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Analyse des causes et consequences de la pauvrete rurale Etude de cas de la Republique d'Haiti

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par Onan JULES
Universite d'Etat d'Haiti - Licence en Science Economique 2006
  

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Tableau 2

Seuil de pauvreté en gourdes

Aire métropolitaine

8636.35

Autre urbain

4569.25

Rural

1952.40

Ensemble du pays

2959.80

Le graphique 1 est beaucoup plus explicite ; il démontre les disparités économiques qui existent dans le pays. L'aire métropolitaine, du fait qu'elle constitue un réservoir où vient s'engouffrer la majeure partie immigrante de la population rurale, population jeune en soit et qui s'adonne surtout à des activités informelles pour sa subsistance, a un seuil de pauvreté double de celui de l'autre urbain en général et représente près de sept (7) fois celui de la population rurale. On peut aisément comprendre l'exode rural qui subsiste dans le pays.

Graphique 1 : seuil de pauvreté en Haïti (en gourdes)

D'après divers auteurs et études, c'est le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental et l'un des pays les plus pauvres du monde en développement pour beaucoup de chercheurs. Selon les données recueillies par la Banque Mondiale et le PNUD en 1997, son revenu par habitant de $US 250 est inférieur par rapport à celui de bon nombre de pays Africains et est loin inférieur à la moyenne de l'Amérique latine de $US 3320 (voir le tableau 3).

Tableau 3 : Indicateurs sociaux comparatifs en Amérique latine et dans les Caraïbes, 1996

Pays

PNB/Hab.

Espérance de vie

Analphabétisme Adulte

Mortalité infantile

Taux de fécondité total

Indice développement humain

Haïti

250

57

55

72

4.8

0..338

Nicaragua

380

68

34

46

4.1

0..530

Honduras

600

67

27

45

4.6

0..575

Bolivie

800

60

17

69

4.5

0..589

Rép. Dom.

1460

71

18

37

2.9

0.589

Jamaïque

1510

74

15

13

2.4

0.718

Source : Banque Mondiale et PNUD 1997

Le graphique 2 illustre les disparités criardes existant entre diverses nations des Caraïbes et la République d'Haïti.

Graphique 2 :Evolution du PNB/Hab en Haïti en comparaison avec celui de quelques pays en Amérique Latine et dans les Caraïbes, 1996.

Ainsi, le phénomène de la pauvreté en Haïti se reflète dans ces indicateurs sociaux, qui sont nettement inférieurs à ceux d'autres pays de la région pris en comparaison.

L'espérance de vie n'est que de 57 ans par rapport à la moyenne de 69 ans en Amérique latine. Le taux de fécondité est de 4.8 pour cent comparé à une moyenne régionale de 2.8 pour cent, alors que le taux de mortalité infantile de 72 pour mille naissances vivantes, est à peu près le double de la moyenne régionale. La mortalité maternelle, à 6 pour mille, est une des plus élevées au monde. La malnutrition affecte environ la moitié des enfants de moins de 5 ans, et près de la moitié des Haïtiens adultes est analphabète.

Deux tiers (2/3) environ de la population haïtienne, soit 4.8 sur 7.2 millions, vivent en milieu rural où 80 pour cent d'entre elle vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Ces quelques variables représentatives qui suivent, présentées dans les statistiques de la Banque Mondiale du PNUD en 1997, indiquent que la pauvreté dans les zones rurales est plus prononcée que celle des milieux urbains.

Le taux de malnutrition chronique parmi les moins de 5 ans est de 35 pour cent en milieu rural, 30 pour cent en milieu urbain en dehors de Port-au-Prince, et 20 pour cent dans la métropole de Port-au-Prince. De même, la mortalité infantile est de 144 décès pour mille naissances vivantes en milieu rural, 135 en milieu urbain à l'exclusion de Port-au-Prince, et de 131 à Port-au-Prince22(*). Le tableau 2 présente un aspect récapitulatif de quelques postes de consommation du pays selon les deux milieux en 2002.

 

Alimentation

Boisson et tabac

Habillement

Meubles

Logement

Service

Aire métropolitaine

53.7

2.65

9.27

9.36

11.6

13.85

Milieu rural

60.0

4.3

10.7

9.6

4.0

11.2

Milieu urbain

54.2

3.4

10.2

12.8

6.7

12.6

Tableau 4 : Quelques postes de consommation du pays par milieu en 2002

Source : IHSI

Cependant, il faut faire remarquer que la pauvreté rurale en Haïti, comme dans beaucoup de pays en développement, n'est pas homogène et varie de région en région. En effet, il n'y a pas matière de comparaison entre un pauvre rural vivant dans le Sud ou la Grande Anse et un pauvre rural du Haut Artibonite ou du Nord ouest. Tandis que pour le premier, le manque de liquidités financières pour faire prospérer un lopin de terre, l'insuffisance des centres et soins de santé ou des écoles pour une éducation adéquate constituent ses problèmes de tous les jours, pour le second, en plus des indices ci-dessus, l'insécurité alimentaire le guette toujours au tournant surtout que toute sa production dépend en grande partie des saisons de pluie. En effet, le progrès technique en matière d'augmentation de production ne l'a pas atteint.

Tableau 5 : Estimation de la Pauvreté Rurale par région (en %)

Zones

Extrême pauvreté

Pauvreté cumulative

Gonaïves et Nord-Ouest

81

91

Sud et Grande Anse

56

74

Ouest et Plateau central

64

77

Total échantillon rural Haïti

66

81

Source : Banque Mondiale, Enquête sur les conditions de vie en milieu rural, 1995

Ce graphique présente l'estimation en pourcentage selon la Banque Mondiale de la pauvreté rurale par région en 1995

Si l'on s'en tient aux chiffres des diverses institutions spécialisées sur la question, depuis la fin des années quatre-vingt, les conditions de vie de la population rurale haïtienne ne cessent de s'empirer. Selon les indices calculés par la FAO en fonction de la période (1989-1991) choisie comme référence, l'agriculture, la principale activité du milieu rural, est en déclin. L'indice de production agricole est passé de 104.4% en 1988 à 90.5 % en 1997. En ce qui concerne particulièrement la production alimentaire per capita, la tendance négative se révèle beaucoup plus accentuée. L'indice de production alimentaire per capita a chuté de 108.6% en 1988 à 80.4% en 1997.

Cette situation d'extrême pauvreté dans laquelle végète le paysan haïtien constitue un signe évident des conditions léthargiques de l'agriculture haïtienne, la principale source de revenus de plus de la moitié de la population. Une étude détaillée du secteur agricole haïtien est nécessaire pour pouvoir mieux cerner ces diverses statistiques élaborées par la Banque Mondiale, le PNUD et les centres de statistiques nationaux tels la BRH et l'IHSI.

IV.2.- Situation et Caractéristiques de l'agriculture haïtienne

« Haïti, un pays essentiellement agricole », telle est la définition que l'on trouve dans tous les manuels scolaires du pays. Pour corroborer cette assertion, les écrivains et auteurs se sont appuyés et s'appuient toujours sur les chiffres tirés des quelques recensements effectués dans le pays à travers son histoire. En effet, dans les périodes (1975-1976), (1981-1983), le secteur agricole en dépit de ses faibles performances, a contribué plus largement que les autres secteurs à la formation du PIB du pays. En 1989, la majorité de la population haïtienne était constituée de ruraux, soit 72%; ce qui laisse entendre qu'une large proportion de la population haïtienne s'adonne aux travaux agricoles.

Cette prédominance marquée du secteur agricole pourrait laisser entendre que ce dernier constitue l'objet d'une préoccupation soutenue de la part de toutes les couches sociales de la nation; préoccupation qui devrait se matérialiser par un effort constant et systématique d'organisation scientifique de l'agriculture afin de développer, d'améliorer, de perfectionner et de rationaliser le plus possible le travail de la terre.

Toutefois, la réalité nous force à constater le contraire. En dépit de son importance, déjà en 1969, pour répéter G. Pierre Charles, « l'agriculture  ne s'est caractérisée ni par sa productivité, ni par son dynamisme, ni par une tendance à se dépasser»23(*). Aujourd'hui encore, on est unanime à reconnaître que l'agriculture haïtienne est en train de faire face à une période très difficile de son histoire. Et, les différentes études et observations immédiates voient dans cette agriculture pratiquée par le paysan haïtien les causes les plus importantes de sa pauvreté.

L'analyse de l'évolution de la production agricole durant ces dernières années permet de constater en effet, de manière éloquente, la situation de crise dans laquelle s'enclise le secteur agricole. Presque toutes les rubriques de production agricole dénotent, en effet, cette tendance à la baisse. Au niveau de certains produits de base (riz, maïs, pois, petit-mil) occupant la plus grande partie de la superficie cultivée, la régression est quasi-totale. Comme l'indique le tableau suivant, de 1970 à 1974, la production des grains de base était de 562.2 milliers de tonnes métriques, alors que dans la période de (1980-86), elle était passée à 498 milliers de tonnes. Le déclin du petit-mil et du maïs a été tel qu'en dépit de la relative croissance du et du haricot, la tendance globale de la production pour les quatre produits évoluait vers la baisse.

Tableau 6 : Évolution de la production des grains de base de 1960 à 1986 en millier de T.M.

Années

Haricot

Riz

Maïs

Petit-mil

Total

1960

37

50

227

183

-

1970-74

42

91.6

287.6

193

564.2

1975-79

47

106.25

193.4

188.8

-

1980-86

52

136.0

185.0

125.0

498

Source : Calculés à partir des données de  BRH, MARNDR, 1987

Cette situation a valu le recours à un niveau de plus en plus élevé d'importations de produits alimentaires qui passèrent ainsi de 37053.3 millions de gourdes en 1970-71 à 409.5 millions en 1980-81. En 1984-85, la valeur de nos importations alimentaires s'élevait à 429.4 millions de gourdes, selon les statistiques de la BRH.

Pour certains observateurs, l'agriculture haïtienne, de par ses caractéristiques est d'une part traditionnelle, d'autre part de subsistance, mais surtout dominée par la petite exploitation.

L'agriculture haïtienne est dite traditionnelle parce qu'elle n'utilise que les mêmes outils de nos ancêtres, c'est-à-dire, le paysan haïtien cultive son lopin de terre, en recourant aux méthodes archaïques les plus empiriques : la houe et la machette sont pratiquement ses seuls outils agricoles.24(*) De plus, il ne peut pas améliorer ses techniques de productions à cause de sa pauvreté, en vue d'accroître le rendement de ses exploitations d'autant plus qu'il est rarement encadré et s'adonne quotidienne aux procédés routiniers les plus désuets. Il plante sur sa terre, tous les ans, les mêmes espèces de produits. Ses semences sont médiocres et le rendement est faible. Il n'utilise pratiquement pas d'intrants dans sa production et le défrichage s'accompagne généralement de brûlis. Dans ces conditions, le sol s'épuise facilement pour ne produire à la longue que des denrées de qualité fort douteuse et dont la valeur nutritive, selon certains spécialistes25(*), est probablement réduite.

Pour enfouir ses semences dans le sol, le paysan haïtien y creuse des trous, soit à la main, soit à la machette, les sillonneuses n'existant pas en Haïti. Ce travail une fois accompli, il s'en remet à la nature et se livre rarement au sarclage systématique de son jardin. Ainsi, dans une certaine mesure, on peut attribuer ce traditionalisme de l'agriculture haïtienne à une acceptation pure et simple par le paysan haïtien, de son incapacité d'améliorer ses techniques de production.

L'agriculture haïtienne est dominée par le modèle de la petite exploitation. En effet, selon le recensement de 1982, sur un total de 616,710 propriétés, plus de 81.7% représentaient des petites exploitations allant de 0.01 à 1.55 carreau et 14.5% étaient compris entre 1.56 et 3.87 carreaux. Seulement 3.8% des exploitations étaient des propriétés entre 4 et 20 carreaux comptant pour un total de 150,350 carreaux sur 669,395 disponibles. Ce qui sous-entend que 96.2% des exploitations partageaient les 419,045 carreaux restant.

Cette répartition n'explique pas nécessairement que les 96.2% des petits exploitants soient des propriétaires. Pour la grande majorité, ils sont des petits fermiers et, pour la plupart, des métayers. Mais, l'une des caractéristiques importantes à souligner est le fait que les petites exploitations de plus de 0.5 carreau ne sont généralement pas regroupées sur une seule surface géographique; elles sont éparpillées à quelques lieux les unes des autres. Ce qui cause au métayer une baisse de productivité due à de longs déplacements fastidieux.

Si on effectue une analyse comparative avec le reste du continent, la production agricole haïtienne est reléguée à l'arrière plan au niveau de l'Amérique latine compte tenu du fait que la petite exploitation fait très peu ou presque pas appel aux intrants et aux procédés mécaniques. Le tableau suivant montre comment l'agriculture haïtienne fait la queue au niveau de l'Amérique latine avec 7kg d'engrais pour 982 hectares de terres cultivables par tracteurs comparé à 337kg d'engrais pour 46 hectares par tracteur au Costa Rica. Cependant, les engins lourds ne sont pas les seuls à être absents dans l'agriculture. Vers la fin de la décade 70, on y dénombrait seulement 1000 charrues à traction animale26(*). Si nous faisons l'hypothèse que celle-ci sont utilisées principalement sur les moyennes exploitations de 3.01 à 10 carreaux, nous trouvons à un moment déterminé qu'en moyenne, il y a une charrue pour chaque 146 carreaux de terres cultivables. Dans de telles conditions, la croissance de la production per capita ne sera pas facile à obtenir.

Le tableau 6 donne une estimation de la superficie moyenne cultivée par tracteur et consommation de fertilisant dans quelques pays de l'Amérique Latine en 1985.

Tableau 6 : Superficie moyenne cultivée par tracteur et consommation de fertilisant dans quelques pays de l'Amérique latine, 1985

Pays

Sup. Cultivable/ tracteur

Cons. d'engrais/ tracteur

Haiti

982

7

Honduras

470

23

Costa-Rica

46

337

Guatemala

329

67

El Salvador

167

97

Nicaragua

451

44

Rép. Dominicaine

498

53

Source : CEPAL

L'agriculture haïtienne est une agriculture basée sur la main d'oeuvre familiale. En effet, si les grandes et moyennes plantations facilitent la production à grande échelle en particulier celles des denrées d'exportation, le système de la petite exploitation sied bien à la production vivrière. Dans le premier cas, la production d'échelle exige, en effet, l'investissement d'un capital considérable vu que l'organisation du travail sur une base capitaliste est nécessaire si l'on recherche à obtenir le moindre rendement. Dans le second cas, l'exiguïté de la parcelle à cultiver rend inutile l'organisation de type capitaliste et par conséquent nécessite très peu de capitaux et de bras pour effectuer la besogne productive. Ainsi, Paul Moral a montré que dans l'agriculture haïtienne, la production est essentiellement basée sur le travail de la cellule familiale : « La famille restreinte, l'homme, la femme et leurs enfants, cinq à six personnes en moyenne, forment désormais la communauté la plus typique, dans laquelle le rôle de chacun est régi par les nécessités de l'exploitation ».27(*) Celle-ci se trouve donc contrainte de produire des biens de subsistance qui lui permettront non seulement de répondre à ses besoins alimentaires mais également de pouvoir se rendre sur le marché local pour l'échange d'un quelconque surplus, ce, pour assurer l'achat des biens qu'elle ne peut pas produire tels que : sucre, huile, gaz, savon, sel, allumette etc.

IV.3.- Les facteurs déterminants de la pauvreté rurale en Haïti

Diverses conditions tant intérieures qu'extérieures à la République d'Haïti engendrent et perpétuent la pauvreté rurale :

o L'instabilité politique et les conflits civils 

Depuis son indépendance en 1804, la République d'Haïti n'a jamais eu vraiment une période de stabilité assez longue propre à encourager les investissements dans le monde rural et à permettre aux ruraux d'acquérir certains actifs économiques. En effet, l'histoire du pays est une suite de guerres civiles, de conflits terriens où les principaux perdants ont toujours été ceux qui ne possèdent déjà rien, vu que ces derniers sont dans l'incapacité de défendre le peu qu'ils ont. N'ayant rien à perdre, ils font le jeu des grands propriétaires terriens qui les utilisent comme des pions pour la destruction en cas de conflits. Les conséquences immédiates de cet état de chose sont tout d'abord une absence de continuité dans le processus de relèvement des communautés rurales, à laquelle s'ajoutent des processus d'expropriation à chaque fois qu'il y a un changement de gouvernement ; ainsi, le paysan haïtien s'appauvrit de plus en plus à chaque période d'instabilité politique qui a des répercussions terribles sur l'économique. Rappelons-nous par exemple les conflits de Jean-Rabel et de Piatt à Saint Marc qui firent des centaines de morts et d'immigrés, pour ne citer que ceux-là.

o Une tenure foncière mal définie ou inadéquate en milieu rural haïtien

En Haïti, la terre n'a jamais été perçue comme un moyen pouvant permettre de créer des richesses, mais comme la richesse elle - même. Et le rôle de l'Etat semblait se résumer aux fonctions de distribution de cette richesse. C'est ainsi qu'on a assisté, au lendemain de l'indépendance et sous de nombreux gouvernements qui se sont succédés, à des mouvements de distribution des terres fertiles du pays aux grands dignitaires du régime sans se soucier aucunement de l'utilisation qui en sera faite.

Ce mode de tenure a contribué à aggraver la situation déjà précaire d'un nombre important de petits exploitants agricoles. Une analyse de ce système foncier et de ses caractéristiques permettra de conclure si effectivement la tenure foncière en milieu rural haïtien bloque la modernisation de l'agriculture et en conséquence contribue à la dégradation des conditions de vie des paysans.

La plupart des petits agriculteurs sont propriétaires des terres qu'ils cultivent ; mais ce droit de propriété s'insère souvent dans le droit coutumier et peut être contesté à tout moment. En général, ils n'ont pas les moyens de payer les frais juridiques pour faire préparer ou valider leurs titres de propriété. De plus, les biens fonciers se partagent entre héritiers. De ce fait, les exploitations se morcellent, et en un point tel qu'elles deviennent trop petites pour faire vivre une famille.

En effet, de génération en génération, l'exploitation agricole haïtienne s'est émiettée au gré des divisions successorales et de la démographie galopante (4 Million en 71, 8 million en 2000) pour atteindre des niveaux de seuil critique. Des chiffres officiels des recensements de 1950 parlaient d'une taille moyenne d'exploitation de 1ha 10, de 1ha 40 en 1971 (IHS, 73) si on considère que les agriculteurs à cette période cultivaient de moins en moins de bonnes terres dans les pentes et gagnaient sur les forêts, de 1ha 13 en 1995 (Word Bank, 1995). Selon des enquêtes partielles émanant d'autres organismes versées en la matière, la taille moyenne d'une exploitation agricole est estimée à 0,50ha environ.

Dans la réalité, selon IHSI, les terroirs agricoles sont atomisés en « des parcelles minuscules de 0.16ha en moyenne dans le Sud, atomisation due aux principes légaux d'égalité des Haïtiens dans le partage et de l'imprescriptibilité de ce partage, l'un et l'autre source majeure des conflits terriens »28(*). En plus, toujours selon IHSI, « le statut des terres marqué par l'indivision légale et une dissociation coutumière de droits sur la terre (droit de culture, droit de pâture, droit d'abattage d'arbres) vient compliquer la situation d'atomisation pour rendre presque impossible tout investissement à long terre avec les conséquences sur le déboisement et la baisse de fertilité des sols »29(*). Ce qui signifie que la superficie déjà faible en valeur absolue doit être pondérée négativement par la dispersion (atomisation des parcelles le constituant) et par le niveau de fertilité somme toute faible des sols. Selon des enquêtes de la FAO, 70% des terres seraient mises en valeur selon des conditions non sécuritaires : autrement dit 70% des exploitants d'aujourd'hui ne sont pas sûrs d'être sur la même parcelle demain.

L'étendue des terres cultivées en Haïti est divisée en celles du domaine privé de l'Etat, celles en faire-valoir direct et celles en faire-valoir indirect.

L'étendue du domaine de l'Etat n'est pas connue avec précision. On l'estime à 30% du territoire national soit environ 360 mille hectares, comme reproduit au tableau suivant.

Tableau 8 : Estimation des terres relevant du domaine de l'Etat en Haïti

 

Superficie totale (en ha)

Totale (en %)

Terres louées aux particuliers

150.000

42

Terres en concession particulière

120.000

33

Iles adjacentes

83.000

23

Autres

7.000

2

Total

360.000

100

Source : Jean André Victor, Sur la piste de la réforme agraire page 166

Les terres en propriété et les terres en indivision sont très répandues dans le pays. En effet, beaucoup de paysans agriculteurs sont impliqués dans des rapports de faire - valoir direct. En effet, dans le cadre de la première forme d'occupation des terres, l'exploitant cultive lui-même sa terre, avançant l'argent nécessaire à l'achat des intrants, recrutant des travailleurs salariés s'il ne veut pas travailler lui-même, et en recevant tous les fruits, bons ou mauvais. Cette forme d'occupation des terres est prédominante dans les montagnes où, selon chiffres du Ministère de l'Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), 60% des terrains sont occupés dans le cadre de propriété coutumière et où les agriculteurs sans terres représentent 5% de la population30(*). Les terres en indivision communément appelées « biens mineurs » ne font pas l'objet d'investissement sérieux.

Le mode de faire valoir indirect, c'est à dire la mise en valeur de terres appartenant à des tiers atteint aujourd'hui un taux élevé avoisinant dans certaines régions les 47 % selon la FAO en 1997. Bon nombre de paysans aisés ne cultivent plus directement mais s'en remettent le plus souvent à des métayers, parfois à des fermiers pour recevoir une rente foncière. Ils diminuent ainsi les risques liés à la hausse des coûts de production ou les risques de marché (baisse des prix et mévente) dans un contexte d'ouverture de l'économie.

Fermage et métayage sont des pratiques très répandues en Haïti. On peut estimer que 90% des agriculteurs sont impliqués dans des rapports de faire - valoir indirect soit comme propriétaires, soit comme exploitants, ou les deux à la fois31(*). Le MARNDR signale que les surfaces faisant l'objet de tels rapports représentent probablement autour du tiers de la surface cultivée ; il est par contre difficile de donner une estimation nationale des proportions respectives du métayage et de fermage, dans la mesure où celles-ci peuvent varier d'une région à l'autre.

Le métayage (deux - moitié) est une tenure foncière dans laquelle l'exploitant paie au propriétaire une rente en nature sous forme d'un pourcentage de récolte. Il est très important de noter que le paiement de rente ne peut s'effectuer qu'après la récolte. De plus, les risques sont réduits pour l'exploitant : si la récolte est mauvaise, la rente à payer diminue en proportion, si la récolte est bonne, le montant de la rente sera plus important.

Les statistiques du MARNDR avancent que, en 1997, ce mode de tenure représente une superficie de 63.845 ha, soit 9% des terres. Le département du Centre compte 25% des terres en métayage tandis que le département du Nord - Ouest en a 2.081 ha soit 3.2%. Ordinairement, le contrat est un contrat oral ; il n'a effet que pour une saison de culture et sa durée dépend de la longueur du cycle végétatif.

Le fermage est sans nul doute un peu mois fréquent que le métayage, mais reste très répandu. C'est la location de la terre pour une durée et un montant déterminés par un bail. Dans le fermage en Haïti, il convient de souligner que la rente ou loyer de la terre est fixée et payable d'avance. Cette formule a des conséquences sociales très importantes, car le preneur doit être en mesure de débourser dès la signature du bail. Plus la durée du bail est importante plus grande est l'avance à consentir. Le preneur supporte un certain risque dans la mesure où ce qu'il doit payer est constant même si la récolte est mauvaise.

En 1987, les terres en fermage représentaient 96.656 ha, soit 12.5% des surfaces cultivables. Le département de l'Artibonite comptait une part considérable des terres en fermage soit 32% du fait que ces surfaces présentent beaucoup d'intérêt pour les ménages agricoles. Quant aux départements de la Grande - anse et du Sud, ils occupaient respectivement 17% et 9% du total des terres en fermage.

Tableau 9 : Répartition de superficies exploitées en hectares, suivant le mode de faire valoir par département géographique, année 1987

Département

Propriétaire

Métayer

Locataire particulier

Locataire de l'Etat

Occupant sans titre

indivisibles

Autres

Ouest

31665

5135

5363

1134

575

9435

52

Artibonite

132305

4644

17171

13036

6199

9362

347

Nrd-ouest

24868

2081

481

2470

414

7239

330

Nord

57412

5307

6193

3000

264

11058

1315

Nord-est

19241

6476

2681

4710

3128

4271

516

Centre

89518

15654

8050

3877

3007

8084

586

Sud-est

21187

2933

1726

1824

516

2923

108

Sud

50947

13162

8315

408

289

10814

122

Gde-Anse

92371

8453

10100

6117

10175

11136

777

Haïti

519523

63845

60080

36576

24561

74262

4153

Sources : résultats préliminaires de l'enquête agricole national réalisés par ADS-II Saison agricole 1987. Haïti en chiffres

En définitive, la tenure foncière en milieu rural haïtien constitue un facteur de blocage pour le développement de l'agriculture. D'un côté, il y a la masse des petits fermiers qui travaillent la terre dans des conditions extrêmement difficiles soit comme fermiers, soit comme métayers associés ou comme main-d'oeuvre tout simplement. D'un autre côté se dressent une minorité de grands propriétaires parfois absentéistes qui occupent les terres les plus fertiles des différentes aires agro écologiques du pays. La situation de pauvreté dans laquelle vit les paysans encourage l'accumulation foncière au bénéfice de grands propriétaires tandis que le processus de paupérisation se développe.

o La corruption et la recherche de l'avantage personnel parmi les dirigeants et dans la fonction publique 

Comme nous l'avons déjà signalé, en Haïti, la corruption et la recherche de l'avantage personnel parmi ceux qui devraient faire progresser les choses représentent des facteurs de blocage pour tout processus de relèvement économique et du même coup retardent tout amélioration des conditions socio-économique des pauvres ruraux. En effet, dans l'administration Publique haïtienne, on retrouve beaucoup de fonctionnaires qui ne se préoccupent d'un projet de développement que si, et seulement si, ils peuvent en tirer quelque avantage financier. De ce fait, il y a toujours un retard au processus d'implantation de ce projet, retard préjudiciable au milieu dans lequel il devrait s'implanter vu que ce projet devait répondre à un besoin du milieu.

o Les politiques économiques qui sont discriminatoires à l'égard des pauvres ruraux ou qui les excluent du processus de développement et accentuent les effets d'autres facteurs générateurs de la pauvreté

Jusqu'ici, les diverses politiques économiques mises en place par les différents gouvernements dans le pays n'ont eu que des effets positifs mitigés sur le monde rural du fait que, le plus souvent, cette dernière n'est pas prise en compte. Ces politiques cherchent souvent une amélioration du bien-être général bien que les actions entreprises n'ont d'autres finalités que de diminuer la pauvreté urbaine, surtout dans l'aire métropolitaine. Que de projets, de séminaires, de plans ont été élaborés à travers le temps pour l'atténuation de la pauvreté en Haïti dont les résultats sont concluants : la paupérisation du monde rural gagne de plus en plus de terrain bien que, parfois, on constate une légère amélioration dans le monde urbain.

Il n'est point nécessaire de rappeler que l'agriculture a constitué et constitue encore pour la grande majorité des Haïtiens l'activité principale génératrice d'entrées financières ; en ce sens, diverses actions ont été entreprises afin de pallier à sa dégradation à travers différents plans quinquennaux ou biennaux. Cependant, chacun peut constater que les divers plans et surtout les objectifs poursuivis n'ont pas amené à des résultats concluants, n'ayant pas pu arriver à baisser le niveau de la pauvreté tant urbaine que rurale en Haïti.

o Les chocs extérieurs d'origine naturelle ou liés à la situation économique internationale.

La République d'Haïti, en tant que « petit pays » à l'échelle économique mondiale, subit les contrecoups de tout ordre venant de ses principaux partenaires commerciaux. Un changement de gouvernement aux Etats-Unis ou en république Dominicaine, un changement de politique extérieure du ministère des Affaires étrangères en France, etc., ..., ont des conséquences directes sur la vie économique nationale, les plus démunis étant les premiers touchés. Qui ne se souvient pas de la libre entrée du riz de Miami sur le marché local entre 1987 et 1990 ? Aujourd'hui encore, l'agriculture haïtienne ne s'est pas encore relevée de la perte de production qui s'en était suivie.

De plus en plus, la population haïtienne vit au rythme de la vie économique de ses partenaires, surtout des Etats-Unis et de la République Dominicaine, les deux étant ses principaux déversoirs de population. Cette situation se retrouve dans tout le pays notamment dans le Plateau Central, Le Nord Est, le Sud Est et le Nord Ouest.

En outre, n'importe quel ouragan, sécheresse ou autre catastrophe naturel qui aurait amené une baisse de la production tant agricole qu'industrielle dans ces pays précités, amènerait irrémédiablement des répercussions désastreuses considérables sur la vie des pauvres ruraux en particulier, vu la forte dépendance de ces derniers aux transferts d'argent ou de nourriture y provenant.

o Les déséquilibres des politiques économique et sociale

En Haïti, les déséquilibres des politiques économique et sociale ont contribué et continuent à contribuer à la pauvreté rurale en privant les ruraux des avantages du développement et en amplifiant les effets des autres facteurs de paupérisation. Les déséquilibres de la politique gouvernementale qui défavorisent généralement les pauvres ruraux haïtiens sont notamment les suivants :

· L'infléchissement systématique des investissements publics en infrastructures et des dispositifs de protection sociale en faveur des zones urbaines ; en effet, le plus souvent en Haïti, tout se fait par et pour la République de Port-au-Prince et ses environs immédiats, Pétion-Ville et Carrefour.

· Les mesures favorisant la culture d'exportation au détriment des cultures vivrières ; pratique qui depuis le temps de la colonie conduit le pays à cultiver en outrance deux (2) ou trois (3) produits d'exportation qui bénéficient de toutes les attentions que ce soient en traction animale ou mécanique (le peu que le pays utilise, bien sûr). Cependant, ces genres de culture n'ont pas toujours été profitables pour le pays vu qu'elles ne répondaient qu'aux aspirations des grandes nations importatrices de produits tropicaux, et cela, pour un temps. A cet effet, souvenons-nous des grandes plantations de sisal dans le Nord Est qui, après qu'elles ne furent plus nécessaires, ont laissé cette région aride, quasi inapte aux cultures, hostile à ses habitants.

· Les avantages accordés aux grands propriétaires terriens et producteurs commerciaux en ce qui concerne les droits de propriété et d'occupation des sols, les services publics de vulgarisation et l'accès au crédit ; nul n'est besoin de rappeler que les grands propriétaires terriens, depuis l'Indépendance, ont toujours bénéficié de tous les avantages possibles et imaginables dans le pays : crédits plus ou moins illimités basés tout sur la confiance, justice, meilleures opportunités d'investissement. Le système de crédit présente tellement de contraintes aux petits paysans que ces derniers se trouvent le plus souvent dans l'obligation de s'en abstenir : les garanties ou les intérêts sur prêts sont exorbitants d'où une exclusion systématique des petits paysans qui ne possédaient rien déjà.

o Ces politiques ont des conséquences directes tant à court terme qu'à long terme sur la pauvreté rurale vu qu'elles ne font que la renforcer.

IV.4.- Les conséquences de la pauvreté rurale en Haïti

Outre la dégradation des ressources naturelles qui par le fait que les paysans déboisent les forets protecteurs des sommets des montagnes et des pentes abruptes pour la fabrication de charbon de bois, l'exode rural représente un problème sérieux entraîné par la pauvreté dans les zones rurales.

En effet, face aux situations de pauvreté et de malnutrition liées aux problèmes de dégradation de l'activité agricole devenant chaque jour de plus en plus alarmantes, les marges de manoeuvres des paysans demeurent fort réduites. Pour bon nombre d'entre eux, l'unique voie envisageable demeure l'exode rural. Ainsi, chaque année, un nombre élevas de migrants laissent les campagnes, se dirigeant, pour la plupart, vers Port-au-Prince et les autres villes de provinces nourrissant l'espoir illusoire d'emplois dans les milieux urbains, mais, en réalité, ces infortunes ne font que changer leur misère de pôle. Cette alternative s'accompagne d'une dégradation de l'environnement, de la bidonvilisation, d'un chômage chronique, pour aboutir enfin à la dégénérescence de la macrocéphalie de la capitale et de certaines grandes villes du pays. Cet état de chose entraîne tout naturellement l'apparition d'un secteur informel dont l'apport à l'économie nationale ne peut être comptabilisé ... faute d'informations.

Un nombre beaucoup plus imposant de migrants constitués de gens des régions urbaines et d'une partie de ceux laissant les campagnes se dirigent également vers les États-Unis, la République Dominicaine, et d'autres îles de la Caraïbe; et souvent, ces voyages vers l'Amérique du Nord et les Caraïbes se réalisent dans des conditions d'absence de sécurité quasi-totale pour les démunis sur les frêles embarcations. L'aspect tragique de cette initiative est bien mise en évidence par de nombreuses pertes en vie humaines enregistrées en haute mer, lors de la traversée, les mauvaises traitements subis par les Haïtiens dans les nombreux camps de concentration où ils sont détenus et le refoulement pur et simple de ceux captés en pleine mer ou aux larges des côtes étrangères.

* 22 Banque Mondiale et PNUD, 1997

* 23 Gérard Pierre-Charles : Economie Haïtienne et sa voie de développement, p. 45, Ed. Larose, 1969

* 24 Mission en Haïti, ONU, Lake Succes 1949, p 98

* 25 Mission en Haïti, Op. citatus

* 26 Capital Consult, Promotion des investissements en Haïti (Tome I) P-au-P, 1982

* 27 Paul Moral, Le Paysan haïtien, op.cit.

* 28 IHSI, op.cit

* 29 IHSI, op.cit.

* 30 MARNDR et Manuel d'Agronomie Tropicale, 1990 p 96

* 31 SACAD, Paysan Système et crise, 1999, p. 101

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