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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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III La presse people face aux « risques du métier »

C'est incontestablement avec la presse people qu'on a connu le plus de procès. « Cette presse, en moins de deux ans d'existence au Sénégal, a battu tous les records en matière de procès »120(*). Vu le créneau qu'elle entend investir, ce record a de beaux jours devant lui. D'autant que la plupart des patrons de cette nouvelle presse l'attribuent au risque du métier donc normal en soi.

Intéressons-nous d'abord au journal Frasques quotidiennes. La rubrique `Fric-Frac' y occupe habituellement deux pages (6 et 7 en général). Ici, il s'agit principalement de l'actualité des faits divers, de comptes rendus d'audiences de tribunaux .... Dans cette rubrique, les titres son évocateurs et donnent d'emblée une orientation à l'aspect people de ce journal. Ainsi, on peut lire dans le numéro du lundi 10 septembre 2001 : « La pute est formelle: Khaly Diop et Cogne Diop ont tiré gratis » ou encore : « Au cours d'un voyage au septième ciel, le vieillard lubrique passe dans l'autre monde », paru dans la livraison du mercredi 2 janvier 2002. Cette titraille a certes un but incitatif, mais le plus souvent elle n'exagère en rien le contenu de l'article qui lui est particulièrement fidèle. Pour le montrer, nous commencerons avec une histoire rapportée par le journal dans son numéro du 16 juillet 2004. Elle narre les aventures nocturnes d'un « Monsieur respectable », conseiller dans les hautes sphères de l'Etat. Alors qu'il rentrait de voyage, ce dernier fut appelé vers 1 heure du matin par un ami étranger qui était de passage à Dakar. Un pote de très longue date en escale dans la capitale sénégalaise qui devait retourner dans son pays mais tenait à voir son ancien ami avant de prendre l'avion au petit matin. Rendez-vous fut donc pris dans un repaire de la « jet-set dakaroise ». Mais les deux amis ignoraient qu'un reporter armé d'un appareil photo rodait dans les parages et épiait leurs moindres mouvements. Le lendemain qu'elle n'a été la surprise du concerné quand il découvrit en pleine page du journal Frasques, une photo légendée comme suit : « dokh katt goudi you bagna fègn » (ces noctambules qui se cachent). Visiblement, le monsieur en question n'avait rien n'à se reprocher. Mais une photo prise dans ce contexte avec une telle illustration aurait pu provoquer une scène de ménage. Heureusement pour lui que sa femme, avertie de sa sortie, avait compris, sinon son mariage aurait pu être compromis. Soulignons aussi cet article titré « Woup Satieye ! » (Au voleur !) paru dans le numéro du jeudi 30 mai 2002 (toujours dans le même journal). Il relatait l'affaire du vol présumé de bijoux attribué au footballeur Khalilou Fadiga lors de la dernière coupe du monde en Corée. La Une est illustrée par la photo du joueur sénégalais. Le vol n'avait pas encore était prouvé que le journal s'empressait de présenter « un coupable ».

Le journal Le Populaire surfe sur la même vague. La rubrique concernée est appelée Off (qui veut dire officieux ou off the record). Elle a le même objectif que celle de Frasques quotidiennes. Un bref survol des titres du journal montre l'abondance d'articles susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes. Par exemple dans un article paru dans le Populaire du vendredi 2 novembre 2001, le journal titre : « Abandon du domicile conjugal, Tanor (Ex-ministre d'Etat, ancien directeur de cabinet du président Abdou Diouf) recherché par sa femme et ses enfants ». Les histoires de sexe ne sont pas en reste avec des titres comme : « Attouchements sexuels sur des garçons : un Français déféré », paru dans le numéro du mercredi 26 décembre 2001 ;« Inceste à Tamba, un père de famille engrosse sa fille », paru dans la livraison du samedi 1er juin 2002. Ces petites histoires dont sont friands la plupart des lecteurs de ce journal peuvent briser des carrières, noircir des destins.

Un ministre fraîchement élu en a payé les frais car lors d'un remaniement ministériel, l'intéressé fut remercié à cause d'un article paru dans ce journal. Selon Babacar DIOP121(*), journaliste à l'APS, le ministre qui n'avait pas l'habitude de côtoyer les « en haut des en haut » avait dans la confusion « agrémenté le lait qu'on lui avait servi de sel et de poivre ». Au cours d'une visite dans un pays étranger, il se serait comporté de manière indigne d'un représentant de la République. « Le ministre aurait versé des larmes malvenues » couvrant ainsi de honte la délégation dont il faisait partie. La sanction fut sans appel, nul doute que la « popularisation » de l'affaire en a été pour quelque chose. C'est du moins l'avis de l'ex-ministre qui ne manque d'ailleurs pas de lancer : « yeena ma lor » (vous avez causé ma perte) à un responsable du journal qu'il croisa quelques jours plus tard. La majeure partie des procès se solde par une défaite, donc par des peines de prison (souvent de sursis) et des sanctions financières. En novembre 2000, Mamadou TALLA l'ancien rédacteur en chef du Populaire a été condamné à une peine de trois mois avec sursis et à une amende de 5 millions de FCFA (7600euros) pour une affaire qui l'opposait au directeur de la SICAP (Société immobilière du Cap Vert). Dans une de ses livraisons le journal accusait Assane DIAGNE d'avoir détourné 1 milliard F CFA (1524000 euros). Devant le tribunal ces accusations se sont révélées fausses. Le Populaire a perdu aussi d'autres procès notamment avec des hommes d'affaires, un courtier (2000), avec l'Etat sénégalais. Pour cette affaire, le journal avait réalisé un dossier sur la Casamance, les journalistes qui voulaient traiter un sujet sensible sans preuves tangibles ont été condamnés par la justice.

Le journal Le Tract semble faire du traitement des hommes politiques un de ses thèmes de prédilection. A ce propos un événement qui s'est produit en 2001 mérite d'être rapporté ici. C'était au lendemain de la déclaration de politique générale de l'ancien premier ministre. Le 1er août 2001, dans un article intitulé « Coup de chaud à l'Assemblée nationale : le Premier ministre se dévoile », le journal Tract publie un photomontage de la ministre. Celle-ci y est présentée avec un corps de mannequin vêtu d'une tenue de plage. Dans un article non signé, le journal avait annoncé, à sa manière, cette première sortie à l'Assemblée nationale de Mme Mame Madior BOYE. Ce qui, dans le contexte sénégalais constitue un affront qui provoqua un scandale. Le même jour, tous les exemplaires du journal sont confisqués tandis que le rédacteur en chef, le directeur de publication et l'infographiste sont interpellés par la police. En l'absence de plainte, ils furent remis en liberté le lendemain. La réaction de la profession a été très mitigée, condamnant cette dérive notoire sans cautionner la procédure d'incarcération des journalistes et la confiscation de l'ordinateur. Le SYNPICS s'était refusé à cautionner ce photomontage. Interviewé par Le Soleil122(*), le secrétaire général du syndicat avait affirmé que : « toute la profession est interpellée. Et elle se doit de réagir vigoureusement pour que pareille situation ne se reproduise plus ». Toutefois, le syndicat avait exprimé son « désaccord » avec cette procédure d'incarcération et de confiscation de l'ordinateur au regard des « textes liberticides en ce qui concerne les délits de presse ». Selon le SYNPICS, cette procédure se caractérise d'abord par la possibilité d'atteinte immédiate à la liberté des journalistes, à travers notamment les tracasseries policières, la garde-à-vue, les intimidations. En janvier 2002, le ministre déposa une plainte et les journalistes furent poursuivis pour « injures à un membre du gouvernement et diffusion de fausses nouvelles avec utilisation de pièces fabriquées ». Au final, cette affaire ne déboucha sur aucune condamnation. Le 15 février 2002, l'ordinateur confisqué par la police sera restitué et la plainte du Ministre certainement retiré grâce à l'intervention du SYNPICS et de l'ONG française Reporters sans frontières. Le Tract a eu d'autres procès dont nous ignorons les issues avec un avocat (Massokhna KANE), un homme d'affaires très puissant (Baba DIAW)...

L'hebdomadaire Moeurs est sans doute le journal qui s'est le plus illustré de par son audace. Au mépris de toutes conventions sociales ou religieuses, la pornographie prend le pas sur l'érotisme dans certains articles. La rubrique qui nous interpelle est appelée « Tout nice ». Elle occupe la page trois de l'hebdomadaire et parle de sexe comme aucun journal n'en a jamais osé au Sénégal. En plus de l'étalage de la vie privée des `acteurs' de cette presse, leur anonymat n'est pas préservé comme nous le montre ces titres : « Modou Ngom surpris en pleins ébats avec son aînesse », paru dans le numéro du 5 au 11 mars 2001, ou encore : « Pour un coït et se remplir les poches, Rama et Léna Fall Diagne enterrent leur mari vivant » paru dans la livraison du lundi 8 au 15 juillet 2001. Le journal a d'autres rubriques (Humours, et Coule Fine) lui permettant de fouiller dans la vie des hommes publics. Dans sa livraison du 11 au 17 août 2003 l'hebdomadaire s'en prend à un avocat du nom de Elhadj Diouf. L'article est titré « un hypocrite de la conviction ». Selon le plaignant, Moeurs a utilisé des mots injurieux, l'hebdomadaire lui reproche aussi, entre autres griefs, d'avoir défendu l'ancien chef de l'Etat tchadien Hissène Habré. Nous ignorons l'issue de cette affaire. Dans sa livraison du 25 juin 2001, le journal faisait état du divorce du Maire de Rufisque pour cause d'adultère. L'hebdomadaire titrait à la Une : « Jack, le chérif de Rufisque répudie sa femme ». La plaignante avait porté l'affaire devant le tribunal qui condamna le journaliste auteur de l'article et le directeur de publication à une peine d'emprisonnement ferme de six mois assortie d'une amende de 1 million de F CFA123(*).Quant à M. DIOP, il avait saisi le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) qui avait d'ailleurs rappelé le journal à l'ordre124(*). En Janvier 2002, le journal a été suspendu pour trois mois. Pape Daouda SOW, le directeur de publication fut condamné à purger une peine de 6 mois ferme en prison, assortie d'un mandat de dépôt. L'hebdomadaire devait payer également la somme de 500.000 francs CFA à la partie civile. Cette condamnation fait suite à un article paru dans la livraison numéro 17 du lundi 11 au dimanche 17 juin 2001, portant la signature de Pape Daouda SOW. À la une de ce numéro, on pouvait lire en gros caractère rouge : « Deux garces de même père et mère troublent la quiétude d'un immeuble à Castors ». Aïda et Mamy Seck les deux plaignantes ont été nommément ciblées par Pape Daouda SOW (responsable du journal) qu'elles ont naturellement poursuivi en justice. Les deux soeurs ont supporté une série d'articles étalée sur deux mois125(*) qui les accusaient de s'adonner à la prostitution. Le journal rapportait que les activités des soeurs SECK empêchaient tout le monde de dormir le soir dans l'immeuble. Au tribunal126(*), P. D. SOW soutint que les nuisances qui seraient causées par ces dernières à leurs co-locataires ont été rapportées par Cheikh KANDJI, chauffeur chez un distributeur de presse. Le témoin refusa de cautionner ces accusations et le responsable du journal fut dans l'incapacité de produire d'autres preuves, il fut condamné pour diffamation par le tribunal correctionnel de Dakar.

Avec seulement deux années d'existence, Moeurs détenait déjà le record avec six procès en quarante numéros127(*). En août 2002, l'hebdomadaire a perdu un procès qui l'opposait à une école de tourisme. Poursuivi pour diffamation, Pape Daouda SOW, un de ses journalistes a été condamné à six mois de prison avec sursis. Dans cette affaire, tout a commencé par une lettre ouverte au Premier ministre, mais des plus anonymes parce que signée tout simplement « Le Collectif des jeunes filles de l'ENFTF », elle dénonçait « le droit de cuissage » imposé par certains enseignants aux étudiantes qui voulaient décrocher leur diplôme de fin d'études ou tout simplement, passer en classe supérieure. Le directeur de publication de Moeurs qui en avait reçu une copie, décide de la publier sans procéder à la moindre vérification. Lorsqu'ils furent au courant de ces accusations, les enseignants de l'école envoyèrent une délégation au journal. Ils voulaient sans doute, répondre à la lettre ouverte dont ils avaient déjà identifié l'auteur. Pour eux, il s'agissait de l'ancien directeur des études. Ils présentèrent leur réponse, accompagnée de la photo de l'intéressé au responsable du journal. Cette lettre fut publiée par Pape Daouda SOW. Le problème, c'est qu'elle semble ne pas obéir aux critères habituels du droit de réponse. On pouvait y lire ceci : «le pyromane à l'époque, directeur des études et des stages, organisait, en composant le jury sur une base `ethniciste' pour faire réussir, chaque année, ses proches parents aux examens sélectifs de l'ENFTF, offrant un nombre limité de places aux postulants, tout en se donnant la latitude d'organiser sa pratique du droit de cuissage (...). N'a-t-il pas été surpris, dans son bureau, la main profondément logée entre les cuisses d'une candidate, à la veille des examens ? »128(*). Après plainte de l'école, Pape Daouda SOW eut toutes les peines à prouver la provenance de ces deux lettres d'autant que les enseignants, présents lors de la comparution, ont catégoriquement nié lui avoir remis quoi que se soit. Manque de chance ou absence de professionnalisme car cette lettre était encore plus anonyme que la première, parce que signée tout simplement : « Amicale des filles unies à l'ENFTF ». Nous pouvons en conclure que dans cette affaire, Moeurs a privilégié le sensationnel au lieu de procéder au recoupement et à la vérification de l'information, ce qui aurait pu éviter ce dérapage.

C'est la presse people qui détient le record du nombre de procès. Il semblerait d'ailleurs que les patrons de presse aient intégré les réparations de leurs dérives dans leur budget. Très préoccupés d'attirer l'attention de leurs lecteurs, certains journaux tombent dans l'affabulation s'ils ne publient pas des informations non vérifiées.

Cela ne souffre d'aucune ambiguïté, la presse sénégalaise a évolué. Est-ce dans le bon ou le mauvais sens ? A ce point précis de notre étude, il est peut être assez tôt pour répondre à cette question. Ce que nous pouvons avancer par contre, c'est qu'elle est confrontée à des défis majeurs. Nous avons montré dans ce chapitre comment l'autocensure des journalistes du Soleil aliénait leur esprit critique et en faisait des sortes de « griots des temps modernes » au service du prince dont il faut prêcher à tout prix « la bonne parole ». Quant aux journalistes de la presse indépendante dite sérieuse les événements relevés montrent leur acharnement aux hommes du pouvoir dont ils semblent hostiles. La presse people aussi paraît surfer sur la même vague. Mais les journalistes de cette presse n'hésitent pas à fouiller dans la vie privée d'une personnalité pour aguicher un lectorat qui en est friand. Dans un cas comme dans l'autre, c'est bien d'atteintes aux principes fondateurs du bon journalisme dont il s'agit. Pour mieux apprécier ces dérives, il convient d'en chercher les causes.

Chapitre 2

* 120 Babacar DIOP, « la presse people : le revers de la médaille », site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn

* 121 Babacar DIOP, « la presse people : le revers de la médaille », site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn

* 122 Cf. Le Soleil du 2 août 2001, « Image tronquée du Premier ministre à la « une » du Tract : le directeur de publication et son monteur en garde-à- vue »

* 123 Cf. Le Soleil du 21 novembre 2001, « Procès Goumbala THIAM/ Moeurs : 6 mois ferme pour Pape Daouda SOW et Demba SECK »

* 124 Cf. Le Soleil du 29 juin 2001, « Après l'article de Moeurs, Mbaye Jacques DIOP saisit le CRED »

* 125 Cf. Le Soleil du 11 janvier 2002, « Diffamation: Pape Daouda Sow condamné à 6 mois ferme, son journal «Moeurs» suspendu pour 3 mois »

* 126 Cf. Le Soleil du 11 janvier 2002, « Diffamation: Pape Daouda Sow condamné à 6 mois ferme, son journal «Moeurs» suspendu pour 3 mois »

* 127 Cf. Babacacar DIOP, « presse populaire : le revers de la médaille », www.lesoleil.sn

* 128 Cf. article du Soleil 17 août 2002 « Procès en diffamation : Pape Daouda SOW piégé par des lecteurs... ? Il écope encore de 6 mois avec sursis »

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand