ceux dus aux administrations communales ». Or, dans sa version en langue arabe, qui est la version officielle qui fait foi, l'article emploie un terme qui ne correspond pas au terme "impôts".

En effet, le terme employé par le législateur dans l'article 409 du COC est plus large, et il peut avoir comme synonyme celui des "dettes". Il s'ensuit que, pour ce qui est des dettes non fiscales, le Tribunal administratif applique la déchéance quadriennale prévue dans l'article 46 du CCP302(*).

Toujours est-il que les règles de prescription visent à protéger les droits des personnes privées, ce qui entraine qu'elles ne peuvent être traitées comme l'une des considérations d'ordre public303(*).

Or, il est indubitable de considérer que les dispositions de l'article 46 sont d'ordre public, car il est inadmissible de voir l'administration renoncer à la prescription extinctive. Ainsi, on est en droit de s'aligner sur la position du Doyen `Yadh Ben `Achour, en considérant que l'article 46 du C.C.P concerne la déchéance, c'est-à-dire le droit lui-même et non pas la prescription, c'est-à-dire le recours contentieux. Partant, l'administration ne peut y renoncer304(*).

Toutefois, le Tribunal administratif estime que la prescription extinctive de la réclamation de la dette prévue dans l'article 46 du Code de la comptabilité publique ne peut faire l'objet d'une exception d'ordre public, et le juge n'a pas à la soulever d'office. Le Tribunal estime qu'il n'est tenu de soulever que les délais de recours contentieux. Or, cela contredit sa jurisprudence antérieure qui affirme que les dispositions du C.C.P sont toutes obligatoires et d'ordre public305(*).

Une décision du Tribunal administratif qui date du 6 décembre 2005 affirme, toutefois implicitement, que l'article 46 concerne la déchéance et non pas la prescription. Dans cette affaire, le requérant a trainé en justice son administration au motif qu'elle n'a pas payé des contributions à la CNRPS. Ainsi, il réclame ses salaires non payés, ses contributions et ses droits sociaux. Le Tribunal estime que, faute de règles de prescription spéciales en matière de responsabilité administrative, le recours ne peut être soumis qu'aux délais de prescriptions des recours prévus expressément à l'article 402 du C.O.C.

On en retient que le Tribunal, sans le dire, raisonne ainsi : même si les dettes en l'occurrence sont non-fiscales et déterminées, on ne peut leurs appliquer le délai de l'article 46 du C.C.P car ce dernier est un délai de déchéance, alors que les droits réclamés en l'espèce ne peuvent faire l'objet d'aucune déchéance en application de l'article 3 de la loi de 1985. Du coup, l'article 402 relatif à la prescription des recours est applicable306(*).

Il faut souligner que cet article trouve son application la plus abondante, voir même spectaculaire en matière des dettes indéterminées.

B- Responsabilité contraventionnelle : les dettes indéterminées

En matière des dettes indéterminées qui résultent de la responsabilité de l'administration, le Tribunal administratif applique les dispositions de l'article 402 du C.O.C, abstraction faite des autres articles qui prévoient des délais de prescriptions plus courts.

En effet, cet article 402 prévoit un délai de 15 ans pour la prescription des dettes qui naissent, en général, de l'engagement de la responsabilité de l'État, et qui commence à s'écouler à partir de la date de l'action fautive imputée à l'administration.

Or, il y a aussi l'article 115 du même Code relatif à la dette qui résulte des délits et des quasi-délits et qui prévoit que la réclamation de cette dette se prescrit par l'écoulement de 3 ans.

Pour justifier son choix, le Tribunal estime que la responsabilité administrative est organisée par des textes spéciaux en dehors du droit civil car elle est différente de la responsabilité civile.

De plus, il estime qu'il faut appliquer l'article 402 vu qu'il prévoit une règle s'érigeant en principe général, et non pas l'article 115 qui prévoit une règle spécifique au droit civil.

Or, on est du coté du Doyen `Yadh Ben `Achour qui estime que cette logique suscite, tout de même, un peu de méfiance. En premier lieu, cette logique contredit le principe qu'a fondé le Tribunal, et qui prévoit que le droit civil ne s'applique pas au contentieux administratif307(*), alors que l'article 402 est toujours une disposition du droit privé. En deuxième lieu, cette logique contredit un autre principe selon lequel la règle spéciale déroge à la règle générale308(*). En troisième lieu, il parait que le Tribunal se base, parfois, sur les dispositions de l'article 115 pour fonder ses décisions, et cela prends le contre pieds de son choix de principe309(*).

En effet, le Tribunal administratif, mis à part ces cas isolés, a toujours recalé l'application de l'article 115 au profit de l'article 402, et ce chaque fois qu'il s'agit d'une indemnité ou d'une dette résultant d'un délit ou d'un quasi-délit. Ainsi, il a considéré que les délais de prescription de la dette qui résulte d'un fonctionnement défectueux du service public sont ceux de l'article 402 du C.O.C qui commencent à écouler à partir de l'incident engageant la responsabilité de l'administration310(*). Cet incident peut résulter d'une résiliation arbitraire d'un contrat telle qu'elle a été constatée par le juge311(*), d'une révocation abusive312(*), tout comme il peut résulter d'une action illégale de l'administration313(*).

Le Tribunal, dans d'autres affaires, refuse d'appliquer aux indemnités relative au fonctionnement défectueux du service de l'enseignement le délai de prescription de 3 ans prévu par le décret beylical du 17 septembre 1937 relatif à la responsabilité de l'État remplaçant celle des agents de l'enseignement public.

Ainsi, chaque fois que la faute est imputée au service, c'est-à-dire qu'elle s'avère une faute de service, le Tribunal applique l'article 17 (nouveau) de la loi n° 39 de 1996 qui renvoie implicitement au décret de 1937314(*). Or, s'il s'avère que la faute est personnelle et détachable du service, le juge administratif applique les règles générales de prescription de l'article 402 du C.O.C315(*).

Il est à noter qu'il existe d'autres délais spéciaux de prescription relatifs à l'activité de l'administration.

Ainsi, entre autres, le délai de 2 ans pour demander l'indemnité pour installation des lignes télégraphiques, électriques et téléphoniques institué par le décret du 12 octobre 1887 et le décret du 30 mai 1922. Il est aussi le délai de 2 ans pour la réclamation de l'indemnisation du dommage résultant de la délimitation du domaine public institué par le décret du 20 mars 1905, ainsi que le délai de 10 ans pour ce qui est de la délimitation du domaine privé de l'État.

Mis à part ces délais spéciaux, l'article 402 trouve toujours application, notamment en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique.

* 298 Ben Achour (Yadh), Alqadh'â Al-idary Wa Fiqh Al-morafa'at Al-idariyâ : (Contentieux administratif), 3ème éd., CPU, Tunis, 2006, p. 294 ; Edhif (Ahlam), La prescription extinctive en droit administratif, Mémoire de DEA en Droit public et financier rédigé en langue arabe sous la direction de M. Med. Salah Ben Aïssa, FSJPS, Tunis, 2003, p. 71.

* 299 Voir annexe des textes juridiques.

* 300 T.A., Déc. du 21 février 1985, Ettayeb c/ Municipalité de La Marsa, La Collection, p. 40.

* 301 C.Cass., Déc. du 24 novembre 1959, RJL, 1960, 9 et 10, p. 136.

* 302 T.A., Déc. du 20 avril 1992, Municipalité de La Goulette c/ Tomzali, La Collection, p. 300.

* 303 Article 385 du Code des obligations et des contrats tunisien.

* 304 Ben `Achour (`Yadh), Op. cit., p. 291 ; Voir aussi : Edhif (Ahlam), Op. cit., p. 17.

* 305 T.A., Déc. du 24 juin 1976, Société du Céramique Central c/ CCE, La Collection, p. 31.

* 306 T.A., Déc. n° 19031 du 6 décembre 2005, Zouhayer Ben `Ammi Ben Boubaker El-ounissi c/ Conseil régional de Médenine, Inédite.

* 307 Notamment le grand débat sur le décret beylical du 27 novembre 1888 que les Tribunaux administratifs français en Tunisie, influencés par l'arrêt Blanco du Conseil d'État français, l'ont considéré comme la preuve de la différence entre la responsabilité administrative et la responsabilité civile. Ainsi, ils ont toujours refusé d'appliquer les dispositions du C.O.C relatives à la responsabilité de l'administration publique.

* 308 À savoir la maxime Specialia generalibus derogant, ou a contrario, Generalia specialibus non derogant.

* 309 T.A., Déc. du 25 février 1988, Besbes c/ CCE, La Collection, p. 18.

* 310 T.A., Déc. n° 22292 du 14 mai 1999, Le CCE pour le compte du Ministère de la défence nationale c/ Mohamed Ben `Abd El-`eziz El-bahrouni, Inédite.

* 311 T.A., Déc. n° 19865 du 27 mai 2004, Mohamed Slimani c/ Ministre de la défense nationale et le CCE en son compte, Inédite.

* 312 T.A., Déc. n° 1/10450 du 25 mars 2005, Lotfi `Abdelli c/ Le CCE pour le compte du Ministère de la défense nationale, Inédite.

* 313 Au sens de l'article 17 (nouveau) de la loi n° 39 de 1996. Toutefois, il est à rappeler que pour ce qui est de la responsabilité des véhicules et des moyens de transports sous la disposition de l'État, le juge judiciaire est compétent en vertu d'une habilitation législative.

* 314 Voir annexe des textes juridiques.

* 315 T.A., Déc. n° 1/10798 du 30 novembre 2005, Ridah Ben `Alaya Karmi c/ Le CCE pour le compte du Ministère de l'éducation et de la formation, Inédite.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand