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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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II L'impossible autorégulation ?

L'idéal voudrait que la presse soit indépendante de toute ingérence étatique. Pour ce faire, les journalistes doivent pouvoir mettre eux-mêmes de l'ordre au sein de leur profession. Par des organisations syndicales (SYNPICS, UJAO...), un organe de régulation comme le CRED, des codes de déontologie et d'autres pratiques, les rédactions essaient d'endiguer ou d'éviter les dérapages. Mais, vu le manque de crédibilité ou l'inefficacité de certains de ces mécanismes, on soupçonne un semblant d'autorégulation qui n'aurait pour but que de rassurer le public tout en écartant le pouvoir étatique.

Le Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (CRED) est devenu une instance de régulation de la profession reconnu par les journalistes, le public et l'Etat. Depuis sa création, pas un colloque ou un séminaire sur la presse sans la participation de cette organisation. Le CRED a instauré un code de déontologie qui s'applique à l'ensemble des journalistes sénégalais. Ce texte, inspiré des plus grands textes internationaux (charte de Munich, charte de Bordeaux) décline la pratique du bon journalisme avec trois normes principales :

La défense de la liberté d'information,

Le respect de la vérité, des sources confidentielles, le renoncement à des méthodes déloyales,

Le respect de la personne conformément aux prescriptions juridiques.

En instaurant des limites pour encadrer la pratique de la profession, le CRED s'apparente à des organisations professionnelles tels que les conseils de l'ordre des avocats ou des médecins. On sait que ces organisations ont toute la latitude de radier quelques-uns des confrères qui auraient failli aux exigences du métier. Ainsi, par exemple un avocat qui viole le secret d'instruction ou un médecin qui divulgue le dossier médical d'un patient, s'expose aux sanctions de la profession. Mais le CRED n'a pas ce genre de pouvoir, ses avis-verdicts n'ont aucune valeur juridique. Les sanctions du CRED n'ont qu'une valeur symbolique: ne les accepte que celui qui le veut bien. Encore que le journaliste incriminé peut se permettre de les contester.

Dans une affaire qui l'opposait au ministre de l'Economie241(*), le directeur de publication du Quotidien n'a même pas daigné se déplacer pour s'expliquer devant ses pairs. Conformément aux dispositions prévues par la charte de déontologie du CRED, le journaliste accusé de `diffamation' et `d'accusation sans fondement' avait été blâmé par l'instance de régulation. D'emblée, M. DIAGNE avait rejeté en bloc cette sanction, accusant le `tribunal de ses pairs' d'avoir déjà « eu son opinion avant de m'avoir entendu »242(*). Madiambal DIAGNE avait considéré ce tribunal comme une mascarade tout en invoquant un vice de forme. Selon lui, parmi les treize membres du conseil, seuls deux étaient présents lors du « jugement ». Le quorum n'aurait pas été atteint d'après ses explications, même si un des membres du CRED (Kader DIOP) affirme qu'ils étaient quatre à décider du jugement.

A quoi sert le CRED si ses avis-verdicts n'ont aucune valeur juridique et peuvent être contestés impunément par n'importe quel journaliste qu'il aurait condamné ? Son existence n'aurait-elle pour but que de rassurer le public, en donnant un semblant de `régulation interne' et écarter ainsi `l'ingérence étatique' ? Ces questions nous paraissent à propos, car nous soupçonnons que cet organe de régulation soit peu efficace pour rappeler certains journalistes à l'ordre. Ce manque d'efficacité résulterait d'abord de sa composition elle-même. Le conseil est en majorité constitué de journalistes ; certaines divergences non confraternelles entre confrères peuvent trouver leur épilogue devant le tribunal des pairs243(*). En plus, les membres du CRED ont d'autres occupations, ce qui leur laisse peu de temps pour se consacrer aux éventuelles délibérations. Enfin, outre l'absence de sanctions juridiques, il n'y a pas d'autres moyens coercitifs pour anticiper ou réparer les dérapages. Le CRED n'est donc pas très crédible car les devoirs qui sont le fondement de sa charte et les sanctions qu'il impose aux journalistes sont le propre de la déontologie. C'est-à-dire que ces devoirs fixés, ces sanctions prévues et qui s'abattraient sur quiconque les transgresserait ne sont entendus que comme des obligations morales et non comme des contraintes légales.

Le même reproche peut être fait au journal Le Quotidien concernant son code de déontologie. Ce journal, comme nous l'avons déjà montré plus haut, est très récent (2003). Le fait de se doter de cette charte dès sa création était un gage « pour éviter les dérapages » comme aime à le rappeler son responsable. Pourtant, la petite histoire de ce quotidien montre qu'il est devenu l'un des journaux sénégalais les plus turbulents, celui qui fait partie de ceux qui ont le plus de démêlées avec la justice. Nous avons évoqué dans cette étude l'affaire des châteaux du ministre des finances, celle des magistrats, celle des deux Sénégalais prétendument enlevés en Irak. Pour l'affaire des châteaux, le journal a été condamné par le CRED. Il n'y a pas eu de plainte pour celle de `l'enlèvement des deux Sénégalais' mais une analyse de l'article nous montre que le journal s'est approprié une information et l'a publiée sans se soucier de la fiabilité des sources. Pour un organe de presse qui se glorifie d'être le seul à disposer d'une charte de déontologie dès sa naissance, cette situation nous paraît préoccupante.

Toutefois, penchons-nous sur le contenu de cette charte. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle responsabilise le journaliste. Notons quand même qu'elle lui donne plus de devoirs que de droits, ce qui paraît normale pour un texte qui se veut moralisateur. Cependant, au moins deux des droits fondamentaux du journaliste n'y sont pas mentionnés. Il s'agit de la clause de conscience qui lui donne la liberté de quitter (tout en gardant ses indemnités) le journal en cas de rachat ou de changement de ligne éditoriale, et du droit de ne pas révéler ses sources, y compris aux responsables du journal si nécessaire. Si nous nous amusons à relever d'autres principes fondamentaux dont ne fait pas mention ce code, la liste serait longue. Brièvement, sans en faire le tour, on peut penser à la légitimité du but poursuivi par un journal : on doit traiter un sujet en fonction de l'intérêt qu'il peut représenter pour le public et non par rapport à l'acteur ou aux acteurs des faits. On peut évoquer aussi l'absence d'animosité personnelle qui est une base de l'objectivité : un journal ne doit pas publier des articles délibérément polémiques et dont le but ne serait autre que d'attiser le contentieux entre deux camps par exemple.

En somme, il paraît impossible ou du moins, difficile de relever l'ensemble des principes fondateurs du bon journalisme dans un code. Comme l'affirme Daniel CORNU : «le principal défaut d'un code de déontologie est de se présenter comme un catalogue de règles formelles, laissant croire à son exhaustivité »244(*). En plus de l'impossible exhaustivité, s'ajoute le caractère changeant de certains principes en fonction des situations auxquelles peut être confronté le journaliste. L'autre inconvénient, qui ne concerne pas uniquement la charte du Quotidien, c'est le risque de voir certains journalistes appliquer l'adage selon lequel « tout ce qui n'est pas interdit est permis ».

En définitive, l'existence du CRED est certes une avancée, mais son incapacité à infliger des sanctions dissuasives aux journalistes incriminés amoindrit son influence en tant que mécanisme de régulation. En plus, en voulant codifier les pratiques d'un journalisme de qualité, les chartes oublient de mentionner certains aspects fondamentaux. Ce formalisme réduit `le bon journalisme' à l'application des seules règles identifiées. Ce qui peut produire un effet contraire à celui qui est visé. En conséquence, l'amélioration de la qualité de la presse passe par une révision des mécanismes déjà existants et la création d'autres moyens.

* 241 Dans un article paru en octobre 2004, le journaliste faisait état de la possession du ministre d'une villa à Montréal

* 242 Site Internet Sénégal Portal, www.senportal.com

* 243 Lors de son `procès', le directeur de publication du Quotidien a dénoncé « une prise de position publique » d'un de ses confrères membre du CRED avant le jugement.

* 244 D. CORNU, éthique de l'information, Que-sais-je ? PUF, Paris, 1997, p.71

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci