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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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III Essai de dépassement du conformisme social

Le pluralisme et la liberté d'informer qui en est un corollaire donnent, en principe, la possibilité au journaliste d'aborder sans restriction toute sorte de sujets pouvant interpeller l'opinion. Sauf à répondre aux principes éthiques d'une société, la liberté du journaliste doit triompher face à toute tentative de restriction. Or, la société sénégalaise dans laquelle la religion et les pratiques traditionnelles occupent une place prépondérante est restée très conservatrice. La prudence des journalistes à l'égard de sujets tels que l'Islam et les marabouts en est une illustration. Ces sujets restent occultés, sinon abordées prudemment par la presse sénégalaise. Le rôle de la presse ne doit-il pas aussi être celui de bouleverser certains tabous et certaines tares de la société ?

C'est le créneau que semble avoir investi la presse people dans une société confrontée aux mutations d'un monde moderne. Le problème que pose la modernité, c'est de ne parfois pas être en conformité avec les exigences d'une société traditionnelle empreinte de religiosité. En cela, le paradoxe ou l'hypocrisie d'un pays comme le Sénégal, c'est de vouloir être ouvert, en même temps résolument renfermé sur ses « valeurs ». Au Sénégal, on regarde avec intérêt des séries américaines, brésiliennes... dont le contenu ne reflète en rien le mode de vie des Sénégalais. En revanche, un téléfilm national qui ose mettre en dérision des imams volages et irresponsables soulève un énorme scandale. Des films érotiques à la limite de la pornographie sont diffusés à des heures de grande audience par des chaînes étrangères tandis que dans une production nationale, montrer une femme nue provoque un débat houleux. Tout porte à croire que le peuple sénégalais si pur, si angélique regardait de manière exotique une bassesse et une décadence qui ne peuvent se produire que sous d'autres cieux. Selon Georges BALANDIER, « les sociétés ne sont jamais ce qu'elles paraissent être. Elles s'expriment à deux niveaux au moins ; l'un superficiel présente les structures officielles si l'on peut dire ; l'autre, profond assure l'accès aux rapports réels les plus fondamentaux et aux pratiques révélatrices de la dynamique du système social.»93(*). Cette citation s'applique à merveille au cas du Sénégal. Etant des révélateurs d'une société en profonde évolution, les journaux people ont tout simplement voulu montrer la face cachée du Sénégal en abordant des sujets susceptibles d'intéresser le public.

Dans leur volonté de révolutionner le paysage médiatique sénégalais, les nouveaux venus abordent sans tabou des sujets comme les histoires d'incestes, d'adultères, de mondanités qui ont désormais « droit au chapitre ». Pour atteindre cet objectif, ils ont misé sur le sensationnel, le pittoresque, l'insolite, le romanesque... Cela se traduit par une titraille « des plus graveleux si elle ne frise pas l'érotisme »94(*) pour ce qui concerne Le Tract. Quant à l'hebdomadaire Moeurs, les faits qui y sont rapportés ayant rapport avec les histoires de sexe sont d'une précision qui frôle la pornographie. Selon Babacar DIOP « ce journal met à nu la société en parlant de sexe comme on en a jamais fait dans un journal sénégalais »95(*). C'est donc avec des articles descriptifs faisant la part belle aux détails et à la précision que les journalistes essaient de captiver le lecteur. Outre la mise en scène qui ferait passer le journaliste comme un témoin oculaire de ce qu'il avance, il y a aussi un autre élément qui mérite d'être signalé. C'est la manière sordide et la crudité du style utilisé au mépris des règles de bienséance. Quelques exemples relevés à la lecture de Moeurs peuvent l'illustrer : « la moitié d'un bébé de sept mois jeté dans la maison d'Astou Fall », « X surpris entrain de frotter son `bangala' sur le...d'une gamine de quatre ans » ou encore « un visage pâle de 60 ans se faisait lécher la... par un enfant de quinze ans », « Mariam s'agrippe au...de Ousmane », « les échanges très cul...turels d'un couple mixte ». Nous avons bien sûr eu la commodité d'omettre volontairement certains mots. Ce qui peut être déconseillé pour la rigueur scientifique de ce travail. Mais ce choix délibéré se justifie par un souci de vouloir montrer qu'il est possible de suggérer l'indicible, l'innommable. Pour ne pas choquer ou heurter certaines âmes sensibles, la langue offre une multitude de procédés comme l'ellipse, la suggestion, l'euphémisme, la périphrase... Ces subtilités de langage, les journalistes n'en ont que faire puisque leurs lecteurs, à en croire la courbe ascendante de leur vente, apprécient leur audace et leur liberté de ton.

Le public semble donc apprécier cette nouvelle presse malgré son impertinence et ses écarts de langage. Elle lui permet pour pas cher de se délecter « d'histoires de fesses et de sang »96(*). N'y aurait-il pas dans ce regain d'intérêt des lecteurs pour cette presse une manière pour eux de s'identifier aux gens qui font la Une de ces journaux ? Si on se réfère à la troisième fonction que peut remplir la presse selon STOETZEL, on est tenté de répondre par l'affirmative. A la lecture de certains articles, on peut ainsi dire que les lecteurs vivent par procuration des vies extraordinaires, ce que leur interdit leur existence modeste, souvent morne et monotone. Selon Alain AGBOTON, enseignant au CESTI : « plus la presse populaire exploite les faits divers, plus elle se `rapproche du peuple'...Il n'y a dès lors, qu'une purgation des pulsions individuelles et collectives »97(*) conclut-il.

Certains spécialistes de la vie médiatique sénégalaise crient au scandale et taxent la nouvelle presse de jeter l'opprobre sur toute la profession. Selon Dominique MENDY, enseignant au CESTI, dans cette presse, « il y a souvent un amalgame entre faits-divers et médiocrité »98(*). Il reproche aux journalistes de mettre l'accent moins sur les faits que sur la manière dont ils sont restitués. Il dénonce aussi le caractère commercial d'une presse qui fait vendre en exploitant la misère humaine. « Ce qui est récusé dit-il et qui trouble, c'est cette propension à s'appesantir sur les faiblesses humaines, à étaler au grand jour les vices et les tares de l'homme afin de flatter ses instincts et parvenir à vendre un produit »99(*). L'autre ennui avec cette presse, c'est le manque d'attachement de certains de ces animateurs à la vérité, une vertu cardinale du journalisme. Selon Modou Mamoune FAYE du Soleil « un certain nombre de faits rapportés dans les pages de quelques journaux dits à scandale ne relèvent parfois que de l'imagination fertile de leurs auteurs. »100(*)

Dans cette partie, nous retiendrons que le Sénégal a bénéficié d'une longue tradition de presse. Le pluralisme devenu effectif à la fin des années 1980 s'est très vite consolidé dans les années 1990. Avec l'avènement de nouveaux journaux indépendants du pouvoir étatique, la vision monolithique de l'actualité incarnée par le quotidien gouvernemental cède la place à l'explosion d'une expression plurielle. Encadrés dans un contexte plus ou moins favorable à leur épanouissement, les journaux indépendants essaient de jouer le rôle qui leur sied comme dans toute démocratie. En se voulant relais des tensions populaires incarnées par les partis d'opposition, la presse indépendante se voit taxer de presse d'opinion. Quant à la nouvelle venue, elle a voulu exploiter un créneau jusqu'ici non exploité (ou d'une autre manière) par les journaux précédents. Elle se caractérise par son audace en abordant des sujets ayant trait aux histoires de sexe, de faits-divers, de mondanités dans une société où règne le conformisme social. Le contexte dans lequel elles évoluent montre que ces deux types de presse ne sont pas exempts de dérives, de manquements à certains principes éthiques qui régissent la profession.

DEUXIEME PARTIE

* 93 Cité par Gloria AWAD, Du sensationnalisme, place de l'événementiel dans les journaux de masse, Harmattan, Paris 1995, p.172

* 94 J. M. DIOP, site Internet Médiafrique, www.mediafrique.com

* 95 B. DIOP, « Presse populaire : le revers de la médaille », site Internet Soleil, www.lesoleil.sn

* 96 J. M. DIOP, « Sénégal : sexe, sang et potins à la Une : Les quotidiens de la nouvelle génération », www.panos-ao.org

* 97 A. AGBOTON, « La presse populaire: phénomène ou épiphénomène », in Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mass média au Sénégal ? Presse de la Sénégalaise de l'imprimerie, Dakar 2004

* 98 Cité par B. DIOP, op. cit.

* 99 Cité par B. DIOP, idem

* 100 M. M. FAYE, « Presse populaire sénégalaise : le revers de la médaille- Bidonnage ? », (Dossier publié le samedi 5 janvier 2002) www.lesoleil.sn

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