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La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie

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par Thomas Naudin
Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007
  

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c. - Le droit du bénéficiaire

89. - La fiducie peut s'analyser en une opération à trois personnes. En plus du fiduciaire et du fiduciant, un bénéficiaire de la fiducie est nécessaire. L'existence d'un bénéficiaire est une condition de validité de la convention de fiducie. S'il n'est pas identifié lors de la conclusion du contrat, alors il doit être déterminable102(*). Toutefois le bénéficiaire n'est pas nécessairement un tiers et comme le dispose l'article 2015 du Code civil, il peut s'agir du constituant ou du bénéficiaire, voire des deux. La situation de ce bénéficiaire nous parait très intéressante, du fait que le contrat de fiducie, auquel il n'est au départ pas nécessairement partie - la convention est conclue initialement entre le fiduciant et le fiduciaire - va le rendre titulaire de droits. D'une manière quelque peu parallèle à la stipulation pour autrui, le bénéficiaire va pouvoir accepter le contrat de fiducie, et ainsi renforcer son droit, lequel perd alors toute précarité. Ainsi, selon l'article 2028 alinéa 1er du Code civil, « le contrat de fiducie peut être révoqué par le constituant tant qu'il n'a pas été accepté par le bénéficiaire ». L'alinéa 2 précisant qu' « après acceptation par le bénéficiaire, le contrat ne peut être modifié ou révoqué qu'avec son accord ou par décision de justice ».

90. - Le bénéficiaire est en pratique celui qui a vocation à recueillir les éléments du patrimoine fiduciaire à l'issue du contrat. Il est également celui au profit duquel doit agir le fiduciaire103(*). Le bénéficiaire doit être regardé comme l'élément central de la fiducie. Il est tout aussi indispensable à la validité de la convention que le fiduciaire ou le fiduciant. Par ailleurs, il prend fin de plein droit si « la totalité des bénéficiaires renonce à la fiducie », selon l'article 2029 alinéa 2 du Code civil. En tant que bénéficiaire du contrat de fiducie, il est créancier de sa bonne exécution. En raisonnant par analogie à la situation du tiers bénéficiaire de la stipulation pour autrui104(*), il est nécessairement titulaire d'un droit de créance direct contre le fiduciaire. C'est afin de protéger cette créance que la loi elle-même dispose en sa faveur de la possibilité de solliciter en justice le remplacement du fiduciaire105(*).

91. - Le bénéficiaire de la fiducie est de plus, selon nous, titulaire d'un droit réel portant sur les éléments de la fiducie. Ce droit naît du contrat de fiducie qui s'analyse alors comme réalisant un dédoublement du droit de propriété originaire. Ce dédoublement est permis par la jurisprudence de la chambre des requêtes de 1834. Du fait de l'effet relatif des conventions, ce dédoublement n'est pleinement réalisé qu'une fois la fiducie acceptée par le bénéficiaire, l'acte unilatéral d'acceptation faisant de lui une partie au contrat, et changeant son droit éventuel en un droit réel certain et irrévocable. Ce droit réel doit être distingué de la propriété future qui revient au bénéficiaire à l'échéance du contrat. Cette propriété fiduciée, par analogie avec la propriété fiduciaire, est à géométrie variable et c'est le contrat qui en détermine l'étendue.

92. - Ainsi, dans l'hypothèse qui devrait se révéler fréquente d'une fiducie-sûreté, la fiducie est en tout état de cause un acte ne mettant en relation que deux personnes, le fiduciant et le fiduciaire, chacun étant l'un des bénéficiaires de la convention. Les cocontractants sont alors tous deux titulaires d'un droit de propriété, dédoublé et découpé par le contrat selon les besoins pratiques. À l'inverse, lorsque le bénéficiaire est un tiers (ce qui devrait être l'hypothèse d'une fiducie-gestion à des fins de transmission notamment), alors son droit réel pourrait être réduit à néant par les stipulations du contrat, afin qu'il ne puisse entraver le fonctionnement de la fiducie.

93. - Les droits du bénéficiaire au titre de la fiducie, s'ils ne sont pas évoqués par la loi, n'en sont pas moins pour autant transmissibles. Ils le sont sans les limitations rationae personae frappant la cessibilité des droits du constituant, et ils sont vraisemblablement transmissibles à titre gratuit. En effet, la loi exige une contrepartie du bénéficiaire, et non de son ayant cause à titre particulier. Dans les hypothèses dans lesquelles le bénéficiaire ou l'un des bénéficiaires du contrat serait le constituant, la cession par ce dernier des droits qu'il détiendrait en tant que bénéficiaire devrait être regardée comme indissociable de la cession de ses droits en tant que constituant, et serait dès lors soumis aux restrictions de l'article 2013-1 du Code civil. C'est à notre sens la ratio legis de cette disposition légale. En effet, lorsque le constituant est le ou l'un des bénéficiaires de la fiducie, alors il paraît peu concevable d'envisager la cession de l'une de ces qualités indépendamment de l'autre. De même, lorsque le bénéficiaire n'est pas le constituant, alors les droits de ce dernier semblent représenter une valeur pécuniaire soit nulle (lorsque le bénéficiaire a accepté la fiducie) soit aléatoire (lorsque le bénéficiaire n'a pas accepté la fiducie, il y a alors une possibilité qu'aucun fiduciaire n'existe à l'échéance du contrat, auquel cas le patrimoine fiduciaire réintègre le patrimoine du constituant, ce qui peut représenter une richesse aléatoire)106(*).

94. - La situation du bénéficiaire de la fiducie du droit français est ainsi comparable à celle que connaît le cestui que trust dans le cadre du trust anglo-saxon, et ce droit réel peut être comparé à l'equitable ownership. En vertu de ce droit, le bénéficiaire est fondé à agir en revendication des biens de la fiducie107(*).

95. - La fiducie semble ainsi permettre aux parties d'organiser dans un contrat le dédoublement du droit originaire dont est titulaire le constituant. Cette interprétation de la loi est conforme à la position de l'arrêt Caquelard, et permet de rendre la fiducie particulièrement attrayante. Elle facilite de plus la reconnaissance du trust en droit interne, en admettant que le droit de propriété peut être multiple, et se dessiner selon l'intention des parties.

96. - La réalisation d'une affectation patrimoniale ainsi que, selon nous, la possibilité d'un dédoublement conventionnel du droit de propriété constitue une innovation majeure dans notre droit. On doit y voir notamment un infléchissement indéniable de la théorie du patrimoine. Néanmoins cet infléchissement se doit d'être relativisé par le fait que la loi assure le respect du droit de gage général des créanciers, qui rappelons-le, constitue le socle de la théorie de l'unité du patrimoine.

* 102 Art. 2017 5° du Code civil.

* 103 V. art. 2011 du Code civil.

* 104 V. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, préc., n° 526.

* 105 Il a sur ce point le même droit que le fiduciant, v. art. 2027 du Code civil.

* 106 V. infra, n° 165 et s.

* 107 V. en ce sens, Ph. Dupichot, préc., ainsi que M. Grimaldi, La fiducie : réflexion sur l'institution et sur l'avant-projet de loi qui la consacre, Defrénois 1991, art. 35085, p. 897 et art. 35094, p. 961.

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