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La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie

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par Thomas Naudin
Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007
  

Disponible en mode multipage

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction 1

Section 1. - L'infléchissement de l'unité du patrimoine 5

I. - L'affectation patrimoniale du fiduciaire 5

A. - La théorie classique du patrimoine et le principe d'unicité 5

1. - Les origines de la conception classique 5

2. - Les critiques et les théories concurrentes 7

3. - La conception contemporaine du patrimoine 8

B. - La fiducie et le principe d'unicité 9

1. - La réalité de l'affectation patrimoniale dans la loi du 19 février 2007 10

2. - L'impact pratique 13

II. - Un dédoublement de propriété 16

A. - Le transfert opéré par la fiducie 17

1. - Les caractères du transfert de propriété 17

2. - Les effets du transfert de propriété 20

B. - Le dédoublement conventionnel du droit de propriété 21

1. - L'absence d'obstacle légal 22

2. - Les droits des différents acteurs de la fiducie 24

Section 2. - Un infléchissement à relativiser 29

I. - Le maintien du droit de gage général des créanciers 30

A. - La remise en cause du contrat de fiducie 30

1. - La remise en cause de la fiducie en période normale 30

2. - La remise en cause de la fiducie par le droit des entreprises en difficultés 34

B. - La fragilité du cloisonnement patrimonial 36

1. - La persistance de liens patrimoniaux 36

2. - La quasi-impossibilité pratique d'un cloisonnement hermétique 40

II. - La difficile coordination des droits spéciaux 41

A. - La mise à mal de l'affectation patrimoniale par les droits spéciaux 42

1. - L'autonomie variable du patrimoine fiduciaire 42

2. - La titularité du patrimoine fiduciaire 44

B. - Les difficultés soulevées par la transmissibilité du patrimoine fiduciaire 46

1. - La prohibition des fiducies-libéralités 46

2. - La cessibilité des droits du constituant 48

Conclusion 51

Bibliographie

Introduction

1. - La fiducie trouve ses origines les plus lointaines dans le droit romain, où il était le plus ancien des contrats réels. Cette opération peut se définir comme le contrat par lequel une personne, le fiduciant (ou constituant) transfert une chose à un fiduciaire qui la détient dans un patrimoine d'affectation distinct du sien dans un but déterminé au profit d'un bénéficiaire.

2. - Etymologiquement, la fiducie est une relation de confiance (fides en latin) entre le fiduciant et le fiduciaire. On trouvait chez les romains deux applications essentielles de cette institution, la fiducia cum creditore (la fiducie-sûreté) et la fiducia cum amico (la fiducie-gestion)1(*). Tombée en désuétude vers la fin du moyen-âge, le code civil l'ignora totalement en 1804.

3. - De leur côté, les pays de common law développèrent le trust2(*), un mécanisme aux fondements différents, mais aux effets comparables. Il permet de considérer qu'un bien ait pour propriétaire une personne détenant ce bien pour le bénéfice d'une autre3(*). Initié au XVIème siècle, le trust a connu un essor considérable au point d'occuper une place centrale dans de nombreux domaines du droit anglo-saxon. On y a aujourd'hui recours tant dans la vie privée (les trusts successoraux sont une forme fréquente de trust, utilisés pour organiser les successions4(*)) que dans le monde des affaires.

4. - C'est principalement dans ce dernier domaine que s'est fait ressentir dans les pays de tradition civiliste le besoin d'instaurer une institution comparable au trust. En Allemagne, c'est la jurisprudence qui développe le Treuhand, mécanisme d'influence fiduciaire5(*). Dans les années 1980, un mouvement international favorable au trust a abouti à la conclusion d'une convention à La Haye le 1er juillet 1985, « relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance ». La France, pourtant état signataire, ne l'a jamais ratifiée, ne disposant pas dans sa législation interne de dispositions reconnaissant le trust ou une institution comparable. Parallèlement, de nombreux pays tels que le Luxembourg ou la Suisse ont instauré la fiducie, afin d'offrir des instruments juridiques comparables au trust.

5. - En France, quelques projets de lois eurent l'ambition de ressusciter la fiducie dans le droit français, mais aucun ne put aboutir. L'une des raisons affichées était l'incompatibilité entre la fiducie et la théorie du patrimoine. Cependant la raison réelle est probablement la grande méfiance qui existe envers la fiducie (comme envers le trust), soupçonnée de favoriser le blanchiment d'argent, la fraude fiscale ou le financement d'organisations terroristes.

6. - L'arsenal juridique français devint donc moins attrayant ce qui entraina des délocalisations de montages financiers, occasionnant un manque à gagner non négligeable pour la France. Les grandes entreprises françaises n'ont pas hésité à traverser la Manche pour profiter des instruments qui y étaient disponibles. En 1987, Peugeot SA alla créer un trust de defeasance aux Etats-Unis6(*), mettant ainsi en lumière les carences de notre système. Si la pratique avait alors pleinement conscience des enjeux que représentait une loi dans ce domaine, le législateur enterra un nouveau projet au début des années quatre-vingt dix.

7. - Des lois furent cependant adoptées dans des domaines très spécifiques, instaurant des mécanismes inspirés directement de la fiducie, mais sans pour autant la consacrer. Ainsi peut-on citer la « loi Dailly » qui a permis dès 1981 la cession de créances professionnelles à titre de garantie. Reposant sur un transfert de propriété temporaire, ce mécanisme juridique est pour beaucoup une application de la fiducie-sûreté7(*).

8. - Le législateur, en s'obstinant à ne pas généraliser la fiducie mais en s'en inspirant pour légiférer a minima, menaçait la cohérence du droit français tout en ne répondant pas aux attentes des praticiens. Sur le plan international, la France ne pouvait toujours pas ratifier la Convention de La Haye. Au niveau européen, Bruxelles manifestait l'intention d'uniformiser les règles communautaires dans ce domaine. Pour toutes ces raisons, une grande loi sur la fiducie, ou sur un trust à la française, paraissait autant souhaitable qu'inéluctable. Finalement ce fut le 19 février 2007 que l'Assemblée Nationale adopta sans aucun amendement et dans une indifférence médiatique assez notable la proposition du sénateur Philippe Marini, telle que votée par le Sénat le 17 octobre 2006.

9. - Cette fiducie à la française a la particularité d'être réservée aux personnes morales assujetties à l'impôt sur les sociétés, excluant ainsi du bénéfice de cette loi toutes les personnes physiques et bon nombre de personnes morales8(*) (on pense notamment à beaucoup de sociétés civiles ainsi qu'à certaines SARL familiales, lesquelles devront opter pour l'impôt sur les sociétés si elles veulent profiter de la loi sur la fiducie). Cette restriction rationae personae fut imposée par le gouvernement lors des débats au sénat, alors que la proposition de loi ouvrait initialement la fiducie à toutes les personnes, sans aucune distinction. Selon le Garde des Sceaux, il n'était pas nécessaire de généraliser l'opération à toutes les personnes, étant donnés les récentes réformes du droit des successions et du droit des sûretés9(*).

10. - En juin 2006 furent institués en droit français des mécanismes de libéralités résiduelles et graduelles, ainsi que le mandat posthume, mécanismes sur lesquels il convient de s'attarder. La libéralité graduelle permet à une personne de céder (à titre gratuit) un bien, à charge pour le donataire de céder ce bien à une tierce personne désignée par le cédant. La libéralité résiduelle en est proche, la seule différence résidant dans le fait que le donataire peut disposer des biens transmis, la charge pesant sur lui étant de céder ce qu'il en reste. Ces mécanismes à trois personnes, impliquant un transfert de propriété nécessairement temporaire et accompagné d'obligations pour le donataire (l'obligation de conserver le bien, de le céder à telle ou telle personne), peuvent facilement être rapprochés de la fiducie. De fait, un résultat similaire aurait parfaitement pu être obtenu par le biais d'une fiducie-gestion. Le mandat posthume permet au de cujus de désigner un mandataire ayant pour mission de gérer un certain bien ou un ensemble de biens au profit d'un ou plusieurs héritiers désignés. Le but recherché est de protéger un héritier du fait de son jeune âge ou d'un éventuel handicap ou encore de faire en sorte qu'un héritier ne puisse pas dilapider le patrimoine transmis. Grace à ce mécanisme il devient possible d'envisager la transmission d'une entreprise individuelle à un mineur, et de la faire gérer par un tiers compétent en attendant sa majorité.

11. - Le choix d'exclure les personnes physiques du champ d'application de la loi a été fait également à des fins de protection. Selon le Garde des Sceaux, la constitution de sûretés fiduciaires aurait pu permettre de contourner certaines dispositions du droit des sûretés destinées à protéger certaines catégories de personnes, notamment les personnes physiques non-professionnelles. De même l'autorisation du pacte commissoire10(*) (la clause d'un contrat de gage permettant au créancier gagiste de s'attribuer la propriété du bien engagé en cas de défaillance du débiteur) par la réforme du 23 mars 2006 limitait, toujours selon le Ministre de la Justice, l'intérêt qu'aurait pu représenter la fiducie-sûreté pour ces personnes.

12. - La véritable raison doit néanmoins être recherchée du côté des craintes suscitées par la fiducie, principalement d'un point de vue fiscal. L'opération est en effet un formidable outil d'optimisation fiscale dans certains pays (Québec par exemple) et poussée à son extrême, elle peut favoriser une importante évasion fiscale. En limitant la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, cette loi est ouvertement destinée à une partie du monde des affaires.

13. - L'un des obstacles majeurs soulevés par la doctrine était constitué par la théorie du patrimoine et deux de ses principes fondamentaux, l'unicité du patrimoine et l'indivisibilité du patrimoine. Cette théorie fut développée au cours du XVIIIème siècle par deux grands juristes, Aubry et Rau. Basée sur une conception subjective de la notion de patrimoine, elle fut dégagée à partir du droit de gage général des créanciers disposé par les anciens articles 2092 et 2093 du Code civil (les articles 2284 et 2285 du Code civil depuis la réforme du droit des sûretés du 23 mars 2006). Les trois axiomes sur lesquels s'appuie cette théorie sont :

- chaque personne ne peut avoir qu'un patrimoine,

- seules les personnes peuvent avoir un patrimoine,

- toute personne a nécessairement un patrimoine.

14. - La fiducie au contraire suppose que les éléments transférés constituent un patrimoine d'affectation distinct du patrimoine personnel du fiduciaire. Ainsi, le fiduciaire se trouve à la tête de plusieurs patrimoines distincts, ce qui représente une entorse aux principes d'unicité et d'indivisibilité du patrimoine. Il semble y avoir une incompatibilité de principe entre la théorie classique du patrimoine et la théorie du patrimoine d'affectation. Mais des pays voisins de la France partageant pourtant une même influence romaniste ont su adapter leur droit et adopter la fiducie sans pour autant remettre en cause l'ensemble de leur système juridique. L'adoption en droit français d'une institution comparable peut s'analyser à première vue en un abandon de la théorie classique du patrimoine. Mais la réponse se doit d'être plus nuancée. Quelques éléments peuvent indiquer que la loi du 19 février 2007 va dans le sens d'un infléchissement de la théorie classique du patrimoine (Section 1). Toutefois, cet infléchissement se doit d'être relativisé (Section 2), notamment du fait que le législateur a organisé le maintien du droit de gage général, « socle » de la théorie subjective du patrimoine.

Section 1. - L'infléchissement de l'unité du patrimoine

15. - La loi du 19 février 2007 instaure la fiducie en droit français. C'est là un apport majeur en soi. L'objectif était de doter la France d'un instrument juridique capable de concurrencer le trust anglo-saxon et les fiducies étrangères (treuhand, anstalt,...), afin d'endiguer le flot de délocalisations d'opérations financières ou de montages juridiques. Pour certains auteurs, la loi reconnait la notion de patrimoine d'affectation, ce qui constitue une remise en cause du principe d'unicité du patrimoine11(*). Ainsi il conviendra d'envisager l'affectation patrimoniale du fiduciaire (1). Certains ont pu suggérer que la fiducie réalise un transfert de propriété du fiduciant au fiduciaire, et qu'ainsi cette opération ne peut pas être rapprochée du trust qui suppose un dédoublement de la propriété entre le trustee et le cestui que trust12(*). Nous envisagerons néanmoins la question d'un dédoublement de propriété opéré par la fiducie (2).

I. - L'affectation patrimoniale du fiduciaire

16. - On rappellera dans un premier temps les fondements de la théorie du patrimoine, ainsi que ses critiques et son évolution contemporaine (A), avant de s'intéresser à l'affectation patrimoniale telle qu'opérée par la loi du 19 février 2007 (B).

A. - La théorie classique du patrimoine et le principe d'unicité

1. - Les origines de la conception classique

17. - La notion de patrimoine semble commune, tant elle est présente dans notre vie quotidienne. Dans l'inconscient collectif le patrimoine évoque en général un ensemble de richesses et de biens accumulés par un individu, cet ensemble étant souvent appréhendé dans le cadre d'un héritage. Pour Cicéron, il était assimilé à un bien de famille que l'on possédait par héritage. Il est parfois question de patrimoine culturel, qui est par ailleurs l'objet du Code du patrimoine13(*). Cependant, quelque peu éloigné de ce sentiment populaire, la notion juridique de patrimoine est incontournable, et ce alors même que le droit positif n'en traite pas de façon directe. Le travail de systématisation du patrimoine est à mettre à l'initiative du grand juriste allemand Zachariae, au XIXème siècle, et surtout de ses disciples Aubry et Rau14(*). Révélée par les anciens articles 2092 et 2093 du code civil15(*), la notion de patrimoine englobe « l'ensemble des biens d'une personne, envisagé comme formant une universalité de droit »16(*). Le terme d'universalité désigne un ensemble d'éléments indissociables et « soumis à un système juridique global »17(*).

18. - Les articles 2284 et 2285 du Code civil ne traitent pas du patrimoine, mais définissent le droit de gage général des créanciers en ces termes : « quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir » et « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers (...) ». Ces dispositions constituent le « principal ancrage textuel du patrimoine dans le Code civil »18(*). Car le droit de gage général met en relief le fait qu'il existe un lien juridique entre les dettes d'une personne et l'ensemble de ses biens et de ses droits évaluables en argent19(*). Selon la construction d'Aubry et Rau, le passif d'une personne et son actif sont liés par le fait qu'ils sont les deux éléments constitutifs d'un même ensemble, le patrimoine.

19. - Si la doctrine considère majoritairement que le patrimoine se compose des éléments d'actif et de passif d'une même personne20(*), une position minoritaire adopte cependant une vision étroite de la notion de patrimoine se limitant aux seuls éléments d'actif21(*). Le Professeur Witz, tenant de cette doctrine minoritaire, juge qu'il « serait paradoxal que l'article 2092, qui suggère la notion de patrimoine, interdise à l'interprète d'utiliser le concept de patrimoine pour décrire le droit de gage général des créanciers ». Ainsi, il estime que « le droit de gage a pour assiette le patrimoine du débiteur ». Mais si l'existence du patrimoine est certes révélée par les anciens articles 2092 et 2093 du Code civil, il convient de considérer que c'est de la notion même de patrimoine que découle le droit de gage général. En effet, l'actif d'une personne doit répondre de son passif car chacune des deux masses représente un pendant de l'universalité à la tête de laquelle se trouve la personne. Ainsi il apparait que le droit de gage général a pour assiette le seul actif d'une personne en raison du lien patrimonial existant entre créance et obligation. Il est donc au contraire paradoxal de reconnaitre une universalité composée des seuls éléments d'actif, car cela induirait que le droit de gage n'est que la conséquence de la loi, et il ne serait donc pas le révélateur du patrimoine.

20. - La théorie d'Aubry et Rau se caractérise par le lien très étroit qu'elle établit entre patrimoine et personne. On peut y voir une conception de la dette pesant d'abord sur la personne et ensuite sur les biens. C'est la personne sur qui pèsent des obligations et qui est titulaire de droits qui constitue le lien entre les masses formant le patrimoine. C'est cet élément précis qui implique que l'ensemble forme une universalité cohérente et non une masse hétéroclite et disparate. La conception d'Aubry et Rau résulte donc d'une analyse personnaliste de la notion de patrimoine qui devient l'ensemble des droits et obligations mis en relation avec la personne.

21. - Le patrimoine est lié à la personne. Elle lui donne sa cohérence. Mais ce lien serait tellement étroit que le patrimoine serait une émanation de la personnalité, ce qui implique les trois axiomes déjà évoqués22(*). On déduit de ces préceptes les principes d'unicité et d'incessibilité du patrimoine23(*).

22. - En contradiction avec ces principes, le droit positif français a parfois organisé un cloisonnement ponctuel au sein d'un patrimoine, aboutissant à sa division. Le droit des successions en proposait deux exemples flagrants à travers le bénéfice d'inventaire24(*) et la séparation des patrimoines25(*). On voit que pour des considérations d'ordre pratique le législateur a par le passé était amené à contrevenir aux principes directeurs de la théorie d'Aubry et Rau.

2. - Les critiques et les théories concurrentes

23. - La construction juridique d'Aubry et Rau a cependant été combattue par une partie de la doctrine, essentiellement du fait d'inconvénients pratiques. L'unicité du patrimoine constituait ainsi un obstacle à la constitution de fondations. La reconnaissance d'autres universalités de droit qui aurait été bénéfique au monde des affaires était également rendue impossible. De façon comparable, le manque de souplesse de la théorie avait contraint le législateur à adopter des lois spéciales remettant en cause certains de ses principes. On peut ainsi souligner deux salves de critiques.

24. - Pour certains la solution serait l'abandon de la théorie classique du patrimoine au profit de la théorie du patrimoine d'affectation. Cette théorie d'origine germanique26(*) est à la différence de celle d'Aubry et Rau une conception objective, selon laquelle le patrimoine « n'appartient à personne, il appartient à sa destination, à son objet, à son but »27(*). C'est donc l'affectation à un objet commun qui permet de constituer une universalité de droit entre des éléments a priori distincts. Le lien entre eux cesse d'être le rattachement à une même personne, et devient ainsi le rattachement à un même objet. D'une certaine façon, cette conception semble être celle retenue dans les cas du bénéfice d'inventaire et de la séparation des patrimoines28(*).

25. - Cependant ces deux exemples, loin de remettre en cause la conception classique et subjective du patrimoine, n'en sont que des exceptions, temporaires et particulièrement ponctuelles. Le législateur les a instaurées afin d'assurer un maximum de protection aux héritiers d'une personne d'une part et aux créanciers du défunt d'autre part.

26. - Une seconde salve de critiques fut adressée à la théorie d'Aubry et Rau par des auteurs remettant en cause son existence sans pour autant proposer son remplacement par la notion de « patrimoine-but »29(*). Le patrimoine « n'a pas d'existence, et donc pas de vertus propres »30(*), et les effets qui lui sont attribués (droit de gage général, transmission universelle du patrimoine) trouvent d'autres fondements. Au final, patrimoine et personnalité sont absolument confondus. Pour d'autres, le patrimoine doit être vu « comme l'avoir légitime d'une personne, physique ou morale »31(*). Néanmoins les positions de ces auteurs sont restées trop isolées pour former une doctrine cohérente.

3. - La conception contemporaine du patrimoine

27. - Les auteurs contemporains dans leur majorité définissent le patrimoine comme étant l'ensemble des biens et des obligations d'une personne, appréciables en argent32(*). Cet ensemble revêt un double caractère. Il est à la fois une universalité de droit et une émanation de la personne. De ces deux points découlent l'ensemble des principes attachés au patrimoine. Il est unique et indivisible car il est inhérent à chaque personne. Il est de plus incessible car il s'avère indissociable d'elle. Constituant une universalité de droit, il constitue le fondement de quelques règles fondamentales, notamment celle du droit de gage général des créanciers.

28. - Si une personne ne peut se dessaisir de son patrimoine, elle peut en céder l'ensemble de ses éléments. Mais le patrimoine, même dépouillé de tout contenu, n'en existe pas moins. Dans ce cas en effet, son titulaire demeure apte à acquérir des droits nouveaux. Car, si le patrimoine s'analyse concrètement et d'une façon comptable en faisant la différence entre l'actif et le passif33(*), il consiste en une enveloppe appréhendant la réalité des biens présents et la potentialité des biens futurs34(*). Néanmoins, le patrimoine envisagé dans la seule optique des biens et obligations à venir se confond d'une manière encore plus étroite avec la notion de personnalité.

29. - Le principe d'unicité du patrimoine est celui qui concentre le plus l'attention de la doctrine contemporaine35(*). La raison en est que le législateur organise de plus en plus d'atteintes à ce principe constituant pourtant la pierre d'angle de la construction d'Aubry et Rau36(*). De plus, pour certains auteurs, même en dehors de toute législation spéciale, l'unité du patrimoine est mise à mal par la constitution de plus en plus aisée et de plus en plus artificielle de personnes morales37(*). Par le truchement d'une société unipersonnelle (dont la constitution est possible depuis 1985), il est possible pour un commerçant, personne physique, de scinder ses biens et ses dettes, et ainsi de ne grever seulement ses biens affectés à son activité professionnelle des dettes en résultant38(*). Mais la conception subjective de la notion de patrimoine qui est celle d'Aubry et Rau établi un lien étroit entre le patrimoine et la personne. Or dans le cas d'une personne physique associée unique d'une société unipersonnelle, nous nous trouvons bien en présence de deux entités juridiques dotées de personnalités distinctes, d'où émanent des patrimoines différents et parfaitement clos. Si l'artificialité du système peut prêter le flanc à la critique, la cohérence et l'orthodoxie juridique dont il fait preuve ne nous paraissent pas contestables.

B. - La fiducie et le principe d'unicité

30. - L'institution de la fiducia suppose que les biens transférés par le fiduciant soient détenus par le fiduciaire au sein d'un patrimoine d'affectation, totalement distinct de son patrimoine propre39(*). Ce recours à la notion objective du patrimoine-but40(*) apparait comme une nécessité afin d'assurer le bon fonctionnement de l'opération. C'est ce pas précis que le législateur se devait de franchir en adoptant une loi sur la fiducie.

31. - À ce titre, il est particulièrement intéressant de constater que le terme de patrimoine d'affectation n'est utilisé que très parcimonieusement par le législateur. On ne le trouve clairement inscrit que dans les dispositions fiscales et comptables de la loi du 19 février 200741(*). L'article 2011 du Code civil donne une définition de la fiducie se contentant d'imposer aux fiduciaires de tenir les éléments de la fiducie «  séparés de leur patrimoine propre ». Cela n'est nullement révélateur de l'intention du législateur de renoncer à l'unité du patrimoine.

32. - Pour les élus à l'origine de la proposition en revanche, il ne faisait aucun doute que le fiduciaire devait détenir les biens transmis dans un patrimoine d'affectation42(*) distinct du sien. De plus, le législateur fait référence tout au long de la loi au « patrimoine fiduciaire » ce qui constitue un indice de l'intention du législateur d'ériger une nouvelle exception au principe d'unité. Cependant, la conception de « patrimoine-but » résulte d'une analyse objective, et non plus personnaliste. Il convient d'envisager concrètement comment le législateur organise l'affectation patrimoniale dans la loi sur la fiducie (1) avant d'en apprécier les conséquences pratiques (2).

1. - La réalité de l'affectation patrimoniale dans la loi du 19 février 2007

33. - D'une façon traditionnelle, la fiducie réalise un transfert d'éléments patrimoniaux du constituant vers le fiduciaire, l'affectation se faisant au sein du patrimoine de ce dernier. Ainsi la réalité du patrimoine d'affectation doit être envisagée chez le fiduciaire. La loi de 2007 se conforme à cette analyse classique de la fiducie, en prenant le parti suivant lequel c'est au fiduciaire qu'il incombe de tenir les biens de la fiducie séparés de son patrimoine propre43(*).

a. - L'exclusion du patrimoine fiduciaire du gage des créanciers du fiduciant et du fiduciaire

34. - La loi aborde la question de l'affectation patrimoniale par son aspect passif. Le droit de gage général des articles 2284 et 2285 du Code civil joue ici encore le rôle de révélateur du patrimoine d'affectation. Deux articles en dessinent les contours, les articles 2024 et 2025 du Code civil.

35. - Le premier se rapporte au droit des entreprises en difficultés. Il dispose que « l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire au profit du fiduciaire n'affecte pas le patrimoine fiduciaire ». L'application de cet article devrait rester très marginale, la qualité de fiduciaire étant réservée par la loi à un nombre extrêmement restreint de personnes juridiques, parmi lesquelles les établissements de crédit ou les entreprises d'assurance, soit des entités a priori davantage à l'abri d'un risque de cessation des paiements44(*). Néanmoins, cette disposition nous apporte un éclairage quant à la nature du patrimoine fiduciaire. En effet, l'un des principes directeurs du droit des procédures collectives est l'unicité de la procédure45(*). Ce principe implique que seule une procédure peut être ouverte à l'encontre d'une personne. La raison en est qu'une procédure collective vient frapper un patrimoine dans son ensemble. Le règlement collectif opéré appréhende l'ensemble de l'actif d'une personne afin d'apurer l'ensemble de son passif, ne tolérant ainsi aucune procédure concurrente. C'est là une conséquence directe du principe d'unité du patrimoine. Pour des raisons pratiques, le droit des faillites organise une entorse à ce principe via l'extension de procédure. Celle-ci, sans opérer une distorsion de la réalité, vient rétablir la logique en appliquant un traitement juridique plus cohérent à une situation particulière, confusion des patrimoines ou fictivité d'une personne morale46(*). C'est un cas exceptionnel dans lequel une procédure vient frapper plusieurs patrimoines ou plusieurs personnes. Ainsi la précision apportée à l'article 2024 du Code civil est importante. Car si la procédure collective ouverte contre le fiduciaire est sans incidence sur le patrimoine fiduciaire, cela implique qu'il existe un cloisonnement entre d'une part le patrimoine personnel du fiduciaire et d'autre part la fiducie.

36. - L'article 2025 du Code civil dispose notamment que « le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine ». L'angle qui est ici adopté est celui des voies civiles d'exécution. En visant la possibilité d'exercer une saisie sur les éléments de la fiducie, le législateur traite des conséquences pratiques du droit de gage général. Car si un créancier a la possibilité d'exercer une voie d'exécution sur les biens appartenant à son débiteur défaillant, ce n'est qu'en conséquence du gage général qu'il se voit reconnaître par les articles 2284 et 2285 du Code civil. L'article 2025 du Code civil organise l'insaisissabilité du patrimoine fiduciaire, et ce faisant procède à l'exclusion des biens qu'il contient du gage de certains créanciers. Si les créanciers du fiduciant ont vraisemblablement perdu tout droit sur les éléments de la fiducie, ceux-ci étant sortis de l'assiette de leur gage, les créanciers du fiduciaire n'ont pour leur part jamais eu le moindre droit sur eux47(*).

37. - Ces deux dispositions contribuent à dessiner les contours d'un patrimoine distinct, en s'attachant cependant davantage à l'aspect passif et à sa conséquence essentielle, le droit de gage général. Les deux articles sont complémentaires. L'article 2024 du Code civil nous impose de considérer que le mécanisme mis en oeuvre par la fiducie n'est pas une simple insaisissabilité, mais qu'il trouve son fondement dans un cloisonnement patrimonial.

b. - La réalité comptable et fiscale du patrimoine d'affectation

38. - D'un point de vue comptable, la loi indique que le patrimoine fiduciaire est un « patrimoine d'affectation »48(*). La conséquence essentielle pour le fiduciaire est qu'il doit tenir une comptabilité autonome de la fiducie ainsi que des comptes annuels49(*). Enfin, la comptabilité est vérifiée par des commissaires aux comptes.

39. - Sur le plan fiscal, la fiducie n'a pas l'autonomie qui est la sienne au niveau comptable. Elle n'a aucune autonomie fiscale, et l'imposition se répartit entre le fiduciant et le fiduciaire, répondant en cela à un choix de transparence et de neutralité fiscale. Les résultats dégagés par la fiducie sont ainsi imposés directement entre les mains du constituant50(*). La TVA, la taxe foncière et la taxe professionnelle sont acquittées en revanche par le fiduciaire au titre de son activité pour la fiducie51(*).

40. - Les dispositions fiscales relatives à la constitution du patrimoine fiduciaire permettent, sous certaines conditions, que « les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins-values résultant du transfert dans un patrimoine fiduciaire de biens et droits inscrits à l'actif du bilan du constituant de la fiducie » ne soient « pas compris dans le résultat imposable de l'exercice de transfert »52(*). Lorsque les conditions sont réunies, la réalité fiscale semble s'opposer à la reconnaissance du patrimoine fiduciaire comme patrimoine d'affectation. Le droit fiscal considère d'une certaine façon qu'il n'y a pas transfert d'un patrimoine à un autre53(*).

41. - Les dispositions comptables et fiscales semblent en contradiction quant à la reconnaissance d'un patrimoine d'affectation. Si les dispositions comptables vont clairement dans le sens de la consécration d'une universalité de droit autonome, les règles fiscales guidées par un souci de transparence et de neutralité brouillent les pistes.

c. - La consécration de la conception objective

42. - La théorie du patrimoine-but résulte d'une analyse objectiviste. C'est l'affectation à un but commun qui crée le lien entre des biens et droits d'une part et des obligations d'autre part. Le patrimoine d'affectation ne suppose pas seulement un cloisonnement du droit de gage général mais également la caractérisation de cet élément objectif qui, à l'instar de la personne dans la théorie classique, donne sa cohérence à l'ensemble54(*).

43. - La loi du 19 février 2007 semble aller dans ce sens. D'une part, elle fixe un critère objectif à l'actif fiduciaire. Celui-ci est ainsi un ensemble d'éléments affectés à « un but déterminé », selon la lettre de l'article 2011 du Code civil. Mais d'autre part on peut déduire l'existence de ce même critère des dispositions de l'article 2025 du Code civil concernant le passif fiduciaire. Celui-ci semble pouvoir être défini comme étant l'ensemble des dettes nées à l'occasion de « la conservation ou de la gestion » des biens de la fiducie. Le patrimoine-but se compose alors de deux masses. D'une part un actif affecté à un but déterminé. D'autre part un passif né à l'occasion de la réalisation de ce but. Le rattachement des deux masses à ce but commun fonde le lien existant entre elles, et justifiant le caractère exclusif du droit de gage des créanciers de la fiducie sur les biens de celle-ci.

44. - Selon nous la loi du 19 février 2007 propose une innovation majeure en consacrant la notion de patrimoine d'affectation. Elle établit en effet un cloisonnement patrimonial, une autonomie comptable et fait reposer l'ensemble sur un élément objectif. Si l'on exclut les dispositions fiscales qui sont davantage dictées par des considérations économiques et politiques que juridiques, le mécanisme juridique proposé nous semble très cohérent.

45. - Ce cloisonnement doit certes être considérablement relativisé par les alinéas 2 et 3 de l'article 2025 du Code civil, selon lesquels notamment, « en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire ». Un lien important subsiste entre le patrimoine fiduciaire et un ou des autres patrimoines, à savoir celui du fiduciaire ou du constituant. Reprenant explicitement la lettre de l'article 2285 du Code civil (« le gage commun des créanciers »), la disposition ne laisse que peu de doutes quant à l'intention du législateur de maintenir le droit de gage général des créanciers55(*). En se gardant de toute conclusion hâtive quant à un abandon définitif du principe d'unicité du patrimoine, il convient donc de constater néanmoins que la loi sur la fiducie en constitue indéniablement un infléchissement. Mais par ailleurs, il faut rappeler que ce principe connaissait déjà des exceptions, notamment en permettant des cloisonnements temporaires dans le cadre du droit des successions56(*). Si cette exception paraît plus large que les précédentes, loin de fragiliser notre droit, elle semble selon nous lui donner plus de force en répondant à un réel besoin.

2. - L'impact pratique

46. - D'un point de vue pratique, l'instauration de la fiducie et la reconnaissance d'un patrimoine d'affectation aboutissent à la distinction de deux masses de biens : ceux du fiduciaire d'une part, et ceux de la fiducie d'autre part. Cela constitue une avancée majeure. La fiducie ouvre de nouvelles possibilités dans la gestion de biens (c) ainsi que dans la constitution de sûretés (b). Malgré tout, l'impact est limité du fait que la loi restreint de manière drastique les possibilités de constituer une fiducie (a).

a. - Les restrictions de la loi

47. - La loi adoptée en février 2007 est dédiée exclusivement au monde des affaires du fait de la restriction rationae personae opérée par l'article 2013-1 du Code civil. Le projet initial ambitionnait d'ouvrir la possibilité de constituer une fiducie à toute personne sans distinction57(*). La loi restreint la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés. Cela constitue en pratique une limite énorme, étant donné que la France comptait au 1er janvier 2004 2,5 millions de sociétés, dont seulement la moitié soumises de plein droit à l'impôt sur les sociétés58(*). En pratique, la fiducie est donc un instrument ne touchant potentiellement que 2 millions de personnes juridiques au grand maximum.

48. - Une restriction encore plus stricte vient frapper la qualité de fiduciaire, laquelle n'est ouverte59(*) :

- qu'aux établissements de crédit mentionnés à l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier,

- qu'au Trésor public, à la Banque de France, à la Poste, à la Caisse des dépôts et consignations, aux Instituts d'émission d'outre mer et des départements d'outre mer, visés à l'article L. 518-1 du Code monétaire et financier,

- qu'aux entreprises d'investissement autres que les établissements de crédit, visées à l'article L. 531-4 du Code monétaire et financier,

- qu'aux entreprises d'assurance régies par l'article L. 310-1 du Code des assurances.

Cette limite répond à un souci de transparence et répond aux dispositions de lutte contre le blanchiment de capitaux qui constituent un volet important de la loi. En ouvrant la qualité de fiduciaire à des personnes juridiques déjà soumises à un régime très réglementé, le législateur a voulu limiter les risques de fraude liés à la fiducie. On peut néanmoins regretter que les avocats, qui à l'étranger sont souvent investis de la qualité de fiduciaire ou de trustee, ne puissent avoir cette qualité dans les contrats soumis aux articles 2011 et suivants du Code civil. Cependant, l'importance des obligations déclaratives incombant au fiduciaire aurait pu créer un conflit avec le secret professionnel pesant sur l'avocat. De plus, les avocats devraient avoir un rôle prépondérant à jouer, non pas en tant que fiduciaires, mais en tant que tiers protecteur mentionné à l'article 2016 du Code civil(le protector du droit anglo-saxon, ou board of protector sous sa forme collégiale, ce qui n'est pas envisagé par la loi française60(*)).

49. - La dernière restriction qu'énonce la loi du 19 février 2007 tient à la prohibition des fiducies-libéralités61(*). Dans certains pays la fiducie est utilisée à des fins de transmission à titre gratuit. Elle constitue ainsi par exemple un mécanisme permettant d'organiser une succession62(*). L'article 2013 du Code civil dispose que « le contrat de fiducie est nul s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire ». Cette nullité est de plus « d'ordre public ». Justifiée par la réforme des successions opérée par la loi du 23 juin 200663(*), la prohibition des fiducies-libéralités impose donc que le bénéficiaire (s'il est un tiers) fournisse au fiduciant une « contrepartie réelle »64(*). Les dispositions fiscales de la loi du 19 février 2007 (article 792 bis du Code général des impôts) prévoient la perception des droits de mutation à titre gratuit sur la valeur des éléments de la fiducie transférés sans contrepartie.

b. - La fiducie-sûreté

50. - Héritière de la fiducia cum creditore du droit romain, la fiducie-sûreté devrait constituer l'un des principaux intérêts pratiques de la loi du 19 février 2007. Il s'agit de la consécration de la notion de propriété-sûreté65(*) qui s'était développée du fait d'une perte de fiabilité des sûretés réelles classiques en cas de grandes difficultés du débiteur. La pratique a ainsi eut recours à des mécanismes de propriété réservée66(*) et à des opérations d'inspiration fiduciaire, comme la vente à réméré ou la cession de créance à titre de garantie67(*). Néanmoins deux inconvénients caractérisent ces instruments juridiques. D'une part ils ne constituent pas des mécanismes de sûretés dédiés, et à ce titre ils manquent de souplesse. Ainsi la propriété réservée dans le cadre d'une clause de réserve de propriété garantit le paiement du prix représentant la contrepartie du transfert de propriété. D'autre part ils n'opèrent aucun cloisonnement patrimonial, de sorte que dans une vente à réméré par exemple, l'acheteur reçoit la chose dans son patrimoine propre, grossissant ainsi le gage de ses créanciers personnels.

51. - La fiducie permet une grande souplesse d'utilisation. Il devient possible de constituer des sûretés fiduciaires garantissant une créance différente de celle causant le contrat de fiducie. La garantie ainsi constituée est alors détachée de la créance garantie d'une façon comparable à ce que connaît le droit allemand avec la dette foncière68(*). De plus, les biens constituant la sûreté sont détenus dans un patrimoine d'affectation clos, sur lequel ni les créanciers personnels du fiduciaire, ni ceux du fiduciant - hormis des hypothèses de fraude et les conséquences attachées à un droit de suite69(*) - n'ont de prise.

52. - La fiducie-sûreté malgré ses avantages souffre de quelques désagréments. Sa constitution tout comme son fonctionnement semblent occasionner certaines lourdeurs. Ainsi il convient d'enregistrer « le contrat de fiducie et ses avenants » dans un délai d'un mois à compter de sa formation70(*). Cet enregistrement donne lieu à la perception de droits d'enregistrements. De même, la gestion du patrimoine fiduciaire suppose la tenue d'une comptabilité autonome ainsi que le contrôle de commissaires aux comptes. C'est donc une sûreté qui a un coût relativement important, ce qui devrait restreindre son utilisation à des cas précis et, dans un premier temps, relativement isolés.

c. - La fiducie-gestion

53. - La fiducie est également un instrument de gestion patrimoniale. La fiducie-gestion descend de la fiducia cum amico romaine. Selon ce mécanisme, le constituant transfère des biens au fiduciaire, à charge pour celui-ci de les gérer et de les transférer à l'échéance de la convention soit au constituant soit à un tiers71(*). Des instruments fonctionnant d'une manière similaire existent déjà dans le droit français. On peut citer le prêt de titres72(*) ou encore la pension d'instruments financiers73(*), ainsi que les conventions de portage.

54. - La fiducie envisagée comme un instrument de gestion vient compléter ces dispositifs. Elle permet aussi d'organiser sous l'empire du droit français des montages financiers complexes souvent réalisés à l'heure actuelle par le biais de trusts. Il devient possible de monter des opérations de defeasance consistant à transférer un actif grevé d'un passif à une structure dédiée ayant la charge d'en assurer la gestion et l'apurement, voire même la transmission. De même, des opérations de titrisation, utilisées pour financer des entreprises, pourraient être montées en utilisant la fiducie. Enfin, elle pourrait faciliter la gestion d'actifs de certaines sociétés, lesquelles pourraient se décharger de cette charge en la confiant à un fiduciaire moyennant rémunération.

55. - La loi permet de plus une opération à mi-chemin entre gestion et sûreté en permettant au fiduciaire d'assumer la fonction d'« agent des sûretés ». Cette fonction est très répandue dans le cadre de financements syndiqués. Dans cette opération un débiteur a plusieurs créanciers détenant chacun une quote-part de la créance de remboursement. Selon les usages bancaires internationaux, l'« agent des sûretés » se voit confiée la mission de prendre, de gérer et éventuellement de réaliser les sûretés au profit de ces différents créanciers. Le droit français n'offrait pas antérieurement les instruments permettant d'organiser cette institution, qui avait donc recours au trust anglo-saxon74(*). Comblant les lacunes juridiques, l'article 16 de la loi du 19 février 2007 a ajouté un article 2328-1 du Code civil selon lequel « toute sûreté réelle peut être inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l'obligation garantie par une personne qu'ils désignent à cette fin dans l'acte qui constate cette obligation ».

56. - La loi du 19 février 2007 sur la fiducie constitue un infléchissement notable de la théorie de l'unité du patrimoine. Elle introduit en effet la notion novatrice de patrimoine d'affectation dans le système juridique français, en le faisant reposer sur une authentique division patrimoniale ayant à la fois une réalité juridique et une utilité pratique. La volonté du législateur de faire de la fiducie un instrument capable de concurrencer efficacement le trust anglo-saxon semble avoir été atteinte. Néanmoins, le législateur avait également manifesté son ferme attachement à faire de la fiducie un outil distinct du trust. Sur ce dernier point, la question doit être débattue d'une manière plus approfondie. En effet, si a priori rien ne permet d'affirmer que la fiducie opère un dédoublement du droit de propriété (comme c'est le cas du trust), l'analyse des mécanismes mis en oeuvre par la loi nous autorise à penser que la fiducie française penche davantage vers le droit anglo-saxon que vers le droit romain.

II. - Un dédoublement de propriété

57. - L'institution du trust que connait le droit anglo-saxon repose sur un dédoublement du droit de propriété entre le trustee et le cestui que trust. Ce dernier, que l'on peut comparer au bénéficiaire du contrat de fiducie, est titulaire d'un droit réel sur les biens du trust, et non pas d'un simple droit de créance. D'une manière théorique, l'opération de la fiducia suppose un transfert de propriété du constituant au fiduciaire, les biens de la fiducie formant un patrimoine d'affectation dont est titulaire ce dernier. Le bénéficiaire tout comme le constituant ne sont dès lors titulaires que d'un simple droit de créance né du contrat. Néanmoins la loi adoptée par le parlement en février 2007 est loin d'être aussi limpide que l'est la théorie la fiducie telle qu'elle est en vigueur dans certains Etats étrangers75(*). Tout d'abord la nature du transfert opéré par le contrat de fiducie des articles 2011 et suivants du Code civil n'a rien d'évident (A). Ensuite nous verrons que l'opération semble procéder à un démembrement conventionnel du droit de propriété dont est originairement titulaire le constituant (B).

A. - Le transfert opéré par la fiducie

58. - L'intention des parlementaires a vraisemblablement été de faire de la fiducie un contrat translatif de propriété. La proposition initialement déposée par Philippe Marini comportait un article 2062 du Code civil selon lequel le fiduciaire était « titulaire ou propriétaire fiduciaire des droits transférés ». On peut à ce titre regretter que la loi définitivement votée n'intègre pas de disposition similaire. La loi en effet se contente de faire référence à de nombreuses reprises à un « transfert » opéré par le contrat de fiducie, sans néanmoins l'expliciter.

59. - Il semblerait qu'il faille déduire de ce « transfert » le caractère translatif de propriété du contrat de fiducie. Pour un auteur, l'indice du transfert de propriété serait à déceler dans la localisation choisie par le législateur pour insérer les dispositions civiles de la loi du 19 février 2007. Ainsi, localisée au sein du livre III intitulé « des différentes manières dont on acquiert la propriété », la fiducie, en se référant à un « transfert », viserait en fait un transfert de propriété. Le raisonnement n'est pas satisfaisant à notre sens, ne serait-ce que du fait de l'éclectisme des textes contenus dans le livre III. Ce dernier renferme certes le droit des successions ou le droit de la vente, c'est-à-dire d'une certaine façon des modes d'acquisition de droits de propriété, mais on y trouve également la législation concernant le contrat de louage ou encore le droit de la responsabilité civile délictuelle. De plus, la fiducie occupe désormais les articles 2011 et suivants du Code civil, c'est-à-dire l'emplacement laissé vacant par le droit des sûretés depuis l'ordonnance de mars 2006. Or, le droit des sûretés, qui est un droit qui touche au crédit, et qui s'il peut contribuer dans les faits à acquérir la propriété, n'a pas pour vocation première d'en effectuer le transfert.

60. - Un contrat est translatif de droit lorsqu'il procède au « déplacement d'un droit d'un patrimoine à un autre »76(*). Or la fiducie telle qu'envisagée dans la loi du 19 février 2007 opère le transfert d'un droit (réel ou personnel, voire même une sûreté) du patrimoine du constituant au patrimoine d'affectation. Néanmoins un certain nombre de difficultés apparaissent concernant la nature du droit transféré. La propriété dont est investi le fiduciaire n'est pas identique à celle dont se défait le fiduciant par le jeu de cet effet translatif. D'un point de vue fiscal comme civil, le transfert de propriété fiduciaire se distingue du droit commun par ses caractères (1) et par ses effets (2).

1. - Les caractères du transfert de propriété

61. - Le transfert de propriété opéré par le contrat de fiducie se différencie nettement du transfert de propriété classique, tel qu'il existe dans la vente ou la donation. Le transfert est tout d'abord temporaire (a). Il porte de plus sur un droit qui est limité quant à son étendue (b).

a. - Un transfert temporaire

62. - Temporaire, la propriété du fiduciaire l'est par essence. L'article 2017 2° du Code civil dispose en effet que la durée du transfert « ne peut excéder trente trois ans à compter de la signature du contrat ». Le fiduciaire n'a donc pas vocation à conserver le droit transféré. C'est là une des différences majeures qui existent entre la fiducie et des mécanismes qui en sont proches, comme la vente à réméré. Ce mécanisme est un contrat de vente dans lequel le vendeur se voit consentir par l'acheteur une faculté de rachat sous certaines conditions de la chose vendue77(*). Si dans les faits, le réméré est utilisé afin de palier l'absence de la fiducie en droit français (OPCVM, sûreté), on trouve dans son fondement une logique contraire à celle de la fiducie, la faculté de rachat du réméré s'analysant en une condition résolutoire. De ce fait, si la condition est réalisée, la vente est résolue, et donc anéantie rétroactivement, l'acheteur étant réputé n'avoir jamais été propriétaire78(*). Mais sur la période suivant la conclusion de la vente et précédant la réalisation de la condition, l'acheteur jouit pleinement de son statut de propriétaire, le caractère temporaire de son droit n'est pas certain, car il est soumis à la réalisation d'une condition79(*). Dans le cadre de la fiducie, ce caractère temporaire ne découle pas nécessairement d'une condition résolutoire ; il est de l'essence même de la propriété fiduciaire.

63. - La nature temporaire du transfert de propriété fonde sans nul doute certaines dispositions fiscales. La loi distingue à ce propos deux hypothèses, selon que le constituant est ou non le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie80(*). Si le bénéficiaire est le fiduciaire ou un tiers, alors le droit fiscal appréhende la fiducie sous l'angle d'une cession, et le fiduciant doit inclure dans son résultat imposable « les profits ou les pertes ainsi que les plus ou moins-values résultant du transfert » dans le patrimoine fiduciaire. En revanche, si le bénéficiaire ou l'un des bénéficiaires est le constituant, la loi offre la possibilité à ce dernier de considérer qu'aucun transfert de propriété n'a été réalisé, et notamment de pratiquer les amortissements éventuels sur les biens transférés à la fiducie.

64. - Enfin, la solution retenue en matière de droits de mutation en cas de transfert de droits réels immobiliers semble prendre en considération la particularité du transfert fiduciaire. Le législateur a en effet opté pour le taux réduit81(*), et a précisé qu'en cas de retour dans le patrimoine du constituant, aucun droit n'était exigible82(*). Une solution contraire aurait abouti à une lourdeur fiscale telle que la fiducie aurait perdu une grande partie de son attractivité.

b. - Une propriété à l'étendue limitée

65. - La propriété de l'article 544 du Code civil est un droit absolu. Ainsi un propriétaire peut user de son droit de propriété comme bon lui semble - sous réserve de la théorie de l'abus du droit de propriété83(*) - et peut aliéner l'objet de son droit selon son gré. Les seules limites sont constituées par « la loi et le règlement ». Mais le droit du fiduciaire est d'une autre nature. Il n'est nullement absolu par essence, mais déterminé quant à son étendue par un contrat. C'est le rôle de la convention de fiducie de déterminer ce que le fiduciaire peut faire et ce qu'il ne peut pas faire avec les éléments transférés. La détermination concerne les « pouvoirs d'administration et de disposition »84(*). Il est de l'essence même de la propriété fiduciaire d'être limitée, ou en tout cas délimitée, l'absence de telles précisions dans le contrat de fiducie impliquant la nullité de ce dernier - le contrat de fiducie est un acte solennel. Cette propriété à géométrie variable peut se réduire au strict minimum, par exemple dans le cadre d'une fiducie-sûreté dans laquelle le fiduciant ne souhaiterait pas que son créancier puisse aliéner ou même seulement gérer l'actif mis en garantie. Mais elle peut également être très large dans l'hypothèse cette fois d'une fiducie-gestion, dans laquelle le constituant pourrait être amené à consentir d'importantes prérogatives au fiduciaire afin de gérer un portefeuille de valeurs mobilières par exemple. Dans ce dernier cas, l'étendue de la propriété fiduciaire semble se confondre avec la propriété de droit commun, celle, absolue, érigée par l'article 544 du Code civil. Néanmoins, le fait que son étendue soit définie par le contrat de fiducie indique selon nous une différence importante avec la propriété classique.

66. - Plusieurs hypothèses quant à la nature du droit du fiduciaire sur le patrimoine de la fiducie peuvent être envisagées. Tout d'abord, son droit semble émaner du contrat car c'est la convention qui détermine quels sont ses pouvoirs. On pourrait alors voir de manière réductrice dans le droit du fiduciaire un simple droit personnel, la situation du fiduciaire devant être rapprochée de celle du mandataire. A l'opposé, il serait possible d'envisager que le fiduciaire est titulaire d'un droit réel principal, une propriété fiduciaire qui est en réalité un démembrement du droit de propriété plein et absolu dont se défait le fiduciant par le contrat. Enfin, de façon intermédiaire, le droit du fiduciaire peut être perçu comme étant la propriété de l'article 544 du Code civil limitée par un droit personnel liant fiduciant et fiduciaire. La première interprétation doit être nettement réfutée. Nous avons en effet vu que la fiducie devait être vue comme un contrat translatif d'un droit réel.

67. - Néanmoins il est permis d'hésiter entre les deux autres hypothèses. Au premier abord, on pourrait rapprocher le mécanisme de la fiducie de celui des clauses d'inaliénabilité pouvant affecter un bien à l'occasion d'un contrat translatif. Mais la clause d'inaliénabilité ne modifie pas la nature absolue du droit de propriété transféré. L'opération se déroule en deux temps distincts, bien que concomitants. Tout d'abord, la propriété est transférée par l'acte translatif. Mais ensuite, un droit personnel, une dette pour l'acquéreur, vient se greffer à l'opération. Ce droit personnel oblige son débiteur à ne pas aliéner le bien transféré. Ce faisant, il renonce à exercer pleinement ses prérogatives de propriétaire - il renonce à une partie de l'abusus. Mais le droit du fiduciaire est différent. Il est ab initio d'une étendue délimitée par un contrat. A notre sens, l'analyse qu'il convient de faire de la fiducie n'est pas celle d'un transfert de propriété limité par un droit personnel dont serait débiteur le fiduciaire, mais bien celle d'un droit réel à l'étendue limitée. Selon nous, la fiducie nous confronte à un démembrement sui generis du droit de propriété.

2. - Les effets du transfert de propriété

68. - La propriété fiduciaire se distingue nettement de la propriété de droit commun quant à ses caractères. D'autres différences, plus nuancées cependant, doivent être évoquées. Elles concernent les effets du transfert de propriété, et tiennent tout d'abord à l'ambivalence du droit de propriété (a) ainsi qu'à la question du transfert de risques (b).

a. - L'ambivalence du droit de propriété

69. - Le droit de propriété s'analyse traditionnellement en un droit réel principal auquel on attache plusieurs attributs. Ainsi, il est opposable erga omnes et confère à son titulaire droit de suite et droit de préférence85(*). La fiducie met en lumière l'ambivalence du droit de propriété qui recouvre habituellement deux réalités. Le droit de propriété représente une valeur patrimoniale et confère à son titulaire un pouvoir sur une chose. Ces deux réalités sont dissociées dans le contrat de fiducie, lequel établi le lien patrimonial entre la chose et la fiducie, mais investi le fiduciaire du pouvoir sur cette chose. De fait, comme le souligne un auteur, « la propriété fiduciaire n'est toutefois pas une véritable source de richesse contrairement à la plena in re potestas de l'article 544 du Code civil »86(*). En effet, la richesse attachée au droit de propriété découle directement de sa valeur patrimoniale. L'objet de ce droit accroît l'actif de son titulaire et donc son crédit auprès de ses créanciers, via leur droit de gage général. Mais l'affectation des éléments de la fiducie au sein d'un patrimoine distinct implique que l'actif du fiduciaire n'est en rien modifié par l'opération, tant en positif qu'en négatif. Le transfert de propriété opéré est ainsi plus complexe que dans le cas par exemple d'une vente. L'aspect patrimonial du droit de propriété - c'est-à-dire la chose objet du droit réel envisagée de façon abstraite - est transféré à la fiducie, ce qui constitue le patrimoine fiduciaire, alors que le pouvoir est dévolu par le contrat au fiduciaire, qui voit son droit délimité dans son étendue et sa durée87(*).

b. - Le transfert des risques

70. - Traditionnellement, la question du transfert de propriété a pour enjeu sous-jacent celle du transfert des risques, selon la règle classique res perit domino88(*). Le propriétaire supporte la charge des risques, conformément à la lettre de l'article 1138 alinéa 2 du Code civil. Mais le législateur n'a pas davantage réglementé le transfert des risques dans le cadre de la fiducie qu'il ne l'a fait concernant le transfert de propriété. La lecture du rapport de la commission du Sénat nous informe à ce sujet que l'intention des parlementaires était manifestement de laisser s'appliquer le droit commun, en faisant supporter la charge des risques par le fiduciaire, titulaire des biens transférés. C'est également la solution retenue par la doctrine89(*). Les règles devant s'appliquer ne sont pas pour autant uniforme, loin de là, ce qui est regrettable. Il convient pour cette question d'envisager les différents éléments transférés à la fiducie, en distinguant d'une part les biens et d'autre part les créances. Pour les premiers, le principe demeure la règle res perit domino et l'article 1138 alinéa 2 du Code civil, la charge des risques incombant alors au fiduciaire. Pour les secondes en revanche, il faut là encore opérer une distinction entre les créances civiles et les créances professionnelles. Les règles ayant vocation à s'appliquer sont les articles 1689 et suivants du Code civil pour les premières et les articles L. 313-23 du Code monétaire et financier pour les secondes.

71. - On aboutit ainsi à un régime fort peu cohérent issu de l'application de dispositions disparates. Dans le cas d'une fiducie composée d'éléments hétéroclites, la question du transfert des risques devra ainsi se régler au cas par cas, aboutissant à des solutions différentes selon la nature des éléments. Mais dans le silence des textes, la solution se trouve dans le contrat. Il parait en effet conseillé d'envisager dans la convention de fiducie la question du transfert des risques, lequel, comme dans la vente, peut parfaitement être dissocié du transfert de propriété.

B. - Le dédoublement conventionnel du droit de propriété

72. - L'analyse selon laquelle le fiduciaire deviendrait, en vertu de la convention, titulaire d'une propriété pleine et entière, et que le fiduciant, tout comme le bénéficiaire, n'auraient tous deux qu'un droit personnel, né du contrat, ne nous semble pas convaincante. A ce sujet la loi est encore une fois fort lacunaire, en se contentant d'indiquer à plusieurs reprises à propos du constituant que celui-ci est titulaire de « droits (...) au titre de la fiducie ». L'article 2013-1 du Code civil précise à ce propos que ces droits ne sont nullement transmissibles à titre gratuit - une conséquence de la prohibition de toute intention libérale - mais seulement cessibles à titre onéreux. A cet égard, la loi maintient fort logiquement la restriction rationae personae en ouvrant la cessibilité au profit des seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés. En revanche la loi n'apporte guère de précision quant à la nature de ces droits. Fiscalement, l'article 223 VA du Code général des impôts envisage le constituant comme étant « titulaire d'une créance au titre de [la fiducie] », néanmoins il ne faut pas en conclure pour autant que le droit du constituant doit être assimilé à une créance, et donc se réduire à un simple droit personnel.

73. - Fiduciant, fiduciaire et bénéficiaire (d'une manière particulière pour ce dernier) sont trois personnes titulaires de droits réels, directement attachés aux éléments transférés à la fiducie. Ainsi la propriété dont est originairement titulaire le constituant semble se démultiplier en plusieurs droits revenant chacun à un des protagonistes de l'opération. Mais ces droits ne se fondent pas dans les moules classiques que nous offre le droit des biens, par le biais de la propriété et de ses démembrements. Il s'agit de droits réels à l'étendue particulière. Il convient, afin d'étayer cette hypothèse, de constater qu'il n'existe aucun obstacle légal à celle-ci (1), avant d'envisager les droits des différents protagonistes (2).

1. - L'absence d'obstacle légal

74. - Le droit des biens outre-manche est resté imprégné par le féodalisme et trahit une vision de la propriété étrangère à la conception française. Mais en France ce n'est qu'après la révolution, dans le code civil de 1804, que la conception féodale de la propriété - dans laquelle c'était davantage la personne qui était attachée au bien - fut abandonnée. La propriété, devenue un droit de l'homme par la déclaration de 1789, devint l'un des objets de la protection de la loi. Découlant de la loi seule, elle ne tolérait que les atteintes envisagées par celle-ci. Ainsi, l'article 544 du Code civil définissant les pouvoirs d'un propriétaire sur l'objet de son droit réel devait être envisagé comme étant d'ordre public. La loi, seule habilitée à édicter le droit, définissait les droits du propriétaire. De cet article on peut déduire l'usus et l'abusus attachés à la propriété. Le premier correspond au droit de détenir et d'utiliser une chose ; c'est le jus utendi. Le second est le droit d'en disposer ; c'est le jus abutendi. L'article 546 du Code civil vient compléter cette disposition en ajoutant aux deux premières prérogatives du propriétaire une troisième, le fructus, qui est le droit de jouir des fruits d'un bien. Enfin, l'article 552 du Code civil érige les frontières de la propriété, laquelle n'est limitée que par « les servitudes ou services fonciers », en plus de la limite traditionnelle constituée par la loi et disposée à l'article 544 du Code civil90(*).

75. - Cette analyse de la loi telle qu'envisagée il y a de ça plus de deux siècles pourrait nous indiquer que la loi établit un véritable numerus clausus des droits réels. Selon l'article 543 du Code civil, il n'y aurait « sur les biens » qu'un « droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou seulement des services fonciers à prétendre ». Ainsi pour Treilhard « il ne peut exister sur les biens aucune autre espèce de droits »91(*). Il serait donc impossible pour un propriétaire de démembrer son droit d'une façon non envisagée par la loi, et ainsi de transférer une partie de ses prérogatives sur cette chose à une autre personne. Bien qu'une telle lecture semble bien conforme à l'intention du législateur de 1804, la jurisprudence a donné une vision bien différente de ce point précis. La chambre des requêtes, le 13 février 1834, soit seulement trente ans après le Code civil de 1804, a rendu un arrêt Caquelard allant dans le sens du caractère non limitatif des droits réels92(*). La Haute juridiction donne, non sans audace, une interprétation originale des articles 544, 546 et 552 du Code civil, lesquels ne seraient que « déclaratifs du droit commun relativement à la nature et aux effets de la propriété », et ne seraient « pas prohibitifs ». Cet arrêt, qui paraît même aujourd'hui novateur, ouvre de nombreuses portes.

76. - Pourtant, jamais la doctrine, pas plus que la pratique, ne se sont engouffrées dans la brèche ouverte en 1834. La raison, comme le soulignent certains auteurs, est à rechercher du côté d'un « engouement pour les personnes morales »93(*). Dans la période durant laquelle fut rendu cet arrêt, le recours aux personnes morales supplanta en effet les droits réels. Les raisons en sont multiples, mais l'idéologie postrévolutionnaire y est probablement pour beaucoup ; les personnes morales étaient alors teintées d'un idéal libéral, alors que les droits réels pâtissaient de l'image très négative de l'ancien régime.

77. - L'arrêt Caquelard voit donc dans les dispositions légales un droit commun des droits réels, l'article 543 du Code civil n'étant qu'annonciateur du plan adopté par les rédacteurs du Code civil. Mais ce droit commun établit également les prérogatives maximales attachées à un droit réel. Car l'arrêt de la chambre des requêtes n'autorise pas les personnes à constituer des droits réels dotés de plus importantes prérogatives que celles prévues pour le droit de propriété de droit commun, il dessine simplement les contours de multiples décompositions de celui-ci. Pour certains auteurs, les relations internationales et la question du trust d'une manière plus particulière pourraient changer la donne94(*).

78. - Le droit anglo-saxon imprègne fortement le commerce international où le trust a acquis une importance particulière. Dans cette opération, le settlor transfère la propriété légale qu'il a sur un bien (legal ownership) à un trustee, lequel a la charge d'accomplir loyalement une mission au profit d'un bénéficiaire (ou cestui que trust). Ce dernier a un droit de propriété qui lui est reconnu par l'équité. C'est l'equitable ownership, c'est-à-dire un droit réel et non pas un simple droit de créance qu'il pourrait user afin de contraindre le trustee à exécuter ses engagements95(*). Le trust, bien qu'aboutissant à des utilisations comparables à la fiducie, repose avant tout sur un démembrement de la propriété a priori étranger à la fiducia romaine.

79. - L'instauration de la fiducie en droit français pose alors de nombreuses questions. Nous avons envisagé le problème du droit transféré au fiduciaire. Manifestement cette propriété fiduciaire ne doit pas être assimilée à la propriété de l'article 544 du Code civil. Mais elle est une forme de propriété, ou plus exactement une forme de droit réel. Si effectivement rien dans la loi du 19 février 2007 n'indique la volonté du législateur de permettre au fiduciant et au fiduciaire de conclure un démembrement du droit réel dont est titulaire le premier, l'analyse de la loi nous invite à considérer cette hypothèse.

2. - Les droits des différents acteurs de la fiducie

80. - Le fiduciaire est celui qui est investi des plus importantes prérogatives. Son droit est la propriété fiduciaire, droit temporaire et à l'étendue limitée. La loi reconnaît aux deux autres protagonistes de la fiducie, le bénéficiaire et le fiduciant, des droits et certaines prérogatives qui peuvent laisser penser qu'ils sont titulaires de droits réels. En cela la fiducie instaurée en droit français se rapprocherait davantage du trust que de la fiducia romaine. Il convient d'envisager tour à tour les droits du fiduciaire (a), du fiduciant (b) et enfin du bénéficiaire (c).

a. - Le droit du fiduciaire

81. - Le fiduciaire se voit transférer par la convention la titularité de droits personnels et réels. Comme nous l'avons vu, son droit n'est cependant pas celui, absolu, du propriétaire tel qu'envisagé par l'article 544 du Code civil, mais bien un droit réel différent, modulé par le contrat. Cette propriété fiduciaire est le fruit d'un dédoublement conventionnel du droit de propriété originaire. Ce dédoublement n'entre pas dans les prévisions du droit des biens et ne trouve son origine que dans le contrat de fiducie. C'est une application directe de la jurisprudence de la chambre des requêtes de 1834. Cette application semble également inédite, bien que certains auteurs aient pu voir dans les clauses d'inaliénabilités un démembrement conventionnel du jus abutendi du propriétaire entre ce dernier et le bénéficiaire de l'inaliénabilité.

82. - Le fiduciaire est titulaire d'un droit réel portant par hypothèse directement sur la chose qui lui est transférée dans le cadre de la fiducie. La loi prescrit, à peine de nullité, que soit indiquée dans le contrat l'étendue du pouvoir qu'il détient sur cette chose96(*). L'article 2017 6° du Code civil dispose que le contrat doit stipuler « l'étendue [des] pouvoirs d'administration et de disposition » du fiduciaire. La convention opère donc un démembrement du jus abutendi (le pouvoir de disposer) et du jus utendi (le pouvoir d'administrer). Les parties sont libres de moduler le droit de propriété transféré au fiduciaire, la seule limite étant constituée par l'étendue du droit originaire dont est titulaire le fiduciant, selon l'adage célèbre nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet97(*). Le fiduciaire ne saurait avoir en vertu du contrat des prérogatives que la loi ne reconnaitrait pas à un propriétaire classique.

83. - La liberté contractuelle permet de moduler le droit réel du fiduciaire dans de larges proportions, autorisant ainsi les parties à conformer ce droit à la mission envisagée. Dans une fiducie-sûreté, le fiduciaire se verra ainsi reconnaître des prérogatives très réduites, notamment quant à son pouvoir de disposition. Il pourra avoir un droit d'administration (possibilité de louer un immeuble donné en garantie, etc.) selon les finalités recherchées. Dans le cadre d'une fiducie-gestion en revanche, le fiduciaire ayant une mission de gestion se verra nécessairement consentir des prérogatives plus proches de celles d'un propriétaire ordinaire. Afin d'assurer la gestion d'un portefeuille d'actions, il pourra éventuellement en disposer. Chargée d'une opération de defeasance, il sera amené à conclure des contrats pour poursuivre l'activité transmise et éventuellement à restructurer l'actif fiduciaire. On le voit, la fiducie permet une grande souplesse d'utilisation en laissant une grande place à la liberté contractuelle.

84. - Néanmoins, les limitations conventionnelles n'échappent pas à l'effet relatif des conventions98(*), l'article 2023 du Code civil précisant que « dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire ». Les limites contractuelles du droit de propriété du fiduciaire ne sont opposables qu'aux tiers de mauvaise foi, qui « avaient connaissance de la limitation ». Cela ne remet cependant pas en cause l'opposabilité erga omnes du droit du fiduciaire - ce qui remettrait du même coup en question la qualification de droit réel de ce droit. En effet, ce n'est pas le droit du fiduciaire en lui-même qui n'est opposable qu'aux tiers de bonne foi, mais seulement les limitations conventionnelles. Ainsi, à l'égard des tiers de bonne foi, le fiduciaire est réputé jouir d'une propriété pleine et entière. Son droit est opposable à tous, mais d'une façon maximisée afin de garantir la sécurité juridique. La fiducie reste ainsi une relation de confiance (fides), le fiduciant devant faire confiance en son fiduciaire pour respecter les stipulations conventionnelles. Les actes conclus en dépassement des pouvoirs sont certes valables (à condition qu'ils aient été conclus avec des tiers de bonne foi), mais ils constituent une faute contractuelle99(*) engageant la responsabilité du fiduciaire. Il peut paraître indispensable de stipuler d'importantes clauses pénales en cas de dépassement des pouvoirs afin de dissuader le plus efficacement possible le fiduciaire de s'en rendre coupable.

85. - En tant que propriétaire (même si son droit n'est qu'une propriété fiduciaire), le fiduciaire a qualité pour agir en revendication (en exerçant l'action pétitoire) des éléments de la fiducie qui se trouveraient entre les mains de tiers. On peut penser notamment à l'hypothèse d'une fiducie-sûreté dans laquelle la possession serait laissée au fiduciant (qui serait donc également bénéficiaire de la convention), ce dernier aliénant l'objet de la garantie. Il s'agit alors de la vente de la chose d'autrui, se résolvant de manière classique100(*).

b. - Le droit du fiduciant

86. - Le droit du fiduciant est évoqué par la loi du 19 février 2007 sous l'angle de leur cessibilité. L'article 2013-1 du Code civil autorise celle-ci indirectement, sous réserve de la restriction rationae personae frappant déjà le constituant. Ce droit, nonobstant sa cessibilité, est d'une nature ambiguë. Il revêt tout d'abord les aspects d'un droit de créance contre le fiduciaire. En vertu de ce droit, le constituant peut contraindre son débiteur à exécuter correctement ses obligations nées du contrat. De surcroît la loi confère au fiduciant la prérogative de solliciter le remplacement du fiduciaire en cas de mauvaise exécution de sa mission101(*). Ce droit permet aussi d'assurer le respect de l'obligation pesant sur le fiduciaire de rendre des comptes disposée à l'article 2021 du Code civil. Le fiduciant en tant que partie au contrat de fiducie, est créancier de son respect par le fiduciaire. Il est donc titulaire d'un droit personnel.

87. - On peut s'interroger sur la nature réelle du droit du constituant. La loi maintient un lien entre ce dernier et les éléments du patrimoine fiduciaire. Fiscalement notamment, c'est sur lui que pèse l'imposition des résultats dégagés par la fiducie. Il est permis de penser que le fiduciaire jouit d'un droit réel limité sur le patrimoine fiduciaire. Ce droit réel, sorte de propriété résiduelle, devrait lui permettre d'exercer certaines prérogatives telles que l'action pétitoire en revendication d'un bien, notamment dans l'hypothèse où un fiduciaire aurait aliéné un bien de la fiducie sans en avoir le pouvoir (en vertu du contrat), et ce dès lors que le tiers acquéreur serait de mauvaise foi. Les « droit du constituant au titre de la fiducie » doivent selon nous s'entendre de cet ensemble protéiforme de droits réels et personnels.

88. - Néanmoins on peut également s'interroger sur la possibilité de considérer que le fiduciant demeure titulaire des prérogatives non dévolues par le contrat au fiduciaire. La loi impose en effet que soient stipulés les pouvoirs du fiduciaire, mais n'envisage pas la question des pouvoirs du fiduciant. En toute logique, car ayant transféré le droit, qui ne figure donc plus dans son patrimoine, le principe doit être que le constituant ne dispose d'aucun pouvoir direct sur les biens de la fiducie, mis à part peut être la possibilité de revendiquer le bien entre les mains de tiers. La loi n'interdit en revanche pas au contrat de prévoir que le fiduciant conserve certains pouvoirs. On peut envisager notamment qu'il demeure titulaire d'une partie du jus utendi, particulièrement s'il est nécessaire qu'il conserve l'usage d'un bien mis en fiducie. De même, le contrat pourrait stipuler qu'il conserve tout ou partie du jus abutendi. Il lui serait alors possible de disposer d'un bien appartenant à la fiducie. Il serait enfin possible de démembrer conventionnellement (usufruit / nue-propriété) la propriété (des droits sociaux ou des valeurs mobilières ou des instruments financiers) afin de ne transférer que certains droits réels. Toutefois, nous considérons que si le constituant peut demeurer titulaire de certaines prérogatives liées au droit de propriété, ce n'est pas en tant que constituant, mais en tant que bénéficiaire lorsqu'il cumule les deux qualités.

c. - Le droit du bénéficiaire

89. - La fiducie peut s'analyser en une opération à trois personnes. En plus du fiduciaire et du fiduciant, un bénéficiaire de la fiducie est nécessaire. L'existence d'un bénéficiaire est une condition de validité de la convention de fiducie. S'il n'est pas identifié lors de la conclusion du contrat, alors il doit être déterminable102(*). Toutefois le bénéficiaire n'est pas nécessairement un tiers et comme le dispose l'article 2015 du Code civil, il peut s'agir du constituant ou du bénéficiaire, voire des deux. La situation de ce bénéficiaire nous parait très intéressante, du fait que le contrat de fiducie, auquel il n'est au départ pas nécessairement partie - la convention est conclue initialement entre le fiduciant et le fiduciaire - va le rendre titulaire de droits. D'une manière quelque peu parallèle à la stipulation pour autrui, le bénéficiaire va pouvoir accepter le contrat de fiducie, et ainsi renforcer son droit, lequel perd alors toute précarité. Ainsi, selon l'article 2028 alinéa 1er du Code civil, « le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu'il n'a pas été accepté par le bénéficiaire ». L'alinéa 2 précisant qu' « après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu'avec son accord ou par décision de justice ».

90. - Le bénéficiaire est en pratique celui qui a vocation à recueillir les éléments du patrimoine fiduciaire à l'issue du contrat. Il est également celui au profit duquel doit agir le fiduciaire103(*). Le bénéficiaire doit être regardé comme l'élément central de la fiducie. Il est tout aussi indispensable à la validité de la convention que le fiduciaire ou le fiduciant. Par ailleurs, il prend fin de plein droit si « la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie », selon l'article 2029 alinéa 2 du Code civil. En tant que bénéficiaire du contrat de fiducie, il est créancier de sa bonne exécution. En raisonnant par analogie à la situation du tiers bénéficiaire de la stipulation pour autrui104(*), il est nécessairement titulaire d'un droit de créance direct contre le fiduciaire. C'est afin de protéger cette créance que la loi elle-même dispose en sa faveur de la possibilité de solliciter en justice le remplacement du fiduciaire105(*).

91. - Le bénéficiaire de la fiducie est de plus, selon nous, titulaire d'un droit réel portant sur les éléments de la fiducie. Ce droit naît du contrat de fiducie qui s'analyse alors comme réalisant un dédoublement du droit de propriété originaire. Ce dédoublement est permis par la jurisprudence de la chambre des requêtes de 1834. Du fait de l'effet relatif des conventions, ce dédoublement n'est pleinement réalisé qu'une fois la fiducie acceptée par le bénéficiaire, l'acte unilatéral d'acceptation faisant de lui une partie au contrat, et changeant son droit éventuel en un droit réel certain et irrévocable. Ce droit réel doit être distingué de la propriété future qui revient au bénéficiaire à l'échéance du contrat. Cette propriété fiduciée, par analogie avec la propriété fiduciaire, est à géométrie variable et c'est le contrat qui en détermine l'étendue.

92. - Ainsi, dans l'hypothèse qui devrait se révéler fréquente d'une fiducie-sûreté, la fiducie est en tout état de cause un acte ne mettant en relation que deux personnes, le fiduciant et le fiduciaire, chacun étant l'un des bénéficiaires de la convention. Les cocontractants sont alors tous deux titulaires d'un droit de propriété, dédoublé et découpé par le contrat selon les besoins pratiques. À l'inverse, lorsque le bénéficiaire est un tiers (ce qui devrait être l'hypothèse d'une fiducie-gestion à des fins de transmission notamment), alors son droit réel pourrait être réduit à néant par les stipulations du contrat, afin qu'il ne puisse entraver le fonctionnement de la fiducie.

93. - Les droits du bénéficiaire au titre de la fiducie, s'ils ne sont pas évoqués par la loi, n'en sont pas moins pour autant transmissibles. Ils le sont sans les limitations rationae personae frappant la cessibilité des droits du constituant, et ils sont vraisemblablement transmissibles à titre gratuit. En effet, la loi exige une contrepartie du bénéficiaire, et non de son ayant cause à titre particulier. Dans les hypothèses dans lesquelles le bénéficiaire ou l'un des bénéficiaires du contrat serait le constituant, la cession par ce dernier des droits qu'il détiendrait en tant que bénéficiaire devrait être regardée comme indissociable de la cession de ses droits en tant que constituant, et serait dès lors soumis aux restrictions de l'article 2013-1 du Code civil. C'est à notre sens la ratio legis de cette disposition légale. En effet, lorsque le constituant est le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie, alors il paraît peu concevable d'envisager la cession de l'une de ces qualités indépendamment de l'autre. De même, lorsque le bénéficiaire n'est pas le constituant, alors les droits de ce dernier semblent représenter une valeur pécuniaire soit nulle (lorsque le bénéficiaire a accepté la fiducie) soit aléatoire (lorsque le bénéficiaire n'a pas accepté la fiducie, il y a alors une possibilité qu'aucun fiduciaire n'existe à l'échéance du contrat, auquel cas le patrimoine fiduciaire réintègre le patrimoine du constituant, ce qui peut représenter une richesse aléatoire)106(*).

94. - La situation du bénéficiaire de la fiducie du droit français est ainsi comparable à celle que connaît le cestui que trust dans le cadre du trust anglo-saxon, et ce droit réel peut être comparé à l'equitable ownership. En vertu de ce droit, le bénéficiaire est fondé à agir en revendication des biens de la fiducie107(*).

95. - La fiducie semble ainsi permettre aux parties d'organiser dans un contrat le dédoublement du droit originaire dont est titulaire le constituant. Cette interprétation de la loi est conforme à la position de l'arrêt Caquelard, et permet de rendre la fiducie particulièrement attrayante. Elle facilite de plus la reconnaissance du trust en droit interne, en admettant que le droit de propriété peut être multiple, et se dessiner selon l'intention des parties.

96. - La réalisation d'une affectation patrimoniale ainsi que, selon nous, la possibilité d'un dédoublement conventionnel du droit de propriété constitue une innovation majeure dans notre droit. On doit y voir notamment un infléchissement indéniable de la théorie du patrimoine. Néanmoins cet infléchissement se doit d'être relativisé par le fait que la loi assure le respect du droit de gage général des créanciers, qui rappelons-le, constitue le socle de la théorie de l'unité du patrimoine.

Section 2. - Un infléchissement à relativiser

97. - Comme nous l'avons déjà envisagé, la théorie du patrimoine et le principe d'unité ont été dégagées par Aubry et Rau à partir du droit de gage général des créanciers, reconnu par les anciens articles 2092 et 2093 du Code civil108(*). En formulant que « quiconque s'est engagé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers »109(*), le législateur de 1804 a choisi de faire peser la contrainte de l'exécution de l'obligation non pas sur la personne du débiteur, mais sur ses biens. C'est l'ancien article 2093 du Code civil qui évoque la notion de « gage commun » des créanciers. La référence au « gage » est particulièrement maladroite, ainsi que le soulignent la plupart des auteurs110(*), le gage des créanciers n'étant en rien comparable à la sûreté réelle mobilière que constitue le gage. Certains auteurs ont cependant cru déceler dans ce droit de gage un droit réel111(*), car il permet au créancier d'exercer certaines prérogatives sur les biens de son débiteur, notamment en les faisant saisir et vendre. La doctrine majoritaire rejette cette qualification de droit réel, aux motifs que le créancier n'a ni droit de préférence, ni droit de suite et que la mise en oeuvre de voies d'exécution aboutissant à la cession d'un bien n'est pas comparable à l'abusus du propriétaire.

98. - La fonction du droit de gage général est de donner un moyen de contrainte efficace au créancier sur son débiteur. Envisager la créance dénuée d'un tel droit la réduirait à une coquille vide112(*). Le droit de gage est l'épée de Damoclès qui permet de sanctionner la défaillance du débiteur. Ce lien direct opéré entre l'obligation et les biens du débiteur était étranger de l'Ancien Droit, dans lequel la contrainte s'exerçait directement sur la personne du débiteur. C'était la contrainte par corps, c'est-à-dire l'emprisonnement pour dette, maintenue par le code civil de 1804 et abolie en grande partie par une loi de 1867.

99. - Ce droit de gage général est considéré à juste titre comme le point d'ancrage de la théorie du patrimoine dans la loi. Il sous-entend en effet l'existence d'une masse unique de biens et de dettes à la tête de laquelle ne se trouve qu'une seule personne. La fiducie instaurée par la loi du 19 février 2007 réalise l'affectation patrimoniale nécessaire à l'efficacité de l'opération en délimitant ce droit de gage des créanciers113(*). Néanmoins, le législateur a visiblement souhaité le maintenir (I) d'une manière certes moins apparente, mais tout aussi concrète. De plus, nous constaterons par la suite que les dispositions spéciales applicables à la fiducie (que celles-ci soient issues de la loi ou alors qu'elles lui soient antérieures), parfois contradictoires, rendent la compréhension de l'opération délicate et peuvent aboutir à une relativisation de l'apport de la fiducie à la théorie du patrimoine (II).

I. - Le maintien du droit de gage général des créanciers

100. - Le législateur de 2007 a choisi d'instaurer une fiducie reposant sur un patrimoine d'affectation. Mais la consécration de cette dernière notion ne s'est faite qu'à demi-mots, et sans remettre en cause fondamentalement le droit de gage des créanciers. Tout d'abord, force est de constater que la loi sur la fiducie adoptée en février 2007 ne constitue qu'une loi spéciale, frappée d'une limitation rationae personae drastique114(*). Ainsi la possibilité de constituer un patrimoine d'affectation, et de soustraire certains biens au droit de gage de ses créanciers n'est pas l'apanage de l'ensemble des sujets de droits, mais seulement de certains. Le législateur a clairement fait du patrimoine d'affectation l'exception au principe qu'est l'unité du patrimoine, sous-tendue par le maintien d'un droit de gage général au caractère quasi-absolu.

101. - La raison n'en est cependant guère critiquable. Comme nous l'avons envisagé, le droit de gage constitue pour le créancier l'assurance (en principe) que la prestation promise par son débiteur sera exécutée, de gré ou de force. La créance sans cette contrainte juridique portant non pas sur la personne du débiteur, mais sur ses biens, ne constituerait dès lors qu'un engagement moral n'ayant qu'une portée en droit très limitée.

102. - La nécessité de maintenir d'une manière générale le droit de gage des créanciers n'est pas sans avoir des répercussions sur la fiducie. La loi de 2007 organise elle-même son nécessaire respect qui va pouvoir permettre de remettre en cause le contrat (A). Enfin, le droit de gage est maintenu dans l'opération de fiducie, causant une grande fragilité du cloisonnement patrimonial réalisé (B).

A. - La remise en cause du contrat de fiducie

103. - Le contrat de fiducie peut être remis en question par des personnes qui lui sont a priori étrangères. Les possibilités qu'ouvre la loi se justifient par la nécessité d'assurer la protection des tiers particuliers que sont les créanciers du constituant. Il faut distinguer selon que l'on se trouve en période normale (1) ou en période de crise, c'est-à-dire à l'occasion d'une procédure collective (2).

1. - La remise en cause de la fiducie en période normale

104. - L'actif du constituant représente le gage de ses créanciers. Ceux-ci peuvent voir d'un très mauvais oeil la constitution d'une fiducie, qui va aboutir à réduire l'assiette de leur gage. Afin de ménager les intérêts de ces créanciers, la loi leur ouvre la possibilité de contester le contrat de fiducie. Si l'article 2025 du Code civil organise le cloisonnement patrimonial de la fiducie en restreignant la possibilité de saisir l'actif fiduciaire, il met en place également un certain nombre de garde-fous pour assurer la protection des créanciers du fiduciant. Ceux-ci vont pouvoir contester le contrat dans l'hypothèse d'une fraude à leurs droits (a). Les créanciers titulaires de sûretés réelles vont également pouvoir agir contre le patrimoine fiduciaire (b).

a. - La fraude aux droits des créanciers du constituant

105. - Fraus omnia corrumpit, la fraude corrompt tout. C'est là un principe général du droit, qui se trouve être repris par l'article 2025 du Code civil issu de la loi du 19 février 2007. La fiducie s'analyse en un contrat translatif, et les biens transférés à la fiducie quittent le patrimoine du fiduciant. Les créanciers chirographaires de ce dernier perdent donc ipso facto tout droit sur ces biens, qui quittent ainsi l'assiette de leur droit de gage. Néanmoins, la possibilité d'aliéner, même d'une façon fiduciaire, relève des prérogatives que la loi reconnaît au propriétaire. Celui-ci peut disposer de ses biens comme bon lui semble, et ainsi contracter une vente, consentir une donation, ou bien entendu constituer une fiducie. La protection du gage des créanciers suppose que ceux-ci aient la possibilité de remettre en cause les actes conclus aux seules fins de réduire l'assiette de leur gage.

106. - Le droit commun des obligations prévoit déjà une action pour protéger le droit de gage général des créanciers. C'est l'action paulienne, qui trouve son origine lointaine dans le droit romain, et qui est disposée par l'article 1167 du Code civil115(*). Cette disposition légale ouvre aux créanciers la possibilité d' « attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ».

107. - On le voit, les termes utilisés par l'article 2025 du Code civil se rapprochent de ceux de l'article 1167 du Code civil. Dès lors il est légitime de s'interroger sur le sens des dispositions de la loi sur la fiducie. Soit le législateur a choisi de faire un rappel du droit commun, soit au contraire il a souhaité instaurer une action spécifique au seul bénéfice des créanciers du fiduciant. La lecture des travaux parlementaires semble indiquer que l'hypothèse à retenir est la première116(*). C'est là également l'opinion de la doctrine majoritaire à laquelle nous adhérons117(*).

108. - La loi se contente donc de rappeler le droit commun des obligations. Ce ne sont donc pas n'importe quels créanciers du constituant qui peuvent agir contre les biens de la fiducie, mais seulement ceux dont la créance est née avant la constitution de cette dernière118(*). Si cette créance doit être certaine, elle n'a pas en revanche à être liquide et exigible pour que l'action paulienne puisse être engagée119(*). Pour rendre l'action paulienne recevable, le créancier qui agit doit de plus établir le préjudice que lui occasionne l'acte attaqué. Ce préjudice se conçoit aisément : il s'agit de l'atteinte portée à son droit de gage. Toutefois il ne s'agit pas de n'importe quelle atteinte, car admettre cela reviendrait à nier l'abusus du propriétaire, ce qui n'est pas la finalité recherchée. L'acte attaqué doit avoir pour effet de rendre le débiteur insolvable, voire d'aggraver son insolvabilité. Le créancier doit établir d'une part l'appauvrissement du débiteur et d'autre part le fait que cet appauvrissement est la conséquence de l'acte attaqué120(*).

109. - Le contrat doit être frauduleux, la preuve incombant au créancier. Ce dernier doit caractériser la fraude paulienne non seulement chez son débiteur, mais lorsque l'acte attaqué est à titre onéreux, il lui faut également démontrer la complicité de fraude du tiers acquéreur121(*). Cette complicité n'a pas à être établie lorsque l'acte est à titre gratuit122(*). La fraude paulienne est, selon la jurisprudence, différente du dol civil, et l'élément à rapporter n'est pas l'intention de nuire, mais la seule conscience du préjudice causé au créancier par l'acte123(*).

110. - En matière de fiducie, la caractérisation de l'appauvrissement pourrait être délicate, du fait du caractère temporaire de l'opération. La réduction du droit de gage occasionnée par une fiducie peut n'être en effet que limitée dans le temps, particulièrement si le fiduciant cumule la qualité de bénéficiaire. L'échéance de la fiducie reconstitue le gage des créanciers. Néanmoins, il convient de rappeler que l'insaisissabilité fiduciaire est certes temporaire, mais elle peut s'étendre jusqu'à trente-trois ans, ce qui représente une durée considérable pour un créancier faisant face à un débiteur indélicat. De même il peut paraître trop contraignant d'exiger que soit établi la fraude du tiers acquéreur, c'est-à-dire en l'espèce la fraude du fiduciaire. L'application stricte des règles gouvernant l'action paulienne pourrait faire de la fiducie un excellent moyen pour un débiteur d'organiser son insolvabilité. De fait, certains auteurs ont ainsi pu suggérer que la fraude en matière de fiducie soit entendue plus largement. Ainsi, le caractère provisoire de l'appauvrissement conséquent à la fiducie ne devrait pas faire obstacle à l'action des créanciers du fiduciant, dès lors que ce dernier serait de mauvaise foi. De plus, la fraude du fiduciaire ne devrait pas être établie124(*). On ne peut que souhaiter que la jurisprudence adopte cette position afin d'éviter que ne se développent des fiducies ayant pour seule fonction d'organiser l'insolvabilité de débiteurs, le tout avec la bénédiction du droit.

111. - La sanction de l'action paulienne est l'inopposabilité. La fiducie conclue en fraude des droits d'un créancier lui serait inopposable, et il pourrait dès lors exercer des voies d'exécution sur les biens transférés à la fiducie. Cette inopposabilité n'est pas une nullité, et l'acte demeure dans l'ordre juridique, les autres créanciers ne pouvant s'en prévaloir en l'absence de toute décision de justice.

b. - Le respect du droit de suite

112. - L'article 2025 du Code civil permet aux créanciers « titulaires d'un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie » d'agir directement contre les biens détenus au sein du patrimoine fiduciaire. Cette disposition n'intéresse qu'une partie seulement des créanciers du fiduciant, ceux qui, concrètement, bénéficient d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque venant garantir leur créance. L'objectif poursuivi n'est pas directement le respect du droit de gage général de tous les créanciers du constituant, mais la protection de droits spécifiques de certains d'entre eux ayant pris soin de garantir leur créance par une sûreté réelle.

113. - La sûreté réelle consiste en un droit réel accessoire consenti par un débiteur sur un bien sur lequel il détient lui-même un droit réel principal (au premier rang desquels on trouve la propriété). Mais ce droit réel est « vidé de sa substance matérielle »125(*), et il n'en demeure que le droit de préférence et le droit de suite (ce dernier étant absent de certaines sûretés réelles). Le premier de ces droits permet au créancier de se faire payer sur le prix du bien donné en garantie avant tout créancier chirographaire (c'est-à-dire celui qui n'est titulaire d'aucune sûreté) et avant tout titulaire d'une sûreté réelle postérieure. Le droit de suite permet au créancier d'atteindre le bien donné en garantie quand bien même celui-ci aurait quitté le patrimoine de son débiteur, et ainsi de le faire saisir pour se payer sur son prix de vente. Le droit de suite est généralement défini comme étant la possibilité de suivre le bien en quelques mains qu'il se trouve.

114. - Un créancier du fiduciant, titulaire d'une sûreté réelle ayant pour assiette un bien transmis à la fiducie, est ainsi fondé à faire saisir le bien se trouvant dans le patrimoine fiduciaire, alors même qu'il ne serait pas directement créancier de la fiducie. La loi sur la fiducie limite cependant l'effet du droit de suite en le conditionnant à la publication de la sûreté antérieurement à la constitution de la fiducie. L'antériorité paraît un critère évident, et la sûreté réelle assise sur un bien de la fiducie mais constituée postérieurement à la conclusion du contrat (et donc postérieurement en principe au transfert de propriété fiduciaire) devrait être regardée comme constituée a non domino126(*). On peut regretter à ce propos que la loi n'exige aucune condition d'opposabilité de la fiducie vis-à-vis des tiers. Si des formalités d'enregistrement sont exigées, ce n'est qu'ad validitatem127(*), et nullement à des fins d'opposabilité. L'article 2025 du Code civil se réfère ainsi « au contrat de fiducie » et non pas à son opposabilité qui pourrait être constituée par l'accomplissement de cette formalité d'enregistrement. Ainsi, la sûreté réelle assise sur un bien de la fiducie mais intervenant entre la conclusion de la fiducie et son enregistrement serait inopposable à la fiducie bien que pouvant avoir été conclue avec une personne agissant en toute bonne foi, et surtout qui n'avait aucun moyen de s'assurer que le bien donné en garantie n'avait été transféré à aucune fiducie. Heureusement, le délai d'un mois laissé par la loi pour accomplir les formalités d'enregistrement est suffisamment court et devrait éviter un contentieux trop important, mais des abus devraient être constatés.

115. - En revanche la référence aux « sûretés publiées » pose plus de difficultés. En effet, toutes les sûretés n'ont pas à être publiées pour être rendues opposables aux tiers. Par exemple, le nantissement de créance est opposable aux tiers dès la date de l'acte128(*). L'article 2025 du Code civil entre donc en conflit avec certaines dispositions du droit des sûretés. En application de l'adage specialia generalibus derogant129(*), la loi la plus spéciale doit primer. Selon nous, ce sont les dispositions gouvernant la fiducie qui doivent donc s'imposer. Le législateur a donc vraisemblablement pris le parti de limiter les sûretés opposables à la fiducie aux seules sûretés publiées130(*), la publication devant impérativement être antérieure à la fiducie. On ne peut donc qu'encourager les titulaires de sûretés réelles à faire publier rapidement leur droit, lorsque cela n'est pas requis par la loi.

2. - La remise en cause de la fiducie par le droit des entreprises en difficultés

116. - La loi sur la fiducie envisage la question du droit des faillites de manière très superficielle. L'article 18 de la loi du 19 février 2007 ajoute « tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire en application des articles 2011 et suivants du code civil » à la liste des actes frappés par la nullité de la période suspecte qui est dressée par l'article L. 632-1 du Code de commerce (a). Si l'article 2024 du Code civil vient poser le principe selon lequel la procédure collective ouverte contre le fiduciaire « n'affecte pas le patrimoine fiduciaire », il convient néanmoins d'envisager l'impact que peuvent avoir les procédures collectives ouvertes contre les personnes gravitant autour de la fiducie, notamment par le biais de l'extension de procédure (b).

a. - La nullité de la période suspecte

117. - La fiducie, en tant qu'acte de disposition (même si l'aliénation ne peut être que temporaire pour le constituant), représente un risque pour les créanciers. En période normale ceux-ci sont protégés par l'action paulienne131(*), laquelle requiert la réunion de conditions assez strictes pour porter ses fruits. Ces conditions sont exigées afin de préserver les droits du constituant lui-même, dès lors que sa mauvaise foi n'est pas établie. En revanche, lorsque le constituant se retrouve dans une situation si grave qu'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire se trouve ouverte contre lui, il parait normal d'organiser une protection plus ouverte du gage des créanciers, lesquels (principalement les créanciers chirographaires, qui n'ont que ce droit de gage pour espérer obtenir satisfaction) voient déjà leurs droits sérieusement mis à mal par la procédure collective. La nullité de la période suspecte répond à cette finalité précise de reconstituer l'actif du débiteur et de maximiser ainsi le gage de ses créanciers.

118. - Comme le souligne Françoise Pérochon, « la période précédant le jugement d'ouverture d'une procédure collective est propice à la fraude »132(*). Le débiteur qui sent sa situation définitivement obérée va pouvoir être tenté d'organiser son insolvabilité en concluant certains actes de disposition au détriment des droits de ses créanciers. La fiducie fait à ce titre figure d'instrument très attrayant pour organiser l'insolvabilité, présentant le double avantage de rendre un bien insaisissable par les créanciers du constituant et de n'être que temporaire, ce qui permet à un débiteur de s'assurer qu'il recouvre sa pleine propriété à l'échéance du contrat. Le législateur a anticipé ce détournement de la loi en permettant d'annuler tous les transferts fiduciaires qui seraient intervenus durant la période suspecte. Cette période s'étend selon la loi de la date de la cessation des paiements retenue par le tribunal à la date du jugement d'ouverture. Elle ne peut cependant pas excéder dix-huit mois ni remonter à une date antérieure à la décision définitive d'homologation de l'accord amiable.

119. - La sanction encourue est la nullité, et non l'inopposabilité comme en matière d'action paulienne. Tout transfert fiduciaire conclu pendant la période suspecte est donc anéanti rétroactivement, et ce erga omnes. L'inclusion à l'article L. 632-1 du Code de commerce implique que cette nullité est de droit, et non facultative133(*). Enfin, il convient de souligner que le législateur a souhaité élargir le plus possible l'assiette des actes nuls, en ne limitant pas ceux-ci aux seuls contrats de fiducie, mais bien à « tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire ». Ainsi, ce n'est nullement la date de conclusion du contrat de fiducie qui importe pour réintégrer un bien ou un droit de la fiducie dans le patrimoine du fiduciant, mais seulement la date du transfert. C'est là une précision fort judicieuse qui nous semble couvrir la plupart des possibilités de fraude, et ainsi assurer un respect convenable du droit de gage des créanciers du constituant.

b. - L'exclusion de la fiducie du droit des procédures collectives

120. - L'article 2024 du Code civil pose le principe que le patrimoine fiduciaire ne subit aucune conséquence du fait de l'ouverture d'une procédure collective contre le fiduciaire. La loi établit ainsi un cloisonnement patrimonial qui est absent par exemple des dispositions permettant à un entrepreneur individuel de rendre sa résidence principale insaisissable par ses créanciers professionnels134(*). Il aurait été souhaitable que le législateur se penche d'une manière plus poussée sur les procédures collectives relativement aux dispositions sur la fiducie. La loi est, pour l'essentiel, muette sur ce point, laissant le droit commun des entreprises en difficultés tel qu'il ressort de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 régler les difficultés éventuelles.

121. - La fiducie est exclue du champ d'application du droit des procédures collectives135(*). Le législateur a nettement pris le parti de considérer la fiducie dans son aspect contractuel et non institutionnel. Le choix de soumettre tout transfert fiduciaire à la nullité de la période suspecte va ainsi dans ce sens. Il est donc impossible d'ouvrir une procédure collective contre le patrimoine fiduciaire, mais il est également exclu de procéder dans le cadre d'une procédure ouverte contre le fiduciant ou le fiduciaire à une extension de procédure et ainsi d'englober le patrimoine fiduciaire dans celui du débiteur.

122. - C'est la loi du 26 juillet 2005 qui a consacré la solution jurisprudentielle permettant, en cas de confusion des patrimoines, de soumettre plusieurs entités juridiques distinctes à une même procédure collective, rompant ainsi avec le principe d'unité de la procédure. L'article L. 621-2 du Code de commerce dispose que « la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ». La loi se réfère expressément à la notion de « personne », empêchant ainsi que la procédure ouverte contre le fiduciant ou le fiduciaire puisse être étendue par ce biais à la fiducie, même si les conditions pourraient par ailleurs en être réunies. La fiducie n'est qu'un patrimoine d'affectation, et non une personne juridique.

123. - Néanmoins, la nullité de tout transfert fiduciaire opéré durant la période suspecte, l'action paulienne dévolue aux créanciers du fiduciant, ainsi que la limitation stricte des personnes pouvant avoir la qualité de fiduciaire devraient protéger les créanciers du constituant de la plupart des fraudes. Leur droit de gage paraît ainsi respecté, malgré les quelques réserves évoquées.

B. - La fragilité du cloisonnement patrimonial

124. - La loi sur la fiducie permet tant le transfert d'éléments d'actif que d'éléments de passif. Ainsi des créanciers du constituant vont pouvoir voir leur gage modifié par la transmission de leur dette du patrimoine du fiduciant à celui de la fiducie. De même, la gestion des éléments d'actifs détenus au sein du patrimoine fiduciaire va pouvoir faire naître des dettes. Cet ensemble constitue le passif fiduciaire. Ces créanciers sont titulaires d'un droit de gage général assis sur l'actif fiduciaire. C'est la conséquence de l'application des articles 2284 et 2285 du Code civil à la situation particulière engendrée par la fiducie. Leur droit sur cet actif est a priori exclusif, comme nous l'avons envisagé précédemment. Néanmoins, afin d'assurer que leurs droits soient respectés, la loi pose le principe d'un patrimoine subsidiaire répondant du passif fiduciaire136(*). Cette persistance de principe de liens patrimoniaux malgré le cloisonnement opéré par le patrimoine d'affectation (1) abouti à une quasi-impossibilité pratique de rendre le patrimoine fiduciaire totalement hermétique (2).

1. - La persistance de liens patrimoniaux

125. - La loi fixe un principe selon lequel « en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire »137(*). Les créanciers de la fiducie sont ainsi titulaires d'un droit de gage subsidiaire (a) qui n'est pas sans conséquence pour les créanciers du fiduciant (ou éventuellement du fiduciaire), qui peuvent avoir un intérêt à remettre en cause certains actes aggravant le passif fiduciaire (b).

a. - Le principe d'un droit de gage subsidiaire

126. - L'application des articles 2284 et 2285 du Code civil ainsi que la reconnaissance d'un patrimoine fiduciaire distinct de celui du fiduciant et du fiduciaire aboutie à reconnaître au profit des créanciers de la fiducie la titularité d'un droit de gage général assis sur les seuls éléments d'actif du patrimoine fiduciaire. Ils ont, conformément au premier alinéa de l'article 2025 du Code civil, une exclusivité sur ces éléments, et ne sont mis en concurrence avec les créanciers personnels du constituant que de manière résiduelle. Eux seuls peuvent en principe saisir les biens de la fiducie, ce droit de gage venant, comme il est de son essence, offrir un moyen de pression au créancier sur son débiteur.

127. - Néanmoins des problèmes vont pouvoir se poser en cas d'insuffisance de l'actif fiduciaire. Ce dernier a vocation à représenter le gage des créanciers de la fiducie. Son insuffisance pourrait avoir deux conséquences, l'une en amont, l'autre en aval. En amont tout d'abord, la fiducie ayant un actif limité au regard des engagements souscrits ou qu'elle devrait souscrire souffrirait d'un manque de crédit, ce que certains auteurs stigmatisent dans le cadre d'autres institutions juridiques, notamment les SARL à capital très faible (1 € étant le minimum légal) et a fortiori les EURL138(*). La conséquence en serait une efficacité réduite par la constitution systématique de sûretés - comme c'est le cas dans le cadre des SARL, où le gérant associé majoritaire est souvent amené à se porter caution des dettes de la société auprès des principaux bailleurs de fonds - qui en freinerait l'intérêt. En aval, le risque serait pour les créanciers de la fiducie de voir leur gage se réduire comme une peau de chagrin, quand bien même l'engagement qu'ils auraient souscrit serait parfaitement proportionné à l'actif fiduciaire. Il est en effet, d'une manière générale, difficile pour un créancier de s'assurer que le passif de son débiteur n'outrepasse pas son actif. La situation est analogue dans le cadre d'une fiducie.

128. - Le législateur était visiblement conscient de ces risques, et a donc choisi d'adopter le principe d'un droit de gage subsidiaire reconnu au profit des créanciers de la fiducie. Ce mécanisme représente pour ces derniers une garantie qui leur est reconnue de lege, et qui ne saurait être écartée sans qu'ils y consentent139(*). La nature de ce droit présente néanmoins certaines difficultés. Le vocabulaire employé par le législateur fait explicitement référence aux articles 2284 et 2285 du Code civil en évoquant « le gage commun » que constitue le patrimoine du constituant. Ainsi, le mécanisme retenu semble être différent par exemple de ce qui ressort de la loi Dailly dans laquelle le cessionnaire est « garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement »140(*). Dans la loi sur la fiducie, il n'est en revanche pas question de garantie.

129. - Il ressort de l'article 2025 alinéa 2 du Code civil que tout acte engageant la fiducie va engager non seulement l'actif fiduciaire mais également et de plein droit l'actif du fiduciant ou du fiduciaire, voire cumulativement les deux, selon les stipulations du contrat. Le droit de créance naissant de l'engagement du fiduciaire agissant ès qualités engendre un droit de gage double voire triple. Néanmoins l'engagement des biens du fiduciant ou du fiduciaire n'est que subsidiaire : ce n'est qu'en cas « d'insuffisance du patrimoine fiduciaire » qu'ils pourront être appréhendés par les créanciers de la fiducie. La loi est encore une fois lacunaire sur ce point, en ne précisant ni le moment, ni les conditions d'appréciation de cette insuffisance d'actif. Il n'est pas précisé si elle suppose par exemple de vaines poursuites préalables à l'encontre de la fiducie. En l'absence de disposition légale dans ce sens, il est probable que la réponse soit négative. Notre opinion est que le créancier formant une demande portant sur les biens du fiduciant ou du fiduciaire et fondée sur l'insuffisance d'actif de la fiducie devrait établir celle-ci afin de voir son action jugée recevable. La défaillance du débiteur principal ne suffit a priori pas.

130. - Le titulaire du patrimoine subsidiaire peut être regardé comme un codébiteur subsidiaire, dont l'obligation patrimoniale serait conditionnée à l'insolvabilité du débiteur principal. Il est à mi-chemin entre le codébiteur solidaire et la caution. D'une certaine façon, son obligation semble se rapprocher davantage de l'obligation à la dette des associés de sociétés de personnes141(*). La loi elle-même semble s'y référer en évoquant « l'obligation au passif fiduciaire »142(*). Quoi qu'il en soit, l'existence de ce droit de gage subsidiaire constitue une remise en cause relative de l'affectation patrimoniale réalisée, en ce qu'elle rend perméable le cloisonnement opéré entre les différents patrimoines. Néanmoins, la solution ne nous paraît pas critiquable dans le sens où elle vise à éviter les abus et à faire de la fiducie un instrument fiable et efficace.

b. - La remise en cause des actes aggravant le passif fiduciaire

131. - Lorsque le fiduciaire agit pour le compte de la fiducie, il doit mentionner qu'il agit ès qualités. Lorsque c'est le cas, il n'est pas engagé personnellement. D'une manière comparable au mandataire qui agit dans le cadre de son mandat, les actes accomplis engagent directement la fiducie. Dénuée de personnalité juridique, l'engagement de la fiducie s'entend davantage au niveau patrimonial, via le droit de gage général dont se trouvent investis les créanciers de la fiducie. L'actif fiduciaire répond du passif fiduciaire. La notion d'obligation se trouve totalement objectivée, étant assimilée à la contrainte sur les biens du débiteur. L'existence cependant d'un droit de gage subsidiaire pesant sur les biens du fiduciant ou du fiduciaire (mais cette dernière hypothèse devrait être largement minoritaire) implique que tout acte engageant la fiducie va ipso facto avoir des répercussions sur le patrimoine subsidiaire. Le gage des créanciers personnels du fiduciant ou du fiduciaire va ainsi non pas décroitre, mais être mis en concurrence avec le droit subsidiaire des créanciers de la fiducie. Au-delà même des actes aggravant le passif de la fiducie, le problème des actes diminuant l'actif fiduciaire se pose dans des termes similaires.

132. - Les créanciers du fiduciant ou du fiduciaire peuvent avoir un intérêt important à remettre en cause tout acte de la fiducie aggravant leur situation personnelle de manière indirecte. La possibilité pour ces créanciers d'agir sur le fondement de l'action paulienne parait difficile. En effet, d'une part, l'article 1167 alinéa 1er du Code civil permet à un créancier d'agir seulement contre les actes accomplis par son débiteur. Selon les modalités du contrat de fiducie, les pouvoirs d'administrations voire de disposition vont pouvoir être exercés soit par le fiduciaire (lorsque celui-ci est le bénéficiaire de l'opération) soit par le fiduciant, soit même par un tiers (lorsque le contrat de fiducie prévoit un bénéficiaire qui n'est ni le fiduciant, ni le fiduciaire, et que cette convention octroie une part du jus utendi, voire du jus abutendi, à ce tiers). Les actes engageant la fiducie sont conclus ès qualités. Dès lors, on peut s'interroger sur le point de savoir si la personne juridique agissant ès qualités est assimilable à la personne stricto sensu, afin de définir si l'acte conclu ès qualités peut être regardé, vis-à-vis des créanciers personnels de cette personne, comme « faits par leur débiteur ». Selon nous la réponse à cette question doit être positive, du fait de l'unité de la personnalité juridique. Reconnaître qu'une personne agissant ès qualités au nom de la fiducie est la manifestation d'une personnalité distincte équivaut selon nous à reconnaître une personnalité juridique à la fiducie. Ainsi, un acte conclu par le fiduciaire ou le constituant au nom de la fiducie serait susceptible d'être reconnu inopposable aux créanciers personnels de la personne ayant agi, dès lors que les autres conditions de recevabilité de l'action paulienne seraient réunies, ce qui devrait être rare. De plus, la finalité d'une telle action serait de reconstituer l'actif fiduciaire rendu frauduleusement insuffisant au regard du passif, et ainsi de réduire le gage subsidiaire affectant directement les droits des créanciers personnels du fiduciaire ou du fiduciant. Dans le cas d'un acte accompli par un tiers en revanche, les recours de la part des créanciers du titulaire du patrimoine subsidiaire seraient irrecevables sur le fondement de l'action paulienne.

133. - Outre l'action paulienne, l'action oblique paraît plus certainement ouverte aux créanciers du fiduciant, et dans une moindre mesure à ceux du fiduciaire. L'action oblique est disposée par l'article 1166 du Code civil, et permet aux créanciers d' « exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui son exclusivement attachés à la personne ». L'action oblique constitue une sorte de droit d'ingérence du créancier dans les affaires de son débiteur lui permettant de combler la carence de ce dernier143(*). Appliquée dans le cadre de la fiducie, l'action oblique pourrait permettre aux créanciers du fiduciant d'agir, en cas de carence de celui-ci, dans le cas, par exemple, où le fiduciaire aurait accompli un acte outrepassant ses pouvoirs engageant ainsi sa responsabilité contractuelle. Les créanciers du fiduciaire ou du constituant peuvent ainsi être amenés à exercer tous les droits et toutes les actions de leur débiteur, dès lors où ces droits et actions ne sont pas exclusivement attachés à la personne. L'action serait ouverte dès lors que le créancier agissant justifierait d'un intérêt à agir constitué par l'atteinte portée à son droit de gage du fait de l'inaction de son débiteur144(*). Les créanciers du fiduciant, dès lors que le patrimoine de ce dernier répondrait subsidiairement du passif fiduciaire, seraient fondés, en cas d'inaction de leur débiteur, à exercer toutes les actions ouvertes au constituant contre les actes accomplis au nom et pour le compte de la fiducie et en aggravant le passif ou en diminuant l'actif. Sous la même réserve de l'inaction de leur débiteur ils pourraient agir en responsabilité contractuelle contre le fiduciaire, voire même demander judiciairement le remplacement du fiduciaire en application de l'article 2027 du Code civil.

134. - On le voit, le principe du patrimoine subsidiaire posé par l'article 2025 du Code civil représente à la fois une sécurité pour le droit de gage des créanciers de la fiducie et un danger pour ceux du titulaire de ce patrimoine subsidiaire, qui sera dans la plupart des cas le fiduciant. Les instruments juridiques assurant le respect du droit de gage des créanciers et existant déjà dans le droit français vont ainsi permettre, sous certaines conditions très strictes, de remettre en cause non plus la fiducie elle-même, mais bel et bien son fonctionnement propre. Ces actions représentent ainsi une menace pour la fiducie. Mais cette menace est légitime, car elle vient soit combler les lacunes d'un fiduciant négligeant, soit sanctionner les actes frauduleux.

2. - La quasi-impossibilité pratique d'un cloisonnement hermétique

135. - La loi sur la fiducie pose certes le principe d'un patrimoine subsidiaire, mais envisage la possibilité de déroger à cette règle en limitant au seul actif fiduciaire le gage des créanciers de la fiducie. C'est l'alinéa 3 de l'article 2025 du Code civil qui ouvre cette possibilité. Le contrat de fiducie peut ainsi prévoir expressément que le passif de la fiducie (passif acquis ou transmis) sera supporté par l'actif fiduciaire et lui seul. Mais « une telle clause n'est opposable qu'aux créanciers qui l'ont expressément acceptée », selon la lettre même de l'article 2025 alinéa 3 in fine du Code civil.

136. - On trouve dans le droit commun un mécanisme similaire permettant à un débiteur de réduire l'assiette du gage de ses créanciers en convenant expressément avec eux de l'exclusion de certains biens de leur droit de gage. C'est un arrêt de 1972 qui a affirmé que les articles 2092 et 2093 du Code civil n'étaient pas d'ordre public et a ainsi validé les clauses de limitation conventionnelle du droit de gage général145(*). Cela aurait pu ouvrir la possibilité en France de constituer des patrimoines d'affectation. Ce n'est cependant vrai qu'en théorie, la réalisation pratique étant confrontée à un double obstacle :

- la grande lourdeur de l'opération consistant à limiter précisément le droit de gage de tous ses créanciers dans chaque convention conclue,

- et le fait que s'il est concevable que quelques créanciers acceptent de consentir à une limitation de leur droit, la probabilité que tous le fassent est très faible, notamment les principaux créanciers qui se trouvent de ce fait en position de force et n'ont par conséquent aucun intérêt à y consentir. Ce double obstacle se trouve atténué dans le cadre de la fiducie, mais perdure tout de même, l'exigence du consentement exprès des créanciers étant posée.

137. - Cette disposition n'a en réalité qu'une seule fonction. Elle permet la réalisation d'opérations de defeasance sur le sol français146(*). En effet cette opération suppose qu'une dette ou qu'un ensemble de dettes soient sortis du bilan d'une société afin d'être traités par une structure dédiée. Il s'agit d'une externalisation de dettes dans laquelle les créanciers perdent toute possibilité d'agir directement contre le patrimoine de leur débiteur originel. Ils renoncent à tout recours permettant ainsi une externalisation absolue du passif transféré, ce qui comptablement permet d'aboutir aux résultats recherchés.

138. - La contrainte qui pesait sur le législateur d'instituer une opération respectueuse du droit de gage des créanciers (du constituant comme de la fiducie) aboutie à une relativisation de l'infléchissement de la théorie du patrimoine que représente par ailleurs cette loi147(*). Ainsi, des liens patrimoniaux persistent malgré l'affirmation du patrimoine fiduciaire comme étant un patrimoine d'affectation, distinct par conséquent de celui, personnel, du fiduciant ou du fiduciaire. La loi sur la fiducie a anticipé les conséquences fiscales ou comptables notamment en prévoyant de nombreuses dispositions spéciales sensées régler les difficultés posées par l'opération. Néanmoins ces droits spéciaux sont particulièrement peu clairs, et, de surcroît, parfois contradictoires, au point de brouiller considérablement les cartes quant à l'existence d'un patrimoine d'affectation.

II. - La difficile coordination des droits spéciaux

139. - Dans la théorie classique d'Aubry et Rau, le patrimoine est non seulement unique, mais étant attaché à la personne, il est intransmissible du vivant de son titulaire, qui ne s'en défait que par son décès. La conception objective du patrimoine se distingue de cette conception en procédant à un détachement du patrimoine et de la personne. Le patrimoine peut ainsi devenir multiple, mais il est de plus transmissible entre vifs. La fonction essentielle de la fiducie (ou du trust) est de permettre la constitution d'un patrimoine d'affectation et d'en assurer sa transmission, soit à un tiers, soit à son constituant (il y a alors rétrocession).

140. - L'introduction d'une telle opération en droit français supposait l'adaptation des règles de droit devant régir la situation au niveau fiscal et comptable (principalement). La loi sur la fiducie a donc introduit de nombreuses dispositions spéciales afin d'assurer notamment la neutralité fiscale tant recherchée148(*). Malheureusement l'ensemble des dispositions adoptées manque singulièrement de clarté et de cohérence. Les contradictions de ces textes semblent mettre à mal le principe affirmé par ailleurs de l'affectation patrimoniale et de l'autonomie du patrimoine fiduciaire (A). De plus, l'innovation majeure que constitue la transmissibilité entre vifs du patrimoine fiduciaire a suscité quelques difficultés (B).

A. - La mise à mal de l'affectation patrimoniale par les droits spéciaux

141. - L'affectation patrimoniale qu'opère la loi sur la fiducie semble satisfaisante, ainsi que nous l'avons envisagé149(*). Mais le régime fiscal et comptable mis en place pour la fiducie est parfois en contradiction avec les dispositions civiles, ce qui entraine une relative fragilisation de l'ensemble de l'opération. Ainsi les dispositions spéciales aboutissent à une grande hétérogénéité quant à l'autonomie du patrimoine fiduciaire (1) et quant à sa titularité (2).

1. - L'autonomie variable du patrimoine fiduciaire

142. - Le patrimoine fiduciaire constitue un patrimoine d'affectation, c'est-à-dire une masse distincte du patrimoine du fiduciaire et de celui du constituant. Mais sa réalité juridique est particulièrement variable dès lors que l'on se penche sur les dispositions fiscales et comptables. La tangibilité du patrimoine fiduciaire varie selon que le constituant est désigné comme bénéficiaire de la fiducie (a) ou qu'il ne l'est pas (b).

a. - Lorsque le constituant est le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie

143. - Lorsque le contrat de fiducie désigne le constituant comme étant le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie, alors l'effet translatif de la fiducie est atténué, au regard du droit fiscal notamment. Dans ce cas de figure, les biens et droits transférés à la fiducie ont pour vocation de réintégrer in fine le patrimoine du constituant. De ce fait on peut caractériser deux transferts qui se croisent. D'un point de vue fiscal, un transfert de propriété sous-entend l'imposition de cette mutation. Dès lors, l'opération réalisant deux transferts, même croisées, suppose en principe deux droits de mutation distincts. On voit là toute la lourdeur qui aurait entravé le fonctionnement de la fiducie si aucune adaptation à ses spécificités n'avait été réalisée. Plusieurs dispositions de la loi du 19 février 2007 vont donc dans ce sens.

144. - Néanmoins, la spécificité des règles s'appliquant au cas particulier dans lequel le constituant de la fiducie en est également le ou l'un des bénéficiaires viennent contredire les dispositions civiles et parfois même viennent se contredire entre elles. Ainsi la constitution d'une fiducie, réalisant un transfert de biens et de droits d'un patrimoine à un autre, suppose la perception de diverses impositions. Le transfert de certains types de biens150(*) donne notamment lieu à la perception d'une taxe de publicité foncière de 0,60 %151(*). En revanche, lorsqu'à l'échéance du contrat les biens du patrimoine fiduciaire retournent au constituant, cette taxe n'est pas due152(*). Le droit fiscal reconnaît donc l'existence d'une mutation imposable dans un sens mais pas dans l'autre.

145. - D'une manière similaire, la loi sur la fiducie a prévu au bénéfice du constituant d'une fiducie un sursis d'imposition des plus ou moins-values ou des gains et des pertes qui seraient réalisés à l'occasion du transfert à la fiducie153(*). Or ces dispositions prévoient que, pour bénéficier du sursis, les valeurs à prendre en compte fiscalement (pour les calculs d'éventuelles plus ou moins-values réalisées ultérieurement) et comptablement (pour l'inscription des biens dans les écritures comptables) ne soient pas les valeurs réelles mais les valeurs qui étaient celles des biens dans les écritures du constituant. Autrement dit, le sursis n'est octroyé au constituant qu'à la condition qu'il n'y ait pas de plus ou moins-value réalisée, c'est-à-dire lorsque aucune imposition n'est due. Ces dispositions indiquent de plus que lorsque le constituant est le bénéficiaire de la fiducie, le patrimoine fiduciaire représente, tant au niveau fiscal que comptable, un prolongement du patrimoine du constituant. En effet, les écritures comptables du patrimoine fiduciaire, pourtant distinctes de celles du constituant, se doivent de reprendre les valeurs qui étaient celles inscrites chez ce dernier. Si les parties à la fiducie décident de ne pas souscrire aux conditions posées par l'article 223 V. du Code général des impôts (ce qu'ils peuvent parfaitement faire), alors ils s'exposent à une double imposition dissuasive.

b. - Lorsque le constituant n'est pas le bénéficiaire de la fiducie

146. - La position adoptée par le législateur (outre le fait qu'elle soit parfois incompréhensible) semble indiquer que, lorsque le constituant est désigné comme le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie, le patrimoine fiduciaire constitue davantage une émanation du patrimoine du constituant qu'une universalité autonome au niveau fiscal et comptable. La situation que l'on observe en revanche lorsque le bénéficiaire est le fiduciaire ou un tiers est diamétralement opposée. Dans ce cas en effet, le patrimoine fiduciaire a une réelle autonomie fiscale et comptable, aboutissant notamment à la taxation des plus ou moins values réalisées par le constituant lors du transfert à la fiducie au titre de l'exercice au cours duquel a lieu ce transfert. Cela implique de plus l'imposition spécifique de deux mutations distinctes. La législation qui s'applique alors ne prend pas vraiment en compte la spécificité de la fiducie-gestion, qui a vocation notamment à se substituer au mandat de gestion. Ce dernier présente certes des inconvénients, mais la fiducie, envisagée en tant qu'instrument de gestion, constitue un instrument très lourd fiscalement, ce à quoi vient s'ajouter le risque considérable représenté par la prohibition des libéralités154(*).

147. - Les dispositions spéciales brouillent considérablement l'affectation patrimoniale (déjà peu claire) réalisée par l'opération de fiducie. Guidée par un objectif de neutralité fiscale, et de manière sous-entendue, par la crainte de la fraude et de l'évasion fiscale, l'ensemble abouti à une autonomie variable du patrimoine d'affectation fragilisant la cohérence de la loi ainsi que son intérêt pratique. On ne peut que déplorer que ce manque de cohérence se retrouve relativement à la titularité du patrimoine fiduciaire.

2. - La titularité du patrimoine fiduciaire

148. - Là encore les dispositions spéciales se heurtent et se contredisent. Certaines dispositions rattachent le patrimoine fiduciaire au constituant (a) alors que d'autres établissent ce lien avec le fiduciaire (b).

a. - Le rattachement du patrimoine fiduciaire au constituant

149. - Au-delà de la pluralité des patrimoines dont pourrait être titulaire une même personne, la théorie classique du patrimoine ignore la conception d'un patrimoine sans titulaire. C'est pourtant l'une des conséquences intrinsèque de la théorie du patrimoine-but155(*). Le patrimoine fiduciaire pose le problème du rattachement du patrimoine d'affectation à une personne dotée du pouvoir sur ce patrimoine, réalisant ainsi la dissociation entre le lien patrimonial et le pouvoir qui se trouvent être tous deux attachés à la propriété156(*). La loi sur la fiducie a ainsi organisé le rattachement du patrimoine fiduciaire selon des règles hétéroclites et parfois contradictoires.

150. - Relativement à l'imposition des résultats de la fiducie, la loi prend le parti de rattacher le patrimoine d'affectation à la personne juridique du constituant. Lorsque la fiducie dégage par son activité un bénéfice, celui-ci, conformément aux dispositions de l'article 223 VA du Code général des impôts, est imposée directement entre les mains du constituant. Le bénéfice imposable ou éventuellement le déficit qui est dégagé par l'exploitation du patrimoine fiduciaire vient donc s'imputer sur le bénéfice imposable de la personne morale du constituant. Ce même article dispose que la détermination du bénéfice imposable de la fiducie se fait selon les mêmes règles que celles s'appliquant au bénéfice imposable du constituant. Enfin, l'article 223 VC du Code général des impôts prévoit que le chiffre d'affaire réalisé par la fiducie vient s'imputer sur celui du constituant pour déterminer les différents seuils prévus par le Code général des impôts. On peut penser par exemple à l'applicabilité du taux réduit de l'impôt sur les sociétés157(*). Pour l'ensemble de ces règles fiscales, le patrimoine fiduciaire semble transparent. L'analogie avec les sociétés de personnes fiscalement transparentes158(*) est permise. Mais il convient de relativiser les similitudes, ne serait-ce que du fait de la faculté d'option qui est ouverte à toutes ces sociétés, qui peuvent renoncer à la transparence fiscale159(*). En réalité, le patrimoine fiduciaire n'a pas la même consistance, la même tangibilité juridique, sur le plan du droit fiscal, que le patrimoine d'une société, que celle-ci soit fiscalement transparente ou non.

b. - Le rattachement du patrimoine fiduciaire au constituant

151. - Le constituant, bien que censé s'être dessaisi de la titularité des biens et droits transférés, conserve un lien juridique (fiscal) avec le patrimoine fiduciaire. Toutefois, pour de nombreuses questions, c'est au fiduciaire qu'il est rattaché. Civilement, c'est le fiduciaire qui est réputé, à l'égard des tiers, disposé des plus larges prérogatives sur les biens de la fiducie160(*). D'un point de vue comptable, c'est sur le fiduciaire que pèse l'obligation de tenir une comptabilité autonome161(*). De même, le droit fiscal regarde le fiduciaire comme étant l'exploitant du patrimoine fiduciaire, et c'est lui qui est, à ce titre, redevable de la TVA162(*) mais également des impositions locales163(*), taxe professionnelle et taxe foncière.

152. - D'une manière similaire, mais peut être plus dommageable, la loi sur la fiducie ne prévoit aucune disposition spécifique lorsque les biens du patrimoine fiduciaire sont constitués de droits sociaux164(*). La détention de ces droits sociaux au sein du patrimoine fiduciaire peut poser des difficultés relativement aux aménagements fiscaux s'appliquant aux groupes de sociétés, c'est-à-dire le régime des sociétés mères165(*) et l'intégration fiscale166(*). Ces aménagements prévus afin de simplifier la fiscalité des groupes de société reposent sur la détention d'un minimum de droits sociaux. Le transfert à une fiducie par la holding de droits sociaux de sa filiale semble faire obstacle à l'application du régime de l'intégration fiscale (et également à celui des sociétés mères), quand bien même la holding, en tant que bénéficiaire de la fiducie-sûreté, conserverait les prérogatives (droits politiques et financiers au sein de la filiale) attachées à ces droits sociaux. La titularité du pouvoir semble légalement dévolue au fiduciaire, et ce de manière irréfragable. On peut dès lors regretter que le législateur n'ait pas envisagé ce cas en adaptant la loi fiscale, comme cela a par ailleurs été fait en matière de chiffre d'affaire167(*).

153. - Ces règles disparates allant dans des sens contraires n'aident pas à la cohérence de la fiducie française. Le législateur s'est visiblement davantage concentré sur les risques d'évasion fiscale (imposition entre les mains du constituant sans possibilité d'option, chiffre d'affaire apprécié chez le constituant dans sa globalité) que sur les difficultés pratiques qui pourraient nuire à la compétitivité de l'opération. La transmissibilité du patrimoine fiduciaire soulève également, dans la loi, de nombreuses difficultés.

B. - Les difficultés soulevées par la transmissibilité du patrimoine fiduciaire

154. - Il est de l'essence du patrimoine fiduciaire d'être transféré, in fine, au bénéficiaire de l'opération. Deux problèmes se posent relativement à cette transmissibilité, la prohibition des fiducies-libéralités d'une part (1), et la cessibilité des droits du constituant d'autre part (2).

1. - La prohibition des fiducies-libéralités

155. - Le législateur a choisi d'interdire dans la loi, à peine de nullité, toute intention libérale du constituant au profit du ou des bénéficiaires de l'opération. De ce problème théorique (a) surgissent des difficultés pratiques (b).

a. - Le problème théorique

156. - La prohibition des fiducies-libéralités trouve son origine dans la proposition de loi déposée par le sénateur Philippe Marini. Dans ce texte, la fiducie était ouverte à toutes les personnes, physiques et morales. L'admission de la fiducie-libéralité aurait permis de contourner les dispositions impératives (et récentes) relatives aux successions et aux libéralités. On retrouve pour les mêmes raisons cette prohibition dans le texte proposé par la commission des lois du sénat168(*). Mais le texte définitif adopté par l'Assemblée Nationale contient une restriction rationae personae quant au constituant qui était absente des propositions originaires. Or, alors que la prohibition des libéralités se justifiait aisément lorsque le constituant pouvait être une personne physique, la limitation de la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés ne la justifie plus selon nous, le risque de contournement des législations d'ordre public n'étant plus caractérisé.

157. - Néanmoins, cette restriction demeure dans la loi sur la fiducie et elle devrait occasionner de nombreux problèmes, notamment un important contentieux fiscal. Civilement le contrat qui « procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire » est nul, de nullité absolue et d'ordre public169(*). Dès lors que seraient caractérisées, entre le constituant de la fiducie et le ou les bénéficiaires, l'absence de contrepartie réelle (élément objectif de la libéralité) et l'animus donandi (élément subjectif), la fiducie serait nulle, ce qui remettrait en cause toute l'opération. Néanmoins cette règle civile semble poser beaucoup d'inconvénients, sans pour autant trouver de justification au fond. En effet, étant donné la nature du constituant (une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés), la possibilité d'être l'auteur de libéralité apparaît en tout état de cause entravé grandement (et dans de nombreux cas) par l'intérêt social. En effet tout acte contraire à l'intérêt de la société est sanctionné par la nullité absolue170(*). D'un point de vue fiscal, les critères de détermination de la libéralité sont encore plus stricts que civilement. Ainsi, il est tout à fait possible qu'une fiducie soit valide d'un point de vue civil, mais qu'elle constitue une donation sur le plan fiscal. Les critères fiscaux sont évoqués de manière non limitative (laissant toute latitude à l'Administration fiscale) par l'article 792 bis alinéa 2 du Code général des impôts. L'intention libérale se caractérise ainsi fiscalement par l'absence « de contrepartie réelle ou lorsqu'un avantage en nature ou résultant d'une minoration du prix de cession est accordé à un tiers ». La sanction est particulièrement lourde ; elle consiste en la taxation de la libéralité à un taux de 60 %171(*), a priori particulièrement dissuasif.

b. - Les difficultés pratiques

158. - Pratiquement les conséquences vont être désastreuses pour les parties. Alors que la fiducie aurait pu permettre à des sociétés partenaires de mettre en commun des moyens et ce sans contrepartie (un abandon de créance en faveur d'un partenaire connaissant des difficultés passagères n'est-il pas sous certaines conditions conforme à l'intérêt social ? Constitue-t-il toujours un acte anormal de gestion ?), la prohibition des fiducies-libéralités et son appréciation particulièrement stricte qu'en fait le droit fiscal viennent constituer un obstacle à l'attractivité de l'opération. Un tel principe est particulièrement critiquable de plus du fait que sa justification juridique a disparu. Selon nous les garde-fous constitués par le droit commun (des sociétés notamment) auraient constitué une garantie suffisante et autorisé une plus large souplesse s'accommodant parfaitement avec les objectifs de la fiducie.

159. - La prise en compte des enjeux internationaux confère à la question une toute autre ampleur. En effet car avec l'instauration d'une législation sur la fiducie vient se poser la question de l'intégration des fiducies étrangères dans l'ordre juridique interne. La question va prendre tout son sens en présence de fiducies-libéralités (fiducies successorales) conclues à l'étranger mais se dénouant en France (le constituant décède sur le territoire français après y avoir établi son domicile par exemple). D'un point de vue civil, l'application de la loi d'autonomie, sous réserve du respect des règles d'ordre public international que constituent certaines dispositions du droit des successions, ne fait pas difficulté. En revanche, l'application des règles fiscales propres à la fiducie française aboutirait à une surtaxation de l'opération. Néanmoins, en matière de trust successoral, la Cour de cassation a par le passé estimé que l'opération s'analysait en « une donation indirecte » qui prenait date « au moment du décès du donateur par la réunion de tous ses éléments »172(*). Cette interprétation fort critiquable du trust en ce qu'il méconnaît ses effets (la révocabilité du trust testamentaire l'en rapproche davantage d'une disposition testamentaire que d'une donation indirecte) aboutie en l'occurrence à la taxation des libéralités selon le lien de parenté entre le donataire et le défunt.

160. - Les dispositions fiscales adoptées afin de sanctionner les fiducies-libéralités ne nous semblent pas avoir vocation à s'appliquer à des fiducies ou à des trusts étrangers conclus entre des personnes physiques à des fins successorales. Selon nous il convient de procéder selon les règles de qualification internationale, ce qui aboutie à traiter les fiducies-libéralités étrangères, dès lors qu'elles sont légales au regard du droit étranger et qu'elles ne sont pas entachées de fraude, comme les trusts étrangers. Le régime fiscal à appliquer est selon nous celui qui est applicable à l'opération similaire dans ses effets, et nous dans son appellation. La solution, certes critiquable, de l'affaire Zieseniss nous paraît, faute de mieux, devoir s'appliquer aux fiducies successorales étrangères.

2. - La cessibilité des droits du constituant

161. - Outre les difficultés suscitées par la prohibition, non justifiée selon nous, des fiducies-libéralités, la question de la transmission du patrimoine fiduciaire se retrouve également, d'une manière sous-jacente, relativement à la cessibilité des droits que le constituant possède « au titre de la fiducie »173(*). Ce point tel qu'envisagé dans la loi prête le flan à deux critiques, la première tenant à la transparence fiscale de ces droits (a) et la seconde aux restrictions légales à leur cessibilité (b).

a. - La transparence fiscale des droits du constituant

162. - C'est l'article 2013-1 du Code civil qui évoque la cessibilité des « droits du constituant au titre de la fiducie », en en posant les contraintes. L'évocation de ces « droits » peut faire penser dans un premier temps aux droits sociaux que reçoit l'associé en contrepartie de ses apports174(*). Le constituant d'une fiducie, transférant la titularité de biens et de droits à un patrimoine d'affectation se verrait alors reconnaître en contrepartie la titularité de droits portant directement sur ce patrimoine, envisagé alors dans son ensemble en tant qu'universalité, et non plus sur ses éléments individuels. Ces droits fiduciaires permettraient de fonder aisément l'imposition des résultats du patrimoine d'affectation directement entre les mains du constituant, et ce d'une manière analogue à la situation de l'associé d'une société de personnes, fiscalement transparente.

163. - Le fiduciant serait alors titulaire d'un droit sur le patrimoine d'affectation, qu'il pourrait céder. Mais cette analyse, qui conférerait une certaine cohérence à la notion de patrimoine d'affectation telle qu'envisagée dans la loi, ne semble pas être celle qu'opère le droit fiscal. La loi du 19 février 2007 a en effet introduit un article 1378 septies du Code général des impôts en vertu duquel « pour l'application des droits d'enregistrement, les droits du constituant résultant du contrat de fiducie sont réputés porter sur les biens formant le patrimoine fiduciaire. Lors de la transmission de ces droits, les droits de mutation sont exigibles selon la nature des biens et droits transmis ». Le constituant a certes un « droit » en contrepartie du transfert fiduciaire, mais ce droit ne porte pas sur un patrimoine, mais sur ses éléments. Toujours par analogie avec les sociétés, cela reviendrait à considérer que la cession des parts sociales ou des actions devrait être regardée fiscalement comme la cession d'une partie du patrimoine de la personne morale, et que l'imposition serait fonction de sa composition. Or fiscalement, la cession de droits sociaux est soumise à un régime spécifique approprié à la tangibilité juridique de ceux-ci175(*).

164. - Fiscalement, la transparence des « droits » du constituant au titre de la fiducie équivaut à la négation du patrimoine d'affectation. Ainsi, que le constituant cède un bien de son propre patrimoine ou qu'il cède une partie d'un patrimoine fiduciaire, cela revient fiscalement à la même chose. Le législateur a, et cela est très critiquable, omis de définir la nature de ces droits. Cependant, il semble que leur fonction essentielle soit de justifier les dispositions fiscales frappant le constituant.

b. - Les restrictions légales à la cessibilité

165. - Faisant écho à la double restriction frappant d'une manière générale la fiducie (limitation rationae personae relative au constituant ; prohibition des fiducies-libéralités), le législateur a restreint la cessibilité des droits du constituant. Ce dernier, s'il peut a priori céder ses droits qu'il détient sur le patrimoine fiduciaire, ne peut le faire en réalité qu'au profit d'une personne morale assujettie à l'impôt sur les sociétés, et il ne peut le faire qu'à titre onéreux.

166. - Selon nous la cessibilité des droits du constituant n'est envisageable que lorsqu'il est lui-même le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie, ou lorsqu'aucun bénéficiaire n'est désigné176(*). Cette cession s'accompagne alors nécessairement du transfert des droits qui sont éventuellement les siens en tant que bénéficiaire. Lorsque le constituant n'est pas bénéficiaire, il ne conserve sur les biens de la fiducie aucun pouvoir d'administration ou de disposition. Dès lors la cession de ses droits paraît dénuée d'intérêt. Quoiqu'il en soit, la cession de ses droits par le constituant suppose « un acte écrit enregistré », de même que la cession par le bénéficiaire de ses droits177(*).

167. - Si la restriction rationae personae quant aux cessionnaires des droits du constituant paraît fondée (afin d'éviter une fraude à la loi), on peut remettre en cause la prohibition de la transmission à titre gratuit. En effet, l'intention libérale prohibée est celle existant entre le constituant et le bénéficiaire. Mais elle paraît justifiée entre le constituant et le cessionnaire dans trois hypothèses :

- le constituant est le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie. Ainsi, s'il est certes impossible de consentir une libéralité à soi-même, la transmission à titre gratuit des droits du constituant, lorsqu'à cette qualité est attachée celle de bénéficiaire, équivaut dès lors à une fraude.

- aucun bénéficiaire n'est encore désigné par le contrat de fiducie. Le cessionnaire peut alors selon les conditions prévues par le contrat - mais dans ce cas la prohibition légale n'est pas toujours justifiée selon nous - se désigner comme bénéficiaire, ce qui équivaut dès lors à une fraude.

- le ou les bénéficiaires n'ont pas encore accepté la fiducie. Il est alors possible pour le cessionnaire (car il doit être regardé comme le constituant) de révoquer la fiducie.

Néanmoins, on ne peut que regretter le maintien de cette prohibition, dès lors qu'elle se justifiait initialement, comme évoqué précédemment, par la nécessité d'assurer le respect des dispositions d'ordre public relatives au droit des successions et des libéralités. La restriction rationae personae rend caduc la nécessité de prohiber les fiducies-libéralités.

168. - Ainsi la cessibilité du patrimoine fiduciaire soulève des difficultés importantes qui fragilisent l'efficacité (particulièrement pour la prohibition des fiducies-libéralités et son appréciation stricte et désastreuse) et la cohérence de l'opération instaurée. L'ensemble de ces dispositions spéciales, parfois contradictoires, essentiellement motivées par la crainte des abus et des fraudes (mais quel instrument juridique est à l'épreuve de la fraude ?) constitue une relativisation importante selon nous de l'apport réel de la loi sur la fiducie à la théorie du patrimoine. Alors que le respect du droit de gage général doit être regardé comme une nécessité, principalement au regard de la sécurité juridique, ces dispositions guidées par des intérêts contraires à l'esprit de la fiducie fragilise la construction juridique opérée.

Conclusion

169. - L'introduction de la fiducie en France s'est donc finalement faite, et cela constitue une avancée qu'il convient de saluer. Devant les impératifs d'un monde juridique globalisé, doter la France d'un instrument juridique performant à même de concurrencer trusts et fiducies étrangères était indispensable. Les obstacles idéologiques constitués par l'incompatibilité supposée entre conceptions romaniste et anglo-saxonne du droit ou encore par un attachement exacerbé à des principes anciens ont certes freiné l'instauration de l'opération, mais ils ont finalement été levés.

170. - Censée fragiliser la théorie du patrimoine, la fiducie, loin de porter « l'estocade »178(*) au principe d'unicité, ne constitue au final qu'une nouvelle exception à un principe qui en connaissait déjà plusieurs179(*). Certes, l'admission de la notion de patrimoine d'affectation peut paraître en opposition avec l'unité du patrimoine. Mais l'infléchissement pragmatique que constitue la fiducie180(*) s'accommode fort bien par ailleurs des grands principes du droit civil, lesquels ne sont au final que peu affectés par la résurrection de ce qui était chez les romains le plus anciens des contrats réels. L'atteinte la plus notable semble au contraire être portée non pas à la théorie du patrimoine, mais bien à la conception classique du droit de propriété181(*), lequel semble se subjectiver ou en tout état de cause, se désobjectiver.

171. - Cette loi, à bien des égards, semble marquer selon nous, mais seul l'avenir nous le dira, un tournant dans l'histoire juridique française. Cela ne tient néanmoins pas tant à ses conséquences directes qu'aux portes qu'elle paraît ouvrir à plus ou moins long terme. Particulièrement, il nous semble souhaitable que dans un avenir relativement proche, la restriction rationae personae frappant le constituant d'une fiducie soit levée, afin de généraliser un outil qui présenterait de nombreux avantages pour les personnes juridiques qui en sont actuellement exclues. Comme le soulignait Monsieur Xavier de Roux dans son rapport, il convient de ne voir dans la loi du 19 février 2007 qu' « un pas timide dans la bonne direction : une réforme a minima, à adopter faute de mieux »182(*). D'une manière similaire, on ne peut que souhaiter que la défiance envers la fiducie que l'on retrouve chez certains hommes politiques comme chez certains juristes, s'estompe avec le temps, afin d'optimiser son utilisation en rationnalisant ses conséquences fiscales.

172. - Toutefois, pour en revenir à la théorie du patrimoine, il convient de considérer que si l'infléchissement que représente cette loi est relativisé par son champ d'application restreint, une généralisation de la fiducie à l'ensemble des personnes juridiques impliquerait la fin du principe selon lequel chaque personne n'a qu'un patrimoine, c'est-à-dire la fin de l'unité du patrimoine. Cette assertion doit cependant être relativisée là encore par le fait que le maintien du droit de gage général des créanciers paraît devoir survivre à une généralisation de la fiducie183(*). Cette dernière n'aboutirait finalement qu'à reconnaître aux personnes juridiques la possibilité de constituer, dans un but précis, un patrimoine certes autonome, mais au final rattaché (sauf clause contraire et accord des créanciers) au patrimoine unique du constituant ou du fiduciaire, qui constituerait alors une sorte de méta-patrimoine.

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Rapports

H. de Richemont, Rapp. Sénat n° 11.

X. de Roux, Rapp. Assemblée Nationale n° 3655.

* 1 Lamy Patrimoine, Mai 2006.

* 2 On constate que le trust et la fiducie trouvent leurs origines dans une relation de confiance : en anglais, to trust = faire confiance.

* 3 John Anthony Jolowicz, Droit anglais, Dalloz : Gareth H. Jones, Principaux domaines du droit anglais, p. 277.

* 4 Lucy S. McGough, Successions et Trusts, p. 255.

* 5 Il n'existe en réalité pas une seule forme de Treuhand, mais plusieurs. V. à ce sujet Cl. Witz, rapport introductif, in Les opérations fiduciaires, colloque de Luxembourg des 20 et 21 septembre 1984, FEDUCI, LGDJ, Paris 1985 ; également H. Coing, Die Treuhand kraft privaten Rechtsgeschäfts, Munich 1973.

* 6 A. Gobin, Fiducies sans la fiducie, JCP éd. Not., n° 44-45, p. 315.

* 7 L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - la publicité foncière, Defrénois, 2è éd., p. 334. Sur les fiducies innommées en droit français, v. Cl. Witz, La fiducie en droit français, thèse, Economica, 1981.

* 8 P. Bouteiller, Loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, JCP 29 mars 2007, p. 15.

* 9 Séance du mardi 17 octobre 2006 au Sénat.

* 10 L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - la publicité foncière, Defrènois, 2è éd., p. 222.

* 11 Ph. Dupichot, Opération fiducie sur le sol français, JCP 22 mars 2007, p. 3.

* 12 H. de Richemont, Rapp. n° 11.

* 13 V. M. Cornu, À propos de l'adoption du Code du patrimoine, quelques réflexions sur les notions partagées, Dalloz 2005, chron. p. 1452.

* 14 Aubry et Rau, Droit civil français, t. IX, 6è éd.

* 15 Devenus les articles 2284 et 2285 du Code civil de puis l'ordonnance du 23 mars 2006.

* 16 Aubry et Rau, préc.

* 17 V. universalité de droit dans le Lexique des termes juridiques, Dalloz, 13è éd.

* 18 Cl. Witz, Droit de gage général, J.-Cl. art. 2092 à 2094, Privilèges, Fasc. 80.

* 19 V. infra, n° 100 et s.

* 20 Chr. Atias, Droit civil, Les biens, Litec, p. 380.

* 21 Cl. Witz, préc, pour qui le patrimoine « n'englobe que les éléments actif, à l'exclusion du passif ».

* 22 Supra, n° 13.

* 23 Chr. Atias, préc., p. 382.

* 24 Ce mécanisme était prévu par l'article 793 du Code civil. Depuis une réforme du 23 juin 2006, il a été remplacé par l'acceptation de la succession à concurrence de l'actif net, prévu aux articles 787 et suivants du Code civil.

* 25 Anciennement prévue à l'article 878 du Code civil, elle a été remplacée par un mécanisme ayant pour fondement un droit de préférence et non un cloisonnement entre les patrimoines. Depuis la loi du 23 juin 2006, les articles 878 et suivants traitent de ce droit de préférence.

* 26 Zweckvermögen = patrimoine-but en Allemand.

* 27 H. Gazin, Essai critique de la notion de patrimoine dans la doctrine classique, Thèse Dijon, A. Rousseau, Paris 1910, p. 428-429.

* 28 Supra, n° 22.

* 29 Voir notamment J.-P. Verschave, Essai sur le principe de l'unité du patrimoine, Thèse Lille II, 1984, et F. Zénati in Zénati et Revet, Les biens, PUF.

* 30 J.-P. Verschave, préc., p. 270-271.

* 31 A. Sériaux, La notion juridique de patrimoine, Brèves notations civilistes sur le verbe avoir, RTD civ. 1994, p. 803.

* 32 Chr. Atias, préc., p. 380.

* 33 Le patrimoine est alors l'actif net.

* 34 J. Aulagnier et J.-P. Bertrel, Approche juridique du patrimoine, Lamy droit du patrimoine, Lamy.

* 35 Cl. Witz, préc.

* 36 V. par ex. Supra, n° 22

* 37 D. Schmidt, Les lois du 1er août 2003 et le droit des sociétés, D. 2003, p. 2619. Pour cet auteur, la possibilité de constituer des sociétés unipersonnelles au capital d'un euro est la consécration du patrimoine d'affectation.

* 38 M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 17è éd., n° 998 et s.

* 39 Supra, n° 1.

* 40 Supra, n° 24.

* 41 Dans les dispositions comptables, l'article 12, I. par ex. dispose que « les éléments d'actif et passif transférés dans le cadre de l'opération mentionnée à l'article 2011 du Code civil forment un patrimoine d'affectation ».

* 42 La proposition initialement déposée par Philippe Marini prévoyait un article 2062 du Code civil qui disposait notamment que « le transfert s'opère dans un patrimoine d'affectation... ».

* 43 V. art. 2011 du Code civil.

* 44 P. Bouteiller, préc.

* 45 F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficultés - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7è éd.

* 46 F. Pérochon ou R. Bonhomme, préc., p. 104.

* 47 Ph. Dupichot, préc., p. 5.

* 48 Art. 12 I. dans les dispositions comptables de la loi du 19 février 2007.

* 49 Ces comptes annuels sont ceux dont il est question aux articles L. 123-12 à L. 123-15 du Code de commerce, c'est-à-dire le bilan, le compte de résultat et l'annexe.

* 50 V. art. 223 VA du Code général des impôts issu de la loi du 19 février 2007.

* 51 V. l'art. 9 de la loi du 19 février 2007.

* 52 V. art. 223 V. I. du Code général des impôts issu de la loi du 19 février 2007.

* 53 V. infra, n° 142 et s.

* 54 V. supra, n° 24.

* 55 V. infra, n° 100 et s.

* 56 V. supra, n° 22.

* 57 V. supra, n° 9 à 12.

* 58 Source : INSEE.

* 59 Article 2014 du Code civil.

* 60 Ph. Dupichot, préc.

* 61 V. infra, n° 155 et s.

* 62 V. par ex. art. 1260 et suivants du Code civil du Québec.

* 63 Supra, n° 10.

* 64 Art. 792 bis al. 2 du Code général des impôts.

* 65 P. Crocq, Propriété et garantie, thèse Paris II, 1992.

* 66 Essentiellement les clauses de réserve de propriété et le crédit-bail, v. L. Aynès et P. Crocq, préc., p. 339 et s.

* 67 Dite cession « Dailly », V. supra, n° 7.

* 68 Grundschuld en allemand. V. BGB.

* 69 Art. 2025 al. 1er du Code civil.

* 70 Art. 2018 al. 1er du Code civil.

* 71 Dans ce cas le tiers doit fournir une « contrepartie réelle » au constituant. Supra, n° 48.

* 72 Art. L. 432-6 à L. 432-11 du Code monétaire et financier.

* 73 Art. L. 432-12 à L. 432-19 du Code monétaire et financier.

* 74 L'« agent des sûretés » y devient le security trustee.

* 75 V. Rev. Juridique et politique Indépendance et coopération 1990, n° 2, Actes du 3ème colloque de Luxembourg, mai 1989 : «  la fiducie ou du trust dans les droits occidentaux francophones », Edenia 1990, où l'on constate que les approches peuvent être très différenciées sur cette question.

* 76 Définition de translatif dans le Lexique des termes juridiques, Dalloz.

* 77 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2ème éd., n° 86. L. Aynès, P. Crocq, Les sûretés - La publicité foncière, Defrénois, 2ème éd., n° 752.

* 78 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, préc., n° 86.

* 79 La condition étant un événement futur et incertain. V. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil - Les obligations, Précis Dalloz, 8ème éd., n° 1218 et s.

* 80 V. art. 223 V. du Code général des impôts ; v. infra, n° 142 et s.

* 81 V. art. 1020 du Code général des impôts.

* 82 V. art. 1133 quater al. 2 du Code général des impôts.

* 83 V. C.cass, Req. 3 août 1915, arrêt « Clément Bayard ».

* 84 Art. 2017 6° du Code civil.

* 85 G. Cornu, Droit civil, Introduction - Les personnes - Les biens, Montchrestien, 12è éd.

* 86 Ph. Dupichot, préc.

* 87 V. supra, n° 58 et s.

* 88 Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2è éd., n° 253.

* 89 Ph. Dupichot, préc.

* 90 Comme le souligne P.-J. Proudhon, la restriction évoquée à l'article 544 du Code civil « a pour objet, non de limiter la propriété, mais d'empêcher que le domaine d'un propriétaire ne fasse obstacle au domaine d'un autre propriétaire ». P.-J. Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?, mémoire en 1840.

* 91 J.-B. Treilhard, Fenet, t. XIV.

* 92 Cass. Req., 13 févr. 1834 : F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz.

* 93 Chr. Atias, préc.

* 94 F. Terré et Y. Lequette, préc., observations sous l'arrêt Caquelard.

* 95 John Anthony Jolowicz, Droit anglais, Dalloz.

* 96 V. Supra, n° 65 et s.

* 97 Nul ne peut transférer à autrui plus de droit qu'il n'en a lui-même.

* 98 F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, préc., n° 485 et s.

* 99 F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, préc., n° 559 et s.

* 100 Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, préc.

* 101 Art. 2027 du Code civil.

* 102 Art. 2017 5° du Code civil.

* 103 V. art. 2011 du Code civil.

* 104 V. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, préc., n° 526.

* 105 Il a sur ce point le même droit que le fiduciant, v. art. 2027 du Code civil.

* 106 V. infra, n° 165 et s.

* 107 V. en ce sens, Ph. Dupichot, préc., ainsi que M. Grimaldi, La fiducie : réflexion sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre, Defrénois 1991, art. 35085, p. 897 et art. 35094, p. 961.

* 108 V. Supra, n° 17 et s.

* 109 Art. 2284 du Code civil, ancien art. 2092 du Code civil.

* 110 V. Cl. Witz, préc.

* 111 J. Derruppé, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels et des droits de créance, Dalloz 1952, n° 333 et s.

* 112 Comme le souligne le professeur Claude Witz, « il n'y a pas véritablement obligation si le patrimoine du débiteur ne répond pas de la dette », in Jur. Clas.

* 113 V. supra, n° 33 et s.

* 114 V. supra, n° 47 et s.

* 115 V. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil - les obligations, Précis Dalloz, 8ème éd., n° 1154 et s.

* 116 H. de Richemont, Rapp. Sénat n° 11.

* 117 G. Marraud des Grottes, Fiducie : fin d'un mythe mais début des incertitudes, Lamy Patrimoine, Mars 2007 ; Lamy Patrimoine, Mai 2006, n° 315-35 ; Ph. Dupichot, préc.

* 118 V. civ. 1re, 17 janv. 1984 : D. 1984. 437, note Malaurie ; RTD civ. 1984. 719, obs. Mestre.

* 119 V. civ. 1re, 4 nov. 1983, Bull. civ. I, n° 254 ; Gaz. Pal. 1984, 1, somm. P. 66, obs. Piedelièvre ; RTD civ. 1984, p. 719, obs. Mestre.

* 120 F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, préc.

* 121 V. civ. 1re, 27 juin 1984, Bull. civ. I, n° 211.

* 122 V. civ. 1re, 23 avr. 1981, D. 1981. 395.

* 123 V. civ. 1re, 29 mai 1985, Bull. civ. I, n° 163. Cf. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, préc., n° 1176 ;

* 124 Lamy Patrimoine, mai 2006.

* 125 L. Aynès et P. Crocq, préc., n° 400.

* 126 C'est-à-dire par un non propriétaire. V. à ce sujet, L. Aynès et P. Crocq, préc.

* 127 Art. 2018 al. 1er du Code civil.

* 128 Art. 2361 du Code civil.

* 129 Le spécial déroge au général.

* 130 V. en ce sens H. de Richemont, Rapp. Sénat n° 11.

* 131 V. supra, n° 98 et s.

* 132 F. Pérochon et R. Bonhomme, préc., n° 508.

* 133 F. Pérochon et R. Bonhomme, préc., n° 513.

* 134 Cette disposition est issue de la loi « Dutreil » ou loi pour l'initiative économique du 1er août 2003. V. F. Pérochon et R. Bonhomme, préc, n° 423. Pour ces auteurs, la déclaration d'insaisissabilité est inefficace en cas de procédure collective, dès lors que des créanciers non professionnels sont admis au passif.

* 135 Les art. L. 620-2, L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce énoncent une liste limitative de contre lesquelles les procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire peuvent être ouvertes.

* 136 Art. 2025 al. 2 et 3 du Code civil.

* 137 Art. 2025 al. 2 du Code civil.

* 138 V. not. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 17e éd.

* 139 Art. 2025 al. 3 du Code civil, v. infra, n° 135 et s.

* 140 Art. L. 313-24 du Code monétaire et financier.

* 141 V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, préc.

* 142 Art. 2025 al. 3 du Code civil.

* 143 L'exercice de l'action oblique suppose en effet l'inaction du débiteur. V. civ 2e, 30 avr. 1960 : Bull. civ. II, n° 272.

* 144 L'intérêt à agir peut être l'insolvabilité de son débiteur, v. civ 1re, 7 févr. 1966, Bull. civ. I, n° 88 ; il peut également s'agir d'une menace d'insolvabilité ou d'une mise en péril de sa créance, v. civ. 1re, 17 mai 1982, Bull. civ. I, n° 176 ; 14 juin 1984, Bull. civ. I, n° 197 ; civ. 1re, 2 déc. 1992, Bull. civ. I, n° 294..

* 145 Civ. 1re, 15 févr. 1972, Bull. civ. I, n° 50. V. à ce sujet F. Zénati et T. Revet, Les biens, PUF, 2e éd., 1997.

* 146 V. sur ce point H. de Richemont, Rapp. Sénat n° 11.

* 147 V. Section I.

* 148 H. de Richemont, Rapp. Sénat n° 11 ; X. de Roux, Rapp. Assemblée Nationale n° 3655.

* 149 V. supra, n° 33 et s. ; cette affectation patrimoniale est, semble-t-il, parfaitement conforme aux exigences posées par la Convention de La Haye du 1er juillet 1985, notamment sur la question des conditions de reconnaissance du trust : v. not. art. 11.

* 150 V. art. 677 1° à 4° du Code général des impôts.

* 151 V. art. 1020 du Code général des impôts.

* 152 V. art. 1133 quater alinéa 2 du Code général des impôts.

* 153 V. art. 223 V. du Code général des impôts ; lors du retour du patrimoine fiduciaire au constituant, il existe des dispositions équivalentes : v. art. 223 VF. du Code général des impôts.

* 154 V. infra, n° 155 et s.

* 155 V. supra, n° 23 et s.

* 156 V. supra, n° 69.

* 157 Les sociétés réalisant un chiffre d'affaire annuel inférieur à 7 630 000 € bénéficient d'une imposition allégée de 15 % dans la limite de 38120 € de bénéfice imposable ; v. art. 219 I. b. du Code général des impôts.

* 158 Ces sociétés sont énumérées à l'article 8 du Code général des impôts.

* 159 V. art. 206 3. du Code général des impôts.

* 160 V. art. 2023 du Code civil ; supra, n° 81 et s.

* 161 V. l'art. 12, I de la loi du 19 février 2007.

* 162 V. la section 3 de la loi du 19 février 2007, Taxe sur la valeur ajoutée.

* 163 V. la section 4 de la loi du 19 février 2007, Fiscalité locale.

* 164 C'est là une situation qui pourrait se rencontrer assez fréquemment à l'occasion de transmission de sociétés, en substitution des conventions de portages.

* 165 V. les art. 145 et 216 du Code général des impôts.

* 166 V. les art. 223 A à U du Code général des impôts.

* 167 V. supra, n° 150.

* 168 V. H. de Richemont, Rapp. N° 11.

* 169 V. art. 2013 du Code civil.

* 170 V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, préc., n° 260.

* 171 C'est le taux applicable en cas de libéralité entre personnes non parentes ; v. art. 777, tableau III du Code général des impôts.

* 172 V. civ. 1re, 20 févr. 1996 ; Aff. Zieseniss, n° 423 P, JCP ed. G n° 22, 22647.

* 173 Selon la lettre même de l'art. 2013-1 du Code civil.

* 174 V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, préc.

* 175 V. art. 726 du Code général des impôts.

* 176 La loi suggère en effet que le bénéficiaire puisse n'être désigné par les parties qu'ultérieurement ; v. art. 2018 al. 3 du Code civil. En revanche, il est indispensable que cette désignation ultérieure entre dans les prévisions du contrat, et ce à peine de nullité ; v. art. 2017 5° du Code civil.

* 177 V. art. 2018 al. 3 du Code civil.

* 178 Ph. Dupichot, préc.

* 179 V. supra, n° 22.

* 180 V. supra, n° 30 et s.

* 181 V. supra, n° 57 et s.

* 182 X. de Roux, Rapp. Assemblée Nationale n° 3655.

* 183 V. supra, n° 100 et s.






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