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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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Les principales causes des dérives

Cette partie correspond à la deuxième phase d'après le schéma établi par Laurence BARDIN pour l'analyse de contenu. Nous allons y procéder à une analyse de ce qui pourrait expliquer les dérapages des journalistes. La première des causes serait à notre avis l'existence d'un média public complètement sous influence du gouvernement. Cet état de fait a, comme conséquence de pousser les journaux indépendants à jouer les équilibristes d'où la difficulté pour eux de rester neutres. Le manque de professionnels qualifiés dans un des métiers les plus ouverts n'est pas sans incidence sur les dérives notées ces dernières années. Les patrons des groupes de presse les moins affirmés recrutent des gens qui n'ont pas suivi une formation parce que ceux qui sortent des écoles sont moins corvéables et surtout plus exigeants en ce qui concerne le traitement salarial. La troisième cause relève de la mauvaise santé financière de la majeure partie des organes de presse. Face à la faiblesse des recettes publicitaires presqu'inexistantes, la seule alternative reste la vente au numéro. La recherche du scoop et des informations alléchantes, avec tout ce que cela comporte de risque de dérives, deviennent les seules règles.

I L'existence d'un quotidien gouvernemental

De l'avis de plusieurs spécialistes, la libéralisation des médias doit inévitablement s'accompagner d'une autonomisation totale. Journaux, radios ou télévisions doivent être à l'abri de toute influence. Cet idéal n'est pas encore atteint par la démocratie sénégalaise. La RTS (radio télévision sénégalaise), sous la coupole de l'Etat, détient toujours le monopole de l'audiovisuel, les détenteurs de radios doivent payer une redevance annuelle pour continuer d'émettre129(*). La libéralisation télévisuelle ne concerne pour le moment que des chaînes étrangères comme TV5, Canal horizons... La presse écrite présente un autre visage, le pluralisme est désormais un acquis incontestable. Mais le quotidien Le Soleil, en partie financé par le contribuable sénégalais continue de refléter le point de vu des « dominants ».

Lors de la campagne présidentielle de 2000, sans doute frustré par une couverture partisane de l'événement, WADE lançait des phrases du genre : « je n'ai pas besoin d'un journal qui me ferait des éloges à longueur de colonnes » ou encore « Le Soleil, ça ne sert à rien, je le donnerai à la jeunesse sénégalaise ». C'était avant qu'il n'accède à la magistrature suprême du pays. Quelques jours après son élection, alors qu'il recevait l'ensemble des membres du gouvernement, il invita le ministre de la communication de l'époque à suspendre la publication du journal « avant d'aménager les modalités de sa mutation ». Juste après la défaite de DIOUF, Ibrahima GAYE, le directeur de publication avait déjà signé son dernier éditorial. « Cet éditorial, disait-il, est bien évidemment le dernier. De partager des valeurs, des idées avec l'homme exceptionnel qu'est Abdou Diouf, naturellement m'oblige à m'effacer avec lui. En regrettant ce journal qui, on peut le dire, m'a vu naître et auquel je souhaite tant de bien. »130(*). Pour les journalistes du quotidien gouvernemental, l'alternance était perçue comme une délivrance. A cette époque, Djib DIEDHIOU et Modou Mamoune FAYE pensaient que « rien ne sera plus comme avant. Le Soleil n'aura plus de pesanteur dans la ligne rédactionnelle »131(*). Du côté de la presse privée, on est solidaire avec ses confrères et on écarte toute idée de suppression du quotidien national. « Laisser briller Le Soleil » titrait l'éditorialiste du Matin Babacar SECK le 6 avril 2000. De son côté, Mansour KANE de Dakar Soir dans un article publié le 7 avril pensait que : « aujourd'hui que l'opposition longtemps brimée est arrivée au pouvoir, il ne s'agit peut être pas de jeter le bébé avec l'eau de bain et de faire table rase sur le capital que peuvent constituer les archives du Soleil ou l'expression de ses agents ». Ont-ils été entendus par le Président pour que ce dernier change finalement de position ? Nous ne pouvons répondre à cette question. En revanche, nous avons relever quelques éléments qui, à notre avis ont peut être eu une certaine influence sur la décision finale de Abdoulaye WADE.

En effet, les premiers jours de la présidence de Abdoulaye WADE ont été marqués par quelques maladresses et balbutiements. Dès son arrivée au pouvoir, il voulut mener à terme un projet qui lui tenait à coeur depuis de très longues années. L'exploitation du fleuve Sénégal, frontière avec la Mauritanie pourrait donner au peuple environnant l'opportunité de faire des cultures de décrues. Ce projet appelé « revitalisation des vallées fossiles » consistait en une mise en place d'un vaste plan d'irrigation à partir du fleuve Sénégal. La Mauritanie également riveraine craignait de voir sa principale source en eau douce s'évaporer dans le désert au profit des Sénégalais. Le président mauritanien, Maouia Sid Ahmed Ould TAYA ne tarda pas à montrer sa désapprobation. Une mésentente au bord de la rupture des liens diplomatiques opposa les deux hommes. Autre affaire ; des rumeurs circulent et voudraient que le président cap verdien Nino VIERA, son homologue gambien Yaya DJAMMEH et les leaders du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance) passent un accord. On parle d'une confédération qui regrouperait les deux pays et la Casamance après que cette région soit libérée du joug sénégalais. WADE envoie Idrissa SECK, son ministre d'Etat en France, il a pour mission d'aller chercher des armes. Les explications de M. SECK sont simples : le Sénégal doit se défendre contre toute tentative d'attaques extérieures.

Dans cette affaire comme dans l'autre, la situation va progressivement se normaliser. A. WADE finit par renoncer à son projet de revitalisation des vallées fossiles tandis que le président gambien rend visite à son homologue sénégalais pour lever toute ambiguïté. Ce qui est intéressant pour nous c'est évidemment la manière dont ces deux affaires ont été traitées par la presse. Le Soleil qui est encore empreint d'une tradition de compromission est moins critique. Quant aux journaux indépendants, ils signent la rupture d'avec l'ancien leader de l'opposition en s'en prenant de manière virulente à sa politique. Certains journalistes parlent d'un gouvernement d'amateurs tandis que d'autres l'accusent de tâtonner et d'improviser. La destitution de Mme Tissa MBENGUE fraîchement nommée ministre de l'éducation fut une nouvelle occasion de fustiger le nouveau gouvernement. Visiblement entre A. WADE et « son alliée », le divorce était consommé. Cette situation semble ne pas être étrangère à sa décision finale. Contre toute attente, Le Soleil n'a donc finalement pas été supprimé par le nouveau président.

Selon le journaliste du quotidien gouvernemental Amadou FALL, « le bon sens a rapidement triomphé, sur le fond d'une meilleure connaissance et approche des réalités intrinsèques du quotidien national. Et il n'a plus été question de coucher Le Soleil »132(*). Il est vrai que supprimer ce journal du paysage médiatique sénégalais reviendrait à condamner près de deux cents pères et mères de familles au chômage. Alors que ceux-ci ne devaient en aucune manière être sanctionnés « en victimes expiatoires pour des `fautes' qui, s'il en était, devaient être imputées au système tel qu'il fonctionnait et était entretenu, plutôt qu'à des hommes et des femmes tenus, avec ou sans leur consentement, d'en respecter les principes et les règles »133(*). C'est la principale raison invoquée par le président WADE. Qu'en est-il alors de cette « mutation » qu'il avait promise ? A en croire M. FALL, le journal d'Etat a « poursuivi sa mutation pour plus de couleurs et d'éclat dans la liberté d'informer juste et vrai, avec des journalistes qui n'ont jamais demandé autre chose que cela. Le Soleil est aujourd'hui nettement plus à l'aise dans le paysage médiatique sénégalais ». Il affirme que le journal est plus proche du peuple parce que « véhiculant une information plurielle, non partisane et reflétant les préoccupations internes et externes de tous les Sénégalais, à quelque bord qu'ils appartiennent, en étant à un stade on ne peut plus avancé et décisif ». Le journaliste conclut avec ces termes : « c'est avec des coudées plus franches que, passés la peur des premiers jours, il fait opiniâtrement face à une rude concurrence, gagnant chaque jour en prestance, crédibilité et audience.». Nous concédons à l'argument selon lequel la concurrence est devenue très rude, mais nous émettons quelques réserves sur la crédibilité du journal et les éventuelles avancées concernant le traitement d'une « information plurielle » qui donnerait tous ces anciens exclus « droit au chapitre ». Dans un article134(*) consacré au bilan des trois années d'alternance, Mamadou SY, journaliste dans un organe privé (Taxi Le Journal) affirme le contraire. Selon lui, le gouvernement de l'alternance est caractérisé par son intolérance et son refus systématique de tout débat contradictoire, donc profondément hostile à la presse indépendante. La conséquence de cette situation serait l'occupation des médias publics par « les nouveaux maîtres », « au détriment de tout dosage républicain ». Ce qui, selon lui, explique « les difficultés des médias du service public à jouer pleinement leur rôle en matière d'information plurielle »135(*). M. SY en conclut que « la télévision nationale, la radio et les organes écrits du pouvoir vivent donc une épreuve test de leurs capacités à rompre d'avec l'héritage de l'ancien système socialiste ». Aujourd'hui, malgré l'alternance politique, on assiste pratiquement à une reproduction du schéma établi par le PS (Parti socialiste) depuis les indépendances.

Il ne serait pas malin de ne pas se servir de l'arme de votre ancien ennemi, surtout si vos anciens alliés deviennent subitement des ennemis qui veulent votre perte. Le Soleil reste donc un quotidien gouvernemental. Le changement de régime et la disparition de l'ancienne équipe dirigeante n'y changeront rien. Son étatisation, comme nous l'avons montré est incompatible avec l'indépendance de ses journalistes. En outre, son existence en tant que « propriété » de l'Etat semble à l'origine de plusieurs dérives des journalistes de la presse privée. Ceux-ci essaient de donner une information alternative, une vision moins officielle qui n'est hélas pas toujours le reflet de la réalité. Selon Bara DIOUF ancien directeur du journal, Le Soleil doit être privatisé, c'est la seule solution. « La disparition du ministère de l'information dans les grande démocraties devrait entraîner la fin des médias d'Etat136(*) » pense-t-il. Il ajoute que l'existence de cet organe de presse dont la ligne éditoriale est sous l'influence de l'Etat qui nomme son équipe dirigeante « est une source de manquement à la déontologie ». Toutefois, nous pouvons opposer à ce point de vue une interrogation, à savoir si « la plus grande autonomie des médias publics - éditoriale mais aussi administrative et financière - ne se solde-t-elle pas par un certain abandon du service public ? »137(*). Mais, Albert CAMUS, un illustre penseur et journaliste à la fois ne disait-il pas que « quand la presse est libre, cela peut être bon ou mauvais mais assurément, sans la liberté, la presse ne peut être que mauvaise. Pour la presse comme pour l'homme, la liberté n'offre qu'une chance de devenir meilleur, la servitude n'est que la certitude de devenir pire »138(*).

En définitive, on retiendra que l'existence du Soleil comme journal pro-gouvernemental est sans doute l'une des causes explicatives des dérapages des journalistes. Juste après son élection, WADE avait lancé un journal : Le Quotidien de la République. Il était sensé servir de relais entre le gouvernement, l'administration et les médias. Ce journal n'a pas pour ambition de remplacer Le Soleil, mais en quelque sorte de le seconder. Selon, le président, « notre pays peut se glorifier d'avoir une information plurielle, cependant, l'activité gouvernementale constitue toujours une zone d'ombre »139(*). C'est dire à combien les autorités sont encore attachées à leur part des rayons du Soleil. Mais à côté de l'existence du Soleil comme source de dérives, il y a un autre élément qui mériterait que l'on s'y attarde. Pour certains spécialistes les rédactions seraient assiégées par des gens venus d'on ne sait d'où et qui seraient responsables de la plupart des dérapages.

* 129Cette redevance était directement versée à la RTS, mais après contestation des patrons de chaînes et moult négociations avec l'Etat, elle est maintenant destinée au Haut conseil de l'audiovisuel (HCA).

* 130 Editorial titré « Leçons de mars », cité par Ndiaga LOUM, Pluralisme de l'information et groupes multimédias au Sénégal, thèse de doctorat, Bordeaux 2001 p.120

* 131 Idem, p.121

* 132 « D'une peur...bleue à plus de liberté », article publié le 3 avril 2002 à l'occasion du deuxième anniversaire de l'alternance, www.lesoleil.sn

* 133 Amadou FALL, idem

* 134« La presse sénégalaise, trois ans après l'avènement de l'alternance politique» in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, pp. 23-31

* 135 Idem, p. 29

* 136 Institut PANOS, Ne tirez pas sur les Medias, Harmattan, Paris 1996, p.176

* 137 Diana SENGHOR, directrice programme Afrique de l'Ouest, Institut PANOS (1996) p.190

* 138 Cité par Bernard Béguin, Journaliste qui t'a fait roi ? Les médias entre droit et liberté, Dijon 1988, p.12

* 139 Cf. Le Soleil 6 décembre 2001, « Le Quotidien de la République : bulletin de la présidence », www.lesoleil.sn

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault