WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

( Télécharger le fichier original )
par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II Presse indépendante ou d'opposition ?

Après une vingtaine d'années de libéralisation du secteur médiatique, il semble toujours impossible d'établir une relation entre indépendance et neutralité. Les vingt cinq ans de règne hégémonique du Soleil ont certainement habitué les gouvernants à un manque de remise en question dont ils ont du mal à s'accommoder avec une presse plus critique. Quant aux journalistes de la presse indépendante, peut-être que l'existence du quotidien gouvernemental les pousse à montrer que les hommes du pouvoir ne sont pas les anges que prétendent les journalistes du Soleil.

Nous ne nous attarderons pas sur tous les bienfaits d'une presse indépendante. Cependant, notons qu'elle est un des éléments fondateurs d'une démocratie. Marie-Soleil FRERE pense « qu'elle constitue un élément actif au coeur de la société civile dont elle peut répercuter la diversité, la créativité, les exigences et les critiques ». Elle permet, dit-elle, « la circulation des gouvernés qui peuvent dès lors se rassembler selon leurs affinités, se sentir renforcés dans leurs convictions et élaborer des projets d'action »75(*). Même si ces propos concernent le Niger et le Bénin, nous pouvons nous les approprier pour le cas qui nous interpelle. D'autant que pour Ndiaga LOUM « le pluralisme de l'information au Sénégal ne renvoie pas seulement à la pluralité des titres mais surtout à des conceptions différentes des diverses lignes éditoriales qui intègrent le maximum de représentations sociales ayant désormais toutes droit au chapitre »76(*). Mais ce souci « d'intégrer le maximum de représentations sociales » quitte « à rassembler les gouvernés selon leur affinité » ne se fait pas sans risque. La presse indépendante est (à tort ou raison) considérée par les gouvernants comme une alliée des partis d'opposition.

Au lendemain de sa victoire consacrant l'avènement de la première alternance politique, Abdoulaye WADE, leader de l'opposition n'hésitait pas à confier la direction du Soleil à ELhadj KASSE (ancien journaliste à Walfadjri) tandis qu'il nommait Chérif ELVALIDE SEYE ( de Sud Communication) son conseillé en communication. Beaucoup d'observateurs de la vie politique sénégalaise avaient considéré ce geste comme une récompense en guise de `services rendus'. Si WADE a été élu, c'est certes grâce à un concours de plusieurs facteurs, mais le rôle de la presse a été déterminant. C'est pour cette raison que la presse privée est considérée comme une presse d'opposition. Est-ce une prise de position voulue de la presse indépendante ou ce que les tenants de la théorie fonctionnaliste rangent dans le volet des fonctions latentes des médias ? Selon R. MERTON, dans l'exercice de leur fonction, les journalistes peuvent arriver à un résultat qui n'est pas forcément celui qu'ils visaient77(*). Toujours est-il que dans les colonnes de la presse dite indépendante78(*), les critiques à l'égard de l'opposition sont insignifiantes tandis que sur une centaine d'échantillon des journaux de cette même presse, revient « une critique quasi-systématique de l'Etat sénégalais, c'est à croire que ces organes sont des journaux d'opposition » note Ndiaga LOUM79(*).

En 1989, une polémique entre Le Soleil et Sud Magazine faisait état de ce débat qui reste d'actualité malgré l'alternance de 2000. Dans sa livraison du 12 janvier 1989, le quotidien gouvernemental fustigeait le caractère partisan de la nouvelle presse en déplorant « la tendance d'une certaine presse à verser dans la diffamation, l'intoxication, la déstabilisation morale de la nation et le discrédit des institutions républicaines ». Bref, tout ce qu'en bons journalistes d'intégration, ou d'unité nationale, les journalistes du Soleil s'interdisent. En réponse à cette accusation, Sud répliquait dans un article intitulé « les menaces du gouvernement contre la presse » en disant que c'est plutôt « l'hallali » qui sonne et que le journal indépendant en était la cible. Les animateurs de la presse privée récusent en bloc ces accusations ; ils pensent que leur existence ne servirait pas à grand-chose s'ils n'intégraient pas toutes les catégories de la population dans le débat de l'espace public. Le directeur de Sud Communication Babacar TOURÉ pense que « à un moment, il faut prendre partie. Nous avons pris celui de rééquilibrer, de changer la société plutôt que de nous acharner sur les hommes. Nous voulons décloisonner la société, donner la parole à l'opposition mais aussi aux ONG, aux femmes, à tous les secteurs exclus des médias officiels »80(*). Cet argument est celui que défend Tidiane KASSE81(*), ancien directeur de publication de Walfadjri. Selon lui, les médias ont boycotté pendant longtemps certaines catégories de la société dont les opposants à qui il fallait laisser s'exprimer. La preuve : le développement de la presse indépendante correspond à la disparition des organes de partis qui selon M. KASSE n'avaient plus de raison d'exister. Les journalistes de la presse indépendante expliquent aussi leur comportement du fait de la non accessibilité des hommes au pouvoir. Selon Pape Samba KANE directeur du journal L'Info7, « les difficultés résident dans l'accès à l'information. Les ministères par exemple. Jusqu'à présent, la tendance consistant à considérer la presse comme source de problème persiste »82(*). Ces difficultés sont toujours d'actualité. D'ailleurs, lors d'une rencontre en octobre 2001 à Mbour (à peu prés à 100 Km de Dakar), initiée par le ministre de la communication de l'époque réunissant le SYNPICS (Syndicat des professionnels de l'information et de la communication), le HCA (Haut conseil de l'audiovisuel) et le CRED (Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie), les participants avaient demandé à l'Etat sénégalais un traitement sur un même pied de tous les organes de presse. Ils ont alerté l'Etat sur l'accès aux institutions qui doit être facilité aussi bien aux organes de presse publics que privés83(*).

Tout en acceptant être plus proches des « frustrés » et des « insatisfaits », les journalistes n'admettent pas pour autant le terme péjoratif de presse d'opposition. Ils se définissent plutôt comme des « sentinelles de la démocratie »84(*), ils parlent de contre-pouvoir. Pour Abdou-Latif COULIBALY, journaliste au Sud Quotidien : « ma mission, c'est de regarder ce que fait le pouvoir, de l'analyser, de le critiquer pour que les citoyens aient une grille de lecture lisible de ce qui se passe. Si cela peut être considéré comme une opposition, je l'assume»85(*). M. COULIBALY ajoute qu'il est normal que les journalistes critiquent les hommes au pouvoir puisqu'eux, sont jugés sur leurs projets, leurs actions, ce qui n'est pas le cas pour les autres. Une telle vision du journalisme fait penser à la notion de quatrième pouvoir. Celle-ci consiste à conférer aux journalistes un pouvoir inhérent au contrôle des trois autres pouvoirs que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Chargé d'éclairer les citoyens sur les décisions et les actes des gouvernants, il revient aussi au journaliste de relayer les doutes, les angoisses et les doléances des gouvernés. Il a un rôle de représentant du public auprès des détenteurs de pouvoir afin que ces derniers rendent des comptes relatifs à l'accomplissement des devoirs et des responsabilités conférées par la société. Marc-François BERNIER parle d'un « contrat social »86(*) qui lie les journalistes aux citoyens. Par sa mission d'information pédagogique des citoyens, de contrôle des gouvernants de manière à susciter le débat, le journaliste acquiert un rôle d'arbitre, de « chien de garde de la démocratie »87(*). Certains poussent plus loin et parlent de « celui par qui la justice arrive quand le système a failli »88(*). Selon Arnaud MERCIER : « une démocratie ne peut se concevoir sans l'existence d'un espace public dans lequel les journalistes jouent évidemment un rôle majeur »89(*).

Sur ce point, il est intéressant de voir comment le contexte a évolué au Sénégal. Dans les années 1970, on se rappelle de cette boutade de L.-S. SENGHOR qui rappelait à ceux qui ne le sauraient pas encore qu' « il n'existe pas, dans notre vie politique de quatrième pouvoir, qui serait le « pouvoir journalistique » et qui ferait régner sa loi, pour ne pas dire sa terreur par le chantage à la délation et à la calomnie»90(*). Fin 1980, A. DIOUF son successeur instaure le libéralisme médiatique et, en quelque sorte, il en sera la principale victime lors de l'élection présidentielle de 2000. A. WADE l'actuel président ne peut éluder ce qui, à ses yeux est devenu une réalité. Lors d'un débat radio-télévisée le 9 décembre 2000, il affirme « nous n'avons pas créé le concept de quatrième pouvoir, mais il correspond bien à notre réalité (...) Je considère que la presse est tellement puissante qu'il faut la réglementer »91(*).

L'Etat sénégalais ne serait peut être pas disposé à se présenter devant un miroir qui le représente souvent sous ses traits les moins avantageux. Quant aux journalistes, la frustration née de la distance et de l'animosité que les gouvernants ont à leur égard pourrait en faire des éléments incontrôlables. Ils en sont d'ailleurs conscients puisque dès les premières années de la libéralisation, M. KASSE, le rédacteur en chef de Walfadjri disait « si la conscience du devoir d'informer et la liberté devenue effective d'informer ont donné une presse qui passe pour un des piliers de l'édifice démocratique dans nos Etats, cela ne mène pas toujours au triomphe du bien. On peut faire plus mal encore en usant de cette liberté »92(*). Dans son devoir d'informer, la presse dite people est confrontée à un défi de tout autre ordre, celui de vouloir faire du profit en bousculant un conformisme consacré par une société pudique qui a ses faiblesses mais semble ne pas vouloir qu'on les narre.

* 75 Marie-Soleil FRERE, Presse francophone et démocratie, les mots et les maux de la transition au Bénin et au Niger, édition Karthala, Paris, 2000 p. 413

* 76 Ndiaga LOUM, Pluralisme de l'information et groupes multimédias au Sénégal, thèse de doctorat, Bordeaux III 2001, p.149

* 77 Cité par Judith LAZAR, Sociologie de la communication de masse, Armand Colin, Paris, 1991. MERTON donne l'exemple de la couverture d'une campagne de vaccination pour sensibiliser les populations qui pourrait avoir d'autres conséquences favorables aux professionnels de santé : l'amélioration du prestige de leur travail, une meilleure coopération et une meilleure gestion de la santé publique.

* 78 Ce qualificatif est devenu tellement vendeur que tous les journaux privés le revendiquent comme « label de qualité ». Mais le fait qu'un journal soit privé le classe-t-il automatiquement du côté de la presse indépendante ? N'y a-t-il pas des influences (politiques, religieuses...) qui peuvent altérer cette indépendance ? Walfadjri a longtemps été considéré comme un journal islamiste, aujourd'hui, des journaux comme Le Scoop et Le Messager se disent indépendants alors qu'ils semblent proches du gouvernement.

* 79 La presse indépendante au Sénégal, le culte de la différence, mémoire de DEA sous la dir. de A. VITALIS, Bordeaux III 1996, p. 62

* 80 Institut Panos, Presse francophone d'Afrique ; vers le pluralisme, Karthala, Paris 1991, p.70

* 81 Interview accordée à Ndiaga LOUM, thèse doctorat, Bordeaux III, 2001, p. 414

* 82 Idem, p. 380

* 83 Cf. site Internet Fédération Internationale des Journalistes, « concertation nationale sur la presse sénégalaise », www.ifjafrique.org/francais/etudesdocs/concertationpressenegal.htm

* 84 Terme utilisé par Ndiaga SAMB, Médias et élections au Sénégal, Institut Panos, NEAS, Dakar, 2002

* 85 Idem, p. 393

* 86 M-F. BERNIER, Les conditions de légitimité du journaliste : esquisse d'un modèle théorique, in Le journaliste acteur de société, Cahier du journalisme de l'ESJ de Lille, 1996 p.178

* 87 Serge HALIMI, Les nouveaux chiens de garde, Edition raison d'agir, Paris, 1997

* 88 Loïc HERVOUET, « Journalisme et citoyenneté : les jumeaux de la démocratie », in Le journaliste acteur de société, Lille, 1996, p.52

* 89 A. MERCIER, « Le rôle des journalistes en démocratie », in Communication et médias, la documentation française, Paris 2003, p.67

* 90 A l'occasion d'un discours de rentrée des cours et tribunaux, tenu en 1977. Cf. TUDESQ (1995), p. 62

* 91 Cité par ND. LOUM ( 2001), p. 335

* 92 Institut PANOS, Ne tirez pas sur les médias : éthique et déontologie de l'information en Afrique de l'Ouest, L'Harmattan, Paris, 1996, p. 200

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote