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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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Les limites des mécanismes de régulation

Les dispositifs mis en oeuvre par l'Etat et par la profession pour garantir et la liberté et la responsabilité des journalistes peuvent témoigner de l'avancée du Sénégal en matière de régulation de la presse. Mais quelques failles notées ça et là montrent que cette évolution n'a pas encore atteint un niveau acceptable pour la démocratie sénégalaise. Concernant les moyens de régulation institutionnels, les codes pénal et de procédure pénale n'ont pas connu la même évolution que le code de la presse. La commission de la carte et le HCA semblent incompétents pour les affaires d'éthique et de déontologie. Quant à l'autorégulation, elle semble plus être un stratagème ourdi par les gens de la profession pour se donner une bonne image vis-à-vis de leurs lecteurs.

I Des mécanismes institutionnels qui installent « un dédale juridique »

La loi de 1979 qui a été instaurée sous SENGHOR avait amené quelques restrictions à la loi de juillet 1881 qui était jusqu'à cette date celle qui régissait le métier. Ces restrictions ont été partiellement levées en 1986 avant de disparaître complètement en 1996.En revanche, le code pénal n'a pas encore reçu le souffle de cette évolution puisqu'il date des années 60-70, c'est-à-dire d'une période où les journalistes étaient considérés comme des « bandits de grand chemin ».

Nous en avons parlé, le code pénal et le code de procédure pénale ont instauré certaines dispositions qui, au fil des années ne sont plus adaptées à l'évolution démocratique du Sénégal. Ainsi, l'article 254 considère toujours comme une offense à la personne du chef de l'Etat certains sujets traités par les journalistes, en rapport avec le Président. C'est un délit toujours punissable d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Les articles 259 et 260 prévoient des peines très lourdes pour les diffamations, injures et autres violations commises à l'endroit des personnalités publiques. Ainsi, comme l'article 254 qui protège le président, les articles cités donnent une sorte d'immunité aux membres du gouvernement, du parlement, du pouvoir judiciaire, de l'Armée... La diffusion de fausses nouvelles, de nouvelles qui encouragent à enfreindre la loi, ou qui portent atteinte aux institutions publiques ou qui vont à l'encontre des bonnes moeurs fait également l'objet de sanctions pénales. En outre, l'article 139 du code de procédure pénale prévoit que, sur les réquisitions du ministère public, le juge d'instruction est tenu de décerner mandat de dépôt contre toute personne inculpée d'un des délits prévus par les articles du code pénal relatifs au complot et la diffusion de fausses nouvelles.

Ces dispositions relatives aux délits de presse se manifestent par leurs « contours souvent flous ». Par exemple, qu'entendre par « atteinte à la personne du chef de l'Etat » ? Cela veut-il dire que le président est un être infaillible, qui ne doit pas faire l'objet de critiques à la différence du citoyen de base? Qu'il est « intouchable » ? Elles se caractérisent également par une certaine incompréhension et leur anachronisme : l'arrestation du journaliste M. DIAGNE a failli causer un véritable trouble à l'ordre public229(*) alors que c'était là un des chefs d'accusation pour lesquels il a été incarcéré. En plus, l'application de ces articles contribuent en quelque sorte à placer les hommes du pouvoir au dessus de tout critique, un article d'investigation des plus anodins sous d'autres cieux pouvant être interprété comme « une divulgation d'information contre l'Etat ». Alors, faut-il ou non dépénaliser les délits de presse ? Le faire, ne serait-il pas synonyme d'accorder une impunité aux journalistes? Dépénaliser oui, mais quelles solutions compensatoires mettre à la place ?

Aujourd'hui, c'est ce débat qui constitue la préoccupation des journalistes et de la société civile sénégalaise. Vieilles d'au moins une dizaine d'années, ces revendications ont connu un renouveau avec l'arrestation de M. DIAGNE en juillet 2004. Le directeur de publication de Walfadjri pense que c'est une aberration, inacceptable pour des gens qui oeuvrent pour la démocratie : « nous devons porter cette revendication de dépénalisation des délits de presse avec force, sinon nous sommes livrés au bon vouloir d'un juge qui ne résiste pas à la pression de ceux qui ambitionnent de tuer la presse indépendante au Sénégal »230(*) ajoute-t-il. Octobre 2003, en collaboration avec le bureau sous régional de l'UNESCO, le SYNPICS avait organisé un « atelier sur les pratiques professionnels et délits de presse ». Cette rencontre a été l'occasion pour les participants de dénoncer des « incriminations permettant des interprétations extensives ainsi que des procédures remettant en cause même l'indépendance des juges »231(*).Les juristes sont les premiers à s'étonner de l'existence de ces « articles poussiéreux » maintenus en l'état, malgré les révisions répétitives de la loi sur la presse. Le professeur Ndiaw DIOUF de la faculté de droit de l'Université de Dakar parle d'une présence « si envahissante du droit pénal dans un milieu comme la presse »232(*). Il faut donc réviser les dispositions pénales prévues en cas de délits de presse, mais faut-il pour autant soustraire aux journalistes toute forme de poursuites judiciaires ?

Favorable au principe de dépénalisation, WADE avait, comme nous l'avons déjà souligné, demandé aux journalistes de proposer quelque chose en lieu et place des dispositions prévues dans le cas où un journal porte atteinte à une institution nationale ou étrangère ou à l'honneur d'un citoyen. Bien entendu, ceci n'est pas synonyme de confier l'assainissement de la profession aux seuls journalistes et d'en écarter en conséquence les juristes. Ces derniers sont d'ailleurs associés aux différentes rencontres qui ont eu lieu entre les journalistes et l'Etat après l'accord du Président d'un débat sur la dépénalisation des délits de presse. Les différentes parties concernées sont convaincues d'une chose, à savoir que « dépénalisation ne signifie pas impunité ». Selon le secrétaire général du SYNPICS, Alpha SALL, « il ne s'agira pas de dépénaliser totalement les délits de presse mais d'alléger les charges pénales que peut encourir un journaliste jugé coupable »233(*). Lesquelles charges peuvent être revues à la baisse ou remplacer par d'autres types de sanctions, pécuniaires par exemple. A l'heure où nous écrivons ces lignes, les négociations n'ont pas encore abouti. Affaire à suivre !

Contrairement aux dispositions sur la presse éparpillées ça et là dans le code pénal et le code de procédure pénale, la commission de la carte et le HCA sont des organisations récentes. Leurs limites en tant que mécanismes de régulation ne découlent donc pas « d'une crise » qui serait liée à une évolution démocratique confrontée aux pratiques rétrogrades d'un autre temps. Commençons d'abord par la commission de la carte. Certes en attribuant à des journalistes identifiés et reconnus comme tels des cartes professionnelles, la commission évite à la profession d'être « un refuge des fayards du chômage et de l'anonymat »234(*). Elle a aussi le droit de retirer la carte en cas de violation des lois. Mais ce retrait qui peut être provisoire ou définitif se fait conformément à l'article 56 de la loi. En d'autres termes, seules les violations des dispositions prévues pour son obtention sont punissables de son retrait. Les violations d'éthique et de déontologie commises au sein des rédactions échappent aux attributions de la commission de la carte qui n'a aucune compétence légale pour statuer sur des sujets de ce genre. D'ailleurs, à ce jour elle n'a jamais décrété des sanctions sur des cas de dérives ou de dérapages235(*).

Quant au HCA, nous nous sommes déjà étonné que contrairement à ce que laisse penser sa dénomination cet organe de régulation élargisse son champ de compétence jusqu'à la presse écrite. Ainsi en avril 1998, il avait, a-t-on noté, mis en demeure le quotidien Walfadjri. Cet incident faisait suite à un article titré « le fils de Lahad236(*) soutient Wade » publié à quelques jours des élections législatives. Le journal se voyait accusé de faire « une propagande déguisée » en faveur de l'ancien leader de l'opposition. Les journalistes de la presse privée avaient dénoncé à cette époque un abus qui n'avait d'autre but que de les censurer. Dans son éditorial du 21 avril 1998, sous la plume de Tidiane KASSE, le journal parle d'ingérence dans sa ligne éditoriale qu'elle ne tolérerait jamais : « seuls des impératifs moraux et professionnels nous limitent : à savoir l'honnêteté, une certaine éthique et le respect des principes déontologiques dans le traitement de l'information.» Le Sud Quotidien lui parle de confusion des genres en dénonçant l'incompétence d'un organe destiné à la régulation de l'audiovisuel à se prononcer sur des sujets éloignés de son champ d'investigation. « De deux choses l'une, rappelle Abdoulaye Ndiaga SYLLA, soit le président du HCA ne connaît pas ses attributions, ce qui est grave, soit c'est un procès d'intention que l'on nous fait et que nous refusons »237(*)

L'explication de cette situation est à chercher dans la création en 1992 du Haut conseil de la radio et de la télévision (HCRT), remplacé par le HCA qui a gardé ses missions principales en 1998. A l'époque les partis d'opposition se plaignaient du temps de parole très limité dont ils bénéficiaient alors que le parti au pouvoir accaparé presque les deux tiers, voire la totalité des informations politiques dans les émissions de la RTS. C'est ainsi que le HCRT a été mis sur pied pour, entre autres, garantir un accès équitable des partis politiques aux émissions de la radio et de la télévision nationale. Avec la libéralisation, son domaine de compétence s'accroît. Il change de nom et devient le Haut conseil de l'audiovisuel HCA. Dorénavant, le contrôle des radios privées qui se sont proliférées au cours des dernières années est de son ressort. Mais, dans la loi instituant sa création, il n'est aucunement dit que la presse écrite aussi doit se soumettre à ce contrôle. Comment expliquer alors l'incursion du HCA, dans un domaine qui, visiblement, ne relève pas de ses compétences ? L'actuelle présidente de l'instance, Aminata Cissé NIANG238(*) explique que conformément aux dispositions du code électoral239(*), ce pouvoir de contrôle est effectif uniquement en période de campagne électorale. Ce qui était le cas lorsque Walfadjri fut accusé de « propagande déguisée ».

Outre cette petite confusion, nous pouvons souligner le fait que la totalité des membres soient nommés par le président de la République. Ce qui remet en question leur impartialité. D'ailleurs les remontrances du HCA à l'égard des médias privés le montre. Pendant que Walfadjri se fait gronder pour « propagande déguisée », Le Soleil accorde impunément ses colonnes au Président et à ses ministres. Le 9 décembre 2002, le Haut Conseil de l'audiovisuel avait ordonné à la RTS de rediffuser un discours du président Abdoulaye WADE, lors de l'inauguration de la Foire internationale de Dakar. La présidence s'était plainte auprès de l'instance de régulation que la télévision publique n'avait pas fait son travail et que les images du chef de l'Etat n'avaient pas été "suffisamment montrées"240(*).

Les mécanismes de régulation institutionnels gagneraient à être révisés. Si la loi de 1996 nous paraît acceptable, certains articles du code pénal nous semblent inappropriés pour un pays qui se veut démocratique. Le Sénégal peut se glorifier d'un pluralisme médiatique et politique, mais l'application à la presse de dispositions qui datent de l'époque du parti-Etat est surprenant. Quant au HCA, toute ambiguïté sur sa compétence à l'égard de la presse écrite doit être levée ; si celle-ci relève de ses attributions, la logique voudrait que cela soit inscrit dans ses statuts. Son indépendance à l'égard du pouvoir en place ne serait pas mal non plus. Toutefois, du côté des professionnels il y a également des efforts à faire.

* 229 L'incarcération de ce journaliste a provoqué un élan de solidarité du peuple. A en croire les organisateurs environ 2000 personnes ont battu le pavé pour réclamer sa libération le 12 juillet 2004

* 230 Cité par ND. LOUM ( Bordeaux 2001), p. 414

* 231 Site Internet FIJ www.fij.fr, « les journalistes sénégalais engagent le dialogue avec le ministère de la justice »

* 232 Site Internet du Soleil, www.lesoleil.sn, « Atelier sur la dépénalisation des délits de presse : Protéger la liberté et défendre l'éthique ».

* 233 Idem

* 234 L'expression est de A. SALL, « conditions de travail dans les mass média et qualité in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? » Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, p.147 

* 235 Cf. Mamadou NDAO qui avait effectué une enquête sur les dérives des journalistes entre1990 et 1995, PANOS (1996)

* 236 Nom du Khalife général des mourides(une des plus grandes confréries islamiques au Sénégal)

* 237 Sud Quotidien du 21 avril 1998

* 238 Dans son article intitulé : La régulation de l'audiovisuel au Sénégal : contours de la mission, moyens et perspectives in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004, p. 132

* 239 Article L.58 dudit code

* 240 Site Internet reporters sans frontières, www.rsf.fr

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo