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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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2.2 - La synthèse libertaire

2.2.1 Le fédéralisme libertaire : des agents géographiques partenaires

La reconnaissance, par les théoriciens anarchistes, de la pluridimensionnalité intrinsèque de l'individu et de la polymorphie sociale oblige, toujours selon eux, à penser différemment l'organisation de la société. Ce rapide liminaire nous oblige à réfléchir à la gestion politique de l'organisation sociale et de procéder à un bref retour sur le terrain de la philosophie politique. La gestion politique de toute organisation sociale repose depuis toujours sur un élément de base, qui est le dualisme des principes d'autorité et de liberté. Proudhon, dès les premières pages de son ouvrage écrit sur la fin de sa vie, Du principe fédératif, rappelle que :

" L'ordre politique repose fondamentalement sur deux principes contraires, l'AUTORITE et la Liberté : le premier initiateur, le second déterminateur ; celui-ci ayant pour corollaire la raison libre, celui-là la foi qui obéit. " 169(*)

Ces deux principes, forment un couple dont les deux termes sont indissociablement liés l'un à l'autre. Ils sont, toujours selon Proudhon, néanmoins irréductibles l'un dans l'autre, et restent, quoi que nous fassions, en lutte perpétuelle. A l'observation de ces analyses, Proudhon en vient à déterminer quatre formes de gouvernement bien définies, et sûrement bien téméraires :

" Gouvernement de tous par un seul : Monarchie ou Patriarcat ou bien gouvernement de tous par tous : Panarchie170(*) ou Communisme. Ces deux formes de gouvernement constituant le régime d'Autorité. Le caractère essentiel de ce régime est l'indivision du pouvoir...

Gouvernement de tous par chacun : Démocratie ou bien gouvernement de chacun par chacun : An-archie ou Self-government. Le caractère essentiel de ces deux formes de gouvernement constituant le régime de Liberté est la division du pouvoir. " 171(*)

Selon lui, c'est à partir de la définition de ces quatre gouvernements élémentaires que l'on doit entrevoir les constructions politiques de l'avenir. C'est sur le sentiment que l'autorité périclite, de jour en jour, que Proudhon élabore une gestion politique de l'organisation sociale basée sur la liberté plus réelle et plus forte - le fédéralisme.

Robert-Paul Wolff, professeur de philosophie politique à l'Université de Columbia (New-York), corrobore cette analyse. Il en différencie seulement les termes en désignant les deux principes antagonistes de l'ordre politique, en les nommant concept d'Autorité et concept d'Autonomie172(*).

Ce dernier concept est si admirablement décrit que nous nous permettons de reproduire ce long passage :

" La philosophie morale a pour hypothèse fondamentale que les hommes sont responsables de leurs actions. Comme Kant l'a fait remarquer, il découle nécessairement de cette hypothèse que les hommes sont libres du point de vue métaphysique ; c'est-à-dire que, dans un certain sens, ils sont capables de décider de leurs actes. Le fait que l'homme soit capable de choisir ses actes le rend responsable, mais le simple choix n'est pas en soi suffisant pour revendiquer173(*) la responsabilité de ses actes. Assumer la responsabilité implique tout d'abord de tenter de déterminer ce que l'on doit faire et cela, comme tous les philosophes depuis Aristote l'ont reconnu, impose certaines tâches supplémentaires : acquérir de la connaissance, réfléchir sur les motifs, prévoir les conséquences, critiquer les principes, et ainsi de suite.

Le libre choix de ces propres actes est nécessaire mais pas suffisant pour imposer l'obligation d'en assumer la responsabilité(...) Tout homme qui possède à la fois le libre-arbitre et la raison est dans l'obligation d'assumer la responsabilité de ses actes, même s'il n'est pas engagé activement dans un processus continu de réflexion, de recherche et de délibération sur la manière d'agir. Parfois, il acceptera de porter la responsabilité des conséquences de ses actes sans y avoir bien réfléchi ou sans avoir l'intention de le faire par la suite. Une telle acceptation est évidemment un pas vers le refus d'engager sa responsabilité mais tout au moins reconnaît-il l'existence de l'obligation. Néanmoins ce refus ne le dégage pas du devoir de procéder à la réflexion à laquelle il s'est dérobé jusqu'alors. Il va sans dire qu'un homme peut assumer la responsabilité de ses actes et cependant se tromper. Lorsque nous disons qu'une personne est responsable, cela ne signifie pas que tout ce qu'elle fait est bien mais seulement qu'elle ne néglige pas le devoir de s'assurer de ce qui est bien.

L'homme responsable n'est ni capricieux, ni désordonné car il se reconnaît lié par des obligations morales. Mais il prétend être le seul juge de ses obligations. Il peut écouter des conseils mais il revendique le droit d'en déterminer lui-même la justesse. D'autres peuvent lui enseigner ses obligations morales mais uniquement à la manière dont un mathématicien apprend d'autres mathématiciens - c'est-à-dire en écoutant des arguments dont il reconnaît la validité, bien qu'il ne les ait pas découvert lui-même. Il n'apprend pas au sens où l'on apprend d'un explorateur en acceptant comme une vérité les descriptions de choses qu'on ne peut pas voir soi-même.

Puisque l'homme responsable arrive à des décisions morales qu'il s'impose sous forme d'impératifs, nous pouvons dire qu'il se donne des lois, qu'il est l'auto-législatif. En bref, il est autonome. Comme l'a montré Kant, l'autonomie morale est une combinaison de liberté et de responsabilité ; c'est la soumission à des lois que l'on s'est donné. Dans la mesure où il est autonome, l'homme n'est pas soumis à la volonté d'autrui. Il peut faire ce qu'un autre lui ordonne mais pas parce qu'on le lui a ordonné. Il est donc, au sens politique du mot, libre." 174(*)

L'acception, à la lecture de ce texte, de la possible existence d'un problème métaphysique voire moral de la liberté ne préfigure pas, pour les anarchistes, qu'il ne peut exister de problème politique de cette même liberté. Christian Delacampagne dans son dernier ouvrage sur La philosophie politique aujourd'hui175(*) nous en donne la raison :

" Parce que, à partir du moment où l'on se situe dans une perspective démocratique, à partir du moment que l'autonomie (individuelle ou collective) doit être préférée, en toutes circonstances, à son contraire - la liberté cesse d'être un mythe ou un mystère. Elle devient, tout simplement, une manière d'être. Un style. L'étoffe de l'existence." 176(*)

Cependant l'étude historique des sociétés humaines nous révèlent tout autant, en politique que dans la vie en général, les hommes abdiquent souvent leur autonomie. Il y a plusieurs causes à cela et plusieurs arguments ont tenté de le justifier. Le propos de ce présent mémoire n'est pas de recenser toutes les causes et arguments qui ont tenté de justifier cet état de fait. Nonobstant, parmi les plus anciens, on trouve l'affirmation de Platon suivant laquelle les hommes doivent se soumettre à l'autorité de ceux qui ont la connaissance, la sagesse ou l'intuition plus développées177(*). Une version moderne plus élaborée prétend que la partie éduquée d'une population démocratique a plus de chance d'être politiquement active et qu'il vaut mieux que la partie ignorante de l'électorat reste passive puisque son entrée dans l'arène politique ne ferait qu'aider les démagogues et les extrémistes. Un certain nombre de politologues178(*) ont même été jusqu'à prétendre que l'apathie des masses était une source de stabilité et donc une bonne chose.

Cette brève démonstration justifie parfaitement le point fondamental de la philosophie politique des anarchistes, à savoir la négation de l'autorité " déléguée " à des mandataires instituée par les différentes démocraties comme principe d'organisation sociale et politique. Pour les anarchistes, cette autorité est la légitimation dont se parent les gouvernements de toute nature pour exercer le pouvoir, c'est-à-dire pour légiférer et imposer les lois qu'ils édictent. Cette organisation hiérarchisée s'illustre par le schéma classique de la pyramide, le sommet, détenteur de l'autorité, imposant à la base ses décisions par l'intermédiaire d'étages successifs d'agents d'exécution, dont le nombre s'accroît en même temps que décroît le pouvoir au fur et à mesure que ces étages se rapprochent de la base.

Cependant l'organisation sociale est un fait et une nécessité. Le besoin d'ordonnancement et de coordination des activités et des fonctions de chaque agent géographique nécessite d'être régi par des règles qu'elles soient écrites, tacites, codifiées. La complexité du monde moderne rendent ces structures sociales (l'ensemble des règles) tout autant indispensables dans une société libertaire que dans une société autoritaire. La solution consistant, pour les anarchistes, de les faire dépendre et exister, non plus du principe d'autorité mais d'appliquer à celles-ci le principe contraire de liberté ou de libre-examen.

En d'autres termes le fédéralisme ne doit être qu'une forme de coordination, un lien structurel du bas vers le haut, du plus simple au plus complexe, qui permette la prise en charge par tous de la gestion de la société, par rapport à ses aspirations et à ses besoins sur la base de la libre association des uns aux autres. Le terme plus précis de libre-association est d'ailleurs le terme initialement utilisé par les premiers praticiens de l'anarchisme à partir du congrès de Saint-Imier en 1870179(*). Cette idée est constante chez Reclus ou Kropotkine180(*) : le principe de la libre-association étant celui de la fédération, telle qu'elle a été définie par Proudhon. Les "collectivités" de la Révolution espagnole de 1936 sont les témoins historiques les plus appliqués de cet héritage idéologique181(*).

Le fédéralisme libertaire de Proudhon repose sur l'alliance, le contrat182(*). Néanmoins, cette :

"...convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à faire ou à ne pas faire quelque chose. " 183(*)

ne peut exister qu'entre individus égaux et libres et diffère du contrat social tel qu'il a été définit par Rousseau. En effet, pour Proudhon :

" Peut-on dire que dans une démocratie représentative et centralisatrice, dans une monarchie constitutionnelle et censitaire, à plus forte raison dans une république communiste, à la manière de Platon, le contrat politique qui lie le citoyen à l'État soit égal et réciproque ? Peut-on dire que ce contrat, qui enlève aux citoyens la moitié ou les deux tiers de leur souveraineté et le quart de leur produit, soit renfermé dans de justes bornes ? il serait plus vrai de dire, ce que l'expérience confirme trop souvent, que le contrat, dans tous ces systèmes, est exorbitant, onéreux, puisqu'il est, pour une partie plus ou moins considérable, sans compensation ; et aléatoire, puisque l'avantage promis, déjà insuffisant, n'est pas même assuré.

Pour que le contrat politique remplisse la condition synallagmatique et commutative que suggère l'idée de démocratie ; pour que, se renfermant dans de sages limites, il reste avantageux et commode à tous, il faut que le citoyen en entrant dans l'association, 1° ait autant à recevoir de l'État qu'il lui sacrifie ; 2° qu'il conserve toute sa liberté, sa souveraineté et son initiative, moins ce qui est relatif à l'objet spécial pour lequel le contrat est formé et dont on demande la garantie à l'État. Ainsi réglé et compris, le contrat politique est ce que j'appelle une fédération. " 184(*)

Le contrat fédératif tel qu'il est pensé par Proudhon comprend donc un aspect incitatif et un aspect " contraignant ". Notons que la contrainte du pacte fédératif est une contrainte librement consentie et égalitairement négociée. Celle-ci n'est en aucun cas le moteur de la motivation - comme dans le discours des partisans de l'autorité où celle-ci apparaît comme une notion subsidiaire185(*) - et ne peut donc, lui être rappelée lors de phase de découragement ou de relâchement. Seules des solutions de réorganisation doivent être conjointement élaborées pour qu'une activité redevienne gratifiante pour l'agent géographique et la collectivité concernés. Il découle de cette définition du fédéralisme libertaire que la prise en main de la vie sociale, économique, politique et culturelle doit être assumée et assurée par les individus et les collectivités d'individus eux-mêmes. Sans vouloir rentrer dans le détail de la réalisation pratique de telle politique autogestionnaire, nous pouvons en esquisser les grands traits pour éclaircir notre propos.

" Les grandes orientations économiques, culturelles, politiques sont discutées et validées lors d'assemblées des Fédérations, de réunions de Communes ou de Quartiers par la population186(*). Des individus sont mandatés pour coordonner la mise en application des politiques ainsi définies et des équipes sont chargées d'étudier et de préparer des projets, d'entretenir les relations entre les fédérations et de faire circuler les informations. Si les mandatés prennent des initiatives, ils le font dans le strict cadre de leurs mandats, ils n'ont pas de pouvoir décisionnel à proprement parler. Ils ne disposent d'aucun moyen coercitif pour imposer ces décisions et peuvent être révoqués à tout moment s'ils ne respectent pas leurs obligations." 187(*)

Le fédéralisme met en valeur le principe de liberté qui ne peut conférer aux représentants (délégués) qu'un pouvoir d'exécution : les décisions sont prises à la base et exécutées par ceux qu'on nomme à cet effet. Dans ce cas, l'agent géographique ne se trouve possesseur d'aucune autorité particulière mais est seulement le mandataire d'un choix et de décisions prises en commun. La pyramide dont il a été précédemment mentionné, qui illustre le modèle hiérarchique disparaît et devient un cercle dont le point central n'est plus qu'un organisme de coordination et d'exécution. Le fédéralisme est un mode d'organisation multiforme (producteurs, consommateurs, habitants...) qui ne préjuge en rien de son aire spatiale car l'ensemble des associations préfigure un rets à mailles souples. L'observation de la vie sociale actuelle révèle déjà que la société n'apparaît plus comme un ensemble d'individus liés entre eux par une relation univoque mais plutôt comme un entrecroisement d'individus et de réseaux. En effet, nous pouvons constater que, d'un côté, nous vivons tous et toutes dans des lieux : une ville, une région ; de l'autre, nous exerçons des activités spécifiques : notre métier, nos études, notre art, et sur un plan plus ludique, nos loisirs. Le fédéralisme constitue le principe politique d'envergure qui simultanément régente et articule la double dimension de toute organisation humaine : économique, la fédération des associations ; administrative, la fédération des communes tout en restant susceptible d'être étendu au monde entier. Le temps imparti à la réalisation du présent mémoire ne permet pas d'étudier plus profondément l'évolution des rapports des sociétés libertaires à leur espace et à leurs territoires telles qu'elles ont été relevées au cours des rares phases révolutionnaires où le projet libertaire a été mis en pratique. Il serait nécessaire de procéder à ce travail comparatif de la modification géographique de l'organisation de l'espace (étude morphologique des divers réseaux mis en place) survenue lors des événements historiques où des exemples d'organisation humaine libertaire ont eu lieu (Espagne, Ukraine, Hongrie, par exemple) afin de mieux quantifier et qualifier un système de gestion des sociétés basé sur le respect et la mise en valeur de l'agent géographique en terme de politique d'aménagement du territoire.

* 169 Proudhon Pierre-Joseph. Du principe fédératif. Paris : Rivière, 1959, p. 271.

* 170 " La panarchie, pantocratie ou communauté, se produit naturellement à la mort du monarque ou du chef de famille, et la déclaration des sujets, frères, enfants ou associés, de rester dans l'indivision, sans faire élection d'un nouveau chef. Cette forme politique est rare, si tant est même qu'il y en ait des exemples, l'autorité y étant plus lourde et l'individualité plus accablée que sous aucune autre..." Notes de Proudhon, p. 276

* 171 Ibid., p.275.

* 172 Wolff Robert-Paul. Defense of anarchism. New-York : Harper and Row, 1970.

* 173 Nous respectons la graphie de l'auteur.

* 174 Ibid., p.11-13.

* 175 Op. cit.

* 176 Op. cit., p. 35.

* 177 Ibid., p. 85-86.

* 178 Christian Delacampagne cite Léo Strauss, p. 88.

* 179 Selon Philippe Pelletier dans son article Les nouveaux territoires de l'État paru dans la brochure Etat, politique, anarchie. Lyon : ACL, 1993, pp. 37-50.

* 180 Reclus L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit. ; Kropotkine La conquête du pain. Op. cit.

* 181 L'on peut lire à ce propos, les ouvrages suivants : Leval Gaston Espagne libertaire 1936-1939. Op. cit. ; Mintz Frank L'autogestion dans l'Espagne révolutionnaire. Op. cit. sans oublier l'ouvrage de Breitbart M.M. Anarquismo y geografia. Op. cit. ; les articles plus récents : Révolution et contre-révolution en Aragon de Flores Jean-Marie, Poder y revolucion social : el consejo de Aragon de Casanova Julian tous deux parus dans l'ouvrage Les espagnols et la guerre civile. Biarritz : Atlantica, 1999, 441 p. ; Espagne 1936. Aspects d'une révolution autogestionnaire. Pau : CNT, 1998, 38 p.

* 182 Proudhon P-J. Op. cit., chapitre VII, pp. 315-323.

* 183 Op. cit., p. 315

* 184 Op. cit., p. 317-318.

* 185 Pour préciser notre pensée, nous prendrons l'exemple du travail où c'est avant tout les rapports de soumission et de subordination qui poussent les individus à travailler ; si le supérieur hiérarchique doit motiver son salarié c'est pour obtenir une meilleure rentabilité technique et financière.

* 186 La gestion communale sera abordé plus loin dans ce mémoire, ainsi que certains autres aspects pratiques.

* 187 Extrait d'une brochure militante de la Fédération Anarchiste L'anarchie aujourd'hui. Un projet pour la révolution sociale. Paris, 1999, 48 p.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille